Décortiqué – Réactions à l'entrée du genre dans les programmes de 1ère

Nous avons suivi la fameuse polémique médiatique sur l’entrée du genre dans les programmes de SVT en première L et ES et, au fur et à mesure de nos lectures ou des reportages, notre stupéfaction n’a fait qu’augmenter : ce fut le grand bazar des idées fausses et des arguments fallacieux. Je crois qu’il faut se rendre à l’évidences : la plupart des gens qui se sont exprimés sur le sujet et dont on a relayé les propos, les coups de gueule, les indignations ne savent pas ce qu’est le genre. Les journalistes qui les ont questionnés ne devaient pas en savoir beaucoup plus. A défaut d’être pertinents, ils nous auront donné une formidable matière pour élaborer des travaux pratiques. Les documents que j’analyse ici sont regroupés ici. Comme d’habitude, n’hésitez pas à nous faire part de vos propres analyses.
 Pour en savoir plus sur le genre, on pourra se référer à ces deux articles :

Sélection commentée de ressources sur la notion de genre
Sociologie, biologie – Atelier-débat sur la théorie du genre


Analyse de la vidéo 1
Analyse des vidéos 2 et 2bis
Analyse de la vidéo 3 (à venir – envoyez-nous la vôtre) 


Analyse de la vidéo 1

Erreur n°1 : le genre n’est pas une théorie
Le genre ou sexe social n’est pas une théorie, c’est un concept, un objet d’étude. Il désigne l’ensemble des différences non biologiques (psychologiques, sociales, économiques, démographiques, politiques…) distinguant les hommes et les femmes. Il n’y a pas une théorie du genre mais des théories scientifiques issues de domaines très variés (histoire, sociologie, psychologie, neurobiologie, ethnologie, etc.) qui expliquent comment ces différences se construisent et se perpétuent. Chaque domaine d’étude propose et teste ses hypothèses et produit un savoir scientifique sur ce sujet, c’est-à-dire qu’il retient les affirmations qui sont plus vraies que fausses dans l’état actuel des connaissances.
Rien de bien sorcier en fait : en effet, la plupart des détracteurs de la « théorie » du genre reconnaissent les différences non biologiques entre les hommes et les femmes (ce qu’ils dénoncent, c’est justement le fait qu’on chercherait à les gommer) et si le genre existe, il est possible l’étudier. On aurait d’ailleurs pu découvrir en l’étudiant que les hormones ou la taille des cerveaux expliquaient tout. Ce n’est simplement pas le cas.

Homme de paille + faux dilemme

Dans deux des reportages diffusés à heure de grande écoute, il est affirmé que la théorie (sic !) du genre consiste à dire que l' »on ne naît pas homme ou femme, on le devient en fonction d’un choix personnel ». Voilà un magnifique homme de paille ou strawman. Je ne connais pourtant pas de théorie scientifique qui défende ce point de vue. Je suppose que ce dévoiement des propos de Simone de Beauvoir – « on ne naît pas femme, on le devient » – provient d’un faux dilemme qui pourrait s’énoncer de la manière suivante : soit les différences entre les sexes sont biologiques, soit les individus choisissent leur sexe. C’est paradoxal puisque justement, les travaux sur le genre démontrent que les mécanismes qui sous-tendent la construction du sexe social sont extrêmement complexes et sont, la plupart du temps, subis par les individus et véhiculés par ces mêmes individus de manière non consciente. Evoquer un choix n’a pas de sens dans ce contexte.
Derrière ce faux dilemme se cache l’idée reçue suivante : biologique = déterministe et non-biologique = choix possible. C’est entièrement faux : d’une part les travaux en sociologie et en psychologie décrivent justement comment de nombreux comportements sont en quelque sorte hérités de notre environnement social, d’autre part, ce n’est pas parce qu’un caractère est (aussi) biologique, qu’il dicte sa conduite à un individu.
Faux dilemme : genre versus explications biologiques

La plupart des reportages opposent « genre » et « causes biologiques de la différence entre les sexes ». Etudier le genre ne revient pourtant pas à nier les différences biologiques évidentes : cela consiste simplement à identifier les différences non biologiques. D’ailleurs certains neurobiologistes abordent cette question d’un point de vue biologique en cherchant des différences entre les cerveaux des hommes et des femmes qui pourraient être à l’origine des différences comportementales.
De la même manière que ce n’est pas parce qu’on étudie l’estomac qu’on nie l’existence du foie, ce n’est pas parce qu’on étudie les différences entre les sexes sociaux qu’on nie les différences biologiques. Les deux approches ne sont pas contradictoires. Dans un premier temps, il est nécessaire de les étudier de manière indépendante pour mettre en évidence les mécanismes relevant du caractère social ou du caractère biologique ; il est ensuite possible de chercher à comprendre si ces mécanismes s’additionnent ou interagissent et comment. Un point de vue purement biologique comme un point de vue purement psycho-social ne nous donnerait qu’une vision partielle du phénomène.

Effet « ad etatsunium »

Il est sans arrêt répété dans les JT que la théorie (sic !) provient des Etats-unis. Il est étonnant de remarquer le bi-standard qu’il y a sur les références aux travaux états-uniens : lorsqu’il s’agit de nouvelles technologies, par exemple, cela nous est présenté en comme un gage de sérieux. Dans notre cas, cette référence a tendance à disqualifier la « théorie ». Quoi qu’il en soit, d’une part un savoir scientifique n’est ni états-unien, ni congolais, ni chinois, ni russe, d’autre part l’étude du genre n’est plus une spécificité états-uniennes : si c’était le cas jusqu’en 2000, de nombreuses recherches sont menées en France. Et puis la fameuse phrase « on ne naît pas femme, on le devient » que tous se sont empressés de reprendre et de déformer est due à Simone de Beauvoir, de nationalité française.

Effet Panurge + effet paillasson + intrusions idéologiques en sciences : une théorie contestée

Contestée par qui ? On apprend au cours d’un des reportages qu’une pétition a été signée, en majorité par des catholiques. Catholique ou non, là n’est pas la question. Il faudrait d’abord se demander quels sont les fondements de cette contestation : les signataires de la pétition remettent-ils en cause la validité scientifique de certains aspects de ladite « théorie » ? La contestation est-elle d’ordre idéologique ? Mettre ces deux types de contestations sur le même plan provoque une confusion importante : dans le premier cas, il serait légitime de refuser d’enseigner une théorie fausse, tandis que dans le deuxième cas, cette revendication n’a plus lieu d’être.
Par ailleurs, l’utilisation de l’effet Panurge – qui sous-entend que le nombre important de gens qui s’opposent à la « théorie » du genre suffit à qualifier la « théorie » de contestable – joue sur un effet paillasson concernant l’adjectif contestable : une affirmation scientifique est toujours contestable scientifiquement, c’est à dire avec les règles imposées par le contrat scientifique, règles qui excluent toute contestation uniquement d’ordre idéologique. Ceci ne signifie pas pour autant que l’affirmation n’est pas validée : elle l’est jusqu’à preuve du contraire. En revanche, dans le sens commun, contestable signifie douteux, problématique, incertain. Ce double sens peut entraîner une grande confusion sur le statut – valide ou non valide – de l’affirmation.

Homme de paille + Pétition de principe

Dans le deuxième reportage (France 2, 30 Août 2011), le commentaire dit : « or certains éditeurs ont choisi d’aborder la théorie du genre sans la nommer explicitement. Exemple : l’identité sexuelle se réfère au genre sous lequel une personne est socialement reconnue (extrait d’un manuel) ».

NG : Homme de paille car c’est une insinuation de « la » position « des » éditeurs et une pétition de principe car les éditeurs ne peuvent pas aborder la théorie si ce n’en est pas une (sauf si l’on le sous-entend au départ).


Analyse des vidéo 2 et 2 bis (à voir ici)

  • 1ère intervention : Lionel LUCA, député UMP des Alpes-Maritimes sur M6 BONUS.fr (non diffusé à la télévision) – analyse de la version intégrale

Homme de paille + appel à la peur + intrusions idéologiques :

L’extrait commence par  » cette théorie est dangereuse  » passe par  » [La théorie] veut légitimer à terme la pédophilie  » et se termine sur « les homosexuels n’ont pas besoin de cette théorie-là pour être reconnus dans notre société et admis comme tels ». Or une théorie scientifique n’est ni dangereuse, ni pas dangereuse, ni sexiste, ni pro-homosexuels, etc. ; une théorie ne veut rien, n’a pas de but politique, elle est valide ou non (et cela peut évoluer au cours du temps et des découvertes) et permet d’expliquer un phénomène.

Je ne pense pas avoir besoin de m’attarder trop longtemps sur le gigantesque homme de paille que brandit ce député :  » ce qui est grave, c’est que cette théorie, sous couvert de reconnaître différentes identités sexuelles, veut légitimer à terme la pédophilie, voire la zoophilie, puisque ceux qui le revendiquent aux Etats-Unis, défendent l’amour pour les jeunes enfants. « 

Plurium affirmatum et Pétition de principe

M. Luca dit : « si Adam et Eve s’étaient posé la question avec le livre, on ne serait pas là pour en parler, tout simplement parce qu’on naît bien homme et on naît bien femme et on se reproduit . » Il admet donc snas le préciser qu’Adam et Eve ont existé (plurium affirmatum) et bâtit sa démonstration de l’affirmation : « on naît homme ou femme » sur deux prémisses :
– l’existence d’Adam et Eve, qui est une hypothèse extrêmement coûteuse (voir Rasoir d’Occam)
– on naît bien homme ou femme
On pourrait « simplifier » le raisonnement et se passer de la première prémisse : « on naît homme ou femme puisqu’on naît homme ou femme ». Sans commentaire.

NG – Je pense a un non sequitur avec une prémisse en pétition de principe:
A – Si Adam et Eve avaient choisi leur genre ils ne se seraient pas reproduits.
B – Or ils se sont reproduits, ils n’ont donc pas choisi leur genre
Donc on naît bien homme ou femme.

Bi-standard sur la reconnaissance d’une théorie

Dans la phrase « Ca ne veut pas dire bien entendu qu’il n’y ait que l’amour entre l’homme et la femme, cela va de soi, c’est reconnu comme tel aujourd’hui […] », M. Luca dit ne pas pouvoir nier l’homosexualité puisqu’elle est reconnue. Il me semble qu’il aurait pu dire de la même manière : « ça ne veut pas dire bien entendu qu’il n’y ait pas de construction sociale de l’identité sexuelle, cela va de soi, c’est reconnu comme tel aujourd’hui […] ». Le critère de validation d’une théorie semble évoluer selon la théorie : c’est un bi-standard.
A moins que la reconnaissance dont il parle soit l’acceptation sociale – on pourra au passage noter l’effet paillasson sur le terme reconnu, mais l’acceptation sociale d’une théorie n’est ni suffisante ni nécessaire pour la valider.

Homme de paille

« …mais ce qui n’est pas la grande majorité des cas ne doit pas imposer sa norme à son tour »
Qui a dit qu’il ou elle souhaitait imposer l’homosexualité à la Terre entière ?

