Archéologie et littérature – Flaubert et les menhirs de Carnac

CorteX_Alignements-carnac Nous avions déjà un peu de Fontenelle. Mortimer Leplat trouve que c’est insuffisant, et vient partager avec nous les trésors littéraires dont il se sert (voir par exemple ici), offrant ainsi autant de moyens aux enseignant.es de lettres d’introduire de  d’analyse critique au détour des belles lettres. Aujourd’hui, Flaubert. Nous étions déjà conquis par Bouvard et Pécuchet, œuvre posthume inachevée, traitant de deux cuistres qui se piquent de devenir sans effort des spécialistes de toutes les sciences. Mortimer nous offre aujourd’hui Un voyage en Bretagne, extrait de Par les champs et par les grèves, écrit à quatre mains par Gustave Flaubert (qui se charge des chapitres impairs) et son ami Maxime Du Camp (qui s’occupe du reste) lors d’un périple en Bretagne en 1847. Ce passage réjouira les archéologues déplorant la maltraitance de leur discipline.

Voilà donc ce fameux champ de Carnac qui a fait écrire plus de sottises qu’il n’a de cailloux ; il est vrai qu’on ne rencontre pas tous les jours, des promenades aussi rocailleuses. Mais, malgré notre penchant naturel à tout admirer, nous ne vîmes qu’une facétie robuste, laissée par un âge inconnu pour exerciter l’esprit des antiquaires et stupéfier les voyageurs. On ouvre, devant, des yeux naïfs et, tout en trouvant que c’est peu commun , on s’avoue cependant que ce n’est pas beau. Nous comprîmes donc parfaitement l’ironie de ces granits qui, depuis les Druides, rient dans leurs barbes de lichens verts à voir tous les imbéciles qui viennent les visiter. Il y a des gens qui ont passé leur vie à chercher à quoi elles servaient et n’admirezvous pas d’ailleurs cette éternelle préoccupation du bipède sans plumes de vouloir trouver à chaque chose une utilité quelconque ? Non content de distiller l’océan pour saler son potaufeu et de chasser les éléphants pour avoir des ronds de serviette, son égoïsme s’arrête encore lorsque s’exhume devant lui un débris quelconque dont il ne peut deviner l’usage.

A quoi donc cela étaitil bon ? Sontce des tombeaux ? Était-ce un temple ? Saint Corneille un jour, Cortex_Flaubertpoursuivi par des soldats qui le voulaient tuer, était à bout d’haleine et allait tomber dans la mer, quand il lui vint l’idée, pour les empêcher de l’attraper, de les changer tous en autant de pierres. Aussitôt, les soldats furent pétrifiés, ce qui sauva le saint. Mais cette explication n’était bonne tout au plus que pour les niais, les petits enfants et pour les poètes, on en chercha d’autres.

Au XVIe siècle, le sieur Olaûs Magnus, archevêque d’Upsal (et qui, exilé à Rome, s’amusa à écrire, sur les antiquités de son pays, un livre estimé partout, si ce n’est dans ce même pays, la Suède, personne ne le traduisit), avait découvert de luimême que lorsque les pierres sont plantées sur une seule et longue ligne droite, cela veut dire qu’il y a dessous des guerriers morts en se battant en duel ; que celles qui sont disposées en carré sont consacrées à ceux qui périrent dans une mêlée ; que celles qui sont rangées circulairement sont des sépultures de famille, et enfin que celles qui sont disposées en coin ou sur un ordre angulaire sont les tombeaux des cavaliers ou même des gens de pied, surtout ceux dont le parti avait triomphé. Voilà qui est clair, explicite, satisfaisant. Mais Olaûs Magnus aurait bien nous dire quelle était la sépulture que l’on donnait à deux cousins germains ayant fait coup double dans un duel à cheval. Le duel, de luimême, voulait que les pierres fussent droites, la sépulture de famille exigeait qu’elles fussent circulaires, mais comme c’étaient des cavaliers, il fallait bien les disposer en coin. Il est vrai qu’on n’y eut pas été absolument contraint, car on n’enterrait ainsi que ceux surtout dont le parti avait triomphé. Ô brave Olaüs Magnus, vous aimiez donc bien fort le Monte Pulciano et combien vous atil fallu de rasades pour nous apprendre toutes ces belles choses ?

Un certain docteur Borlase, qui avait observé en Cornouailles des pierres pareilles, a dit aussi son petit mot dessus. Selon lui, on a enterré des soldats à l’endroit même ils avaient combattu. diable atil vu qu’on les charriât ordinairement au cimetière ? «Leurs tombeaux, ajoutetil, sont rangés en ligne droite comme le front d’une armée dans les plaines qui ont été le théâtre de quelques grandes actionsCette comparaison est d’une poésie si grandiose qu’elle m’enlève et je suis un peu de l’avis du docteur Borlase.

On a été ensuite chercher les Grecs, les Egyptiens et les Cochinchinois. Il y a un Karnak en Égypte, s’eston dit, il y en a un en BasseBretagne, nous n’entendons ni le cophte, ni le breton; or, il est probable que le Carnac d’ici descend du Karnak de bas, cela est sûr, car bas, ce sont des sphinx alignés, ici ce sont des blocs, des deux cotés de la pierre. D’où il résulte que les Égyptiens (peuple qui ne voyageait pas) seront venus sur ces côtes (dont ils ignoraient l’existence), y auront fondé une colonie (car ils n’en fondaient nulle part) et qu’ils y auront pas laissé ces statues brutes (eux qui en faisaient de si belles), témoignage positif de leur passage (dont personne ne parle).

Ceux qui aiment la mythologie ont vu les colonnes d’Hercule ; ceux qui aiment l’histoire naturelle y ont vu une représentation du serpent Python, parce qu’au rapport de Pausanias, une réunion de pierres semblables placées sur la route de Thèbes à Elissonte s’appelait la tête du serpent, « et d’autant plus que les alignements de Carnac offrent des sinuosités comme un serpent ». Ceux qui aiment la cosmographie y ont vu un zodiaque, comme M. de Cambry entre autres, qui a reconnu, dans ces onze rangées de pierres, les douze signes du zodiaque « car il faut dire, ajoutetil, que les anciens Gaulois n’avaient que onze signes au zodiaque ».

Un monsieur qui était membre de l’Institut a estimé que c’était le cimetière des Vénètes, qui habitaient Vannes, à six lieues de , et lesquels fondèrent Venise comme chacun sait. Un autre a pensé que ces bons Vénètes vaincus par César élevèrent ces pierres à la suite de leur défaite, uniquement par esprit d’humilité et pour honorer César. Mais on en avait assez des cimetières, du serpent Python et du zodiaque ; on se mit en quête d’autre chose et on trouva un temple druidique. Le peu de documents authentiques que l’on ait sur cette époque, épars dans Pline et dans Dion Cassius, s’accordent à dire que les Druides choisissaient pour leurs cérémonies religieuses des lieux sombres, le fond des forêts «et leur vaste silence ». Aussi comme Carnac est au bord de la mer, dans une campagne stérile il n’a jamais poussé autre chose que les conjectures de ces Messieurs, le premier grenadier de France, qui ne me paraît pas avoir été le premier homme d’esprit, suivi de Pelloutier et de M. Mahé, chanoine de la cathédrale de Vannes, a décidé que cétait un temple des Druides dans lequel on devait aussi convoquer les assemblées politiques.

Tout cependant n’était pas encore dit et ce fait acquis à la science n’eût pas été complet si l’on n’eût démontré à quoi servaient, dans l’alignement, les espaces vides il ne se trouve pas de pierre. « Cherchonsen la raison, ce que personne ne s’est encore avisé de faire » s’est dit M. Mahé, et s’appuyant sur cette phrase de Pomp. Mêla : « Les Druides enseignent beaucoup de choses à la noblesse qu’ils instruisent secrètement en des cavernes et en des forêts écartées », il établit, en conséquence, que les Druides non seulement desservaient les sanctuaires, mais y faisaient leur demeure et y tenaient des collèges : « Puis donc que le Monument de Carnac est un sanctuaire comme létaient les forêts gauloises (ô puissance de l’induction ! poussestu le père Mahé, chanoine de Vannes et correspondant de l’Académie d’agriculture de Poitiers ?) il y a lieu de croire que les intervalles vides qui coupent les lignes des pierres renfermaient des files de maisons les Druides habitaient avec leurs familles et leurs nombreux élèves et les principaux de la nation qui se rendaient au sanctuaire, aux jours de grande solennité, trouvaient des logements préparés. » Bons Druides ! Excellents ecclésiastiques ! Comme on les a calomniés, eux qui habitaient si honnêtement avec leurs familles et leurs nombreux élèves, et qui même poussaient l’amabilité jusqu’à préparer des logements pour l
es
principaux de la nation.

Mais un homme est venu, enfin, qui, pénétré du génie de l’antiquité et dédaignant les routes battues, a osé dire la vérité à la face de son siècle. Il a su reconnaître en ce lieu les restes d’un camp romain, et précisément d’un camp de César qui n’avait fait élever ces pierres « que pour servir d’appui aux tentes de ses soldats et pour les empêcher d’être emportées par le vent ». Quelles bourrasques il devait faire autrefois sur les côtes de l’Armorique !

L’homme qui a restitué à César la gloire de cette précaution sublime s’appelait M. de la Sauvagère et était, de son métier, officier du génie.

L’amas de toutes ces gentillesses constitue ce qui s’appelle l’archéologie celtique, science aux charmes de laquelle nous ne pouvons résister d’initier le lecteur. Une pierre posée sur d’autres s’appelle un dolmen, qu’elle soit horizontale ou verticale ; un rassemblement de pierres debout et recouvertes sur leur sommet par des dalles consécutives, formant ainsi une série de dolmens, est une grotte aux fées, roche aux fées, table des fées, table du diable ou palais des géants, car, ainsi que ces maîtres de maison qui vous servent un vin identique sous des étiquettes différentes, les Celtomanes, qui n’avaient presque rien à nous offrir, ont décoré de noms divers des choses pareilles. Quand ces pierres sont rangées en ellipse, sans aucun chapeau sur les oreilles, il faut dire : voilà un cromlech ; lorsqu’on aperçoit une pierre étalée horizontalement sur deux autres verticales on a affaire à un lichaven ou trilithe, mais je préfère lichaven comme plus scientifique, plus local, plus essentiellement celtique. Quelquefois deux énormes blocs sont supportés l’un sur l’autre, ne semblant se toucher que par un seul point de contact, et on lit dans les livres « qu’elles sont équilibrées de telle façon que le vent même suffit quelquefois pour imprimer au bloc supérieur une oscillation marquée », assertion que je ne nie pas (tout en me méfiant quelque peu du vent celtique), quoique ces pierres prétendues branlantes n’aient jamais remué sous tous les coups de pied que nous avons eu la candeur de leur donner ; elles s’appellent alors pierres roulantes ou roulées, pierres retournées ou transportées, pierres qui dansent ou pierres dansantes, pierres qui virent ou pierres virantes. II reste à vous faire connaître ce que c’est qu’une fichade, une pierre fiche, une pierre fixée ; ce qu’on entend par haute borne, pierre latte et pierre lait ; en quoi une pierre fonte diffère d’une pierre fiette et quels rapports existent entre une chaire au diable et une pierre droite ; après quoi vous en saurez à vous seul aussi long que jamais n’en surent ensemble Pelloutier, Deric, Latour d’Auvergne, Penhoët et autres, doublés de Mahé et renforcés de Fréminville. Apprenez donc que tout cela signifie un peulvan, autrement dit un menhir, et n’exprime autre chose qu’une borne, plus ou moins grande, placée toute seule au beau milieu des champs ; les colonnes creuses du boulevard, vues du côté du trottoir, sont donc autant de peulvans placés par la sollicitude paternelle de la police pour le soulagement des Parisiens, qui ne se doutent guère, les misérables, en lisant l’affiche des capsules Mothes, qu’ils soient momentanément contenus dans un petit menhir. J’allais oublier les tumulus ! Ceux qui sont composés à la fois de cailloux et de terre sont appelés borrows en haut style, et les simples monceaux de cailloux, galgals.

