Psycho-sociologie – La bouleversante leçon de discrimination d'Annie Leblanc

La leçon de discrimination, est un documentaire de 43 minutes tiré de l’émission Enjeux (Société Radio-Canada production) de Pasquale Turbide et Lucie Payeur (2006).
C’est une remarquable expérience lors de laquelle Annie Leblanc, enseignante dans une école primaire de Saint-Valérien-de-Milton, en Montérégie fait vivre à ses élèves du primaire la réalité des personnes qui subissent la discrimination en divisant sa classe en deux groupes sur un critère arbitraire – la taille, un groupe étant valorisé et l’autre dévalorisé par l’enseignante. Ainsi la discrimination est subie par les grands la première journée, puis par les petits le jour suivant…

Ce matériel vidéo fait partie d’un atelier plus vaste sur les discriminations (cf. Richard Monvoisin, Sociologie, anthropologie – Atelier sur le racisme ordinaire et la discrimination)
 

Le documentaire La leçon de discrimination est vendu en DVD aux professionnels de l’éducation. Pour plus deCorteX_Annie_leblanc renseignements, communiquez avec les Services éducatifs de Radio-Canada.

Notons que ce type d’expérience, aussi bouleversante soit-elle, n’est pas une première : il y eut entre autres celle de Jane Elliott (1968), discriminant à l’époque sa classe sur la base de la couleur des yeux.

Pour voir A class divided, (Frontline, PBS1), c’est ici (en version originale). Madame Elliott remit d’ailleurs une « dose » en 2010 avec une expérience intitulée How racist are you ? (A quel point êtes-vous raciste?) que l’on peut regarder (version originale également).

Richard Monvoisin

Situation dramatique en Lozère (petite leçon de bi-standard social et moral)

En décembre 2015, après de régulières séries de grèves organisées, l’intersyndicale lozéroise 1 a obtenu de la délégation interministérielle un nouvel acquis: le 1er janvier 2018, l’intégralité du code du travail est enfin déclarée applicable en Lozère.

Dans ce département de France, cette nouvelle est perçue comme une étape majeure dans un long combat pour une égalité de droits formelle entre les Lozériens et le reste de leurs concitoyens. Car malgré tout, la situation demeure préoccupante : s’il y a 25 ans, les dépenses de santé par habitant étaient 25 fois plus faibles en Lozère qu’ailleurs en France, en 2016, elles étaient en 2016 encore 5 fois plus faibles qu’en Essonne ou dans le Calvados. La dépense publique globale y est de 4700 euros par habitant, contre 17 300 euros en moyenne dans le reste de l’hexagone. Le taux de chômage y était en 2012 de 36,6% au sein des 15 – 64 ans, et le taux d’activité y était de 45,9%. 55% de la tranche des 15-29 ans sont au chômage. Il est compliqué de trouver des chiffres récents, tant le monde des sciences politiques s’est peu attaché à analyser ce département isolé et durement impacté. En 2005, 92% de la population de l’ancien Gévaudan vivait sous le seuil de pauvreté : le revenu moyen d’un foyer lozérien n’atteignait que 290 euros mensuels. Seule une résidence sur trois est de nos jours équipée du confort de base, c’est-à-dire un accès à l’eau courante et à l’électricité. Les prestations sociales auraient pu être en mesure d’aider les Lozériens à parvenir à des conditions de vie décentes, mais le non-recours aux prestations sociales y est particulièrement important. Lors de l’introduction du RSA dans le département en 2011, la CAF avait anticipé entre 13 000 et 18 000 demandes, mais en 2014, seuls 4 300 allocataires percevaient cette aide. Une des principales raisons avancées par les sociologues travaillant sur cette question est que le montant du RSA y est minoré de 50% de son montant national, afin de ne pas déstabiliser l’économie locale. Versant éducation, si le nombre d’élèves scolarisés est passé de 56 000 en 2002 à 86 000 en 2012, les résultats du bac sont très en dessous de la moyenne nationale : les candidats aux bacs généraux et technologiques sont 61,3% à obtenir leur diplôme, contre 88,5% dans le reste de la France métropolitaine.

En plus de ces nombreuses inégalités socio-économiques, les pratiques de l’administration lozérienne en matière de gestion des flux migratoires sont particulièrement sévères, et souvent illégales : après une décision de 2012 de la préfecture de Mende, les agents de police ont autorité pour détruire les papiers arbitrairement présumés faux des migrants qu’ils contrôlent, quand bien même ceux-ci constituent un élément important pour procéder à une demande d’asile ou établir la minorité d’un migrant. La vitesse d’exécution des arrêtés de reconduite à la frontière étonne également : 94% des arrêtés sont exécutés en quelques heures, ce qui empêche les migrants de demander l’asile. Ils n’ont souvent le temps de contacter ni associations ni avocats pour appuyer leurs requêtes. À titre de comparaison, en moyenne les délais d’exécution des reconduites sont de plusieurs mois, le temps de statuer sur les dossiers. Cette efficacité expéditive mène à ce que sur les 31 377 reconduites à la frontière effectuées en France en 2012, 15 908 ont eu lieu en Lozère, et 3 837 d’entre elles concernaient des enfants. Comme ces derniers ne sont en théorie pas expulsables sans être accompagnés d’un tuteur légal, la police de Mende procède fréquemment à des rattachements fictifs, désignant arbitrairement un adulte en situation irrégulière responsable du mineur pour que celui-ci puisse être légalement évincé. Parmi ceux qui ne sont pas expulsés, l’emprisonnement est un sort courant : alors qu’en 2014, 100 mineurs étaient emprisonnés dans le reste de la France métropolitaine, 5 582 enfants et mineurs étaient détenus au centre de rétention de Cubières et dans la prison Séjalan de Mende.