Une phrase puits :

  « je crois que c’est la confusion plutôt que la clarification. »
Je ne le lui fais pas dire…

  • 2ème intervention : Jean-François Coppé

Le genre n’est pas une théorie
voir ici
Mise sur le même plan de la connaissance scientifique et des opinions
« Ce qui est profondément choquant dans cette affaire, c’est que la théorie du genre, qui est une théorie défendue par des personnes mais qui est combattue par d’autres, soit présentée comme une vérité scientifique alors que ça ne l’est pas »
Il est tout à fait certain que les scientifiques débattent sur la validité et le poids relatif des causes invoquées pour expliquer la construction du genre. ceci dit, l’existence du genre est une « vérité scientifique », non pas dans le sens « vérité absolue », mais dans le sens « affirmation validée dans l’état actuel de nos connaissances ». Comme je l’ai déjà stipulé dans l’analyse de la vidéo 1, les personnes qui s’opposent à l’enseignement du genre ne remettent pas en question l’existence de différences entre les sexes. Si maintenant ils réfutent les causes sociales, historiques, psychologiques, etc., sur quels arguments, sur quelles études fondent-ils leur réfutation ?
A décortiquer
« C’est comme si on présentait dans les manuels d’économie le marxisme comme une vérité scientifique alors que ça ne l’est pas, ce n’est qu’une théorie ».

  • 3ème intervention : Eric Zemmour

Homme de paille

« le scandale est double : quand on marginalise le biologique et qu’on pense que la construction d’un homme et d’une femme n’est QUE sociale, parce que c’est CA la théorie du genre, il faut arrêter de se raconter des bobards. La théorie du genre, c’est un constructivisme psychologique et social. L’homme et la femme ne sont QUE ça et on évacue le biologi… c’est ça la théorie du genre. »
C’est le même argument que celui analysé ici

Homme de paille
« comme si la minorité devenait la majorité, comme si l’exception devenait la norme. »
Voir ici

Guillemette Reviron, Nicolas Gaillard

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Technique de la peau de l'ours

La technique de la peau d’ours consiste à vendre l’information avant de l’avoir vérifiée ou faite valider par les pairs.


« Selon une conception idéale de la science, [l]e travail [de vérification] devrait se faire avant la divulgation des résultats, surtout lorsqu’ils sont inhabituels » (de Pracontal, L’imposture scientifique en 10 leçons, p. 110).
Les médias de vulgarisation sont très prompts à vendre des résultats qu’ils n’ont pas encore obtenus, des découvertes qu’ils n’ont pas encore faites, et des espoirs qui se révèlent vite déçus. Nous appelons ça la technique de la peau de l’ours.
Le terme s’inspire bien sûr de la fable de La Fontaine L’ours et les deux compagnons, moralisant ainsi :
[…] il ne faut jamais. Vendre la peau de l’Ours qu’on ne l’ait mis par terre. »
Les exemples sont innombrables, et devraient pourtant, comme la technique de la peau de chagrin, relever de l’escroquerie.
Voici quelques exemples pris dans Pour une didactique de l’esprit critique, de Monvoisin (pp 302-304). 

Le Boson de Higgs

« La particule qui va révolutionner la physique » titrait La Recherche en mai 2003. Ne devrions-nous pas attendre qu’elle la révolutionne effectivement ? (En arrière-plan, une lutte politique entre deux grands laboratoires, occultées par cette quête totalement construite pour l’ »Opinion Publique »).

On savourera au passage « visionnaire » cet article de Sciences & Avenir d’octobre 2000.

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• Max Frei et le « suaire »
Ce criminologiste retraité préleva les échantillons de pollen de la surface du « Suaire » de Turin qu’« aucun autre scientifique, avec deux ensembles additionnels d’échantillons sur ruban adhésif, n’a vu » (Broch 1989, p. 57) : il fit connaître aux médias ses résultats d’analyse, corroborant l’itinéraire théorique du suaire édicté par Wilson (Jérusalem, Edesse, Constantinople et Lirey, en France) immédiatement, sans avis ni contre-expertise, et mourrut en 1983.

« (…) ses résultats n’ont jamais été publiés dans une revue scientifique après « 9 ans d’enquêtes » (…)» (Ibid. p. 56).

• Le gène Gay
De Pracontal :

« (…) «  le « gène gay » de Dean Hamer a fait la une des journaux en même temps que l’article de Science était publié. Dérive supplémentaire : la revue scientifique elle-même incitait la grande presse à l’extrapolation hâtive. Science comporte, à côté des articles scientifiques proprement dits, des pages qui décrivent les découvertes récentes en termes accessibles. Dans le n° de juillet 93 où figurait l’article de Hamer, ces pages très publiques contenaient une interview- commentaire du chercheur intitulé « évidence en faveur d’un gène de l’homosexualité ». On y lisait, entre autres affirmations hasardeuses : « d’après Dean Hamer, il semble vraisemblable que l’homosexualité découle de causes diverses, génétiques et peut être environnementales ». Le titre original de l’article était moins affriolant : « une liaison génétique entre des marqueurs d’ADN sur le chromosome X et l’orientation sexuelle masculine ». On est frappé, comme le souligne Bertrand Jordan, par « l’incroyable glissement effectué depuis un article scientifique qui suggère, avec maintes précaution, la localisation d’une contribution génétique à ce comportement, jusqu’à un écho paru dans le même n° qui affirme l’existence d’un « gène de l’homosexualité« . (ouv.cité, pp. 113-114).

D’autres Terres
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À la recherche d’autres terre, avec effets d’annonce à la clé et vraisemblablement des enjeux
technologiques dépolitisés par ce scénario.
 

… ou l’art de vendre une information hypothétique. Par une technique de la peau de l’ours, on « appâte » le lecteur en lui offrant non seulement d’autres planètes (des milliards qui plus est) mais surtout d’autres « Terres ». Un seul conditionnel dans les slogans laisse songeur, surtout lorsque nous nous rappelons qu’on pouvait lire la même chose trois ans avant (ce qu’on appelle la technique du liquide vaisselle – à venir).

Pour aller plus loin

Oon pourra consulter

  • La relativité contredite, Figaro (23 septembre 2011)

Entraînez-vous ! Effectifs, polices municipales, les questions qui fâchent (Figaro)

Le 7 Juillet 2011, la Cour des Comptes rend public un rapport intitulé L’organisation et la gestion des forces de sécurité publique. Le lendemain, le Figaro.fr publie l’article qui suit. Une belle occasion de tester l’outillage critique sur des sujets politiques !
Mon analyse est à votre entière disposition ici.

Guillemette Reviron

Effectifs, polices municipales, des questions qui fâchent (LE FIGARO.fr)

Un certain nombre de points, évoqués dans le rapport de la Cour des comptes, agacent la Place Beauvau. Revue de détail.


La baisse de la délinquance résulterait de «l’amélioration par les constructeurs autos des dispositifs contre les vols»
«Raccourci trompeur, d’autant plus qu’une telle affirmation ne fait l’objet d’aucune démonstration sérieuse…», rétorque Claude Guéant. «Contrairement aux allégations des rapporteurs», le ministre de l’Intérieur défend ses troupes en expliquant le repli des crimes et délits par «les efforts de mobilisation des services et l’efficacité des services d’enquêtes». Entre 2002 et 2009, le nombre des infractions révélées par l’activité des services est passé d’environ 200.000 à 290.000, soit un bond de 46 %.
L’essor des polices municipales serait lié à une «forme de recul» des missions de surveillance générale par l’État
«Manifestement, tout en prenant acte de la place prise par les polices municipales en France, la Cour semble mésestimer leur rôle et leur importance», insiste Claude Guéant. «Je conteste vigoureusement l’interprétation que font les rapporteurs», lance le ministre qui rappelle que ses instructions visent plutôt à une reconquête du terrain. Par ailleurs, il précise que «le principe de coordination repose sur une logique de complémentarité et non de substitution».
La participation de l’Intérieur à l’effort de réduction des emplois publics annulerait les recrutements antérieurs
Selon Beauvau, «la Cour confond meilleur usage des deniers publics et contrainte sur les moyens». «Il est regrettable que la Cour ne prête nullement attention aux efforts continus depuis 2002 pour moderniser les forces de sécurité, lâche-t-on à l’Intérieur. En recentrant les forces de sécurité sur leur cœur de métier, les réductions des charges indues (transfèrements, garde des dépôts, sécurisation de salles d’audience) ou de missions périphériques (convois exceptionnels, gardes statiques) permettent ainsi à la police d’offrir le même niveau de service à la population.»
L’efficacité de la vidéo mise en doute
Rappelant que c’est depuis les attentats de Londres en 2005 que la France mise sur la vidéoprotection, Claude Guéant rappelle qu’un rapport de l’Inspection générale de l’administration a conclu la même année à «un développement insuffisant» et à une «implantation aléatoire des dispositifs les rendant mal adaptés à l’évolution des risques encourus par les citoyens». Environ 60.000 caméras devraient couvrir le pays d’ici à 2012.

Je vous propose mon analyse ici. N’hésitez pas à nous écrire pour nous faire part de vos suggestions ou remarques !

Guillemette Reviron

Technique du Carpaccio

La technique du Carpaccio est une forme de scénarisation de l’information dans le sens où celle-ci est mise en scène selon une trame narrative.

 

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L’objectif est d’embellir l’information pour la rendre séduisante, attractive, attirante, tout en en cachant ses aspects les plus rébarbatifs.

  Pourquoi Carpaccio ?

Cette notion est empruntée à Burnier et Rambaud pour illustrer la fabrication de l’information journalistique. Le carpaccio sert à embellir les menus : une salade de tomates en rondelles est un carpaccio de tomates.

« A l’origine, au Harry’s bar de Venise, le carpaccio remplaçait à l’italienne le steak tartare que réclamaient les clients : il s’agit d’un filet de boeuf cru tranché en lamelles très fines qui, de rouge, devient brun sous l’effet oxydant du citron. Il prend alors cette teinte distinctive du peintre Victor Carpaccio (1450-1525) d’où son nom. Par suite, les restaurateurs qui voulaient faire « joli » détournèrent le terme pour l’appliquer au saumon cru, puis à tout ce qui se coupe se tranche. Champignons, courgettes, tomates, foie gras, etc. » (Brunier & Rambaud 1999)Victor Carpaccio - le rêve de St Ursule

Le carpaccio désigne les processus d’exposition de connaissance dont le seul intérêt réside dans leur scénarisation, bien souvent stéréotypale. Un carpaccio est à la connaissance scientifique ce que le lieu commun est à l’information classique, ce que la romance est au film hollywoodien : un apparat séduisant, mais vide, qui façonne à la longue le goût des consommateurs de vulgarisation scientifique. Le carpaccio a semble-t-il des vertus apéritives, pour ne pas dire publicitaires.

Il suffit de couper en fines lamelles une rondelle de tomate, une feuille de salade, du bœuf pour en faire un « carpaccio de… » beaucoup plus enchanteur sur le menu ; comme il suffit de « tourner » l’information en la blanchissant, en la mettant en scène, pour obtienir un produit final plus séduisant que l’information brute.

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Entraînez-vous ! Un mystère de l’acupuncture expliqué par la science ?

Voici un article de Tristan Vey, du Figaro qui a défrayé la chronique en juin 2010. Objectif : détecter les rhétoriques, raccourcis, scénarisations, arguments d’autorité, puis comparer l’étude en question et l’article qu’en tire le journal. Sommes-nous vraiment devant un mystère levé ? Je vous propose de lire cet article dans son intégralité, d’en faire une analyse de votre cru puis de la comparer à celle que je propose ici. A vous de jouer !

Un mystère de l’acupuncture expliqué par la science ?

http://www.lefigaro.fr/sciences-technologies/2010/05/31/01030-20100531ARTFIG00723-un-mystere-de-l-acupuncture-explique-par-la-science.php

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Des neuroscientifiques américains ont montré qu’un mécanisme physiologique bien connu permettait d’expliquer les bienfaits de cette science orientale sur certaines douleurs locales.