Les fouilles que l’on a faites sous ces diverses espèces de pierres n’ont amené à aucune conclusion sérieuse. On a prétendu que les dolmens et les trilithes étaient des autels, quand ils n’étaient pas des tombeaux ; que les roches aux fées étaient des lieux de réunion ou bien des sépultures et que les conseils de fabrique d’alors s’assemblaient dans les cromlechs. M. de Cambry a entrevu dans les pierres branlantes les emblèmes du monde suspendu dans l’espace, mais on s’est assuré depuis que ce n’étaient que des pierres probatoires dont on faisait usage pour rechercher la culpabilité des accusés, et qu’ils étaient convaincus du crime imputé quand ils ne pouvaient remuer le rocher mobile.

Les galgals et les borrows ont été sans doute des tombeaux, et quant aux menhirs, on a poussé la bonne volonté jusqu’à trouver qu’ils ressemblaient à des phallus ! D’où l’on a induit le règne d’un culte ithyphallique dans toute la basse Bretagne. Ô chaste indécence de la science, tu ne respectes rien, pas même les peulvans !

Pour en revenir aux pierres de Carnac, ou plutôt pour les quitter, je ne demanderais pas mieux comme un autre que de les avoir contemplées lorsqu’elles étaient moins noires et que les lichens n’y avaient pas encore poussé. La nuit, quand la lune roulait dans les nuages et que la mer mugissait sur le sable, les druidesses errantes parmi ces pierres (si elles y erraient toutefois) devaient être belles il est vrai avec leur faucille d’or, leur couronne de verveine et leur traînante robe blanche rougie du sang des hommes. Longues comme des ombres, elles marchaient sans toucher terre, les cheveux épars, pâles sous la pâleur de la lune. D’autres que nous déjà se sont dit que ces grands blocs immobiles peutêtre les avaient vues jadis, d’autres comme nous viendront aussi sans comprendre, et les Mahé des siècles à naître s’y briseront le nez et y perdront leur peine.

Une rêverie peut être grande et engendrer au moins des mélancolies fécondes quand, partant d’un point fixe, l’imagination, sans le quitter, voltige dans son cercle lumineux ; mais lorsque, se cramponnant à un objet dénué de plastique et privé d’histoire, elle essaie d’en tirer une science et de rétablir toute une société perdue, elle demeure ellemême plus stérile et plus pauvre que cette matière inerte à laquelle la vanité des bavards prétend trouver une forme et donner des chroniques.

Après avoir exposé les opinions de tous les savants cités plus haut, que si l’on me demande à mon tour, quelle est ma conjecture sur les pierres de Carnac, car tout le monde a la sienne, j’émettrai une opinion irréfutable, irréfragable, irrésistible, une opinion qui ferait reculer les tentes de M. de la Sauvagère et pâlir l’égyptien Penhoet ; une opinion qui casserait le zodiaque de Cambry et mettrait le serpent Python en tronçons, et cette opinion la voici : les pierres de Carnac sont de grosses pierres.

G. Flaubert, Un voyage en Bretagne, 1847, pp. 95-104

 

Story-tellings et représentations historiques erronées

Il m’arrive (RM) fréquemment de donner à des étudiant.es des thèmes sur les représentations scientifiques erronées dans les fictions. L’Histoire étant une science, il est évident que certaines œuvres réécrivent des pans entiers de ce qu’il s’est concrètement passé. Il arrive que ces réécritures soient du fait du caractère parcellaire des informations disponibles ; mais il arrive aussi et surtout que ces récits narratifs, ces story-tellings, soient des manières de surfer sur les fantasmes et les représentations sociales sur une période. Au gré du temps, et au fil des demandes, j’étofferai le matériel disponible.

Far West américain

CorteX_Bon_brute_truandDébat historiographique pour évoquer les représentations de l’Ouest américain en France, dans La fabrique de l’histoire, sur France Culture, le 29 septembre 2016, co-animée par Victor Macé de Lépinay : du mythe du « bon sauvage » à la conquête de l’Ouest, de Fenimore Cooper à Buffalo Bill, nous cheminons sur les pas des voyageurs, géographes, historiens, écrivains et cinéastes qui ont imaginé un Far West pour Européens. Comment ont évolué les représentation de l’Ouest américain en France ? Quelle place a-t-on donné à l’idée de « frontière » dans notre vision de l’Amérique ? Avec Tangi Villerbu, maître de conférences à l’université de La Rochelle, Jacques Portes, professeur à l’université de Paris 8 Vincennes-Saint Denis et Mathilde Schneider, conservatrice au Musée franco-américain du Château de Blérancourt.

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Bushido japonais

CorteX_SamuraiLe bushido, littéralement « voie du guerrier », est le code des principes moraux que les samouraïs japonais étaient soi-disant tenus d’observer. Le doute m’avait été mis sur le sujet par Jean-Michel Abrassart dans l’émission ci-dessous, j’ai contacté et parcouru les travaux de Benesch et j’ai donné ce sujet à des étudiant.es intéressé.es. Leur travail est là.

L’émission n°351 de Scepticisme scientifique, croisée avec le podcast Anthrostory, aborde les thèmes suivants :

  • l’origine du Bushido.
  • Le livre Bushido: the soul of Japan, une référence pour beaucoup de pratiquants d’arts martiaux.
  • Le livre Hagakure, de Yamamoto Tsunetomo, autre référence.
  • Un court résumé de l’histoire des samouraïs qui nous aide à mieux comprendre les histoires qu’on nous raconte et leur réalité historique.
  • Un petit clin d’œil au film The last samouraï, sur son historicité et l’idéal qu’il semble défendre.
  • Un micro clin d’œil à la magnifique série Shogun, là aussi pour parler de son authenticité éventuelle.
  • Un autre éclairage sur le positionnement des samouraïs et de leur idéologie, et de savoir quel serait leur positionnement politique actuel.
  • Pourquoi  avoir besoin de croire en l’efficacité d’un art martial et pourquoi lui chercher une origine lointaine ?
  • Pourquoi la question de l’efficacité (et de l’origine de l’efficacité) d’un art martial est important dans sa pratique au jour le jour ?
  • En quoi une idée fantasmée des samouraïs a pu et peut encore aujourd’hui avoir de l’influence sur le Japon ?

Quelques sources :

  • Bushido, l’âme du Japon, par Inazo Nitobe
    Hagakure : Ecrits sur la voie du samouraï, de Yamamoto Tsunetomo
    Inventing the Way of the Samurai: Nationalism, Internationalism, and Bushido in Modern Japan, de Oleg Benesch, historien le plus pointu sur le sujet
    La série Shogun, de Jerry Lyndon (1980)
    Le film Le Dernier samouraï, d’Edward Zwick (2003) à voir pour le stéréotype

Gaulois français

J’ai créé un article spécifique assez complet .

Mayas

Un excellent travail a été proposé par Jonathan, de Anthrostory à cette page-ci.

Je rêve de la recopier ici, mais je préfère vous renvoyer vers son site.

Voici l’émission de radio qui en est tirée.

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Histoire de Paris / de France

Nous avons déjà élaboré des ressources critiques des relectures fantaisistes de Loran Deutsch. Guillaume Guidon a ainsi élaboré

Histoire – peut-on critiquer Loran Deutsch ?

Le métronome de Loran Deutsch, un exemple de pseudo-histoire

Alexis Corbière a quant à lui critiqué les représentations sur la Révolution Française relayées par les jeux vidéos (ici)

Enfin, nous avons reproduit avec l’amabilité de son anonyme auteur Retour sur l’Histoire – Robespierre sans masque

Les Arabes

An American Carol images, pictures, photos and wallpapersNous avions réalisé avec des doctorant.es des travaux sur le sujet

  •  avec Djaml Hadbi sur les stéréotypes sur les Arabes dans les films : les Arabes, souffre-douleurs du cinéma. C’est ici.
  •  avec Andréa Rando-Martin sur Aladdin, de Disney et ses archétypes sexistes et racistes. C’est là.

Les pirates

(à venir)

Les bandits

(à venir)

Louis Mandrin

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Louis Mandrin blessé par l’assaut des Dragons à Guenand en décembre 1754 © Getty / Keystone-France

Retour sur Louis Mandrin le « capitaine Belle humeur », célèbre en Dauphiné, et abordé ici dans l’émission Autant en emporte l’histoire, de Stéphanie Duncan du 15 janvier 2017.

Ce 26 mai 1755, depuis tôt le matin, 6000 personnes se sont amassées sur la place des Clercs à Valence. Des curieux sont montés sur les toits, dans les arbres, ou sur des gradins de fortune, loués 12 sols pour l’occasion. Au centre de la place, se dresse un grand échafaud de bois. C’est là que, dans quelques heures, sera exécuté Louis Mandrin, le célèbre contrebandier, celui qui depuis deux ans, sur les routes du Dauphiné, de la Franche-Comté et de la Bourgogne, nargue les fermiers généraux et l’armée du roi. Personne dans la foule ne l’a jamais vu, mais l’on dit que Belle Humeur (c’est son surnom) est beau de visage, blond de cheveux, bien fait de corps, l’esprit vif et d’une hardiesse à toute épreuve… On dit aussi qu’il ne quitte pas son grand chapeau bordé de fils d’or. Deux jours auparavant, la commission de Valence, véritable tribunal d’exception, a condamné à mort Mandrin, par le supplice de la roue, la plus grave des peines infamantes. C’est donc ici, devant la foule, que ce 26 mai 1755 va prendre fin la vie tumultueuse de Mandrin. Mais sa mort marque aussi le début d’une légende, toujours tenace aujourd’hui, celle du bandit au grand cœur qui prend aux puissances de l’argent pour redonner aux pauvres.

L’invité de Stéphanie Duncan est l’historien Benoît Garnot.

La fiction

Louis Mandrin, Capitaine Belle Humeur, une fiction de Christine Spianti.

Tarzan

(à venir)

Christian Seignolle, 100 ans de croyances populaires

CorteX_Claude_SeignolleClaude Seignolle va avoir 100 ans. Il ne peut pas laisser insensible les personnes curieuses d’étrange et de paranormal que nous sommes, puisqu’il a passé sa vie, sous divers pseudonymes (Starcante, Claude S., Jean-Robert Dumoulin) à collecter les croyances populaires et les légendes comme d’autres collectionnent les pierres. Il laisse derrière lui une montagne d’ouvrages, qui font de lui l’un des plus grands fournisseurs de travail pour ethnographes et folkloristes.

France Culture, par le micro de Marie-Hélène Fraïssé, l’a fait parler en 2002, et a rediffusé l’émission .

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Écrivain-culte pour un grand nombre de lecteurs, outre-atlantique notamment, Claude Seignolle, était le sujet de l’émission « Appel d’Air » en 2002. Alors âgé de 85 ans, il expliquait comment il avait construit son oeuvre fantastique sur un minutieux travail d’enquête. Dès l’âge de vingt ans, sur les conseils de l’ethnologue Van Gennep, il avait entrepris de collecter les traditions, les croyances, les peurs ancestrales auprès d’une population rurale née sous le second Empire. De là devait naître, selon les propos d’Hubert Juin en son temps, « le plus beau florilège d’histoires à faire peur de la littérature d’aujourd’hui »…

Claude Seignolle expliquait comment était née, dès son enfance, sa vocation d’ethnologue du monde fantastique. Formé avec la peur du loup, la peur de se pencher sur un puits… il se qualifiait de « menteur idéal » . Il évoquait sa rencontre avec Arnold Van Gennep, folkloriste français et ses premières enquêtes dans l’esprit du collectionneur. Il racontait quelques mésaventures vécues lors de ses enquêtes dans le monde paysan concernant le surnaturel, sa méthode pour questionner les gens, comment il était passé de l’enquête à la fiction, grâce à sa rencontre avec « Marie la louve ».