CorteX_Carte_de_Mayotte

ERRATUM

Une coquille volontaire émaille cet article. La situation sociale et politique qui est décrite ici n’est pas celle de la Lozère, mais de Mayotte, île de l’archipel des Comores qui est devenu en 2011 le 101ème département français. Toutefois, comme les Mahorais aiment le souligner, Mayotte fait partie de la France depuis 1843, bien « avant Nice et la Savoie ». Seulement, autant son statut de colonie qu’elle quitta en 1946 que les différents sobriquets qui ont été créés entre temps pour l’empêcher d’entamer un processus de départementalisation, sont les témoins d’une volonté, de la part de la métropole, de freiner l’intégration politique de Mayotte. Autant l’application particulière du droit national que la frilosité des ministères à appliquer pleinement les normes métropolitaines témoignent d’une persistance d’une forme moderne d’État colonial. À Mayotte, la minorité de fonctionnaires métropolitains disposent d’importants avantages : salaires doublés, congés supplémentaires ; et habitent dans des zones protégés, les Mzungulands, ghettos à blancs, qui les isolent socialement et urbainement du reste de l’île. Le train de vie de cette petite minorité, au demeurant sans doute dotée de bonnes intentions, contraste avec les conditions de vie précaires des Mahorais, et le traitement inhumain dont font l’objet les migrants venus des autres îles des Comores, qui avaient quant à eux demandé l’indépendance. Depuis novembre 2016, l’île est même en proie à des pénuries d’eau, sans que les médias métropolitains ne s’en émeuvent. Gageons que si la situation décrite ici était celle de la Creuse, du Calvados, du Haut-Rhin ou de l’Ardèche, les réactions seraient bien plus rapides. Hélas, tous les Français en 2017 sont loin d’avoir les mêmes droits.

Jérémy Fernandes Mollien & Richard Monvoisin

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Pour aller plus loin, voir Mayotte : reconfigurations coloniales, des mêmes auteurs, publié en mars 2017 dans la revue Mouvements.

Nous remercions le Monde Libertaire de nous permettre de reproduire cet article, publié en avril 2017 dans leur numéro 1747.


Bibliographie

  • Cosi, France Terre d’asile, Ordre de Malte France, « Centre de rétention administrative toujours plus d’enfants enfermés », extrait du rapport 2014 sur les centres de rétentions administratives, 2014.

  • Carayol R. « Mayotte, une départementalisation à la pelleteuse » Le Monde Diplomatique, n° 687, 2011.

  • Duflo, M. et Ghaem M. « Mayotte, une zone de non droit », Plein Droit, n°100, 2014.

  • Roinsard N., « Conditions de vie, pauvreté et protection sociale à Mayotte : une approche pluridimensionnelle des inégalités », Revue Française des Affaires Sociales, 2014/4.

  • Roinsard N., « Chômage, pauvreté, inégalités : où en sont les politiques sociales à Mayotte ? », Informations sociales, 6/2014.

  • Roinsard N., « Conditions de vie, pauvreté et protection sociale à Mayotte : une approche pluridimensionnelle des inégalités », Revue Française des Affaires Sociales, 2014/4.

In memoriam minimalismus Ruwen Ogien

Le philosophe Ruwen Ogien a toujours eu une certaine distance amusée à l’égard des situations morales qu’il traitait dans ses livres. Jusqu’au dernier moment, il regardait sa maladie d’un air circonspect, et la pantomime médicale et afflictionnelle d’un œil rieur – ce qu’il a d’ailleurs raconté dans son dernier ouvrage. Il est mort le 4 mai 2017 sans que l’on sache à quel âge exactement, et on peut miser que là où il est, il doit rire de ceux qui se demandent s’il est moral de mourir au printemps ou de manger des pissenlits par la racine plutôt que par les feuilles. Au CorteX, nous essayons de jauger nos choix politiques et moraux par l’analyse rationnelle, et la philosophie morale nous fournit des outils de premier choix. Parmi les fournisseuses et fournisseurs officiels et principaux, Ruwen Ogien et son éthique minimale. Alors pour solder notre dette intellectuelle, nous avons voulu consacrer un article à sa pensée et la faire découvrir à celles et ceux qui seraient passés à côté, parce qu’il n’est jamais trop tard. Quoi de mieux pour cela que de demander à l’une des ses collègues philosophes, Marlène Jouan, qui a bien connu le monsieur, et assidûment fréquenté l’œuvre ?

Un spécialiste de philosophie morale

Spécialiste de philosophie morale ou d’éthique, pour Ruwen Ogien c’est pareil. Seulement, quand on a dit ça on n’est guère avancé, car il y a « philosophie morale » et « philosophie morale ». Pour comprendre ce qu’il faisait, le mieux est donc de commencer par revenir sur les trois « branches » que l’on a coutume de distinguer dans le domaine.