L’acupuncture a beau être une science orientale vieille de plus de 4000 ans, ses mécanismes restent largement méconnus. C’est tout un pan de la médecine chinoise qui est d’ailleurs souvent méprisé par les scientifiques occidentaux. Une étude américaine menée par Maiken Nedergaard, neuroscientifique à l’université de Rochester à New York, va peut-être permettre de changer un peu cet état de fait. Dans ce papier publié en ligne dimanche dans Nature Neuroscience, la chercheuse lève le voile sur un processus physiologique permettant d’expliquer comment l’acupuncture permet de soulager les souris d’une douleur localisée. Ces résultats établissent un pont intéressant entre médecines orientale et occidentale.

Les séances d’acupuncture menées par Maiken Nedergaard ont duré une demi-heure pour chaque animal. A chaque fois, elle a enfoncé une aiguille dans un point bien identifié situé dans la patte douloureuse d’un cobaye et a tourné l’aiguille, selon une méthode traditionnelle, toutes les cinq minutes. Elle a alors prélevé un peu du liquide qu’elle trouvait dans la zone piquée, et a mesuré la teneur en adénosine, un anti-douleur naturel sécrété par certaines cellules. A la fin de la séance, celui-ci était 24 fois plus élevé qu’au début. Par ailleurs, les chercheurs ont constaté que cela coïncidait bien avec une diminution importante de la souffrance pour deux tiers des souris traitées.

L’acupuncture traditionnelle peut être améliorée

Afin d’assurer que c’était bien ce mécanisme qui expliquait la réussite des séances d’acupuncture, son équipe a mené la même expérience sur des souris génétiquement incapables d’utiliser l’adénosine (elles n’ont pas le gène qui permet de synthétiser les récepteurs indispensables à l’action antalgique de la molécule). Les séances d’acupuncture n’ont alors eu aucun effet sur elles. En injectant de l’adénosine directement dans la patte de la souris, la chercheuse a d’ailleurs obtenu des résultats sensiblement similaires à ceux observés après traitement par acupuncture.

Pour finir, les scientifiques ont utilisé un médicament contre la leucémie, la deoxycoformycine, connue pour ralentir la disparition de l’adénosine dans les cellules musculaires. Les bienfaits des séances d’acupuncture ont ainsi été prolongés trois fois plus longtemps. Maiken Nedergaard a donc bien montré qu’il était possible, dans le principe, d’améliorer l’acupuncture en l’assistant par la médecine occidentale. Elle aura aussi démontré par la même occasion qu’il était réducteur d’invoquer constamment l’effet placebo, comme le font les sceptiques, pour expliquer certaines réussites de l’acupuncture.

Décortiqué : campagne publicitaire « l’éducation nationale recrute »

Vous avez mené avec brio votre analyse de la page « Campagne publicitaire à analyser : l’éducation nationale recrute » ? Voilà ma propre analyse, n’hésitez pas à nous écrire pour compléter / corriger cette proposition de décorticage.


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1/ Les effets rhétoriques

L’éducation nationale recrute 17000 personnes…

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Ce recrutement semble a priori en contradiction : 

 

  • D’une part avec le plan d’austérité du gouvernement dénoncé par les syndicats de l’éducation nationale, les élus locaux et nationaux et les fédérations de parents d’élèves : coupes budgétaires, fermetures de classes et suppression d’emplois (comme le présente le reportage ci-contre.)

 

  • D’autre part avec la démarche demaîtrise des dépenses publique dans l’éducation nationale, notamment par la suppression de postes, annoncée l’année dernière par Luc Chatel et toujours d’actualité.
La publicité annonce donc « 17000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011. »

On est face à une rhétorique en deux étapes :

Un effet paillasson, c’est-à-dire que le terme pourvoir est ambigu et peut renvoyer à de nombreuses définitions dans cette situation. Il peut vouloir dire plusieurs choses. Ces postes sont-ils créés ? Sont-ils à pourvoir au sens de « remplacer ce qui manque » ? Sont-ils à pourvoir parce que désertés par les professionnels ? Sont-ce des postes précaires ?

Selon comment on l’interprète, ce terme va jouer sur l’équivoque et la compréhension du sens de cette phrase. N’écrire que « 17000 postes sont à pourvoir » désyncrétise le problème, et gomme toute interprétation négative : cela évoque plutôt des maintiens d’emploi, des embauches, voire des créations de postes, de surcroît dans une période de crise.

Un carpaccio .

Le chiffre 17000 est un chiffre détaché – c’est-à-dire que l’on ne sait pas à quoi le comparer, ni sur quelle base l’appréhender – il crée un impact important : je me dis « 17000, c’est beaucoup ! » .

Pourtant cette affirmation dissimule une réalité moins joviale. Si le Ministère de l’éducation nationale recrute 17000 personnes c’est qu’en réalité sur les 33000 départs à la retraites en 2011, seule la moitié est effectivement maintenue, conformément aux principes de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite (dans le carde de la révision générale des politiques publiques).

La manière dont la publicité est construite met en scène 17000 postes à pourvoir comme s’il s’agissait de 17000 postes créés, tout en dissimulant 16000 suppressions de postes. C’est une forme de scénarisation de l’information, pour l’embellir, la rendre séduisante, mais bien souvent en cachant ses aspects les plus rébarbatifs. On nomme cette manière de faire la technique du Carpaccio ; il suffit de couper en fines lamelles une rondelle de tomate, une feuille de salade, du bœuf ou un ministre de l’éducation pour en faire un « carpaccio de… » beaucoup plus attrayant. Il suffit de « tourner » l’information en la blanchissant, en la mettant en scène, et on obtient un produit d’appel publicitaire.

Enfin, cette campagne met fortement en avant la profession d’enseignant, dans les textes principaux et les images, renforçant une possible erreur de compréhension « 17000 postes = 17000 postes d’enseignants ». Mais c’est bien 11600 postes d’enseignants qui seront recrutés sur les 17000.

Cela porte à confusion même si ce n’est pas à proprement parler une dissimulation puisque l’information apparaît en bas du document, mais sans donner la répartition des professions et en petits caractères : « Pourquoi pas vous ? 17000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011. »

En creusant un peu, on s’aperçoit que les arrêtés publiés au Bulletin Officiel fixant au titre de l’année 2011 le nombre de postes offerts au concours pour le recrutement d’infirmier-e-s et de médecins arrivent au maximum à 514 postes (sans savoir précisément si l’ensemble de ces postes sont intégrés dans le total des 17000 recrutements.)

Je fais une rapide soustraction : 17000 – 11600 – 514 = 4886

Il reste donc environ 4886 postes non-précisés et qui n’apparaissent pas dans le texte. C’est bien 17000 postes dont 11600 d’enseignants, 414 d’infirmier(e)s, 100 de médecins scolaires et 4886 autres, qui sont à pourvoir en 2011. Finalement la dissimulation pointe le bout de son nez, puisque rien ne laisse supposer que d’autres professions sont concernées et en quelle proportion. (J’ai demandé des informations au Ministère, j’attends et je publierai la réponse.)

Cette campagne publicitaire oriente délibérément vers une erreur de perception : 17000 postes = 17000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires. C’est embêtant.

 

2/ La fabrication de l’image

Julien semble sorti du magazine Challenge ou Capital (magazines sur l’actualité économique en direction des cadres et managers), et Laura d‘un catalogue de mobiliers IKEA.

Les images sont fortement sexuées, avec des stéréotypes classiques, notamment sur les critères de beautés attendus. Pour le garçon c’est une ambiance à dominante bleue, cheveux courts, bruns, chemise dans un environnement studieux. Pour la fille c’est une ambiance à dominante rose : cheveux blonds mi-longs, habits clairs et dans un environnement de détente. Intérieurs aseptisés et modernes, les acteurs sont quasi-souriants, ils semblent détendus, en un mot : heureux. La technologie est mise en avant avec Julien qui est occupé sur un ordinateur portable. Pour Laura c’est la culture littéraire qui est privilégiée, elle lit adossée à une bibliothèque, la jambe nonchalamment pliée.

Ces choix ne sont pas anodins, puisque l’objectif de cette campagne est de rendre séduisant un métier qui ne l’est plus. Alors pas d’élève (pourtant central dans le texte), pas d’établissement scolaire, on est très loin d’une classe surchargée de RAR (Réseau Ambition Réussite).

C’est la plénitude et la dynamique intellectuelle qui sont mises en avant dans ces visuels.

Ce choix scénaristique utilise les mêmes leviers que les campagnes du Ministère de la défense pour les recrutements de l’armée de terre, où le dynamisme, l’aventure et le dépassement de soi sont les axes forts.

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3/ Le vocabulaire utilisé dans les images

Que connote-t-il ? Quels problèmes cela peut-il poser ?

La comparaison des deux textes dénote sans ambivalence la différence de genre entre hommes et femmes. Les termes reproduisent les stéréotypes de genre en différenciant la démarche de Laura et de Julien. Laura lit un livre, elle est représentée nonchalante, passive, dans un environnement clair, voire rose (stéréotype féminin) :

« Laura a trouvé le poste de ses rêves. C’est l’avenir qu’elle a toujours envisagé. »

Julien pianote sur un portable, il semble dynamique et actif, il est dans un environnement de travail :

« Julien a trouvé un poste à la hauteur de ses ambitions. C’est la concrétisation de son projet professionnel. »

Laura a trouvé le poste de ses rêves : est-ce l’unique ? Celui qui lui était destiné ? Le poste de ses rêves connote un déterminisme de genré « fille », où selon les représentations classiques, la femme est maîtresse d’école ou infirmière plus volontiers que chercheur en physique (ce qu’on appelle les professions du care, « prendre soin »). C’est d’ailleurs l’avenir qu’elle a toujours envisagé, le déterminisme est renforcé, c’est devenu sa vocation (étymologiquement un appel venu d’ailleurs, comme Jeanne d’Arc), son destin..

Julien, quant à lui, a trouvé un poste ; un parmi d’autres, contrairement à Laura. A-t-il plus de choix que Laura ? Les termes connotent clairement une attitude dynamique, affirmée et déterminée. Il a de l’ambition et concrétise ses projets. Ceux-ci sont professionnels, là où Laura vit un rêve.

Laura est une fée, douce, blonde, habillée en blanc et cantonnée à la littérature ; Julien est un homme, il est branché haute-technologie, dynamique, brun, en chemise aux manches retroussées et cantonné aux sciences.

Tous ces éléments viennent renforcer un essentialisme sexuel. On reproduit l’idée implicite de comportements genrés qui seraient naturels, en évinçant la question de leurs construction sociale. Voir les travaux du Cortex sur ces questions Sociologie, anthropologie – Atelier sur le racisme ordinaire et Biologie, essentialisme – Nature, écologisme, sexisme, racisme, spécisme .

Finissons sur un détail : cette publicité est un exemple rare de la féminisation des textes. C’est en général peu employé, d’abord par commodité de lecture, c’est une pratique qui alourdit le texte. Pourtant ici, infirmier apparaît infirmier(e)s. Initiative intéressante, si ce n’est que celle-ci n’est appliquée que dans un sens : simplement pour masculiniser une profession, infirmière, plutôt que pour en féminiser également une autre, comme enseignant. On peut se demander alors ce que vise réellement cette démarche, elle ne cherche apparemment pas à pointer la construction genrée de notre grammaire et rétablir un peu la balance.

Alors même que les établissements scolaires cherchent à lutter quotidiennement contre les discriminations, notamment sexuelles, cette campagne de publicité s’inscrit précisément dans la reproduction de stéréotypes. Bigre, je gronde mais à 1,35 milion d’€ la campagne publicitaire, le résultat n’est pas fameux : je préviens le Ministre de ce pas et promis je vous mettrai la réponse plus bas.