 

Michael Shermer – Pourquoi les faits ne suffisent pas à convaincre les gens qu’ils ont tort

CorteX_Michael_ShermerLe CorteX possède pratiquement tous les livres de Michael Shermer, et est abonné à Skeptic Magazine, qu’il dirige. Sa contribution à la pensée critique est aussi substantielle qu’élégante – et j’ai en mémoire les tentatives de Race across America, traversée des États-Unis en vélo qu’il a tentées plusieurs fois en dormant le moins possible, se retrouvant en proie à de terribles hallucinations, prenant sa femme pour un extraterrestre déguisé en sa femme pour l’enjoindre à arrêter la course. Pour la science a traduit un article de Scientific american dans lequel Shermer offre quelques éléments simples de réflexion, en plus de faire référence à l’excellent ouvrage de Tavris et Aronson1. Merci à Pour la science.

 

Pourquoi les faits ne suffisent pas à convaincre les gens qu’ils ont tort

Avez-vous déjà rencontré des gens qui changent d’avis quand vous leur exposez des faits qui sont contraires à leurs convictions ? Moi jamais. Pire, les gens semblent renforcer leurs croyances et les défendre avec acharnement quand il y a des preuves accablantes contre elles. L’explication est liée au fait que notre vision du monde nous semble menacée par des preuves factuelles qui ne vont pas dans son sens.

Les créationnistes, par exemple, contestent les preuves de l’évolution comme les fossiles ou la génétique parce qu’ils s’inquiètent que des forces séculières empiètent sur la foi religieuse. Les anti-vaccination se méfient des firmes pharmaceutiques et pensent que l’argent corrompt la médecine. Cela les amène par exemple à croire qu’il y a une relation de cause à effet entre les vaccins et l’autisme malgré la vérité gênante que la seule étude affirmant un tel lien a été rétractée et son auteur principal accusé de fraude. Les conspirationnistes du 11 septembre se concentrent sur des détails minutieux comme le point de fusion de l’acier dans les tours du World Trade Center, qui a causé leur effondrement, parce qu’ils pensent que le gouvernement américain ment et mène des opérations « sous faux pavillon » pour créer un nouvel ordre mondial. Les négationnistes du climat étudient les cernes de croissance des arbres, les carottes de glace et les concentrations de gaz à effet de serre parce qu’ils sont passionnés par la liberté, en particulier celle des industries à mener leurs affaires sans être contraintes par des réglementations gouvernementales restrictives. Les obsédés de l’origine de Barack Obama ont désespérément disséqué son certificat de naissance en quête d’une fraude, car ils croyaient que le premier président afro-américain des États-Unis était un socialiste qui avait pour but de détruire le pays.

Dans ces exemples, les conceptions du monde profondes de ces partisans sont perçues comme étant menacées par les rationalistes, ce qui fait de ces derniers « l’ennemi à abattre ». Cette emprise de la croyance sur la preuve s’explique par deux facteurs : la dissonance cognitive et l’effet rebond (backfire). Dans un ouvrage classique publié en 1956 intitulé Quand la prophétie échoue, le psychologue Leon Festinger et ses co-auteurs ont décrit ce qui est arrivé à une secte vouant un culte aux ovnis après que le vaisseau-mère extraterrestre attendu n’est pas arrivé à l’heure annoncée. Au lieu d’admettre leur erreur, « les membres du groupe ont cherché frénétiquement à convaincre le monde de leurs croyances », et ils ont fait « une série de tentatives désespérées pour effacer cette dissonance entre leur croyance et la réalité en faisant de nouvelles prédictions après la prophétie initiale, dans l’espoir que l’une finirait par être la bonne ». Festinger a qualifié cet état de dissonance cognitive, une tension inconfortable qui survient lorsque l’on considère deux idées contradictoires simultanément.

Dans leur livre Les erreurs des autres. L’autojustification, ses ressorts et ses méfaits, publié en 2007 et édité en français chez Markus Haller, les deux psychologues sociaux Carol Tavris et Elliot Aronson (un ancien étudiant de Festinger) documentent des milliers d’expériences démontrant comment les gens déforment et sélectionnent les faits pour les adapter à leurs croyances préexistantes et réduire leur dissonance cognitive. Leur métaphore de la « pyramide de choix » illustre comment deux individus ayant des positions proches – côte à côte au sommet de la pyramide – peuvent rapidement diverger et finir au pied de la pyramide sur des faces opposées, avec des opinions inverses, dès lors qu’ils se sont mis en tête de défendre une position.

Dans une série d’expériences, Brendan Nyhan, de Dartmouth College, et Jason Reifler, de l’Université d’Exeter, ont identifié un second facteur, connexe, qu’ils ont nommé « effet rebond » (en anglais, backfire) : corriger les erreurs factuelles liées aux croyances d’une personne n’est pas seulement inefficace, mais cela renforce ses croyances erronées, car « cela menace sa vision du monde ou l’idée qu’elle se fait d’elle-même ». Les sujets d’une expérience recevaient par exemple des articles de presse fictifs qui confirmaient des idées fausses répandues, comme la présence d’armes de destruction massive en Irak. Puis on donnait aux participants un article qui démontrait qu’aucune arme de destruction massive n’avait été trouvée. Résultat : les sujets d’orientation libérale qui étaient opposés à la guerre ont accepté le nouvel article et rejeté les anciens, alors que les conservateurs qui soutenaient la guerre ont fait le contraire. Pire, ils ont déclaré être encore plus convaincus de l’existence d’armes de destruction massive après avoir lu l’article montrant qu’il n’y en avait pas, au motif que cela prouvait seulement que Saddam Hussein les avait cachées ou détruites. En fait, Nyhan et Reifler ont noté que chez de nombreux conservateurs, « la croyance que l’Irak possédait des armes de destruction massive juste avant l’invasion par les États-Unis a persisté longtemps après que l’administration Bush elle-même a fini par admettre que ce n’était pas le cas ».

Si les corrections factuelles ne font qu’empirer les choses, que pouvons-nous faire pour convaincre les gens que leurs croyances sont erronées ? Selon mon expérience empirique, on peut adopter le comportement suivant :

  1. Mettre ses émotions de côté.
  2. Discuter, ne pas attaquer (pas d’attaque ad hominem ni de point Godwin).
  3. Écouter attentivement et essayer de d’analyser la position de votre interlocuteur avec précision.
  4. Montrer du respect.
  5. Reconnaître que vous comprenez pourquoi quelqu’un peut soutenir cette opinion.
  6. Essayer de montrer comment changer de vision des faits n’implique pas nécessairement de changer de vision du monde.

Ces stratégies ne fonctionnent pas toujours pour convaincre les gens de changer de point de vue, mais en ces temps où il est devenu si courant de s’affranchir de la vérité dans le débat public, cela pourrait au moins aider à réduire les dissensions inutiles.

Utiliser la série Black Mirror pour incrémenter la critique (et avoir une excuse pour regarder des séries)

Black Mirror, créée par Charlie Brooker est une série de (pour l’instant) deux saisons de  3 épisodes, diffusées sur Channel 4 de 2011 à 2014 – auxquels s’ajoute un épisode spécial Noël, et d’une troisième saison de 6 épisodes produite par Netflix en 2016. Plusieurs d’entre nous l’ont lorgnée à des fins didactiques. Que peut-on faire avec un tel matériel ?

Black Mirror ?

L’idée d’utiliser une série, en particulier de science-fiction (SF), dans un cadre académique pourrait en surprendre plus d’un.e (bien que nous l’ayons déjà fait ici, dans un atelier doctoral sur les neurosciences et la fiction, en 2013), l’une des principales raisons étant la mauvaise réputation dont jouit la science-fiction en France. Dernier exemple en date : l’émission du 2 décembre 2016 de France Culture consacrée à « L’héritage de Dune de Franck Herbert » lors de laquelle on a pu entendre, concernant le livre Dune de Franck Herbert : « ce n’est pas de la science-fiction, c’est un roman » (affirmation qui n’a été démentie ni par les autres intervenant.es, ni par le journaliste). Cette phrase qui peut paraître anodine est lourde de sens pour l’amateur/trice de science-fiction qui doit régulièrement justifier et défendre son intérêt pour ce (sous-)genre qui n’est pas considéré comme «  noble ». Toujours est-il qu’affirmer que Dune n’est pas de la SF est vraiment osé ! Assumons le fait d’apprécier des œuvres de SF pour ce qu’elles sont : à savoir des œuvres de SF, et laissons la notion de mauvais genre aux tristes figures.

Justifier le matériau : pourquoi la science-fiction ?

Contexte contemporain

Dans Species Technica, Gilbert Hottois écrivait que le « progrès techno-scientifique se fraye dans une atmosphère dense de phantasmes, de légendes, de fictions »1.

La sociologue Marina Maestrutti donne le constat suivant :

« dès que l’on veut rendre compte de la manière dont les faits et les discours s’entremêlent dans l’émergence de nouvelles configurations de la technoscience, on constate le rôle omniprésent de la métaphore : étudier de près les histoires ne signifie pas compromettre la réalité des faits mais plutôt montrer comment la mise en récit reflète le croisement des désir, raisons et mondes matériels qui forment la texture de la réalité même […] elle est constituée en partie de narrations littéraires, en premier lieu de la science-fiction, mais aussi dans des rapports officiels, les essais de divulgation ou les brochures publicitaires, où l’argumentation ne cesse de se faire narration, récit […] le répertoire des figures, images, personnages et symboles [est] continuellement réactualisé pour être adapté à de nouveaux contexte où émergent des concepts, des pratiques, des objets, des stratégies marketing »2.

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Le 12 mai 2014 le journal Le Monde publiait un article concernant les « robots tueurs » accompagné d’une image du célèbre Terminator, archétype du robot tueur dont le dessein est de réduire l’humanité à néant. Les récits de science-fiction constituent une trace écrite de l’imaginaire et des représentations d’une époque. En cette période de développement technoscientifique, ils constituent une ressource précieuse dans le cadre de l’analyse des débats contemporains (qui se situent souvent entre deux positions qui sont certes caricaturales, mais surtout symboliquement chargées : technophobie vs. technophilie).

Autre cas emblématique, celui d’Eric Drexler (l’auteur de Engins de Création) : de par ses travaux de prospectives, il participa à l’avènement et au développement des nanotechnologies. Son œuvre revêt encore aujourd’hui une importance cruciale dans l’imaginaire « technoscientifique »3. Il a créé une impulsion poussant les politiques et les acteurs économiques à se lancer dans une course aux nanotechnologies. Drexler a ensuite perdu le soutien (si ce n’est sa crédibilité) auprès des scientifiques. Il a par exemple été écarté de la National Science Fondation et du rapport NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives), commandité par cette dernière, qui vise à questionner l’accroissement des performances humaines. Ce rapport, sous-titré « convergence technologique pour l’amélioration des performances humaines »,  vise à dresser un panorama du développement à venir de ses quatre technologies. Sont évoqués notamment les technologies d’amélioration physique et cognitive, les implants bioniques, l’intelligence artificielle ou encore les nano-robots.

Autre exemple concernant l’influence de la SF sur nos représentations (et notre vocabulaire) : Le mot « robot » apparaît pour la première fois en 1921 dans la pièce de théâtre R.U.R. (Rossum’s Universal Robot) de l’écrivain tchèque Karel Čapek. Le terme « robotique » est quant à lui inventé par Isaac Asimov.

La SF comme laboratoire d’expérience de pensée

Travailler à partir de la SF n’est pas seulement ludique et divertissant, c’est surtout utiliser un laboratoire d’expériences de pensée qui permet notamment de tester des hypothèses qui servent de propédeutique aux questions philosophiques, éthiques, politiques. Les champs de l’éthique et de la philosophie de l’esprit ont une grande tradition d’expériences de pensée4.

En guise d’exemple de création de concept par la SF, on trouve entre autre dans l’ouvrage de Marina Maestrutti, l’expression « paradigme Gattaca » dérivée du film d’Andrew Niccol, Gattaca (Bienvenue à Gattaca), sorti en 1998. Ce paradigme évoque le thème du film qui montre la mise en place progressive d’une humanité à deux niveaux  : d’un côté les personnes dont les caractères génétiques ont été sélectionnés avant leur naissance ; de l’autre les « enfants de la providence » qui naissent sans que les parents n’aient même effectué un diagnostic prénatal. Ces derniers sont exclus de la société, du moins des postes à responsabilité : « la discrimination est devenue une science », et elle est génétique.