La méta-éthique, d’abord, qui s’intéresse à la signification des prédicats moraux tels que « bien », « mal », « juste » ou « injuste » par distinction d’avec « rouge », « vrai » ou « laid » par exemple ; au rapport entre les jugements moraux et les autres types de jugements, factuels et évaluatifs ; au statut épistémologique des jugements moraux (que nous permettent-ils de connaître ?) ainsi qu’à leur pouvoir explicatif (en quoi motivent-ils nos actions ?). En bref la méta-éthique, c’est l’étude du langage de la morale, indifférente à la question de savoir quelles sont les actions qu’il est bien ou mal, juste ou injuste d’accomplir. Sous l’impulsion première du philosophe britannique George Edward Moore au début du XXe siècle, et aussi surprenant que cela puisse paraître à celles et ceux qui ne sont pas familiers de ce champ de recherche, la philosophie morale ainsi conçue est donc tout sauf une philosophie pratique qui aurait vocation à guider notre conduite, voire notre existence tout entière.

L’éthique normative, ensuite, correspond bien davantage à ce que nous nous attendons à trouver quand on nous parle de philosophie morale. Elle élabore en effet des théories ayant une ambition prescriptive, c’est-à-dire visant à nous dire ce qu’il faut faire en telle et telle circonstance, comment nous devons agir, ou bien ce qu’il serait bien ou correct de faire en telle en telle circonstance. Plus exactement, ces théories proposent des méthodes de raisonnement permettant de décider de ce qu’il faut faire ou de ce qu’il serait bien de faire – aux autres mais, pourquoi pas aussi, à soi-même. Historiquement et schématiquement, il y a trois grandes théories de ce type : l’arétaïsme, ou éthique des vertus, que l’on doit à Aristote mais qui est bien vivante aujourd’hui encore ; le déontologisme, dont le représentant le plus fameux est le philosophe allemand Emmanuel Kant mais dont on a aussi une variante dans le catholicisme par exemple ; l’utilitarisme, qui nous vient initialement de Grande-Bretagne, et dont les pères fondateurs sont Jeremy Bentham et John Stuart Mill.

Enfin, l’éthique appliquée, qui consiste au premier abord à exploiter ces théories normatives, ou les principes qu’elles mettent en avant, pour résoudre des questions d’éthique concrètes, que l’on appelle parfois aussi « questions de société ». Par exemple et pêle-mêle : l’euthanasie, la prostitution, le don d’organe, la torture, la liberté d’expression, l’expérimentation sur les animaux, la peine de mort, l’assistance médicale à la procréation, la protection de l’environnement, le clonage, le port du voile, etc. En réalité l’étude de ces cas concrets, qui s’est développée de manière exponentielle dans la seconde moitié du XXe siècle, permet tout autant de mettre à l’épreuve les théories normatives dominantes, de les tester et de les amender ; elle oblige aussi à reconnaître qu’en pratique, nous avons souvent recours à un « bricolage » entre ces différentes théories ; elle a enfin besoin de recourir, à des fins d’éclaircissement des difficultés et des enjeux des débats, à la méta-éthique.

Pour en savoir un peu plus sur cette organisation du paysage de la philosophie morale, on peut se référer utilement au « Que sais-je ? » que Ruwen Ogien lui a consacré, avec Monique Canto-Sperber, en 2004 : ce petit ouvrage constitue, pour les étudiant.e.s qui souhaitent s’initier sérieusement à la philosophie morale contemporaine, une très bonne introduction. Pour sa part, et depuis son premier ouvrage intitulé La faiblesse de la volonté, issu de sa thèse de doctorat et paru en 1993, Ruwen Ogien a constamment frayé, sans respecter leurs frontières académiques, avec chacune de ces trois branches de la philosophie morale. Mais on associe plutôt ses travaux à l’éthique appliquée, comme le suggèrent les titres de quelques ouvrages : Penser la pornographie (2003), La liberté d’offenser. Le sexe, l’art et la morale (2007), La vie, la mort, l’État. Le débat bioéthique (2009), La guerre aux pauvres commence à l’école. Sur la morale laïque (2012). C’est également sous ce drapeau que s’inscrivaient ses interventions régulières, depuis 2014, sur le blog « LibeRation de Philo ». À destination d’un public plus large, elles ont été récemment reprises, avec d’autres textes rédigés au fil de l’actualité, dans son Dîner chez les cannibales et autres chroniques sur le monde d’aujourd’hui.

Dans les pas de Montaigne…  

La référence à Montaigne est ici immanquable, et instructive pour se faire une idée de la conception qu’avait Ruwen Ogien de l’utilité pratique de la philosophie. L’auteur de l’essai « Des cannibales » revendiquait en effet, dans un autre essai intitulé « Du repentir », une tâche de « récitation de l’homme » qu’il faut comprendre par contraste avec la prétention de ses prédécesseurs à « former l’homme », qui sera aussi celle de beaucoup de ses successeurs.

Mais pas de Ruwen Ogien, pour qui la philosophie morale n’a précisément pas pour mission de « former » l’être humain c’est-à-dire de le mettre ou de le remettre sur le chemin de la vertu, de la perfection ou de la sainteté. Cela supposerait qu’il soit légitime de soumettre l’ensemble de ses conduites, privées comme publiques, au jugement moral, et de confier ce jugement moral au philosophe : n’est-il pas l’« expert » en cette matière ? De fait, c’est bien ce qu’on demande souvent aux philosophes, tant dans les comités d’éthique que dans l’espace médiatique, à savoir de donner leur « avis », leur diagnostic et leur conseil, sur à peu près toutes les questions qui soulèvent et alimentent la « panique morale », voire le « délire catastrophiste » ambiants – la crainte que certaines pratiques, notamment sexuelles et reproductives, mais aussi religieuses et migratoires, ne renversent les « piliers » ou les « fondements » de la société en transgressant les normes et les valeurs qui seraient essentielles à notre « identité » ou au « vivre-ensemble ». C’est bien d’ailleurs aussi ce que nombre d’entre eux proposent, quand bien même on ne leur demande rien !