 Nicolas Gaillard


 
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Décortiqué – Effectifs, polices municipales, les questions qui fâchent (Figaro)

Au fur et à mesure de mes discussions avec les personnes détenues à la maison d’arrêt où j’interviens, j’ai réalisé que certaines d’entre elles avaient complètement intégré le discours médiatique sur la délinquance. Puisque cela les concernait de plein fouet, je me suis penchée sur la question pour m’en servir de levier lors de séances d’initiation à l’esprit critique et depuis, je guette ce qui se dit sur le sujet. Alors, lorsque la Cour des Comptes a publié le 7 juillet 2011 un rapport intitulé L’organisation et la gestion des forces de sécurité publique, j’ai tendu l’oreille et ce jusqu’à ce que Richard Monvoisin m’envoie cet article (LEFIGARO.fr), le 8 juillet, article tellement fourni en sophismes et autres effets qu’il était tout à fait adapté à notre proposition estivale de cahier de vacances. Si vous ne l’avez pas encore lu et/ou si vous souhaitez d’abord vous essayer à son décortiquage, vous pouvez retourner ici. Sinon, je vous livre mon analyse de certains passages.

Cet article est une véritable mine de sophismes et d’effets en tout genre. J’ai tenté de le décortiquer ligne à ligne, paragraphe par paragraphe, mais j’ai rapidement renoncé à tout analyser : cela devenait vraiment trop long ! J’ai finalement choisi de ne me consacrer qu’à certains passages : le titre, le premier paragraphe et le dernier. Le principe est simple : sur fond bleu, les extraits de l’article et en dessous, mes commentaires.

I. Un titre polémique

 Effectifs, polices municipales, des questions qui fâchent
 Un certain nombre de points, évoqués dans le rapport de la Cour des comptes, agacent la Place Beauvau. Revue de détail.

CorteX_Rapport_Cour_comptes_homme_en_colereJe vous disais en préambule que l’article était particulièrement fourni en effets. Rien que dans les titre et sous-titre, j’en ai repéré quatre :

  • une technique du carpaccio version « polémique »
    La platitude d’un titre tel que Effectifs, polices municipales ne susciterait chez le lecteur que peu d’intérêt ; en ajoutant des questions qui fâchent, le journaliste rend attractif le contenu de son article en suscitant l’envie d’aller voir ce qui se trame et de se fâcher à son tour.
  •  un effet peau de chagrin (à créer)
    L’expression qui fâchent laisse entendre que les points abordés fâcheront tout le monde. Je m’attends donc à ce que l’article pointe des motifs sérieux, voire universels, d’indignation et de colère : les dysfonctionnements que le journaliste révèle doivent être de taille. Mais j’apprends dès la lecture du sous-titre que ces questions fâchent… Claude Guéant : c’est nettement moins sensationnel tout d’un coup.
  • un effet paillasson
    Evoquer des questions qui fâchent, c’est suggérer que la commission de la Cour des Comptes ne fait que soulever des interrogations alors que le rapport est le résultat d’une enquête dont l’objectif était de dresser un bilan de la situation. A la lecture de l’article, on comprend que ce sont les conclusions et la méthodologie utilisée qui déplaisent fortement au ministre.
  • un effet chiffon rouge (à créer)
    Contrairement à ce que suggère le début du titre, il ne s’agit pas ici de discuter des possibles dysfonctionnements des polices municipales, mais de nous informer que Claude Guéant voit rouge : le vrai débat, celui de savoir si oui ou non il y a des problèmes d’effectifs dans les polices municipales, c’est-à-dire le débat qui nous concerne, est mis sur la touche pour laisser libre court à l’expression de la colère d’un ministre.

II. La délinquance : un poncif du discours sécuritaire 

La baisse de la délinquance résulterait de « l’amélioration par les constructeurs autos des dispositifs contre les vols »
Avant de lister les effets, vous avez remarqué le conditionnel ? Il est systématiquement utilisé dans les en-têtes de chacun des paragraphes présentant une conclusion du rapport mais il disparaît mystérieusement lorsque la parole est au ministre. Est-ce à dire que les propos de C. Guéant sont plus fiables que le rapport ?   

Allez, c’est parti pour le décortiquage ! Dans cette phrase, j’ai trouvé :

  • un double-effet paillasson
    Nous avons ici un très bel exemple d’effet paillasson sur le mot délinquance, voire de double-effet paillasson, malheureusement très courant, plutôt subtil, avec des conséquences importantes sur notre compréhension du phénomène.
    CorteX_Rapport_Cour_comptes_Hortefeux_baisse_de_la_delinquance_JT_TF1_20_01_2011Le premier provient de la multitude d’acceptions du mot : vol, arnaques, violence physique, meurtre, délits financiers, harcèlement, outrages à agents, viols, vente ou détention de stupéfiants, etc. Autant de catégories, 107 exactement (*), qui n’ont rien à voir les unes avec les autres et qui sont toutes comptabilisées dans l’agrégat «  délinquance « , qui ne représente de ce fait plus grand-chose.

J’ai découvert le deuxième effet paillasson en ouvrant un rapport sur les chiffres de la « délinquance » produit par le ministère de l’Intérieur : en fait de délinquance, il n’y était question que de délinquance constatée. La suppression quasi-systématique de ce petit mot est pourtant loin d’être anodine : imaginons que l’on ferme tous les commissariats, qu’on envoie tous les agents de police en vacances et qu’il ne soit plus possible de porter plainte ; il est fort probable qu’alors, la délinquance constatée sera proche de zéro. En concluerons-nous pour autant qu’il n’y a plus de vols ou de crimes ? Le problème, c’est que les chiffres de la délinquance constatée en disent au moins aussi long sur la manière dont on oriente le télescope que sur la planète qu’on observe : ils reflètent aussi, de manière intrinsèque, l’activité policière et ses priorités. Que conclure alors d’une baisse de ces chiffres ? Si vous souhaitez approfondir cette question, vous pouvez lire le TP Analyse de chiffres sur la délinquance.

  • un (faux ?) effet cigogne
    La baisse de la délinquance et l’amélioration par les constructeurs automobiles des dispositifs contre les vols sont deux événements qui ont lieu en même temps : ils sont corrélés. Pourtant, comme le fait remarquer Claude Guéant par la suite, cela n’implique pas nécessairement qu’il existe une relation causale entre ces deux faits. Avant de me faire un avis, je suis allée voir ce que disait le rapport sur ce sujet  :

p. 29 – Toutefois, selon la plupart des analystes et la direction générale de la police nationale elle-même, [le recul spectaculaire de ces deux seules grandes catégories d’infractions, les vols liés à l’automobile et les destructions et dégradations de biens privés] a été dû principalement à l’amélioration par les constructeurs automobiles des dispositifs techniques de protection contre les vols et les effractions, et au renforcement des dispositifs de protection des espaces publics et privés (parkings, gares, etc.).

Malheureusement, aucune référence précise n’est donnée (si un lecteur ou une lectrice les a, qu’il ou elle n’hésite pas à nous contacter). Alors, effet cigogne ou non ? Il faudrait en savoir davantage sur lesdites études.

  

« Raccourci trompeur, d’autant plus qu’une telle affirmation ne fait l’objet d’aucune démonstration sérieuse… », rétorque Claude Guéant.

Claude Guéant a raison : la charge de la preuve incombe à celui qui prétend c’est-à-dire, ici, à la Cour des Comptes.
 

« Contrairement aux allégations des rapporteurs », le ministre de l’Intérieur défend ses troupes en expliquant le repli des crimes et délits par « les efforts de mobilisation des services et l’efficacité des services d’enquêtes ».

J’ai bien l’impression qu’on assiste ici à un joli tour de passe-passe : Claude Guéant transforme en direct un effet cigogne en… un autre effet cigogne. On pourrait lui retourner sa remarque : « raccourci trompeur, d’autant plus qu’une telle affirmation ne fait l’objet d’aucune démonstration sérieuse… »

Entre 2002 et 2009, le nombre des infractions révélées par l’activité des services est passé d’environ 200.000 à 290.000, soit un bond de 46 %.

CorteX_Rapport_Cour_comptes_perplexeLà, j’avoue que j’ai dû relire ce passage plusieurs fois : on nous parle de baisse de la délinquance depuis le début et, tout d’un coup, on cite des chiffres qui augmentent. Le journalise s’est-il tiré une balle dans le pied ? Et bien non, la relecture du passage m’a fait réaliser qu’on ne parlait plus d’infractions tout-court mais d’infractions révélées par l’activité des services, les IRAS. Effectivement, une hausse de ce chiffre va bien dans le sens d’une certaine augmentation de l’efficacité des services d’enquêtes ; notons tout de même, en anticipant un peu sur la suite, qu’il faudrait néanmoins préciser ce qu’on entend par efficacité. Comme je n’avais jamais entendu parler des IRAS je suis allée lire dans le rapport ce qu’il en était dit :

p. 28 – Enfin, le suivi séparé, plus qualitatif et diversifié, des IRAS (Infractions Révélées par l’Activité des Services), composées essentiellement des infractions à la législation sur les stupéfiants et à la législation sur les étrangers, constitue aussi un progrès.

  • un effet paillasson
    Ce petit passage permet de relever un autre effet paillasson. L’avez-vous vu ?
    Au début du paragraphe : délinquance = vol.
    Dans la réponse de Guéant : délinquance = IRAS
    ≈ infractions sur les stupéfiants + infractions sur la législation des étrangers.
    Mais de quoi parle-t-on au juste ?
  • un effet paillasson + un non sequitur
    Partons du raisonnement tenu par le journaliste – ou peut-être par C. Guéant, ce n’est pas très clair – et résumons-le ainsi :

les IRAS augmentent = efficacité policière => les vols diminuent.

Cette chaîne induit alors la suivante :

les IRAS augmentent => les vols diminuent.

En français, cela se traduirait par : « les services de police révèlent plus d’infractions donc le nombre de vols diminue », ce qui est pour le moins troublant. Comment en est-on arrivé là ? CorteX_Rapport_Cour_comptes_idee_lumineuseEn glissant subrepticement d’un sens du mot efficacité à un autre :

– sens 1 : efficacité signifie  » les services révèlent des infractions « 
– sens 2 : efficacité signifie  » les services préviennent des infractions « 

Avec ces précisions, on reconstruit deux chaînes, distinctes mais justes. D’une part, on a

les IRAS augmentent = preuve de l’efficacité policière au sens 1

et d’autre part,

l’efficacité policière au sens 2 => les vols diminuent

Afin d’obtenir l’affirmation « les IRAS augmentent => les vols diminuent », il faudrait raccrocher ces deux maillons, mais voilà bien le problème, c’est impossible sans recourir à l’effet paillasson. Et le raisonnement tel qu’il est présenté n’explique en rien la baisse des chiffres de la délinquance.

III. Souriez, vous serez de plus en plus filmés !

L’efficacité de la vidéo mise en doute
  • un mot valise (à créer)
    CorteX_Rapport_Cour_comptes_videosurveillance_imageDe quelle efficacité s’agit-il ? Comme nous venons de le voir, ce mot est équivoque : dans le paragraphe précédent, il revêtait deux sens différents, ici il en recouvre toute une floppée : efficacité pour identifier les auteurs de vol de voiture, efficacité pour identifier les auteurs de violence conjugales, efficacité pour prévenir les braquages ou les attentats, efficacité pour protéger la population, efficacité pour enregistrer les faits et gestes de tout un chacun, efficacité pour éloigner la prostitution des centres-villes, efficacité pour analyser les flux de circulation, etc. ? Quelle efficacité a été mise en doute ? Et par qui ? Nous n’en saurons pas plus ici. Pourtant la question de l’évaluation des ces dispositfs me semble primordiale.