Black Mirror

La série Black Mirror dans ce contexte semble tout indiqué. Série d’actualité à succès, elle anticipe une société dystopique liée à un mauvais usage des nouvelles technologies et en particulier les usages des technologies de l’information et de la communication, le « miroir noir », auquel fait référence le titre de la série, étant celui des écrans de télévisions, ordinateurs, tablettes et autres smartphones. La série explore de multiples scénarios qui sont une bonne base pour introduire certaines questions d’esprit critique.

Saison 3

Cette troisième saison de 6 épisodes s’ouvre et se ferme sur deux scénarios parallèles qui extrapolent certaines pratiques actuelles liées aux réseaux sociaux. L’épisode 3 surfe également sur cette thématique.
On peut introduire ces épisodes de diverses façons : en évoquant les différents faits d’actualités sur les suicides liés aux réseaux sociaux, sur les informations « fakes« , sur la pression sociale et l’acceptation des normes.

Épisode 1 Chute libre (Nosedive)

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L’épisode est encombrant, car à notre avis insécable, mais c’est un excellent support de départ pour un débat sur la réputation comme monnaie d’échange, et sur les curseurs utilisés pour donner plus ou moins de droits aux gens – en quoi l’argent serait-il moins stupide que le critère de réputation sur 5 ? Il est tout indiqué pour travailler sur la théorie des jeux (Axelrod, Rapoport, etc.5)et la notoriété ou réputation, valeur d’échange dans les sociétés humaines6.
Reste un cliché camionneuse – réputation basse – alcool qui laisse un peu perplexe.

Épisode 2 Playtest (Playtest)

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Cet épisode est difficile à utiliser. Il extrapole le désir de frisson des afficionados de jeux d’horreur (on trouve de nombreuses vidéos sur Youtube de tests de jeux d’horreur avec casque réalité virtuelle). Il ne s’agit pas dans cet épisode d’une société dystopique, mais d’une phase test d’un jeu vidéo qui tourne mal, avec cette question lancinante : comment trancher entre ce qui est réel et ce qui est le produit d’une substance ou d’un souvenir recréé – thème qui est par exemple traité dans Inception, de Christopher Nollan (2010) ou dans Total Recall, tiré d’une nouvelle de Philipp K. Dick (We Can Remember It for You Wholesale) et adaptée en 1990, et possédant une sorte de suite,  Total Recall : Mémoires programmées de Len Wiseman (2012).

Épisode 3 Tais-toi et danse (Shut Up and Dance)

Cet épisode parle essentiellement de sécurité informatique, de négligence vis-à-vis de la technologie, de sadisme, de jeux vidéo poussé à l’extrême en mode réaliste avec absence d’intérêt des manipulateurs autre que le plaisir sadique. L’axe de traitement de cet épisode sera sûrement l’importance de la sécurité informatique, et son existence via les communautés de logiciel libre.

Dans cet épisode, le protagoniste principal se retrouve à céder au chantage de pirates informatiques qui l’ont filmé via sa webcam alors qu’il se masturbait devant des vidéos pornographiques. Le thème de cet épisode permet assez facilement d’aborder la question du revenge porn7 et dans la foulée celles de l’humiliation publique, du chantage et de l’escalade d’engagement. 

L’épisode permet également d’aborder la problématique d’une certaine justice populaire. Il est tout à fait possible de faire le lien avec, par exemple, le piratage du site de rencontres extraconjugales « Ashley Madison ». Il est également possible d’aborder la question de la pédophilie et de problèmes éthiques tels que : est-il moralement juste de révéler publiquement que x est pédophile/infidèle.

Toutefois, le côté chantage sans aucune raison peut-être très dilatoire. Il prend, en effet, toute la place de l’histoire. Il est toujours possible de couper l’épisode; au moins après l’homme noir à mobylette.

Épisode 4 San Junipero (San Junipero)

Nous sommes partagés : trop mou, trop long, trop poussif, selon les un.es, mais thème classique en SF pourtant, que celui de la réalité virtuelle (décliné avec les Matrix, par exemple).

Avec cet épisode, on peut néanmoins aborder :

  • l’une des ambitions des transhumanistes (à savoir vaincre la mort en uploadant son esprit dans un cyber-paradis) ;
  • à la rigueur la place sociale des personnes âgées (discrimination qu’on appelle l’âgisme) et des homosexuel.les. ;
  • les différentes théories de l’esprit : dualiste, matérialiste, physicaliste, computationaliste ….

Exemple : le computationalisme est une théorie en philosophie de l’esprit qui conçoit l’esprit l’humain de manière analogue à un programme informatique. Comme le hardware (« support dur ») pour l’informatique, le cerveau humain peut être pensé comme un wetware (« support humide »), c’est-à-dire comme un système de traitement de l’information reposant sur des opérations de calcul. Bien que l’analogie entre l’informatique et le cerveau humain soit essentiellement heuristique, cette perspective conduit certains transhumanistes à envisager l’idée de télécharger l’esprit humain sur un support numérique hardware.8

Épisode 5 Tuer sans état d’âme (Men Against Fire)

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Probablement le meilleur à notre avis : l’épisode soulève la dépersonnalisation, l’état agentique en psychologie sociale, la guerre, les mécanismes racialistes. L’analogie Roaches/cafards et  Inyenzi en langue kinyarwanda pour désigner les Tutis sur la Radio des 1000 collines au Rwanda est volontaire pensons-nous. Il reste incompréhensible que roaches ait été traduit par « déchets » (au moins dans les sous-titres) – ce qui permet, à tout le moins, de discuter des biais de traduction.

Ce thème de la déshumanisation de l’ennemi permet d’ouvrir le débat sur l’utilisation de drones de combats téléguidés et la guerre à distance. Plus éloigné, peut-être, on peut également envisager d’étendre l’épisode sur la thématique des jeux vidéo de guerre. Un bon exemple se trouve dans le jeu vidéo servant d’outil de recrutement à l’armée étasunienne America’s Army. L’US Army a investi près de 30 millions de dollars pour développer ce jeu qui a été distribué gratuitement sur PC. 

Épisode 6 Haine virtuelle (Hated in the Nation)

Sommes-nous influencé.es par l’actrice Kelly Macdonald et son épais accent écossais9.

En tout cas il y a du très bon, insécable là encore. La trame de l’épisode ne rend pas aisée l’utilisation. Pis, la fin louche, et le rôle de Shaun Li invraisemblable à son niveau de la NCA affaiblissent le tout. Mais l’idée de harcèlement, de vindicte populaire digne de Koh Lanta, et le jeu des Hashtags est vraiment utilisable. Cela pose l’impunité des appels à la haine/violence sur le web. Il est intéressant que la « geek » casse les codes patriarcaux et soit une femme, comme dans Millenium de Stieg Larsson (2005). La question du remplacement de pollinisateurs par des robots est un sujet à part entière, avec les moyens de contrôle associés. Ici, la solitude de Markus devant des dizaines de milliers de ruches électroniques à 4000 individus fait un peu « peine », et ils passent vite sur leur réplication type imprimante 3D qui est bien tirée par les cheveux et violentera un peu les féru.es d’apiculture.

Une analyse des autres saisons est à venir. Bon visionnage !

Le CorteX dans Le Monde – Repeindre les barreaux, plus pour nous

(Cet article a été diffusé sur lemonde.fr le 14 février 2017 – ici)

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Avec « le plan d’action Sécurité pénitentiaire et action contre la radicalisation violente, paru en octobre 2016, tout intervenant se voit devenir un détecteur, voire un délateur de radicaux » (Photo: le centre pénitentiaire D’Alençon-Condé accueille 68 détenus condamnés à des peines longues et réputés, pour certains, difficiles). PHILIPPE BRAULT / AGENCE VU POUR « LE MONDE »

Nous, collectif CORTECS, avons à contrecoeur décidé de suspendre nos enseignements d’autodéfense intellectuelle et d’éducation à l’esprit critique (par exemple la critique des médias) dans les trois institutions pénitentiaires dans lesquelles nous intervenions.

Cette décision est douloureuse, mais rationnelle. Le plan d’action Sécurité pénitentiaire et action contre la radicalisation violente, paru en octobre 2016, prend de trop nombreuses mesures rédhibitoires, en vue de la détection des détenus radicalisés ou en voie de radicalisation. Il prévoit de mettre en place un réseau de renseignement sur les détenus, d’armer certains surveillants et de développer des quartiers d’évaluation de la radicalisation où les conditions seront encore plus sévères. Dans ce contexte sécuritaire, tout intervenant se voit devenir un détecteur, voire un délateur de « radicaux ». Or, non seulement nous n’en avons pas envie, et nous n’avons aucune compétence pour mesurer un quelconque degré de radicalisation, mais le simple fait de nous associer à une telle démarche rend tout simplement impossible la poursuite de nos enseignements : comment passer au crible de l’analyse critique une idée « radicale » qui, exprimée par un détenu, conduirait à son signalement ?

Pourtant, nos enseignements de l’analyse critique en détention fonctionnaient à merveille, depuis 2011, bien avant que le concept de radicalisation ne rentre dans toutes les têtes. Cela avait toujours été un questionnement éthique de taille entre nous : est-il moralement juste d’aller développer l’esprit critique dans un contexte carcéral mortifère et déshumanisant ? Autrement dit, allions-nous en acceptant, contribuer à mettre des cotillons sur les barbelés ? À l’époque, nous pensions que le jeu de l’instruction en valait la chandelle, malgré les mille embûches systémiques et insolubles du cadre : il était impossible d’avoir des groupes stables ; les rendez-vous médicaux ou les parloirs tombaient sur les créneaux de l’atelier ; certains détenus étaient transférés ou se voyaient refuser l’accès aux activités par mesure de répression, d’autres étaient recrutés pour travailler ou préféraient se tourner vers des formations diplômantes, par intérêt ou pour maximiser les chances d’obtenir des remises de peine supplémentaires ; les convocations n’étaient pas reçues, pas comprises, ou encore perdues… Mais nous avons tenu la barre, et enseigné les bases de l’autodéfense intellectuelle à un public volontaire et pertinent. Nous avons construit ensemble un cadre de parole sécurisé et bienveillant, réchauffé petit à petit les murs blafards, fourbi nos outils sur des sujets « légers » avant d’aborder les plus  « brûlants », sans complaisance. Car nos cours et ateliers ont pour finalité d’objectiver des concepts, d’en évaluer la consistance, la vraisemblance… ou la fausseté. La radicalisation fait justement partie de ces pseudo-concepts flous. Décrivant tantôt l’adhésion à une idée dite « radicale », tantôt la marginalisation sociale, l’endoctrinement ou encore le choix de perpétrer des actes violents, elle sait aussi faire office d’étendard pour légitimer la répression de toute forme de contestation.

Or, le problème est « scientifique » : si nous voulons éviter des drames « terroristes » violents, il faut en comprendre la genèse (sans l’excuser pour autant). Ni la folie, comme on voudrait nous le faire croire, ni l’action sectaire, ni la bêtise, ni la monstruosité ne sont des explications satisfaisantes. C’est essentiellement, comme dans tous les « terrorismes », du FLN algérien des années 60 à Anders Breivik en 2011, la conjonction de la souffrance et de la colère, une colère politique, souvent mal dégrossie, parfois sans verbe. L’État a beau jeu de cibler le symptôme, afin d’éviter de rechercher les causes. Rien n’est envisagé pour revenir à la racine du problème : se « radicalise »-t-on en détention et si oui, pourquoi ? Et si la prison est un facteur aggravant, alors peut-être faudrait-il tout simplement commencer par enfermer moins de gens, et développer des alternatives comme il en existe ailleurs. On demande aux détenus, par notre intermédiaire, une remise en question que l’institution qui nous mandate ne pratique pas elle-même.

Nous n’avons aucune certitude sur l'(in)efficacité des mesures préconisées dans ce plan d’action – mais qui en a ? Où sont les études ? –, cependant nous avons de sérieuses raisons de penser que ces mesures vont amplifier le problème qu’elles prétendent contrer et qu’en tout état de cause, elles vont durcir les conditions de vie en détention.