Ruwen Ogien fait résolument partie de ceux qui refusent d’endosser un tel rôle, que dénonçait déjà Jacques Bouveresse, son directeur de thèse, en 1973 dans un essai intitulé Wittgenstein : la rime et la raison :

« Dans quelle mesure […] le philosophe est-il qualifié pour parler de morale ? Est-il fondamentalement meilleur, plus expérimenté ou plus heureux que le reste des hommes ? Quel genre de secret détient-il ? Que pourrait-il bien savoir que d’autres ignorent ? De toute évidence rien »

Qu’on ne se méprenne pas : cette position sceptique, inspirée de Ludwig Wittgenstein, ne signifie pas que la philosophie morale en général, l’éthique appliquée en particulier, est une imposture intégrale. S’il ne faut pas attendre du philosophe un savoir, mi-spéculatif mi-existentiel, qui lui permettrait de fournir des solutions forcément justes aux problèmes éthiques que l’on rencontre (ou que l’on invente), et s’il faut encore moins attendre de lui un comportement moral particulièrement exemplaire, en revanche on peut et l’on devrait pouvoir compter sur lui pour élaborer et transmettre certains savoir-faire nous permettant d’éclairer ces problèmes, de sortir des confusions conceptuelles et argumentatives qui gangrènent la façon dont on en discute.

L’avant-propos de L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine – et autres questions de philosophie morale expérimentale (2011) illustre explicitement cette démarche, que certainement le CorteX ne renierait pas [NdCorteX : effectivement, nous nous servons de ses productions depuis 2012, voir ici] : dans ce qu’il présente comme une « introduction générale à l’éthique », Ruwen Ogien affirme vouloir « mettre à la disposition de ceux que cela pourrait intéresser une sorte de boîte à outils intellectuels pour affronter le débat moral sans se laisser intimider par les grands mots (“Dignité”, “Vertu”, “Devoir”) et les grandes déclarations de principe (“Il ne faut jamais traiter personne comme un simple moyen”, etc.) » ; on pourrait ajouter les grandes émotions comme l’amour, la haine ou encore la honte, qu’il a disséquées dans d’autres ouvrages. Et de préciser que « si ces titres n’étaient pas devenus des marques déposées », il aurait pu intituler son introduction « Antimanuel d’éthique ou Petit cours d’autodéfense intellectuelle contre le moralisme ».

Les philosophes n’ont pas de leçon de morale à donner

La philosophie devrait donc se garder de donner des leçons de morale ; elle devrait aussi, cela va de pair, se déprendre de l’ambition de fonder la moralité. Dans les faits, cela revient à cautionner certaines formes de normalité, ou à imposer certaines formes d’existence, au nom d’un ordre transcendant, universel et anhistorique qui fait l’objet de bien des fantasmes mais qui ne résiste guère à l’examen rationnel, du moins dès que le philosophe daigne sortir de sa tour d’ivoire pour s’informer auprès des sciences, de la sociologie à la psychologie en passant par la biologie et l’anthropologie – à l’instar de ce qui nous est proposé dans un article de 2007 intitulé « Que fait la police morale ? ». On pourrait dire, en reprenant une célèbre formule de Hegel, que la philosophie à mieux à faire que se poser en « valet de chambre de la moralité » : plus modestement ou plus humblement, son entreprise est essentiellement analytique et critique. Celles et ceux qui n’oseraient pas se lancer directement dans la lecture d’un ouvrage de Ruwen Ogien peuvent alors commencer à goûter cette entreprise avec un autre article, paru en 2012 et disponible sur le site de la revue Raison publique sous le titre « La “marchandisation du corps humain” : les incohérences et les usages réactionnaires d’une dénonciation » : on y trouve toute la rigueur et la pédagogie caractéristiques d’un auteur qui – ce serait à mon sens une bonne façon de résumer sa contribution – a montré combien les appels à la moralité dissimulaient et participaient à la production d’injustices sociales. En bref, comme on peut le lire au début de La panique morale : « trop d’éthique tue l’éthique ».

Un philosophe qui fait grincer les gencives

À plusieurs titres, cette contribution fait de Ruwen Ogien une voix singulière et peu audible dans le paysage philosophique français, que l’on aurait tort de réduire au geste d’iconoclastie ou de provocation dont il est parfois affublé mais dont il est évident qu’il s’amuse lui-même.

Par la tradition dans laquelle il s’inscrit d’abord, celle de la philosophie analytique, dont il adopte les exigences typiques d’analyse et de justification, de confrontation à l’objection et aux données de l’expérience, de clarté, de précision et de cohérence, mais sans les scories logiques et la froideur stylistique qui hérissent encore sa réception française et qui peuvent la rendre peu accessible. L’ancrage de Ruwen Ogien dans la méta-éthique vient de là, pour autant on est avec lui au plus loin du constat lapidaire que pouvait faire, en 1972 dans Morality. An Introduction to Ethics, le philosophe anglais Bernard Williams, déplorant que la philosophie morale ait trouvé, en s’adonnant à la méta-éthique, « une manière originale d’être ennuyeuse, consistant à ne pas discuter du tout des problèmes moraux ». Au contraire, Ruwen Ogien met directement la méta-éthique au service de la discussion de ces problèmes moraux, tout en l’utilisant comme garde-fou contre la moralisation de cette discussion.