 

Rappelant que c’est depuis les attentats de Londres en 2005 que la France mise sur la vidéoprotection,
  • un appel à la peur
    Le rapprochement tendancieux des attentats de Londres d’une part, et du développement de la vidéoprotection en France d’autre part, constitue un appel à la peur qui facilite l’acceptation du lecteur : difficile de refuser la vidéoprotection si elle est liée, d’une manière ou d’une autre, à la lutte contre les attentats.
    Ce rapprochement est d’autant plus étonnant que le développement de la vidéosurveillance en France dans les espaces publics a débuté avant le mois de juillet 2005, comme en atteste par exemple les sources suivantes :- une enquête réalisée en Mars 2004 par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme intitulée Évaluation de l’impact de la vidéosurveillance sur la sécurisation des transports en commun en région Ile-de-France :

Les élus régionaux, le Syndicat des transports d’Ile-de-France (STIF) et les transporteurs ont développé conjointement des programmes de sécurisation axés sur la vidéosurveillance qui a des objectifs croisés de prévention, de dissuasion et de répression.
Sur les deux derniers programmes de sécurisation des réseaux de transport, l’Etat et la région ont consacré 25 millions d’euros à l’installation d’équipements de videosurveillance dans les autobus, stations de metro RER et gare SNCF. Ce qui porte à 15  % du budget total. Le dispositif de videosurveillance représente 73 % du budget consacré à la sécurité.

– le site de la ville de Lyon :
 

Soucieuse d’aller au delà des garanties prévues par le législateur afin de concilier la sécurité des citoyens avec le respect des libertés publiques et privées, la Ville de Lyon a créé un organisme original à cet effet : le Collège d’éthique de la vidéosurveillance.
Crée par délibération du Conseil Municipal le 14 avril 2003, le Collège est une commission extra-municipale dont la présidence déléguée est confiée à Monsieur Daniel Chabanol, ancien Président de la Cour Administrative d’Appel de Lyon
. 

une allocution de Dominique de Villepin, alors ministre de l’Intérieur, le 24 Mars 2005 sur le plan-pilote  » 25 quartiers  » (partie 2.B.)

J’ai demandé aux préfets d’élaborer, en coordination avec les maires, des plans de mises en sécurité des lieux les plus exposés. J’ai recommandé deux types de mesures : l’amélioration de la surveillance humaine par la police municipale, et le recours plus systématique à la vidéosurveillance.
[…]
Je vais demander aux préfets un état des lieux de la prévention dans les transports, afin de la renforcer là où c’est nécessaire par les moyens les plus modernes : localisation des bus par GPS, caméras de vidéosurveillance embarquées dans les bus, les trains et les gares.

  • une généralisation hâtive

    La France mise sur la vidéoprotection ? Belle généralisation hâtive qui consiste à transformer une décision prise par quelques hommes et femmes politiques en une décision prise par l’ensemble de la population française à l’unanimité.
  • un effet impact (à créer)
    Si le choix des mots est toujours important, il est dans ce contexte primordial : souvenons-nous qu’il y a encore peu de temps, on utilisait le mot vidéosurveillance, mot très connoté négativement qui pouvait susciter la méfiance et soulever de nombreuses questions : pour surveiller qui ? Pourquoi ? N’est-on pas en train de s’attaquer aux libertés individuelles ? etc.

    Tandis qu’il est bien plus difficile de remettre en cause la vidéoprotection : pourquoi refuser de protéger ?
    La vidéosurveillance peut être source d’inquiétude, la vidéoprotection est rassurante ; pourtant, ces deux mots désignent exactement la même chose.

  • un non sequitur + une pétition de principe
    Si l’implication   » il y a eu un attentat à Londres => il faut plus de caméras en France  » n’est pas explicitement formulée – on doit bien cette précision au journaliste -, la forme de la phrase pourrait la suggérer. Et comme nous sommes là pour nous entraîner, je vous propose de l’analyser quand même.

    L’unique lien logique que je vois entre ces deux assertions est le suivant : si un attentat s’est produit à Londres, cela pourrait arriver en France, il faut donc se protéger en installant des caméras. Ce raisonnement nécessite d’avoir préalablement admis que les caméras protègent des attentats, et donc qu’elles sont « efficaces ». Démarrer une preuve de l’efficacité des caméras en supposant qu’elles sont efficaces, voilà une pétition de principe.
    Par ailleurs, citer l’attentat de Londres est particulièrement mal choisi, puisque loin de confirmer la thèse de l’efficacité de la vidéo, il l’infirme : un attentat a eu lieu à Londres malgré le fait qu’elle était déjà très équipée en caméras ; en effet, depuis les années 90 et l’attentat de Bishopgate revendiqué par l’IRA, il a été décidé de miser sur la vidéo à Londres. Dans un rapport du Centre of Criminology and Criminal Justice réalisé dans le cadre d’un programme de recherche européen intitulé « Urbaneye », il est dit dès 2002 que le réseau des transports londoniens est équipé de milliers de caméras ; l’implication « il y a eu un attentat à Londres => il faut plus de caméras en France » n’est donc pas logique : nous avons affaire ici à un non sequitur (**).

Claude Guéant rappelle qu’un rapport de l’Inspection générale de l’administration a conclu la même année à «un développement insuffisant» et à une «implantation aléatoire des dispositifs les rendant mal adaptés à l’évolution des risques encourus par les citoyens». Environ 60.000 caméras devraient couvrir le pays d’ici à 2012
  • un plurium affirmatum (ou effet gigogne) (à créer)
    L’affirmation de Claude Guéant, lorsqu’il cite le rapport de l’Inspection générale de l’administration, CorteX_Rapport_Cour_comptes_Videosurveillance_image_Rapport_efficacite_07_2009en contient une autre : il admet sans le dire que la vidéo permet de réduire les risques encourus par les citoyens. Sauf que… la méthodologie ayant permis d’établir le rapport est très critiquable et que la preuve de cette efficacité ne semble pas faite aujourd’hui. Au niveau international, peu d’études ont été réalisées et celles qui existent ne sont pas toujours fiables, ni concluantes ; en France, l’évaluation est quasiment inexistante. C’est ce que souligne le rapport de la Cour des Comptes :

    p.145 – Diverses études ont été réalisées à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Australie, selon une démarche d’évaluation reposant sur l’analyse globale des tendances dégagées par une pluralité d’enquêtes  [ref citée : “What Criminologists and Others Studying Cameras Have Found”, Noam Biale, Advocacy Coordinator, ACLU Technology and Liberty Program, 2008 ]… Si ces études ont, dans l’ensemble, conclu à l’absence d’impact statistiquement significatif de la vidéosurveillance sur l’évolution de la délinquance, certaines ont toutefois fait apparaître que les résultats sont plus encourageants dans des espaces clos (parkings) avec un nombre limité d’accès. D’autres ont montré que la vidéosurveillance peut être efficace pour repérer les délits violents (atteintes à la personne) mais inopérante pour prévenir la commission de ces déli. Aucune étude d’impact, réalisée selon une méthode scientifiquement reconnue, n’a encore été publiée. Contrairement au Royaume-Uni, la France n’a pas encore engagé un programme de recherche destiné à mesurer l’apport de la vidéosurveillance dans les politiques de sécurité publique

Sur quels éléments tangibles s’appuie alors le ministre pour affirmer qu’il faut plus de caméras ? Sur la base de quels éléments  devrions-nous adhérer à sa thèse ?

Qu’en conclure ?

Je suis assez perplexe devant autant d’imprécisions, d’approximations, d’erreurs, de parti pris sur un sujet complexe qui mériterait pourtant une analyse de qualité. Ce texte ne nous apprend rien, on n’y comprend pas grand-chose, il donne une tribune immense à des idées reçues voire fausses et il contribue à rendre le sujet rébarbatif. A l’instar de mes collègues de CorteX, je crois qu’il serait grand temps de mener une réflexion collective sur les mécanismes structurels des médias qui conduisent à produire de l’information de mauvaise qualité, voire de la désinformation, et qui font oublier le but premier du journalisme : transmettre des informations aussi fiables que possibles sur le monde afin que chacun puisse faire ses choix en connaissance de cause.
Guillemette Reviron

(*) Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales, Bulletin pour l’année 2009, janvier 2010, cité par le Rapport de la Cour des Comptes pp. 27
(**) Notons que si Londres avait été une ville vierge de vidéos, le raisonnement ne tenait pas plus ; en effet, il s’énoncerait de la manière suivante : « il faut des caméras en France parce qu’à Londres il n’y en avait pas et il y a eu un attentat ». On y aurait trouvé
– un effet cigogne : « attentat » et « pas de vidéo » sont corrélés
– un biais de confirmation : il ne suffit pas de vérifier une thèse sur un exemple pour la prouver, la thèse étant « s’il n’y a pas de caméras, il y a des attentats ». 

CorteX_Bellamy-Equality

Economie – La parabole du réservoir d’eau de Bellamy

Il était une fois un pays très sec, dont les habitants manquaient cruellement d’eau. Et ils ne faisaient rien d’autre que de chercher de l’eau, du matin au soir. Beaucoup mouraient parce qu’ils n’en trouvaient pas.

Cependant, certains hommes, dans ce pays, étaient plus rusés et diligents que les autres. Et ils s’étaient procuré des quantités d’eau là où d’autres n’en avaient pas trouvé. Et on appelait ces hommes les capitalistes. Il advint que les habitants de ce pays s’en furent trouver les capitalistes et les prièrent de leur donner un peu de l’eau qu’ils s’étaient procurée, pour qu’il puissent boire, puisqu’ils mouraient de soif. Mais les capitalistes leur répondirent :

« Allez-vous-en, gens stupides! Pourquoi devrions-nous vous donner de l’eau que nous avons, et devenir comme vous êtes, et mourir avec vous. Mais voici ce que nous allons faire pour vous. Soyez nos serviteurs, et vous aurez de l’eau.  »

Et les habitants dirent :

« Donnez nous donc à boire, et nous serons vos serviteurs, nous et nos enfants. »

Et il en fut ainsi.

Les capitalistes étaient des hommes intelligents et avisés. Ils organisèrent ceux qui les servaient en brigades, avec des chefs et des contremaitres, affectés, pour certains, à sonder les sources, d’autres à transporter l’eau, d’autres enfin à chercher de nouvelles sources. Et toute l’eau fut rassemblée en un seul endroit. Les capitalistes construisirent un grand réservoir pour la contenir, et le réservoir fut appelé Le Marché, car c’est là que les gens, y compris les serviteurs des capitalistes, venaient s’approvisionner en eau. Et les capitalistes dirent au gens :

 « Pour chaque seau d’eau que vous nous apporterez, pour le verser dans le réservoir, qui est Le Marché, voici que nous vous donnerons un sou, mais pour chaque seau que nous en retirerons pour vous donner à boire, à vous, à vos femmes et à vos enfants, vous nous donnerez deux sous, et la différence sera notre bénéfice, car sans cela nous ne le ferions pas pour vous et vous devriez tous mourir.  »

 

Et c’était bien ainsi, aux yeux du peuple, car il manquait de discernement. Et les gens s’activèrent à remplir le réservoir jour après jour, et pour chaque seau, les capitalistes payaient à chacun un sou, alors que pour chaque seau fourni au peuple, deux sous revenaient aux capitalistes.

Et après plusieurs jours le réservoir d’eau, dit Le Marché, déborda, du fait que pour chaque seau versé, les gens ne recevaient que de quoi acheter un demi seau. Et à cause de l’excédent laissé à chaque seau, le réservoir d’eau débordait car les gens étaient nombreux, alors que les capitalistes étaient rares et ne pouvaient pas boire plus que les autres. En conséquence de quoi le réservoir d’eau débordait.