Nous sentions venir le problème depuis deux ans. Nous n’avons pas voulu renoncer, par engagement sûrement, par gloire personnelle peut-être – il fait bon dire qu’on enseigne en prison -, par peur aussi de laisser en plan les personnes qui participaient régulièrement à nos ateliers, qui ne disposent de quasiment aucune alternative pour prolonger la réflexion entamée ensemble et qui, statistiquement, ont bien peu de chances de se retrouver sur les bancs de nos amphis. Mais arrive un moment où il n’est plus possible de consentir. Nous ne voulons plus prendre part à un processus qui d’un côté fait appel à nous pour diffuser de la pensée critique, à grand renfort de récupération démagogique des pouvoirs publics et avec finalement peu de moyens, et qui de l’autre met en œuvre une politique qui détruit en un tournemain le peu que nous arrivons à construire en plusieurs mois. Nous ne repeindrons plus les barreaux. Notre démission ne pèsera pas très lourd, c’est vrai. Qui écoute encore les doléances des détenus ?

Caroline Roullier, Clara Egger, Richard Monvoisin, Guillemette Reviron, Groupe Prison,

Collectif de Recherche Transdisciplinaire Esprit critique & Sciences

Petit historique

L’an passé, devant la dégradation lente de la situation, nous avions contacté Le Monde pour faire paraître une tribune sur le sujet. Il s’agissait pour nous de nous servir du Monde et de son lectorat pour que notre dénonciation ne tombe pas seulement dans l’oreille pleine de cérumen de l’administration pénitentiaire. Or finalement, ce texte n’a pas été publié au motif qu’il n’était pas assez dans l’actualité. Aujourd’hui, dans la même démarche, nous souhaitions rendre public notre refus, d’une part pour que d’autres éventuellement s’en emparent, d’autre part pour qu’on ne puisse pas transformer les raisons de notre départ, à contrecoeur.

L'histoire kafkaïenne d'Adlène Hicheur

CorteX_Adlene_HicheurL’histoire du chercheur Adlène Hicheur, physicien franco-algérien, condamné en 2012 à quatre ans de prison ferme pour avoir été suspecté de planifier des attentats terroristes sur la base de simples propos tenus sur le net, nous perturbe au plus haut point. D’abord parce que nous n’étions pas au courant. Ensuite parce ce que sa condamnation semble indexée à une idéologie « nationale ». Enfin, parce que cela soulève le problème classique de nos cours de philosophie morale : peut-on condamner quelqu’un pour un crime qu’il n’a pas commis mais qu’on suspecte de vouloir commettre, surtout quand cette condamnation sert surtout à des fins ouvertement démagogiques ?

Il a effectivement tenus des propos tendancieux, certes. Pourtant, ce ne sont que des propos, et pour lesquels Adlène Hicheur aura fait deux ans et demi de détention provisoire entre 2009 et 2012. Il faut dire que son procès a été très médiatisé, et qu’il s’est déroulé en pleine affaire Mérah. Le lien causal entre la dureté de son procès et le besoin de démonstration de fermeté des autorités est une hypothèse qui tient bien la route et pourrait bien esquiver le fil du rasoir d’Occam. Hicheur est-il une victime de la lutte anti-terroriste ? Tiens, comme nous ! – mais en beaucoup plus grave. Nous, nous arrêtons des enseignements. Lui, c’est sa vie qui est complètement anéantie.

Accusé de reception pour la demande de renoncement à la nationalité d'Adlène Hicheur - crédit Radio France, Hicheur
Accusé de réception pour la demande de renoncement à la nationalité d’Adlène Hicheur – crédit Radio France, Hicheur

Sa peine purgée, le professeur Hicheur part refaire sa vie loin d’ici, au Brésil, où il enseigne et contribue à des projets de recherches à l’Université Fédérale de Rio De Janeiro. Mais le pays plonge dans l’instabilité politique, et voilà son affaire à nouveau propulsée à la une des médias brésiliens. Expulsé du Brésil en juillet dernier, Adlène Hicheur est envoyé en France contre son gré, lui qui s’était juré de ne plus jamais y remettre les pieds. Assigné à résidence à Vienne (38), au domicile de ses parents, sans qu’aucun élément, en dehors de son ancienne condamnation, ne le justifie. Et l’histoire touche au paroxysme de l’absurde quand, à l’audience du Conseil d’État devant lequel il conteste son assignation, le ministère de l’intérieur refuse de le laisser quitter la France car il pourrait à tout moment y revenir. Le voilà donc coincé ici, assigné à résidence dans un pays où il ne voulait plus jamais retourner, avec comme seule issue pour sortir de ce guêpier, la déchéance ou le renoncement à la nationalité, qu’il vient de demander. La situation scandalise même la revue Nature, qui en a fait un édito le 14 septembre 2016. Et la geôle administrative du collègue Hicheur est à 76 kilomètres à vol d’oiseau du bureau grenoblois du CorteX. Il est légitime qu’on analyse de près ce cas, et qu’au moins, dans toute cette souffrance, on parvienne à utiliser ce cas comme matériel de réflexion critique : c’est le moindre qu’on puisse faire pour atténuer l’injustice notable.

Reportage Les pieds sur terre, France Culture, 14 septembre 2016

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Reportage de Charlotte Perry dans Comme un bruit qui court, sur France Inter, 19 novembre 2016

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Débat sur le plateau de Médiapart, 16 novembre 2016, à voir ici ou ci-dessous.

Adlène Hicheur, coincé en France entre Kafka et Orwell, sur Mediapart, 10 novembre 2016 – Télécharger

How Top Physicist Adlène Hicheur Has Become a Pawn in the Game of Terror, dans The Wire 3 août 2016

Le Comité international de soutien à Adlène Hicheur sur Facebook (CISAH)

 

Révélation – La véritable identité des chats

Quels sont les mécanismes à l’œuvre dans les vidéos conspirationnistes ? Comment ces dernières manipulent-elles les procédés logiqCorteX_chat_ETues ? Comment faire pour soulever le doute par l’association de l’image, du texte et du son ?
Les élèves de 2nde Gestion Administration du lycée Madeleine Vionnet de Bondy ont répondu à ces questions par un minutieux travail de décryptage de vidéos conspirationnistes trouvées sur internet. Après avoir identifié leurs mécanismes récurrents, les élèves ont écrit le scénario d’une vidéo qui vise à semer le doute sur l’origine… des chats.

Merci à Timothée Gallen et à Valentin Vanier pour cette trouvaille.

Lien d’origine.

Le but de cette démarche était de transmettre aux élèves les outils de vérification des données, et ainsi éclairer leurs usages numériques. La vidéo présentée ici est composée de deux parties : une première qui restitue le film réalisé pendant l’atelier et qui vise à semer le doute sur l’origine des chats ; et une deuxième qui met en lumière les dix techniques utilisées pour que ce doute s’installe chez celui qui regarde.

Les élèves de Seconde Gestion Administration du lycée Madeleine Vionnet de Bondy étaient Yassin Adjim, Abran Claude Marlène Agnini, Imane Bekkal, Wilmaile Blaise, Henrique Francisco Chaves Batista, Aida Chougui, Mohamed Debbouza, Daouda Diawara, Anaïs Fenniche, Julien Fernandes Teixeira, Feirielle Fitouri, Ayicha Mbaraka, Diana Montrond de Pina, Maria-Adelina Pop, Andrinirina Rafiakarana, Jessy Rosbif, Akshana Sathiyaruban, Diaba Siby, Mariana Tatar, Sylvain Thill, Marianna Zaccardelli, avec William Laboury à la direction d’atelier, comme enseignante référente Sakina Benazzouz, enseignante de lettres et d’histoire-géographie et professeure principale de la classe, et à la direction de projet Marie Doyon, Hugo Fonseca pour Le BAL / La Fabrique du Regard. Ce film a été réalisé dans le cadre du programme « Mon Œil ! ».

En lien avec l’équipe enseignante et sur le temps scolaire, quatre ateliers de découverte et de réflexion permettent aux lycéens d’interroger les enjeux de création, diffusion, réception des images fixes et en mouvement autour d’une thématique, « Repenser l’histoire ». Dernier temps du programme, l’atelier de recherche et de création propose aux jeunes de participer collectivement à la conception et réalisation d’un projet avec un artiste invité.
« Mon Œil ! » est un des programmes pilotes menés par la Fabrique du Regard – plateforme pédagogique du BAL, lieu dédié aux enjeux de la représentation du monde par l’image. Il est mené en partenariat avec le Ministère de l’Éducation Nationale, la Région Île-de-France, la Préfecture de Paris et d’Île-de-France – Direction régionale des affaires culturelles, la Préfecture de Paris et d’Île-de-France – Direction départementale de la cohésion sociale, ainsi que le Cinéma des Cinéastes, le Louxor et la Fémis et en collaboration avec les DAAC (délégations académiques à l’action culturelle) des rectorats des académies de Paris, Créteil, Versailles, Amiens et Rouen1.

Le dessous des cartes : RIP Jean-Christophe Victor

CorteX_Jean-Christophe-Victor Jean-Christophe Victor, célèbre présentateur du Dessous des Cartes, sur Arte, est mort le 28 décembre 2016 des suites d’une crise cardiaque. Fils de l’explorateur polaire Paul-Émile Victor et de la productrice de télévision Éliane Decrais, celui qui dirigeait avec sa femme Virginie Raisson le LEPAC (Laboratoire d’études prospectives et d’analyses cartographiques, indépendant) a éduqué à la géopolitique à partir des cartes toute une génération de francophones. Il a fourni un grand nombre de matériaux pédagogiques critiques. Titouan Girod, qui fait son stage de Licence 3 Géographie au CORTECS, rend hommage au monsieur.

CorteX_Dessous_des_cartesDiplômé en chinois de l’École des langues orientales et diplômé d’étude en sciences politiques, J-C. Victor devient docteur en ethnologie et réalise pour les besoins de sa thèse un voyage d’un an dans un village reculé du Népal. Ses choix d’étude révèlent son intérêt pour le continent asiatique, et lui permette une grande interdisciplinarité que l’on retrouvera beaucoup dans ses émissions du Dessous des Cartes.

Il commence sa carrière en travaillant pour le Ministère des affaires étrangères, avec lequel il est envoyé en Afghanistan. C’est à cette époque qu’il co-fonde l’Organisation non gouvernementale Action Contre la Faim, avec laquelle il partira en mission dans des pays comme le Pakistan ou l’Afghanistan.

Mais Jean-Christophe Victor, c’est aussi et surtout une vie dévouée à la recherche et à la pédagogie dans une interdisciplinarité mêlant sciences politiques, géographie, histoire, cartographie, ethnologie, économie… De fait, il fonde en 1991 le laboratoire d’études prospectives et d’analyses cartographiques avec Virginie Raisson, sa compagne. Ce laboratoire de recherche privé et indépendant sera pendant 25 ans à l’origine des analyses du Dessous des Cartes. Ses recherches servent des structures publiques, mais également, à notre grande surprise, des entreprises privés1Bien que s’agissant d’un laboratoire privé ne dispensant pas d’enseignement, les recherches du Lépac étaient largement réutilisées et transmises par la télévision, notamment Arte. Cette mission de transmission et de pédagogie, c’est Jean-Christophe Victor qui l’assurait grâce à son premier rôle dans l’émission hebdomadaire. Il partageait alors ses recherches et celles du Lépac à des milliers de téléspectateurs comme un professeur à ses étudiants.

L’émission, en elle-même possédait un certain nombre de qualités dans sa réalisation : simple mais pas simpliste, courte, Victor savait être synthétique, permettant de retenir plus facilement l’attention. Par sa pluridisciplinarité, l’émission permettait de comprendre à la fois les grosses machines étatiques ou entrepreneuriales et les aspirations, besoins ou vécus des groupes humains étudiés. Victor avait une vision critique de la cartographie jusque dans la projection utilisée (il préférait par exemple la projection de Gall-Peters, respectant les surfaces au détriment des angles à celle utilisée classiquement dite de Mercator, qui rétrécit l’Afrique et amplifie les pays tempérés), et se méfiait des arrangements des grands cartographes propriétaires du web comme Google Maps. Enfin, il a toujours refusé d’inscrire son émission dans le buzz et le court-termisme, et a toujours adopté un temps long, temps de la réflexion, ne se laissant jamais imposer ses sujets par les événements médiatiques.