Indéniablement, cette méthode le place en marge des interventions les plus bruyantes de nos philosophes nationaux dans les débats de société. Une grande partie de ces interventions s’énonce en effet à l’abri de positions théoriques normatives dont les concepts et les principes clés sont à ce points soustraits à la démonstration, mais aussi à l’imagination, qu’ils ont pris la forme de clichés ou de slogans et les alimentent en tout cas trop facilement. Cela vaut en particulier de celles qui revendiquent une fidélité sans faille à l’éthique kantienne, sans doute la cible privilégiée quoique non exclusive de Ruwen Ogien. Avec l’auteur des Fondements de la métaphysique des mœurs ou de la Doctrine de la vertu, mais aussi celui de l’Éthique à Nicomaque, c’est en fait l’ensemble des éthiques dites « maximalistes » qui est révoqué, au profit de la défense d’une éthique « minimale » et même « minimaliste ».

Une éthique « libérale » ?

Cette défense d’une éthique minimale est largement minoritaire, et il arrive à Ruwen Ogien de suggérer que ce n’est pas sans lien avec le fait que si la situation venait à changer, un grand nombre de philosophes moraux se retrouverait tout bonnement au chômage technique. Elle n’est d’ailleurs pas minoritaire seulement en France, mais le langage au moyen duquel nous formulons nos antagonismes politiques tend tout spécialement à l’obscurcir. Que cette position vaille souvent à Ruwen Ogien d’être taxé de philosophe « libéral » ou « individualiste », ce qui dans nos contrées suffit à disqualifier n’importe quelle prétention à faire de la philosophie « morale », est en effet symptomatique : on confond, dans l’opprobre que ces étiquettes sont censées véhiculer, deux prises de position distinctes. Ainsi quelqu’un de « libéral » sur les questions morales, c’est-à-dire de « progressiste » au sens du terme « libéral » en vigueur dans le monde politique anglophone par contraste avec « conservateur », serait-il forcément « libéral » aussi sur les questions économiques et sociales, c’est-à-dire, au sens ordinaire du terme en vigueur chez nous, un chantre de la fin de la protection sociale, de la disparition de l’État-Providence au profit des mécanismes « auto-régulateurs » du marché, de la mise en concurrence de tous avec chacun et donc d’un solide égoïsme rationnel. Or on peut fort bien être l’un sans être l’autre ! Comme on peut légitimer les inégalités économiques et sociales, et ainsi le maintien du statu quo, avec des arguments moraux qui n’ont rien de progressiste.

L’éthique minimale de Ruwen Ogien, qui implique une conception restreinte des interventions de l’État dans la vie des citoyens, mais aussi de celles de chaque citoyen dans la vie de ses concitoyens, ne concerne en tout état de cause que les questions morales et elle peut fort bien être adossée à une philosophie sociale d’autant plus « riche » que sa contre-partie morale est « pauvre ». De fait, l’alternative « plus ou moins d’État » est fourvoyante : ce qu’il faut analyser et soumettre au regard critique, ce sont les normes morales mobilisées pour justifier son intervention, que celle-ci s’oppose ou non au marché. Comme son nom l’indique, l’éthique minimale réduit ces normes au minimum, à quelques principes pas franchement grandioses, qui visent deux effets corrélés : d’une part assurer sa portée universelle, c’est-à-dire son indépendance à l’égard de tout engagement métaphysique et religieux, et d’autre part soustraire un maximum de domaines de nos existences à l’ingérence de la loi, que celle-ci ait la force du droit ou qu’elle soit simple affaire de coutumes sociales.

Principes de base de l’éthique minimal(ist)e

Quels sont ces principes ?

(1) Porter une égale considération ou la même valeur à la voix ou aux intérêts de chacun.

(2) Assumer une neutralité à l’égard des conceptions du bien personnel ou de ce qu’est une vie « bonne » ou « réussie ».

(3) Limiter l’intervention de l’État aux cas de torts flagrants et délibérément causés à autrui c’est-à-dire, avec Montaigne une fois de plus, « éviter la cruauté ».

Celles et ceux qui ont quelques atomes crochus avec l’utilitarisme penseront que Ruwen Ogien est l’un des leurs et ils et elles auront raison. Reste que comme tout principe, ces trois-là sont susceptibles d’être interprétés diversement, et Ruwen Ogien en propose une interprétation radicale, qui distingue son éthique minimale de celle qui est solidaire du libéralisme politique tel qu’il fut renouvelé, à partir des années 1970, par les travaux du philosophe américain John Rawls. Sans être trop technique ni entrer dans les arcanes du débat sur la priorité du « juste » ou du « bien » – on renvoie pour cela les lecteurs et lectrices à L’éthique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes (2007) –, cette radicalité tient à la thèse suivante : nos conceptions du bien ou nos idéaux de la vie bonne, qui se traduisent dans les façons plurielles dont nous menons nos existences, dont nous fuyons ou prenons à bras le corps les questions qu’elles nous posent ou encore, comme le dirait le vieux Socrate, dont nous nous soucions ou ne nous soucions pas de nous-mêmes, corps et âme compris, ces conceptions n’ont aucune valeur ou portée morale en elles-mêmes. Par conséquent il n’y a pas en cette matière, celle du rapport de chacun avec lui-même, de l’usage que l’on fait de soi, d’évaluation morale qui tienne et a fortiori de sanction légitime, qu’elle soit le fait de l’État ou de la société.