Et quand les capitalistes virent l’eau
déborder, ils dirent aux gens :

« Ne voyez-vous pas que le réservoir d’eau, qui est Le Marché, déborde ? Asseyez-vous donc, et soyez patients. Cessez d’apporter de l’eau jusqu’à ce que le réservoir soit vide. »

Mais quand les gens ne reçurent plus les sous des capitalistes pour l’eau qu’ils apportaient, ils ne purent plus acheter de l’eau aux capitalistes, n’ayant pas de quoi acheter. Et quand les capitalistes virent qu’ils ne faisaient plus de bénéfice, car plus personne n’achetait de l’eau, ils furent troublés. Et ils envoyèrent des hommes sur les routes, les chemins et les haies, en criant :

« Si quelqu’un a soif, qu’il vienne au réservoir d’eau nous acheter de l’eau, sinon elle va déborder »

Et ils se dirent :

« Voici que les temps sont durs, il faut faire de la publicité ».

Mais le peuple répondit, en disant :

« Comment pouvons-nous acheter si vous ne nous employez pas, sinon comment allons-nous avoir de quoi acheter? Employez-nous donc comme avant et nous serons heureux d’acheter de l’eau, car nous avons soif, et vous n’aurez pas besoin de faire de la publicité.« 

Mais les capitalistes dirent au peuple :

« Allons-nous vous embaucher pour apporter de l’eau, alors que le réservoir, qui est Le Marché, déborde déjà ? Achetez-nous donc d’abord de l’eau, et quand vous aurez vidé le réservoir avec vos achats, nous vous embaucherons à nouveau. »

Et ainsi, du fait que les capitalistes ne les employaient plus pour apporter de l’eau, les gens ne pouvaient pas acheter l’eau qu’ils avaient déjà apporté, et du fait que les gens ne pouvaient acheter l’eau qu’ils avaient déjà apporté, les capitalistes ne pouvaient plus les employer à apporter l’eau . Et on se mit à dire partout : « C’est la crise. »

Le peuple mourait de soif. Il n’en allait plus maintenant comme du temps de leurs pères, quand les terrains étaient libres et quand chacun pouvait librement chercher de l’eau pour lui-même. Là, les capitalistes avaient pris toutes les sources, et les puits, et les roues à eau, et les récipients, et les seaux, de sorte que personne ne pouvait se procurer de l’eau du réservoir d’eau, qui était Le Marché. Alors le peuple murmura contre les capitalistes et dit :

« Voici que le réservoir est à sec, et que nous mourons de soif . Donnez-nous donc de l’eau, pour que nous ne périssions pas. »

Mais les capitalistes répondirent :

« Que nenni. L’eau est à nous. Vous ne boirez pas, à moins que vous n’achetiez à boire avec vos sous. »

Et ils le confirmèrent par serment, disant, à leur manière : « Les affaires sont les affaires. »

Mais les capitalistes étaient inquiets de ce que les gens n’achetaient plus d’eau, dont il résultait qu’ils ne faisaient plus de profit, et ils parlaient entre eux en disant :
« Il semble que nos bénéfices ont bloqué nos bénéfices, et du fait des bénéfices que nous avons faits, nous ne pouvons plus faire de bénéfices. Comment se fait-il que nos profits ne soient plus profitables pour nous, et que nos gains nous rendent pauvres ? Allons interroger les devins, pour qu’ils nous éclaircissent sur ce mystère. »
Et ils les envoyèrent chercher.

Les devins étaient gens experts en énonciations sibyllines. Ils s’associèrent aux capitalistes pour profiter de leur eau, et survivre, eux et leurs enfants. Et ils parlaient au peuple au nom des capitalistes, et se faisaient leurs ambassadeurs, voyant que les capitalistes n’étaient pas gens à comprendre vite ni à parler volontiers.

Et les capitalistes exigèrent des devins qu’ils leur expliquent comment il se faisait que les gens ne leur achetaient plus d’eau bien que le réservoir fut plein. Et certains des devins répondit et dirent : « C’est en raison de la surproduction. » Et les uns disaient : « C’est la surabondance. » Mais la signification des deux mots est la même. Et d’autres disaient : « Non, mais c’est le résultat des taches sur le soleil. » Et d’autres encore répondaient, en disant : « Ce n’est ni en raison de surabondance, ni encore des taches sur le soleil, que le mal est arrivé, mais en raison du manque de confiance. « 

Et tandis que les devins confrontaient leurs interprétations, les hommes de profit étaient saisi de somnolence et s’endormaient, et quand ils se réveillèrent, ils dirent aux devins :

« C’est assez. Vous vous êtes exprimés à votre aise. Maintenant, allez et parlez à votre aise au peuple, afin qu’ils se calment et nous laissent aussi en paix . »

Mais les devins, hommes à la science funeste, comme on les appelait aussi, furent réticents à aller vers le peuple de peur d’être lapidés, car les gens ne les aimaient pas. Et ils dirent aux capitalistes :

« Maîtres, c’est un mystère de notre métier que si les hommes sont repus, désaltérés et paisibles, alors ils trouvent du réconfort dans notre discours, comme vous. Mais s’ils ont soif et faim, ils n’y trouvent aucun réconfort, mais plutôt des raisons de se moquer, car il semble que si un homme n’est pas repu, notre sagesse n’est pour lui que du vide ».

Mais les capitalistes dirent : « Hardi, en avant. N’êtes-vous pas nos hommes désignés pour être nos ambassadeurs?

Et les devins se dirigèrent vers le peuple et leur expliquèrent le mystère de la surproduction, et comment il se faisait qu’ils devaient périr de soif parce qu’il y avait trop d’eau, et comment il ne pouvait pas y en avoir assez parce qu’il y en avait trop. Et ils leurs parlèrent aussi des taches du soleil, et leur expliquèrent comment tout ce qui leur était arrivé venait de leur manque de confiance. Mais tout se passa comme les devins avaient dit, car pour le peuple leur sagesse n’était que du vide. Et le peuple les maudit, en leur disant :

« Allez vous faire voir, têtes d’œufs ! Est ce que vous vous moquez de nous ? Est-ce que l’abondance produit la famine ? Est-ce que beaucoup ne donne rien ? »

Et ils prirent des pierres pour les lapider.

Les capitalistes, voyant que les gens du peuple murmuraient encore, et n’écoutaient pas les devins, et craignant qu’ils n’attaquent le réservoir pour s’emparer de l’eau, leur envoyèrent de saints hommes (en fait de faux prêtres), qui les exhortèrent au calme et leur demandèrent de ne pas s’en prendre aux capitalistes parce qu’il avaient soif. Et ces saints hommes, qui étaient de faux prêtres, assurèrent au peuple que ce fléau leur avait été envoyé par Dieu pour le salut de leur âme, et que s’ils l’enduraient avec patience, sans convoiter l’eau, ni s’en prendre aux capitalistes, il adviendrait qu’après avoir rendu l’âme, ils arriveraient dans un pays sans capitalistes, où l’eau serait abondante. Cependant, il y avait aussi de vrais prophètes de Dieu, qui ne prophétisaient pas pour le compte des capitalistes, mais plutôt contre eux.

Les capitalistes virent que le peuple murmurait encore et s’attroupait sans être calmé par les gouttes dont ils les aspergeaient du bout de leurs doigts trempés dans l’eau qui débordaient du réservoir, et le nom des gouttes d’eau était La Charité, et elles étaient très amères.

Et quand les capitalistes virent que ni les paroles des devins, ni celles des saints hommes qui étaient faux prêtres, ni les gouttes appelées La Charité ne calmaient le peuple, qui était de plus en plus en colère et se pressait autour du réservoir comme pour s’en emparer, ils réunirent un conseil et dépêchèrent des émissaires auprès du peuple et aussi tous ceux qui étaient de bons guerriers, ils les prirent à part et leur dirent habilement :

 » Et si vous rejoigniez les capitalistes? Si vous vous mettez à leur service contre le peuple pour qu’ils ne s’emparent pas du réservoir, vous aurez de l’eau en abondance et ne périrez pas, vous et vos enfants. « 

Et les hommes forts et les guerriers aguerris furent convaincus par ce ce discours, se laissèrent persuader, poussés par la soif, se mirent au service des capitalistes, devinrent leurs hommes, furent équipés en bâtons et épées, se firent les défenseurs des capitalistes, et frappèrent les gens qui s’approchaient du réservoir.

Au bout de plusieurs jours le niveau de l’eau avait baissé dans le réservoir, car les capitalistes utilisaient l’eau pour des fontaines et des bassins où ils se baignaient avec femme et enfants et ils gaspillaient l’eau pour leur plaisir.

Quand les capitalistes virent que le réservoir était vide, ils dirent : « La crise est terminée » et ils allèrent embaucher des gens pour apporter de l’eau et le remplir de nouveau. Et pour chaque seau qu’ils apportaient ils recevaient un sou, mais pour le seau que les capitalistes tiraient du réservoir pour le redonner aux gens, ils recevaient deux sous, pour faire leur bénéfice. Au bout d’un certain temps, le réservoir débordait à nouveau comme avant.

Alors, lorsque le peuple eut rempli le réservoir jusqu’à ce qu’il déborde, et se retrouva assoiffé jusqu’à ce que l’eau contenue ait été gaspillée par les capitalistes, il advint que surgirent dans ce pays des hommes qu’on appela des agitateurs car ils soulevèrent le peuple. Et ils s’adressèrent au peuple, en disant qu’ils devraient s’associer, et qu’ainsi ils n’auraient plus besoin d’être des serviteurs des capitalistes, et ne mourraient plus de soif. Aux yeux des capitalistes les agitateurs étaient des individus néfastes, qu’ils auraient bien vus crucifiés, sans oser le faire par peur du peuple.

Et les agitateurs, lorsqu’ils parlaient au peuple, leur disaient ceci :

« Peuple stupide, combien de temps te laisseras-tu tromper par un mensonge et croiras-tu, pour ton malheur, ce qui n’est pas ? Car toutes ces choses qui t’ont été dites par les capitalistes et les devins sont des fables habilement conçues. Et de même, les saints hommes, qui disent que c’est la volonté de Dieu que vous devez toujours être pauvres, misérables et assoiffés, ils blasphèment Dieu et sont des menteurs. Il les jugera sévèrement et Il pardonnera à tous les autres. Comment se fait-il que vous ne puissiez vous procurer de l’eau dans le réservoir ? N’est-ce pas parce que vous n’avez pas d’argent ? Et pourquoi n’avez-vous pas d’argent ? N’est-ce pas parce que vous ne recevez qu’un seul sou à chaque seau que vous porter au réservoir, qui est Le Marché, mais que vous devez rendre deux sous pour chaque seau que vous retirez, pour que les capitalistes puissent toucher leur bénéfice ? Ne voyez-vous pas, comment le réservoir doit ainsi nécessairement déborder, rempli à la mesure de ce dont vous manquez, abondé de votre manque ? Ne voyez vous pas également que plus durement vous travaillerez, plus diligemment vous rechercherez et apporterez l’eau, plus les choses iront de mal en pis et non de mieux en mieux, tout cela à cause du profit, et cela pour toujours ? »

C’est ainsi que les agitateurs parlèrent pendant plusieurs jours au peuple sans être entendus, mais il vint un temps où le peuple écouta. Et il répondit aux agitateurs :

« Vous dites la vérité. C’est à cause des capitalistes et de leurs bénéfices que nous sommes dans le besoin, vu que en raison de leur profit, on ne peut en aucun cas retrouver les fruits de notre travail, de sorte que notre travail est vain, et plus nous peinons à remplir le réservoir, plus vite il déborde, et l’on peut ne rien recevoir, car il y a trop, selon les mots des devins. Les capitalistes sont des hommes durs, et leurs compassions sont cruelles. Dîtes-nous si vous savez comment nous pouvons nous délivrer de notre servitude. Mais si vous ne connaissez pas de moyen certain de nous délivrer, nous vous prions de vous tenir en paix, et nous laisser seuls, pour que nous puissions oublier notre misère. »

Et les agitateurs répondirent en disant : « Nous connaissons un moyen ».
Et le peuple dit :

« Ne nous trompez pas, comme il en a été depuis le début, et personne n’a trouvé de moyen de nous délivrer jusqu’à présent, bien que beaucoup aient essayé désespérément. Mais si vous connaissez un moyen, dîtes-le-nous ».