Les émissions (répartis en 26 saisons d’un épisode hebdomadaire) traitaient de situations politiques, économiques, sociales, géopolitiques dans tous les continents, résumant parfois les causes et conséquences d’un conflit, ou la situation d’un pays. Elles traitaient parfois aussi de problèmes internationaux voire mondiaux, ou encore portaient un regard critique sur la cartographie elle-même.
Le format de l’émission – c’est-à-dire une personne seule face à une caméra, utilisant des images apparaissant à l’écran, dans un temps court – a été précurseur et fait aujourd’hui le succès de nombreux vidéastes proposant souvent des émissions de vulgarisations sur Internet.

La fascination de Victor pour le monde polaire – probablement un atavisme familial – et sa conscience des dangers du réchauffement climatique l’ont porté travailler à la création d’un musée sur le monde polaire, l’Espace des Mondes Polaires, qui sera malheureusement inauguré sans lui en février 2017.

Nous ne savons pas si Victor et le LEPAC ont soutenu Open Street Map, projet de base de données géographiques libre du monde, mais en tout cas Victor salue très largement son utilité, notamment la réactivité de ses contributeurs lors d’événements tels que des catastrophes naturels par exemple : il prend d’ailleurs comme exemple son rôle crucial après le séisme à Haïti en 2012. Il souligne aussi le fait que leurs données puissent être réutilisées par tou-tes car libres de droit. Il traite de tout cela dans le Dessous des Cartes sur la Cartographie 2.0 (voir plus bas).

Merci pour l’œuvre, Jean-Christophe Victor. Reposez sous vos cartes en paix !

Titouan Girod, Richard Monvoisin


Rien de tel que de juger sur pièces. Pour vous donner ou redonner le virus du Dessous des cartes, nous vous recommandons (avec plusieurs liens) :

  • Révolution cartographique ? Sur les travers de Google Maps (ici ou )
  • Des Frontières qui se re-ferment ?  Sur les murs aux frontières dans le monde (ici, ou encore )
  • L’Afrique dans le maintien de la paix, un épisode qui permet une approche synthétique de la question de la gestion de la paix en Afrique (ici ou )
  • Des nouvelles de l’Antarctique (ici ou )
  • Cartographie 2.0, épisode sur les nouveaux fournisseurs cartographiques du web libre (Open Street Map) ou propriétaire (Google Maps) (ici ou ).

 

Dans l’extrait d’une entrevue réalisée la veille de sa mort sur France Culture, il souligne avec plaisir le partenariat entre l’IGN (Institut de Géographie Nationalet Open Street Map. Nous reproduisons l’émission ici.

Télécharger

Retranscription :

Vous maintenez : « Google Maps ment » ?

Bien sûr que je maintiens. Le problème, c’est qu’il n’y a pas suffisamment de personnes qui le savent ! Ce qui est intéressant, le point de départ de notre micro-recherche au Lépac était que Google Maps est de plus en plus utilisé comme référence. Et s’il y a référence, on compare. Et on s’est aperçu que les tracés frontaliers des États sont adaptés à l’État commanditaire. C’est une vraie malhonnêteté intellectuelle, politique, cartographique et diplomatique. Mais nous ne sommes pas les premiers, d’autres chercheurs américains2 et français, Jérôme Staub notamment, s’en étaient aussi aperçus.

Et de quand date ceci ?

Depuis le début ! C’est-à-dire que si Google veut conquérir le marché chinois, ce qui n’est pas encore fait, il ne peut pas montrer les frontières du pays qui ne correspondent pas à la vision nationale. La vision nationale pour la zone du Cachemire par exemple, pour laquelle s’affrontent déjà l’Inde et le Pakistan. Donc Google Maps va s’adapter à ce que souhaite le régime, le récit chinois et cela ne se conforme pas aux accords internationaux signés par la Chine dans le cadre de négociations aux Nations unies. Si Google Maps applique la carte des Nations unies au litige frontalier entre le Japon et la Chine, Google n’aura pas accès au marché chinois !

Vous avez eu une réaction de Google ?

Non. Mais peu importe : il suffit de regarder les tracés frontaliers, ce qui est signé, pas signé, et de comparer. Si vous comparez par exemple les cartes proposées par la Chine avec les cartes proposées par le Japon, ce ne sont pas les mêmes frontières maritimes. Si vous êtes à Moscou et que vous regardez Google Maps, vous voyez que la Crimée est russe. Maintenant, si vous êtes à Bruxelles, dans l’Union européenne, ou à Kiev, vous voyez qu’elle n’est pas russe. Donc, si la direction de Google s’y oppose, elle n’a pas le marché ! Le marché ukrainien ce n’est pas très grave. Mais le marché russe et surtout le marché chinois, indien ou autres, c’est plus important. Google fait passer le marché avant la réalité cartographique et géopolitique.

La référence, ce sont les cartes des Nations unies ?

Oui, dans la mesure où vous avez 198 États qui ont estimé que c’était le moins mauvais outil pour se retrouver, négocier et pour résoudre un litige. Et donc les Nations unies publient depuis 1946 des cartes qui font référence. Or, le problème est que Google Maps, qui est un bel outil, franchement – non seulement c’est beau, mais en gros c’est utile – Google Maps devient une référence parce que c’est d’un accès évidemment beaucoup plus facile que les cartes des Nations unies. C’est logique. Le problème, c’est que c’est faux ! Et cela peut entraîner des problèmes, qui ne sont pas négligeables. Pour le Sahara occidental par exemple. Un pays seulement le reconnaît comme étant marocain, c’est le Maroc. Et donc, ce qui est produit comme carte par Google pour le Maroc, c’est évidemment l’intégration du Sahara occidental à l’état marocain. Mais ailleurs, non.

Si Google Maps n’avait pas ce succès numérique – nous, nous l’utilisons aussi – ce ne serait pas bien grave. Sauf que là, c’est un substitut aux outils juridiques internationaux.

Google fait donc fi des Nations unies ? Bafoue la géopolitique, la carte du monde telle qu’elle est ?

Ils ne bafouent rien du tout, ils s’en foutent ! Leur problème est d’accéder à des marchés. Et ils y arrivent très très bien. Donc, oui, ils font fi des Nations unies. Il y a des pays qui n’ont pas de problèmes : de vieux États comme la France, l’Espagne, le Royaume-Uni, il n’y a pas de litiges, donc en gros, on a les mêmes frontières. Mais en revanche, ce n’est pas vrai pour la Russie, l’Inde, la Chine, etc. Peut-on employer le terme « bafouer » ? C’est un terme moral. Je ne me place pas sur ce plan-là. Je dis simplement attention, cela ne peut pas servir de référence, parce que cela ne fait qu’affaiblir les outils juridiques internationaux qui à mon avis ont plutôt besoin d’être renforcés. Vous savez, une frontière est une chose éminemment sensible ! Que l’on ne négocie pas mètre par mètre, mais centimètre par centimètre ! Et il faut des cartes pour cela. C’est très important pour chaque État. Les tensions géopolitiques actuelles, qui sont nombreuses, et celles à venir, méritent que l’on ait des outils cartographiques, des outils de lecture identiques. Avoir la même partition.

On atteint alors un point critique et Google a trop de pouvoir par ses cartes ?

Je ne sais pas si l’on atteint un point critique. Point critique, c’est un peu radical. Je dis simplement : ne vous laissez pas berner. Ne vous laissez pas berner. Ne vous laissez pas prendre pour…, pour des cons quoi ! Parce que là, ce sont des outils qui sont extrêmement sensibles.

Et ne pas se laisser berner veut dire utiliser quoi ?

L’alternative, ce sont les cartes des Nations unies et d’autres. Nous prenons comme références les cartes du quai d’Orsay, du ministère des Affaires étrangères. Et on s’en sert quand il y a litige pour voir ce que dit la France. On s’appuie là-dessus. Là, on a un outil de référence. Mais sinon, l’alternative, le problème est qu’il n’y en a pas ! En posant la question, vous démontrez même la faiblesse du raisonnement. Mais cela dit, cela dépend du niveau de recherche : on a peut-être pas tous besoin en regardant Google Maps de savoir l’endroit où se place le tracé frontalier entre l’Inde et la Chine au niveau du Cachemire.

Le partenariat entre l’IGN (Institut géographique national) et Open Street Map vous semble dérisoire face à cela ?

Franchement, non. Parce que l’IGN est une grosse machine, une grosse institution, extrêmement fiable, d’une part. Et d’autre part, la technique d’OpenStreetMap finalement est plus réactive que les outils ou même les agents de l’IGN sur le terrain. Donc, une alliance de ce type-là me semble très intéressante. Vous savez, au moment des séismes par exemple, plein de gens sur le terrain, souvent des humanitaires, qui manient très bien l’outil numérique et OpenStreetMap, fournissent énormément d’informations cartographiques. Ne serait-ce que de dire une journée après le séisme qu’un pont est écroulé, c’est très très précieux. Je ne sais pas si cela amoindrit la gravité du problème que je soulève, mais cela ne peut aller que dans le bon sens en tout cas.

Le quai d’Orsay ou le ministère de la Défense se préoccupent de cette maîtrise de Google ?

Je ne sais pas, mais sûrement. Quand vous êtes dans des « zones molles », comme au Mali par exemple, on ne peut pas trop jouer avec les frontières. En plus, elles sont compliquées par le nomadisme. Ce n’est pas le moment d’avoir les frontières troubles. C’est une question, dirais-je vulgairement, jouissive intellectuellement, et importante politiquement.

Matériel – le phénomène Amma et ses câlins

Erratum : si vous vous retrouvez sur cette page après avoir ouvert un lien dans notre newsletter, alors l’article original auquel on faisait référence à propos des chats est ici.

CorteX_AmmaHonorée par les Nations unies, invitée par le pape François, célébrée par les médias du monde entier, la gourou indienne Amma attire les foules, inspire les artistes et côtoie les plus grands dirigeants de la planète grâce à ses câlins prodigués à la chaîne lors d’événements de masse. Elle a fait escale en France en novembre 2016. Elle a fait l’objet d’un article, Amma, l’empire du câlin, dans le Monde diplomatique (nov. 2016 pp. 10-11), signé de Jean-Baptiste Malet , que nous reproduisons ci-dessous. J-B. Malet a également répondu aux questions de Daniel Mermet sur Là-bas si j’y suis, qui suit l’article. Ce culte-spiritualisme-marché, qui séduit un certain nombre de gens, cache pourtant des principes et des fonctionnements très conservateurs, et une machinerie financière imposante. Il y a là de quoi donner ce sujet de recherche à un-e étudiant-e qui lorgnerait les formes modernes de spiritualismes dits « orientaux ».

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De l’encens se dissipe dans l’atmosphère. Des musiciens entonnent des chants spirituels indiens hypnotiques. Et, au-dessus des têtes, tel un slogan, s’impose une immense inscription en lettres majuscules : « Étreindre le monde » — la traduction du nom de l’organisation internationale Embracing the World (ETW), personnifiée par sa cheffe religieuse, Mme Mata Amritanandamayi, plus connue sous le nom d’Amma (« maman » en hindi). Sous l’œil vigilant de ses gardes du corps patibulaires, Amma, vêtue d’un sari immaculé, est assise en tailleur sur un petit trône autour duquel se serrent, extasiés, ses dévots. Au cœur du Zénith Oméga de Toulon, plusieurs milliers de personnes patientent afin de se traîner, à genoux sur les derniers mètres, contre la poitrine de cette gourou indienne originaire de l’État du Kerala. Toutes sont venues recevoir le darshan, l’étreinte d’Amma devenue le symbole de son organisation. Celle-ci revendique plus de trente-six millions de personnes enlacées dans le monde.