Tant que les gens ne nuisent pas à autrui, laissez-les faire ce qu’ils veulent

La substance de l’éthique minimaliste défendue par Ruwen Ogien tient ainsi en peu de mots : tant que gens ne nuisent pas à autrui, laissez-les faire ce qu’ils veulent. En version un peu plus développée : tant que leur liberté ne fait pas de victime c’est-à-dire qu’elle ne cause pas directement de dommages non-consentis à d’autres personnes qu’elles-mêmes, il ne saurait y avoir d’infraction morale – non plus d’ailleurs que de réalisation ou de noblesse morale : ni l’éloge ni le blâme ne sont de mise (ce qui n’empêche pas d’être généreux dans les conseils et les recommandations que l’on peut prodiguer à ses proches et ses amis). Le potentiel subversif d’une telle éthique est proportionnel à son économie de moyens, et pour en prendre concrètement la mesure il suffit de la confronter à son antipode occupée encore à ce jour par le modèle français de bioéthique, qui depuis la création du Comité Consultatif National d’Éthique en 1983 a fait l’objet d’une institutionnalisation sans équivalent dans le monde.

Ce modèle est en effet profondément paternaliste, investi de la mission consistant à « protéger les gens d’eux-mêmes ou à essayer de faire leur bien sans tenir compte de leur opinion », et donc prompt à soupçonner leur consentement de toutes sortes de vices qui en annulent la validité. Corrélativement, c’est un modèle qui ne se contente pas de faire valoir les devoirs que nous avons envers autrui mais qui oppose aussi à notre liberté les devoirs que nous aurions envers nous-mêmes ou envers notre propre humanité – celui de ne pas nous suicider par exemple, ou de ne pas faire commerce de certains usages de notre corps. En dernière instance, c’est un modèle fondé sur une valeur, la dignité, dont le contenu est pour le moins douteux et contesté si ce n’est complètement vide. Il a donc bien souvent besoin, pour compenser ce vide, de s’appuyer sur des pratiques et des normes sociales et culturelles, éventuellement flanquées de « lois de la nature » pour plus de sécurité, dont Ruwen Ogien montre que la prévalence ici ou là ne fait pourtant pas la moralité.

Une bombe subversive cachée dans Shaun le mouton

Il est sans doute inutile de préciser, en conclusion, que quiconque veut le lire doit donc être prêt non seulement à voir ses idées reçues bousculées, mais aussi, autant être prévenu, à faire preuve du courage nécessaire pour aller jusqu’au bout de ses raisonnements moraux, quitte à ne pas être très fier de ce que leurs implications révèlent. Mais il ou elle doit aussi s’attendre, et la chose est suffisamment peu commune en philosophie pour être soulignée, à tomber plus d’une fois « mdr » – d’un rire déclenché par l’absurde ou l’incohérence (des idées que l’on partage ou pas), par l’expérience de pensée farfelue ou la comparaison irrévérencieuse, et surtout par l’ironie et l’autodérision de celui qui les propose et se tient à bonne distance de tout « esprit de sérieux » (ne pas se fier à l’auteure de ces lignes, qui n’a pas le même talent).

Cet humour nous tient, et l’a sans doute tenu, jusque dans son dernier livre paru début mars, Mes Mille et Une Nuits. La maladie comme drame et comme comédie, écrit entre deux chimiothérapies. Si Ruwen Ogien y poursuit sa critique d’un moralisme qui prend alors la forme du « dolorisme », cette idée qu’il y aurait quelque chose de bon voire de rédempteur dans la souffrance, que celle-ci aurait un sens ou ne serait pas sans raison, l’argumentation expose ses propres hésitations et se noue avec un récit dont il retenait surtout, dans la correspondance dispersée que nous entretenions alors, les moments de soulagement qui accueillent le simple fait de comprendre. « On peut refuser de s’apitoyer sur ses propres souffrances tout en éprouvant une profonde compassion pour celles des autres », disait-il à Libération dans un entretien du 10 février 2017. Les hommages et portraits parus depuis le 4 mai l’ont d’ailleurs déjà rapporté : celles et ceux qui ont eu la chance de le rencontrer étaient toutes et tous un peu « émerveillés » par sa gentillesse, sa bienveillance et sa sollicitude, et avec le philosophe Patrick Savidan il faut reconnaître que sa personne était peut-être « le meilleur argument qui soit en faveur de l’éthique minimale », même si lui-même ne l’aurait pas admis. « Doux comme Shaun le mouton ! » rétorquait-il dans l’un de ses mails aux insultes que lui valaient ses prises de position dans le débat public ; le moins que l’on puisse faire c’est tenter d’éviter les passions tristes qui lui étaient si étrangères pour entretenir la passion joyeuse qu’il avait pour la vie non moins que pour la philosophie.

CorteX_Marlene_JouanMarlène Jouan, maîtresse de conférences en philosophie à l’Université Grenoble-Alpes.

Bibliographie

Nous n’avons retenu ici que les ouvrages.

  • Pour s’interroger sur les objets de nos perplexités et de nos passions morales contemporaines :

Un portrait logique et moral de la haine, Combas, L’éclat, 1993.

La honte est-elle immorale ?, Paris, Bayard, 2002.

Penser la pornographie, Paris, PUF, 2003.

La panique morale, Paris, Grasset, 2004.

La liberté d’offenser. Le sexe, l’art et la morale, Paris, La Musardine, 2007.