Alors, les agitateurs leur dirent le moyen :

«A la vérité, quel besoin avez-vous de tous ces capitalistes, à qui vous devez céder les bénéfices pris sur votre travail ? Pour quels grands faits leur payez-vous ce tribut ? Eh bien ! Ce n’est que parce qu’ils vous commandent en équipes et vous font aller et venir, fixent vos tâches, et puis vous donnent un peu de cette eau que vous, et non pas eux, avez apporté. Or, voici le moyen de sortir de cette servitude ! Faites pour vous-mêmes ce qui est fait par les capitalistes, à savoir l’organisation de votre travail, le commandement de vos équipes, et la division de vos tâches. Ainsi vous n’aurez aucun besoin des capitalistes, ni de leur rétrocéder le moindre profit, mais tout le fruit de votre travail doit vous revenir entre frères, chacun ayant la même part. Et ainsi le réservoir ne débordera plus jamais jusqu’à ce que chaque homme soit rassasié, sans avoir besoin de remuer la langue pour réclamer plus, et ensuite le débordement fera fontaines agréables et étangs pour votre plaisir, comme le firent pour eux les capitalistes, mais cette fois pour le plaisir de tous ».

Et le peuple répondit : « Comment allons-nous faire cela, qui nous semble excellent pour nous? »
Et les agitateurs répondirent :

« Choisissez-vous des hommes modestes pour aller et venir, pour commandez vos équipes et organiser votre travail, et ces hommes seront les capitalistes, mais attention, ils ne doivent pas être vos maîtres comme les capitalistes le sont, mais vos frères et vos officiers qui feront votre volonté, et ils ne prendront pas de bénéfices, mais chaque Homme aura sa part comme les autres, de sorte qu’il n’y ait pas de maîtres et de serviteurs parmi vous, mais seulement des frères. Et, de temps en temps, comme bon vous semblera, vous choisirez d’autres hommes modestes à la place des premiers pour organiser le travail. »

Et le peuple écouta, et cela lui paraissait bon. En plus, cela ne semblait pas difficile. Et d’une seule voix ils crièrent : « Alors, qu’il en soit comme vous l’avez dit, nous le ferons! »

Et les capitalistes entendirent des clameurs, et ce que les gens disaient. De même les devins l’entendirent aussi, de même que les faux prêtres et les puissants hommes de guerre, qui servaient à la défense des capitalistes. Et quand ils entendirent, ils tremblèrent de tous leurs membres, de sorte que leurs genoux se heurtèrent, et ils se dirent les uns aux autres, « C’est la fin ! »

Cependant, il y avait de vrais prêtres du Dieu vivant qui ne prophétisaient plus pour le compte des capitalistes, mais qui furent pris de compassion pour ces gens, et quand ils entendirent les cris du peuple et ce qu’il avait dit, ils se réjouirent grandement et rendirent grâce à Dieu de cette délivrance.

Et le peuple s’en fut et tout se passa comme les agitateurs l’avaient annoncé. Et il arriva ce que les agitateurs avaient dit qu’il arriverait, comme ils l’avaient prédit. Et il n’y eut plus aucun assoiffé dans ce pays, non plus que d’affamé, de sans habit, de grelottant, ou de nécessiteux. Et chaque homme dit à son compagnon : « Mon frère », et chaque femme dit à sa compagne « Ma sœur », c’est ainsi qu’ils furent, les uns aux autres, comme frères et sœurs à jamais unis. Et la bénédiction de Dieu s’étendit sur cette terre à jamais. « 


CorteX_Edward_BellamyEdward Bellamy, Equality, 1897.

La version en anglais est disponible en ligne, chapitre XXIII

Richard Monvoisin

qui se demande si Dieu et sa bénédiction, finalement, sont vraiment nécessaires à la parabole…

CorteX_DSK_France Soir

Journalisme – Lacunes de rationalité dans le traitement de l’affaire DSK

A moins d’être ummite (voir le dossier Ummo d’Erick Maillot), impossible de n’avoir pas entendu parler de l’affaire DSK, ce scandale impliquant l’ancien président du Fonds Monétaire International.
En une dizaine de jours se sont amoncelés des procédés journalistiques tout à fait surprenants. Au Cortecs, nous nous avons pensé qu’un petit Travail Pratique sur ce sujet pourrait animer vos longues soirées d’été. C’est un TP évolutif, c’est-à-dire qu’à chaque nouvelle trouvaille, nous viendrons compléter le dossier.

Il va de soi que ce TP ne dépend pas de la culpabilité ou non de Dominique Strauss-Kahn, qui n’est pas le propos de cet article.

Exercice à faire

Reprendre une manchette / un journal TV sur DSK, et une manchette / journal TV sur un obscur « délinquant » accusé de viol (appelons-le ODAV, comme Obscur Délinquant Accusé de Viol).

Exemples d’ODAV :

[dailymotion id=xizyzy]

JT de TF1 du 8 août 2010 (le ton de ce JT est moins « à charge » que celui de la veille, on y parle même de présomption d’innocence… jusqu’à la dernière phrase)

[dailymotion id=xizyzl] 

Exemple de reportage sur DSK : TF1, JT du 22 Mai /2011

[dailymotion id=xj065x]

L’effet à mettre en évidence est l’effet bi-standard : le traitement réservé à DSK est bien plus sympathique / atténué que ne l’est celui d’un violeur présumé moyen.

Indicateurs de l’effet bi-standard :

  • présumé : généralement, le complément « présumé » saute pour ODAV, aggravant la tonalité du traitement, alors qu’il est martelé pour DSK. 
  • images choquantes : il est certes interdit de montrer en France quelqu’un menotté depuis la loi Guigou de 2000. Mais alors que les cas où ODAV fut montré menotté n’a pas choqué grand monde (exemple le plus frappant : Michaël Jackson, pourtant lui même loin d’être un Obscur Délinquant), montrer DSK menotté est considéré par de nombreuses personnalités comme « choquant », et les images présentées comme « terribles ».

On pourra se servir de la Revue de presse du Zoom de la Rédaction sur France Inter, 16 mai 2011

 

  • Occultation de la victime : pour ODAV, la gravité est accrue en parlant immanquablement de la victime. Pour DSK, la victime n’est que « présumée », et encore, quand elle est citée – ce qui vaut une levée de critiques féministes, en particulier cette chronique dans Le Monde  du 21 mai intitulée « Sexisme : ils se lâchent, les femmes trinquent » à laquelle il va de soi que nous nous associons.
  • Circonstances : on ne cherche pas de circonstances atténuantes pour ODAV, contrairement à DSK.
Sur ce point, plusieurs méthodes ont été développées
 
1. Confondre violence sexuelle et libertinage, avec des arguments fallacieux du type : 
Ce n’est pas sa faute, il est comme ça, il a une sexualité débordante
C’est un french lover (heureusement que tous les french lovers ne sont pas comme ce qu’on dit de lui)
C’est un mélange français d’amour et de politique, qui témoigne de notre tempérament national (essentialisme)
 
C’est ce que pointe Julie Clarini dans sa chronique sur France Culture du 18 mai 2011

2. Parler de méprise avec une prostituée / femme de chambre

– une prostituée – ce qui laisse présumer de ce qu’on considère comme normal dans le traitement des prostitué-es.

– avec une femme de chambre, qui plus est africaine. Notons en passant que « africaine » = racisme ordinaire. On apprendra plus tard qu’elle est guinéenne, ce qui ne nécessitait pas de grandes recherches, mais que la plupart des journalistes ne firent pas – Diallo étant un nom poular, et son prénom étant typique des filles peuls du Fouta Djallon.

Clarini encore, dans sa chronique du 17 mai, le dit bien mieux que nous.

3. Invoquer des problèmes psychanalytiques dans l’enfance (?) qui expliqueraient ses frasques sexuelles / le viol présumé, ce qui ferait de DSK une victime de ses pulsions
On pourra lire à ce sujet l’article de Brigitte Axelrad sur le site de l’Afis : Affaire Strauss-Kahn : les psychanalystes « se défoulent »

4. Invoquer des problèmes psychanalytiques qui expliqueraient son envie irrépressible de se saborder – de se suicider politiquement – alors qu’il avait course gagnée

Questions d’experts sur France inter pendant les informations du 7-9
  • le 15 mai :
  • le 19 mai :
(DSK a mangé du poisson le 19, ndr)

L’hypothèse d’un acte manqué inconscient est très ennuyeuse car

– elle nécessite un inconscient (ce qui est scientifiqement discuté)

– duquel émergerait des actes manqués contre la volonté du sujet (ce qui est scientifiquement discuté)

– l’hypothèse est irréfutable (au sens de Popper).

Cela pose également la question du recours quasi-systématique au champ psychanalytique dans les médias pour éclairer un point d’actualité. Finalement, en terme de qualité d’information, le « scénario inconscient » ne vaut gère plus que l’intérêt de savoir que DSK a mangé en prison des macaronis au fromage le 18 mai et du poisson le 19.

Allons plus loin : on peut mettre en évidence un effet Pangloss. Maintenant que l’accession à la présidence n’est plus envisageable pour DSK, on ne parle que d’une immanquable victoire s’il avait pu se présenter.

« Un destin exceptionnel », « il avait tout pour réussir », « les socialistes perdent le seul candidat qui avait, dans toutes les configurations possibles, la faveur des sondages. » , « le directeur général du Fonds monétaire international était le favori pour la présidentielle de 2012 » et « favori de la primaire socialiste en vue de la présidentielle française de 2012 », etc. (la mise en gras est de notre fait).

L’effet Pangloss consiste à raisonner à rebours. Ici l’arrestation de DSK pointe l’anéantissement du destin exceptionnel qui l’attendait, un continuum inéluctable DSK= Présidence. On parle désormais d’une vie politique brisée, comme un long couloir qui devait incontestablement conduire DSK à l’Elysée. C’est l’athlète blessé qui, s’il avait participé, aurait remporté toutes les épreuves ou le chercheur qui devait indubitablement aboutir à une découverte scientifique majeure.

Pourtant rien ne garantissait réellement cette possibilité. Rien ne permet donc de mettre en avant ce qui n’était qu’une éventualité, pas même les sondages évoqués récemment, compte tenu des expériences antérieures sur ce genre de pronostiques.

« Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, les commentateurs politiques les plus médiatiques jouent – jusqu’à l’excès – aux petits chevaux de la présidentielle et reproduisent les égarements du passé. Rappelons-nous qu’Édouard Balladur était en tête des sondages jusqu’en février 1995, et qu’il ne fut même pas présent au second tour en mai 1995. Souvenons-nous que Lionel Jospin était donné gagnant en 2002, puis qu’il ne fut même pas présent au second tour. Enfin, si le duel Royal-Sarkozy était dans les bouches de tous les éditorialistes plus d’un an avant le second tour de l’élection de 2007, précisons que la candidate socialiste ne l’a été que parce que des sondages l’annonçaient comme la mieux placée pour l’emporter face au candidat de l’UMP. Le choix ne s’étant pas fait sur le fond, mais simplement sur des anticipations, Ségolène Royal, et les sondologues, ont perdu. » Mathias Reymond, Affaire DSK (1) : des médias orphelins. Voir suite de l’article d’Acrimed

La probabilité de voir DSK élu président s’il avait pu se présenter, devient, par effet Pangloss, l’inévitabilité de sa victoire fictive maintenant qu’il ne pourra pas le faire.