La scène se passe en novembre 2015, en France, où la « mère divine » se rend tous les ans1 depuis 1987 dans le cadre de sa tournée mondiale. Mais les foules sont tout aussi denses en Espagne, en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas, en Finlande, en Italie, au Royaume-Uni, en Israël ou en Amérique du Nord. De juin à juillet 2016, l’« Amma Tour » a fait étape à Seattle, San Ramon, Los Angeles, Santa Fe, Dallas, Chicago, New York, Boston et Washington, avant Toronto et Tokyo.

Multinationale du câlin, ETW impressionne par sa rigueur logistique. Partout où passe la caravane d’Amma, de gigantesques cuisines industrielles mobiles, dignes d’une intendance militaire, entrent en action. Des centaines de bénévoles travaillent aux fourneaux ; d’autres servent et vendent des repas indiens végétariens par milliers, tandis qu’Amma, sur son trône, reproduit inlassablement le même geste : elle enlace tous ceux qui détiennent un bon, délivré gratuitement, permettant de recevoir le darshan après plusieurs heures d’attente. Des volontaires de l’organisation sont chargés de gérer la foule considérable, aux origines sociales hétéroclites, venue se faire câliner. Passant leur main au niveau de la nuque de celle ou celui dont c’est le tour, les bénévoles fluidifient la chaîne continue de câlins et interviennent immédiatement si une erreur vient enrayer le flux tendu de tendresse.

Amma, qui ne parle que le malayalam (langue dravidienne parlée notamment dans le Kerala), susurre néanmoins à chaque individu enlacé un « Mon chéri », mot doux dont les traductions se déclinent en fonction des espaces linguistiques qu’elle visite. Sur toute la Terre, Amma usine son câlin standard avec une rigueur dans l’exécution des tâches que n’aurait pas reniée Frederick W. Taylor : ouverture des bras ; enveloppement de l’inconnu ; bercement de dix secondes ; remise à chaque être câliné d’un pétale de rose, d’une pomme ou d’un bonbon. Ces séances d’étreintes de masse se prolongent plusieurs heures durant.

Au sein de l’immense espace de spectacle consacré au rituel, où chacun déambule pieds nus après l’étreinte, il est aisé d’observer que certains sont soudainement pris d’une forte émotion, sanglotent et parfois s’effondrent en larmes. « Ce que je ressens est indescriptible. Amma, c’est l’amour pur », témoigne une jeune secrétaire célibataire au chômage dont les joues luisent. « Amma m’a donné plus d’amour que mes propres parents », ajoute un ingénieur informatique. « Dans ce monde de fous, cela fait du bien de couper, de se retrouver avec Amma et de se recentrer sur soi », commente encore une mère, auxiliaire puéricultrice, venue avec sa fille. Toutes deux ont attendu trois heures et demie afin de pouvoir venir s’agenouiller contre Amma.

« Beaucoup d’individus de nos sociétés modernes, profondément narcissiques, sont en quête permanente d’eux-mêmes. À l’approche d’Amma, un véritable processus d’idéalisation se met en place, observe, à quelques mètres de la gourou, la psychologue Élodie Bonetto. Amma, le “leader”, peut alors incarner l’idéal de l’individu, dont la dévotion s’explique le plus souvent par son désir d’être reconnu comme exceptionnel. Trois profils types se dégagent : l’adepte socioaffectif, en quête de réconfort et de sociabilité ; l’adepte utilitariste, en quête de réalisation de soi ; et l’adepte flexible, qui se situe entre les deux. »

Si ETW fait office de fédération des filiales qui se consacrent aux tournées d’Amma, la maison mère s’appelle Mata Amritanandamayi Math (M. A. Math). Cette entité a reçu en juillet 2005 le statut d’organisation non gouvernementale (ONG) consultative auprès du Conseil économique et social de l’Organisation des Nations unies (ONU). Trois ans auparavant, l’ONU avait décerné à Amma son prix Gandhi-King pour la paix et la non-violence, qu’elle avait auparavant attribué à M. Kofi Annan, son ancien secrétaire général, ou à Nelson Mandela. Depuis, Amma s’est régulièrement exprimée à la tribune des Nations unies. En décembre 2014, assise à la gauche du pape François, elle signait à la cité du Vatican une Déclaration universelle des chefs religieux contre l’esclavage.

En 2015, dans le cadre de la préparation de la 21e conférence des Nations unies sur le climat (COP 21), l’écologiste Nicolas Hulot, envoyé spécial du président de la République, fut chargé de réunir cinquante autorités morales et spirituelles ; Amma fut solennellement invitée à participer aux échanges à l’Élysée. La « mère divine » a envoyé un message vidéo et dépêché son bras droit, le swami (religieux) Amritaswarupananda, vice-président de l’organisation, qui a ainsi pu poser pour une photographie-souvenir en compagnie de M. François Hollande. Amma est allée jusqu’au Congrès des États-Unis pour y câliner des figures du Parti démocrate.

Les vedettes Marion Cotillard, Sharon Stone, Jim Carrey ou Russell Brand ont déjà reçu le darshan. « Elle m’a pris dans ses bras et on est restés comme ça. On régresse, il y a quelque de chose de fœtal. La dernière fois qu’on a eu ça, c’est dans les bras de sa mère. C’est comme un très joli bain chaud », témoigne l’acteur Jean Dujardin2, qui a joué aux côtés d’Amma dans une récente fiction cinématographique intitulée Un plus une. La gourou, dans son propre rôle de « déesse », y accomplit des miracles. « Mes cinquante premiers films ont simplement servi à préparer [celui-ci]3  », considère le réalisateur, Claude Lelouch. « Amma est peut-être la personne qui m’a le plus épaté dans ma vie et qui m’a donné encore plus de plaisir que mes oscars et ma Palme d’or4.  »

Reconnaissance internationale, invitations prestigieuses, florilège de personnalités enlacées en quête d’exotisme ou de réconfort… Amma peut compter sur un très fort capital symbolique doublé d’un vaste réseau diplomatique. Elle apparaît ainsi au-dessus de tout soupçon aux yeux des médias, qui la qualifient fréquemment de « grande figure humanitaire » ou de « sainte indienne ». Selon la prolixe littérature d’ETW, Mme Amritanandamayi aurait eu la peau bleue à sa naissance, comme celle du dieu Krishna. Lors de sa mise au monde, Amma n’aurait ni pleuré ni crié, et se serait contentée d’un sourire. Capable de parler à l’âge de 6 mois, elle aurait également accompli plusieurs miracles, notamment en embrassant un cobra qui terrorisait son village natal. Face à des incrédules rationalistes, Amma aurait transformé de l’eau en lait. En léchant les plaies d’un lépreux, elle l’aurait guéri. Ces miracles, qui la mettent en concurrence avec d’autres figures des principales religions pratiquées à la surface du globe, sont tous consignés au sein d’ouvrages édités au Kerala par ETW. La liste des actes extraordinaires accomplis par Amma fluctue en fonction des années d’impression, des langues de traduction ou des initiatives de réécriture par les cadres de l’organisation.

Sachets de basilic ou de poudre de santal « sacrés » bénits par Amma, tee-shirts d’ETW, posters de la gourou, livres pour enfants, guides de médecine ayurvédique proposant de soigner le cancer, disques de chants, DVD de prière, guirlandes, arbustes, grigris, cristaux « générant l’abondance », cailloux « énergétiques », colliers en laiton, huiles essentielles, cierges… Dans la salle du darshan où la foule se presse, d’innombrables produits dérivés sont proposés à la vente. Les tiroirs-caisses s’y remplissent à rythme soutenu. La poupée à l’effigie d’Amma coûte 90 euros. « Si vous souhaitez recevoir un darshan, mais que vous êtes loin d’Amma, vous pouvez câliner la poupée », explique très sérieusement une vendeuse. Ce poupon est notamment utilisé par les dévots les plus fidèles, ceux qui travaillent bénévolement aux tournées d’Amma et pour qui la réception du darshan est limitée par des quotas, afin qu’ils n’abusent pas des câlins gratuits. Sur Internet, le « Amma Shop » propose également des cosmétiques biologiques,des compléments alimentaires de « désintoxication purifiante », les œuvres complètes d’Amma, des statues ou étoffes de décoration d’intérieur, des autocollants, des porte-clés, des Thermos… autant de marchandises qui seraient des fétiches parés de l’amour d’Amma. Et ce parce qu’ils permettraient, selon les attachés de presse d’ETW, le financement d’« œuvres humanitaires ». En plus de ses activités de restauration et de négoce, l’organisation recueille des dons grâce aux nombreux troncs disséminés lors des événements internationaux. « L’amour d’Amma est gratuit, inconditionnel. C’est donc à chacun de décider de ce qu’il veut donner en fonction de ce qu’il a reçu d’Amma », précise une de ses représentantes.

Travailleurs bénévoles et gros profits

Les bénéfices cumulés sont réalisés grâce à une main-d’œuvre gratuite de plusieurs centaines de travailleurs. Un passage d’Amma dans une localité entraîne la réservation complète de son parc hôtelier, parfois plusieurs semaines avant l’arrivée de la gourou. Chaque déplacement de la « mère divine » engendre celui des « enfants d’Amma ». Ces centaines de dévots de toutes nationalités suivent, à leurs frais, celle qu’ils nomment « la déesse » afin de pouvoir travailler bénévolement aux multiples tâches qu’implique une tournée internationale digne des plus grandes vedettes de l’industrie culturelle. Parmi eux, une surreprésentation de femmes célibataires sans emploi, prêtes à dormir à même le sol si leurs économies ou leurs minima sociaux ne leur permettent pas de s’offrir un hébergement. C’est le cas à Toulon, où, au mépris des règlements de sécurité incendie, de très nombreux adeptes couchent chaque année dans des couloirs ou des coins dérobés du Zénith Oméga.

Rejoindre la tournée européenne coûte près de 1 500 euros aux volontaires qui souhaitent emprunter les autocars de l’organisation ; certains s’endettent pour pouvoir les payer. Ils sont alors vêtus intégralement de blanc, identifiés par un badge et considérés comme des membres à part entière d’ETW. Les repas végétariens et l’hébergement restent à leur charge. Les bénévoles les plus pauvres mangent avec parcimonie. « Beaucoup s’épuisent et s’appauvrissent, témoigne Mme Amah Ozou-Mathis, ancienne adepte qui a participé aux tournées européennes durant cinq ans. Les journées débutent très tôt par des mantras et la récitation des cent huit noms d’Amma. Elles continuent par un travail considérable et s’achèvent par des cérémonies rituelles où beaucoup entrent en transe, qui finissent très tard. Le plus souvent, on ne dort que trois ou quatre heures par nuit. »

Des outils de communication d’excellente facture graphique, parmi lesquels d’immenses cubes en carton où figurent des photographies d’hôpitaux, d’écoles ou d’enfants des rues, ne cessent d’asséner aux badauds que tous les bénéfices réalisés permettent le financement d’actions caritatives en Inde. Le luxueux kit de presse remis aux journalistes soigne une image de paisible ONG bienfaitrice de l’humanité. Ces éléments de langage sont ensuite relayés sans discernement par des centaines de supports d’information du monde entier, dont les reportages évoquent, depuis plus de trente ans, l’ambiance des tournées d’Amma ainsi que les « émotions » ressenties par le journaliste ayant reçu le darshan — un classique du genre.

En France, où Amma et son organisation font l’objet d’une vénération de la part des médias, le coup d’envoi a été donné en 1994 par Libération, avec un article intitulé « Amma, Mère divine aux 500 câlins quotidiens ». Après quoi les recensions se sont multipliées de manière exponentielle. « D’une simple étreinte, Amma console des milliers d’adeptes » (Le Figaro, 5 novembre 2014) ; « Amma, la mère de tous les câlins » (Le Nouvel Obs, 2 novembre 2013) ; « Amma, la gourou indienne qui répand l’amour par ses étreintes » (20 minutes, 1er novembre 2012) ; « Les miracles d’Amma » (Figaro TV, 6 novembre 2013) ; « J’ai reçu l’étreinte d’Amma, prêtresse de l’amour » (Femme actuelle, 5 novembre 2014) ; « J’ai reçu le “darshan” » (Le Figaro Madame, 24 octobre 2012) ; « Amma : la prêtresse de l’amour » (M6, 6 novembre 2006) ; « Cinq raisons d’aller se faire câliner par Amma » (Var Matin, 3 novembre 2015). Les évocations louangeuses, qu’elles proviennent de médias en ligne, du Parisien, de Direct Matin, de Psychologies, du Monde des religions, de chaînes telles que LCI ou France 2, des ondes de Radio France ou de stations privées, pourraient toutes être résumées par ce propos de la journaliste Elisabeth Assayag sur Europe 1 : « Amma, c’est une sorte de grande sage, une grande âme comme on dit en Inde, qui passe sa vie à réconforter et inonde de compassion ceux qu’elle approche » (22 octobre 2015).