La vie, la mort, l’État. Le débat bioéthique, Paris, Grasset, 2009.

Le corps et l’argent, Paris, La Musardine, 2010.

L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine – et autres questions de philosophie morale expérimentale, Paris, Grasset, 2011.

La guerre aux pauvres commence à l’école. Sur la morale laïque, Paris, Grasset, 2012.

Philosopher ou faire l’amour, Paris, Grasset, 2014.

Mon dîner chez les cannibales et autres chroniques sur le monde d’aujourd’hui, Paris, Grasset, 2016.

  • Pour approfondir les paradigmes théoriques qui permettent d’orienter cette interrogation :

La faiblesse de la volonté, Paris, PUF, 1993.

Les causes et les raisons : philosophie analytique et sciences humaines, Arles, Jacqueline Chambon, 1995.

Le réalisme moral, « Première partie », Paris PUF, 1999.

Le rasoir de Kant et autres essais de philosophie pratique, Combas, L’éclat, 2003.

La philosophie morale (avec Monique Canto-Sperber), Paris, PUF, 2004.

L’éthique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes, Paris, Gallimard, 2007.

Les concepts de l’éthique. Faut-il être conséquentialiste ? (avec Christine Tappolet), Paris, Hermann, 2009.

Et le dernier, hélas : Les Mille et Une Nuits. La maladie comme drame et comme comédie, Paris, Albin Michel, 2017.

Le CorteX a par ailleurs gardé en stock quelques passages radiodiffusés de Ruwen Ogien. Les voici.

École : doit-on enseigner la morale laïque ?, dans La grande table, sur France Culture, le 13 septembre 2012.

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Liberté négative et volonté d’égalité, dans Questions d’éthique, de Monique Canto-Sperber sur France Culture, le 6 juin 2013.

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La maladie aurait-elle des vertus ? Dans La conversation scientifique, d’Étienne Klein sur France Culture, 4 mars 2017.

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Crédit photo : le Nouvel Observateur.

Idées reçues sur les dinosaures

CorteX_Dinoaure_JurPark3A quoi est dû le succès évolutif des dinosaures ? Leur évolution s’est-elle arrêtée après l’impact météoritique d’il y a 66 millions d’années ? Les mammifères ont-ils pris la place des dinosaures ? Les dinosaures existent-ils encore aujourd’hui ? L’émission La méthode scientifique explore à nouveau ces questions à l’aune des connaissances actuelles de deux ténors, Eric Buffetaut, paléontologue, directeur de recherche CNRS et Guillaume Lecointre, directeur du département « Systématique et évolution » du Muséum d’Histoire Naturelle, bien connu de nos pages et grand contributeur du CorteX. Un régal à l’usage des profs de Sciences et Vie de la Terre (SVT) souhaitant nourrir la réflexion sur un sujet qui capte l’imaginaire.

 

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Tourisme, arme de destruction massive, de Jean-Paul Loubes

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Tourisme, arme de destruction massive Jean-Paul Loubes

Anthropologue, architecte et écrivain, Jean-Paul Loubes a enseigné à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Bordeaux et à l’EHESS-Paris. Dans cet ouvrage, il alerte sur les conséquences du tourisme de masse à l’échelle planétaire : un milliard de touristes voyagent en effet chaque année dans le monde en « dénaturant », déformant, polluant et privatisant les sites qui paient ainsi un lourd tribut à leur « mise en valeur touristique ». Des destinations comme Venise, Bali, l’île de Pâques, sont devenues tellement populaires qu’elles sont aujourd’hui menacées de disparition. Plus grave encore, ce que Jean-Paul Loubes intitule l’effet UNESCO, lié au classement au Patrimoine mondial, peut être catastrophique pour la protection des sites. Étayé de nombreux exemples, l’ouvrage de Jean-Paul Loubes laisse pantois et offre une nouvelle gamme d’exemples de réécriture potentielle de l’Histoire qui auront toute leur place dans nos enseignements – comme au Mas d’Azil, en Ariège, où Cromignon et Cropetite remplacent les livres pointus dans les « boutiques de souvenirs », pardon, les « comptoirs du patrimoine », tout cela sous la bénédiction du Ministère de la Culture (et de la Communication !), et la caution de scientifiques plus ou moins scrupuleux.

Cet ouvrage de 170 pages expose en 12 chapitres :CorteX_touristes

  • la marchandisation des échanges humains par le tourisme (comme au Pont du Gard, devenu un lieu payant, ou encore la rencontre préfabriquée, parfois forcée, avec des Massaï au Kenya ou des « ethnies » au Laos) ;
  • les menaces environnementales et sociales provoquées par la concentration de personnes sur des sites touristiques urbains, ruraux, insulaires, littoraux, montagnards (Carnac, St-Emilion, Carcassonne, le pays Dogon, la vallée de l’Omo, la Cappadoce, Samarcande et les villes des Routes de la Soie, Turfan, Kashgar, le Canal du Midi);
  • l’usage de fac-similés (la grotte Chauvet, le Mas d’Azil) pour développer le tourisme que l’on peut associer à la privatisation de sites pour raison touristique (le Pont du Gard par exemple) ;
  • la labellisation comme outil de promotion du tourisme de masse, notamment celle de l’Unesco, tourisme dit patrimonial ou culturel (une culture qui reste superficielle).

jean-Paul Loubes
jean-Paul Loubes

Jean-Paul Loubes s’appuie sur de nombreux exemples tirés de la liste du patrimoine mondial de l’humanité dressée par l’Unesco depuis 1972, période de l’avènement du tourisme de masse. Cette lecture ne peut pas laisser indifférent le.la touriste qui sommeille en nous.