Ce n’est toutefois que l’un des innombrables mantras médiatiques qui s’élèvent sur tous les continents afin de chanter la gourou. Du Liban à la Jamaïque, du Japon au Canada, de la télévision italienne aux centaines d’articles de presse en Amérique du Nord, les préceptes singuliers d’Amma sont présentés avec bienveillance, et ce d’autant plus qu’ils émaneraient d’une « figure religieuse hindoue ». Amma conteste dans ses ouvrages la prétention de l’individu à comprendre le monde et à le changer : « Jusqu’à ce que vous compreniez que vous êtes impuissant, que votre ego ne peut pas vous sauver et que toutes vos acquisitions ne sont que néant, Dieu ou le gourou créera les circonstances nécessaires pour vous faire comprendre cette vérité5.  » Elle prône le retrait intérieur, somme toute classique, estimant que « si Dieu fait partie de notre vie, le monde suivra. Mais si nous faisons passer le monde en premier, Dieu ne suivra pas. Si nous embrassons le monde, Dieu ne nous embrassera pas ». Il importe de ne pas s’encombrer l’esprit d’un entendement trop remuant : « Efforçons-nous de vider l’intellect des pensées inutiles et de remplir notre cœur d’amour. » Et ce afin de soutenir Amma dans l’accomplissement de sa tâche de dirigeante d’ONG : « La mission d’Amma en cette vie est d’éveiller l’énergie divine infinie, innée, présente en chacun de nous, et de guider l’humanité sur le juste chemin du service et de l’amour désintéressés. » Cette vision messianique sature l’espace médiatique international depuis près de trois décennies. Darshan. L’étreinte, film « documentaire » hagiographique consacré à Amma, réalisé par Jan Kounen, présenté hors compétition au Festival de Cannes en 2005, fut diffusé la même année en première partie de soirée sur Arte.

Des milliers d’articles et de reportages assènent sans relâche qu’ETW serait une « ONG caritative ». Et ses sites Internet proposent bien des photographies de « réalisations humanitaires », ainsi que des clichés où l’on aperçoit l’ancien président américain William Clinton tenant un chèque de 1 million de dollars signé Amma afin de venir en aide aux victimes de l’ouragan Katrina, qui avait frappé la Louisiane en 2005. Mais l’organisation n’a jamais jugé pertinent de publier son budget global détaillé, et ce qu’il s’agisse de ses recettes, de ses dépenses ou de ses frais de fonctionnement. Une fois amortie la location des gigantesques salles, les bénéfices des journées d’exploitation de la tournée mondiale se chiffrent quotidiennement en dizaines de milliers d’euros — la prodigalité des individus ayant reçu le darshan étant d’autant plus grande qu’ils ont une confiance aveugle dans les œuvres d’Amma.

Liens avec le nationalisme hindou

« Non, l’empire d’Amma n’a rien d’une ONG caritative, affirme M. Sanal Edamaruku, qui vit en exil en Finlande, où il préside l’Association des rationalistes indiens. Amma, c’est une entreprise, un “business” sale. On peut ajouter Amma à la longue liste des charlatans qui sévissent en Inde. La plus parfaite opacité règne quant à la destination exacte des fonds collectés lors de ses tournées. » Nous avons pu consulter des documents officiels émanant du ministère de l’intérieur indien, ainsi que des déclarations fiscales d’une branche américaine de l’organisation d’Amma. Le recoupement des déclarations officielles des deux entités juridiques, rassemblées sur plusieurs années, montre qu’elles ne coïncident absolument pas : les sommes que la maison mère déclare avoir reçues s’avèrent très largement inférieures aux sommes que la filiale américaine déclare lui avoir versées. Où est passée la différence ? Plus surprenant encore : pour l’année 2012-2013, M. A. Math aurait touché 219 millions de roupies d’intérêts bancaires, soit près de 2,9 millions d’euros. Une « organisation humanitaire » remplissant des cassettes afin de faire travailler son argent ? Les attachés de presse d’ETW se refusent à tout commentaire.

Le personnage d’Amma clive la société indienne depuis 1998, année où M. T. K. Hamza, dirigeant communiste de l’État du Kerala, a tenu publiquement des propos critiques à l’égard de la gourou. Ceux-ci ont déclenché les foudres du Bharatiya Janata Party (BJP), la grande formation nationaliste hindoue, qui a répliqué par des protestations de masse. L’Australienne Gail Tredwell, ancienne disciple et secrétaire particulière d’Amma pendant plus de vingt ans, a quant à elle publié un livre6 en octobre 2013. Elle y raconte comment Amma est passée, en trente ans, du statut de gourou locale au rang de vedette internationale. Dénonçant des « malversations » et des violences, parmi lesquelles des viols, au sein de l’organisation, elle souligne les liens étroits existant entre Amma et le pouvoir politique nationaliste hindou. La multinationale du câlin est parvenue à obtenir l’interdiction pour « blasphème » de ce livre dans l’État du Kerala. Dès 1985, l’ouvrage de l’ex-policier Sreeni Pattathanam, qui évoquait des morts suspectes survenues dans l’ashram d’Amma, avait été lui aussi censuré pour « blasphème » — son auteur est aujourd’hui le secrétaire régional pour le Kerala de l’Association des rationalistes indiens. Plus récemment, une librairie indienne ayant édité un livre d’entretiens avec Mme Tredwell a été vandalisée par des disciples d’Amma, qui ont laissé sur place une banderole appelant à l’arrêt des critiques contre leur gourou.

Cela n’empêche pas l’essor de l’influence d’Amma en Inde, où l’anniversaire de la « mère divine » est devenu un événement de la vie politique. Tous les 27 septembre, cette célébration peut rassembler jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de personnes. Elle s’accompagne d’une cérémonie évoquant l’ouverture des Jeux olympiques : les dévots de tous les pays sont conviés à venir parader vêtus de costumes traditionnels de leurs pays respectifs ; les délégations arborent les drapeaux de toutes les nations du monde. En 2003, lors du cinquantième anniversaire d’Amma, célébré au stade Nehru de Kochi (Kerala), la multinationale a mobilisé plus de 2 500 autocars et réservé la totalité des chambres d’hôtel dans un rayon de quinze kilomètres autour du stade, décoré pour l’occasion en ashram, et ce afin d’accueillir plus d’une centaine de milliers de personnes. Le 27 septembre 2015, ce fut à l’ambassadeur de France en Inde, M. François Richier, d’être convié aux festivités : « C’est un grand honneur d’être parmi vous aujourd’hui à l’occasion de l’anniversaire de notre Amma bien-aimée, a-t-il déclaré en présence du premier ministre indien Narendra Modi et du président du BJP Amit Shah. Les pensées et la sagesse d’Amma nous éclairent sur des problèmes-clés d’aujourd’hui, par exemple sur le moyen de construire la paix entre les pays ou les peuples, mais aussi sur des questions qui nous concernent tous, telles que l’éducation ou le changement climatique. »

« Attention ! Si Amma construit bel et bien en Inde des infrastructures — hôpitaux, écoles, universités — dont on retrouve des photographies dans sa propagande, il ne faut pas se leurrer, avertit M. Edamaruku. Le plus souvent, ce sont des établissements privés, destinés à générer du profit, qui permettent à son organisation de s’institutionnaliser et d’asseoir un peu plus son pouvoir. » Vantée lors des tournées comme l’initiatrice de grandes réalisations caritatives, ETW est aujourd’hui à la tête d’un réseau d’universités et d’un hôpital universitaire, regroupés sous le label « Amrita », qui comptent plus de 18 000 élèves. Le clip de présentation de ce réseau s’enorgueillit de ses 23 centres de recherche scientifique, à l’origine de 51 brevets. L’institution présidée par Amma figure en tête de multiples classements internationaux et noue de nombreuses collaborations avec des universités européennes et nord-américaines. Formation en aérospatiale, chimie, génie civil, informatique, électronique, mécanique, médecine, biotechnologies : les bras d’Amma enlacent toutes les disciplines où la concurrence globalisée fait rage.

Financée grâce aux oboles des dévots du monde entier, l’université s’avère très prisée de la bourgeoisie indienne. Le cursus permettant de devenir médecin coûte 144 000 dollars. Certes, les étudiants les plus pauvres peuvent y avoir accès, mais à condition de souscrire un emprunt. Servant de supports publicitaires lors des tournées d’Amma, ces multiples réalisations permettraient également, selon Mme Tredwell, d’offrir des soins médicaux et des formations universitaires gratuites aux familles de dirigeants politiques nationalistes hindous.

En juillet 2014, au Parlement européen, la branche jeunesse de l’organisation, Amrita Yuva Dharma Dhara (Ayudh), a réuni autour d’elle les députés Frank Engel (Luxembourg), Deirdre Clune (Irlande), Miltiadis Kyrkos (Grèce) et Jani Toivola (Finlande). À la pointe de la défense des intérêts d’Amma en Europe, Ayudh participe à la campagne de la jeunesse du Conseil de l’Europe « contre le discours de haine en ligne » par « l’éducation pour les droits de l’homme » et a déjà reçu des financements du Fonds européen pour la jeunesse. La Commission européenne, quant à elle, soutient financièrement les événements religieux d’Ayudh, dont les programmes se divisent en temps de prière et d’initiation à l’art-thérapie ou à la permaculture, tous placés sous l’égide de la gourou du Kerala.

La ferveur d’une commissaire européenne

Amma peut d’ailleurs compter sur un relais politique majeur en la personne de Mme Martine Reicherts, l’actuelle directrice générale pour l’éducation et la culture de la Commission européenne, professeure de yoga au Luxembourg, qui n’a cessé ces dernières années de la louer publiquement. Sur le site Internet d’Ayudh, elle pose, joviale, parmi de jeunes dévots, et elle figure sur les brochures de l’organisation de jeunesse que la Commission subventionne.

Le 21 octobre 2014, alors qu’elle était commissaire européenne à la justice, elle est même venue à la rencontre d’Amma à Pontoise (Val-d’Oise) durant le rassemblement de masse annuel. Sur la vidéo de l’événement, on voit la gourou indienne lancer des pétales à la tête de la commissaire. Celle-ci s’approche alors du trône où elle siège et, lui passant un collier de fleurs autour du cou, l’enlace, très émue, puis s’agenouille devant elle. Elle joint ensuite ses mains en signe de révérence et incline totalement sa tête afin que son front touche les genoux d’Amma. Quand elle se lève enfin, c’est pour prendre la parole à la tribune et s’adresser solennellement aux milliers de personnes présentes : « J’exerce les fonctions de commissaire, c’est-à-dire l’équivalent de la fonction de ministre européenne de la justice, et je tenais, dans ce monde désacralisé, à venir témoigner de mon attachement, pas en tant que disciple, pas en tant qu’élève (…). Nous vivons dans un monde où nous avons besoin de spirituel, où nous avons besoin de valeurs, et nous avons aussi besoin d’oser. Grâce à Amma, je me suis rendu compte que le concret, le quotidien, le politique, pouvait mener au spirituel. Nous l’avons trop souvent oublié dans notre société, et notamment en Europe. »

Dans le cadre du programme « Jeunesse en action », plus de 243 000 euros de subventions ont déjà été versés par la Commission européenne à des organisations de jeunesse d’Amma. Un soutien financier auquel s’ajoutent de profonds sentiments d’affection, comme l’atteste la conclusion de la représentante des citoyens de l’Union européenne ce soir-là : « Amma, je vous aime. »

Jean-Baptiste Malet, journaliste.