Date de parution : août 2015
ISBN : 978-2-84978-049-7
Format :13 X 20 cm, 176 pages, 18 euros €

Voici un extrait du livre, gracieusement mis en ligne par l’auteur.

 

Du neuf dans BD & esprit critique – Série audio de la fabrique de l'histoire

Tome 1 de Notre mère la Terre, de Kris & Maël
Tome 1 de Notre mère la Guerre, de Kris & Maël

La fabrique de l’histoire, émission de France Culture, a abordé en octobre 2016 un cycle sur l’histoire de bande dessinée. Histoire de la BD avec entre autre Kris, puis documentaire sur la légendaire revue Pilote. S’ensuit une visite d’exposition sur Hergé avec un retour sur les opinions très conservatrices du père de Tintin et Milou, et un débat historiographique : apprend-on l’histoire dans les BD historiques ? Un régal pour les fans du neuvième art.  La suite ici.

Les crânes de cristal, par Denis Biette

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Harrison Ford en action. Il doit tout à Denis Biette.

Denis Biette est un être légendaire pour certain·es d’entre nous : d’abord parce qu’il a tenu à bras tendus le fond documentaire du Laboratoire de zététique, avec Henri Broch ; ensuite parce qu’il a une passion immodérée pour l’archéo-fiction et la cryptozoologie, au point d’en devenir un quasi-expert. C’est le cas sur le sujet des crânes de cristal, sujet qui défraye la chronique depuis le quatrième Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal, réalisé par Steven Spielberg en 2008.

CorteX_l-enigme-des-cranes-de-cristal-un-mythe-moderneAlors il a publié en 2012 un ouvrage, L’énigme des crânes de cristal, un mythe moderne, aux éditions book-e-book.com. Il a récemment accepté de répondre aux question de notre camarade Nichoax, dans son émission L’heure du doute du 23 mars 2017, sur Mosaïque FM. Voici l’extrait.

 

 

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Bhagat Singh, pourquoi je suis athée

CorteX_Baghat_Singh_sepiaIl est des gens qui payent cher leur courage et leur prises de position. Dans le contexte d’assassinats et d’agressions régulières de blogueurs, de militant·es progressistes, féministes, athées ou simplement agnostiques en Inde, au Pakistan et surtout au Bangladesh (voir quelques exemples ici), il s’imposait de refaire surgir la figure oubliée de Bhagat Singh, mélange étonnant dans un Pandjab colonisé d’un Bertrand Russell et d’un Ernesto Guevara. C’est ce qu’ont fait les Éditions de l’Asymétrie, dans un très beau petit livre, dont les recettes sont envoyées au réseau libre-penseur et séculier Mukto-Mona.

Bhagat Singh. Pourquoi je suis athée (Why I am an atheist) traduit de l’anglais (Inde) CorteX_Baghat_Singh_couvpar les Éditions de l’Asymétrie. 10 € TTC, 128 p. Collection Rimanenti. Sortie le 8 septembre 2016.

Préfaces de Raihan Abir, éditeur, Mukto-Mona, de Shammi Haque, blogueuse et activiste féministe de la Ganajagaran Mancha (Mass awakening Platform / Plate-forme pour le réveil des masses), et de Marieme Helie Lucas, sociologue, fondatrice et coordinatrice des réseaux Secularism is a Women’s Issue et Women living under Muslim Laws. Postfaces de Chaman Lal, historien, JNU-Delhi, et d’Ahmedur Rashid Chowdhury (Tutul), éditeur, Shuddhashar.

« Un hindou croyant peut espérer renaître en roi ; un musulman ou un chrétien pourraient rêver des luxes dont ils espèrent profiter au paradis comme récompense pour leurs souffrances et leurs sacrifices. Mais moi, que dois-je entretenir comme espoir ? Je sais ce que sera la fin, quand la corde sera serrée autour de mon cou et les chevrons passés sous mes pieds. Pour utiliser une terminologie religieuse plus spécifique, ce sera le moment de l’annihilation finale. Mon âme retournera au Rien. Si je remets réellement en question la notion de “récompense”, je conclus qu’une courte vie de lutte, sans fin magnifique, suffit comme récompense. C’est tout. Sans aucun motif égoïste d’obtenir une récompense ici ou dans l’au-delà, j’ai consacré ma vie de façon désintéressée à la cause de la liberté.  »

CorteX_Baghat_Singh_sloganCe texte, écrit en prison en 1930 par celui que l’on a surnommé le « Che Guevara libertaire » indien (1907-1931) alors qu’il est condamné à mort, constitue un brûlot malmenant à la fois les religions, les castes, et le colonialisme. Encore très diffusé aujourd’hui en Inde, et au cœur de nombreuses récupérations, il exerce une influence toujours déterminante sur les luttes contre tous les fanatismes, notamment celles des blogueurs, éditeurs et libres penseurs d’Asie et du monde arabe. Cette traduction est donc accompagnée des contributions de quatre d’entre eux qui soulignent l’actualité de Bhagat et de ses combats. Les bénéfices tirés de la vente de ce livre sont reversés au site Internet Mukto-Mona (Libre Pensée) qui héberge les blogs de plusieurs athées bangladais.

Pour en savoir plus sur Mukto-Mona, voir ici.