5. La théorie du complot : c’est tellement improbable qu’un monsieur aussi respectable que lui fasse cela, donc il y a complot. Cela tend en outre à faire disparaître le fait que justement, des gens tout à fait respectables commettent des viols, et que le viol est un drame traversant les classes sociales.

6. Raisonnement en faux dilemme : « il aime les femmes, certes, mais c’est quand même mieux que d’aimer les petites filles »

 

Suite de l’exercice : rechercher des sophismes dans les extraits suivants.

  • Répondeur N°1 de D. Mermet, France Inter, 16 mai 2011
  • Répondeur N°2 de D. Mermet, France Inter, 16 mai 2011
  • Journal de midi trente, sur France Culture 15 mai 2011
  • Journal de midi trente, sur France Culture 16 mai 2011

Enfin, pour rire un peu, voici le billet de l’humoriste Sophia Aram sur le traitement médiatique engendré par « L’affaire » DSK et la légèreté de certains journalistes. France Inter – 06/06/2011

Article co-écrit par l’équipe du CorteX

 

Hypothèse de RM : j‘ai la sensation que tout est fait pour éviter de penser qu’un individu aussi « respectable » socialement, politiquement et économiquement puisse se rendre coupable – ou simplement être suspect – d’un crime de viol. Il y a une résolution de dissonance cognitive tout à fait typique : on tend à alléger la balance de l’accusé, et il est très probable qu’on tende à charger la barque de la victime. De la même façon que la reconnaissance du viol conjugal a mis très longtemps à être reconnu, il semble que ce soit difficile de reconnaître que l’abominable, même présumé, puisse être potentiellement en nous. Ça me fait penser à toutes ces fabrications médiatiques du Monstrueux, de Hitler à Ben Laden, qui nous évite, à l’instar de ce qu’écrivait Soljenitsyne, à analyser la part du diable qu’il y a en chacun de nous. Ça me fait également songer à la mauvaise réception des travaux de Milgram lorsqu’il montra qu’une fraction importante de gens normaux seraient capables, à l’état agentique sous autorité, de torturer et tuer un individu qui ne leur a rien fait.

  

CorteX_Classens_allo_Science

Matériel pédagogique Médias & science

Ayant axé mon travail de recherche sur le sujet des interactions sciences et médias, je suis avec attention les critiques de la médiatisation, vulgarisation, publicisation. J’avoue que je suis souvent déçu, car la fonction de vulgarisation est toujours présentée comme « bonne en soi », et le vulgarisateur comme un bon apôtre qui vient évangéliser l’ignare.

La plupart du temps, il manque une analyse socio-politique de l’enjeu de cette vulgarisation : progressisme technologique larvé mercantile, fabrication du scoop, vente d’espoir thérapeutique,  communication d’entreprise et publi-reportages sur des enjeux purement politiques, Soap-science et effet Canada dry (on nous vend un article comme « tout ce qu’il faut savoir sur la mécanique quantique » en deux pages), etc.
J’ai passé du temps dans Pour une didactique de l’esprit critique à montrer que les médias dits scientifiques répondent plus volontiers à la nécessité de se vendre qu’à celle d’éduquer les citoyens intéressés qui aimeraient faire leurs choix politiques en connaissance de cause. Or j’ai remarqué qu’un certain nombre d’étudiants ou de doctorants-moniteurs ont des cours et des stages de vulgarisation où ils apprennent exactement ce que je dénonce : procédés rhétoriques séduisants, raccourcis fallacieux, mises en scène populistes, « bonté » du vulgarisateur qui fait descendre la bécquée intellectuelle au profane. En 2006 j’ai monté un stage pour doctorants-moniteurs intitulé « Médias & pseudosciences, quand la science se met en scène« , au Centre d’Initiation à l’Enseignement Supérieur de Grenoble. En 2011, avec ma collègue Guillemette Reviron, nous avons propagé ce stage à Montpellier.
Ci-dessous, nous mettrons à disposition de trop rares ressources qui peuvent contribuer à étoffer un cours d’analyse critique de la vulgarisation scientifique.

La médiascience

20 mai 2011, en écoutant Science Publique de Michel Albergonti, sur France Culture, je découvre la notion assez vague de médiascience, du professeur belge Michel Classens.

Après la vulgarisation et la médiatisation, voire la médiation, de la science, voici la médiascience. CorteX_Classens_allo_ScienceLe mot peut d’autant plus surprendre qu’il n’existait, semble-t-il, pas avant que Michel Claessens, professeur à l’université libre de Bruxelles, n’utilise ce néologisme dans son dernier livre intitulé Allo la Science , analyse critique de la médiascience.

Ces enjeux dépassent désormais largement leur contribution, pourtant essentielle, à la constitution de l’honnête « homme », cet être surgissant au 17e siècle  et que Montaigne a défini en donnant sa préférence à une tête bien faite plutôt que bien pleine. Aujourd’hui, la science se glisse dans la plupart des sujets d’actualité. Parmi les plus récents, on peut citer le séisme du Japon et la catastrophe nucléaire de Fukushima, l’exploitation des gaz de schiste ou même, les interprétations psychiatriques du comportement sexuel de Dominique Strauss Kahn… Désormais, les connaissances scientifiques sont sans cesse convoquées pour participer au débat démocratique. Mais les éclairent-elles vraiment ?

Se regroupent alors pour discuter autour de Monsieur Classens Pierre-Henri Gouyon, biologiste spécialisé en sciences de l’évolution, professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, que nous connaissons bien, Jean-Yves Nau, journaliste à Slate.fr et Benjamin Dessus, ingénieur et économiste.

L’émission est assez brouillonne, ne garde pas toujours un fil directeur clair et conclut en queue de poisson, aussi ai-je tronçonné quelques morceaux choisis. Ici se trouve l‘émission complète, pour tout écouter ou comparer mes coupes.

Morceaux choisis

P-H. Gouyon distingue science et technique, J-Y. Naud pointe le caractère consommatoire des sujets traités par Slate, et P-H.Gouyon fait plaisir à entendre : « le boson de Higgs, on s’en fout« .

Je défendais cette idée dans Pour une didactique de l’esprit critique en ces termes :

« La particule qui va révolutionner la physique » titrait La Recherche en mai 2003. Ne devrions-nous pas attendre qu’elle la révolutionne effectivement ? (En arrière-plan, une lutte politique entre deux grands laboratoires, occultées par cette quête totalement construite pour l’Opinion Publique.) (p. 302).

et je proposais une fiche pédagogique sur le sujet (Annexe – Fiche pédagogique N°17 – Scénario du Graal et de la recherche scientifique de Dieu, p. 404)

Sur les OGM. P-H. Gouyon introduit la notion de conflit d’intérêt comme moteur du traitement de l’information. Il avance un argument qui, aussi vraisemblable soit-il, peut être pris pour un procès d’intention : la répartition géologues climatosceptiques / écologues non-climatosceptiques n’est pas due par hasard et est le produit d’un conflit d’intérêt. Peut-on l’étoffer ? Je vais écrire à P-H. Gouyon pour le lui demander.

La question des sciences dans les médias. Il est question des risques de Fukushima, de la vache folle, des chiffres du nucléaire et même de l’impact sur les déclarations médiatiques dans les pages de Wikipédia.

P-H. Gouyon, sur le principe de précaution et l’évaluation des risques. Il prend l’exemple du projet Génoplante. Benjamin Dessus amène le sujet sur le manque de prospective, avec l’exemple de la voiture électrique.

P-H. Gouyon dénonce la métaphore du « décodage » ou « décryptage » du génome. C’est la première fois que j’entends ça dénoncé aussi ouvertement ! J’ai alors réouvert ma thèse page 289, au chapitre des scénarisations type « odyssée », et surtout à l’annexe 20 (Analyse pédagogique du Graal génétique qu’est l’ADN des gènes), et j’ai exhumé matière à TP pour étudiants en biologie / journalisme (à venir).

M. Albergonti se fait taquiner sur son choix de parler en introduction de l’affaire D. Strauss-Kahn, et répond de manière assez claire. Nuance est faite entre information/communication et science, et sur le flot d’informations immédiates non vérifiées, que ce soit sur l’arrestation de DSK ou sur l’accident de Fukushima.

Extrait N°7(min 49-50) 

  Téléchargez.

P-H. Gouyon lance deux appels pour améliorer cette médiascience : que la recherche sur la connaissance (et non la technologie) redevienne subventionnée par l’Etat, et qu’on arrête de maltraiter l’art du documentaire scientifique.

La fabrication du scoop et autre scénarisation de l’information scientifique

Un exemple à exploiter : le numéro 1123 de Science et Vie paru en avril 2011 et qui titrait : « La vie serait quantique ! » 

CorteX_SV_la_vie_serait_quantique

S&V n°1123, avril 2011 : « La vie serait quantique : les révélations des physiciens sur l’ADN, la photosynthèse, les enzymes… »

On retrouvera la version complète de cette analyse ici.

Création du scoop – effet impact 

Ici, un événement est proposé au lecteur. Pas à lui seulement d’ailleurs puisque le quidam qui passera devant l’affiche publicitaire du magazine sera lui aussi soumis à ce scoop : « la vie serait quantique ». On aura le temps de lire certainement le sous-titre qui parle de « révélations » et de « l’ADN », tout pour créer l’événement, événement au sens d’inattendu puisque l’on nous parle de révélations. Arrêtons-nous pour commencer sur ce terme qui figure à la une de la revue : qu’évoque-t-il exactement ? Plus précisément, comment est-il connoté ? Si sa définition (ce qu’il dénote) est aisée à trouver (porter à la connaissance une information inconnue), on s’aperçoit qu’il va également activer tout un champ lexical lié à ce qu’il connote, comme la révélation divine (Dieu communique la connaissance à l’Humain), la découverte miraculeuse d’une information dissimulée, ou bien encore une donnée nouvelle et qu’il a fallu extraire de haute lutte pour la porter aux oreilles du public.

Si en lisant ces lignes vous vous dîtes que c’est une interprétation personnelle et exagérée de ce terme, imaginez simplement dans quels contextes le mot révélation est habituellement utilisé. Affaire judiciaire : les révélations du présumé coupable. Contexte religieux : la révélation faite aux prophètes par le Tout Puissant. Ambiance Gala/Voici/Paris Match : les révélations sur les fréquentations de Johnny. Politique : la vérité sur le 11 septembre : les révélations des autorités américaines. Etc.

La connotation de ce mot est puissante et évoque sans qu’on s’en rende compte un fait caché, qui doit être porté à notre connaissance. On pourra ainsi parler d’effet impact pour ce terme avec un fort penchant pour le mystérieux et le sensationnel.

Mais l’effet impact le plus fort est sans doute celui du mot quantique. Pour exprimer ce que l’on peut ressentir en lisant ce terme – qui plus est accolé au mot « vie » – nous n’avons pas trouvé mieux que ce qu’écrivait notre ami Richard Monvoisin :

La mécanique quantique est actuellement la théorie scientifique qui crée le plus fort complexe d’infériorité intellectuelle. Il y a bien la Relativité, qui n’est pas mal non plus, tout comme la Théorie du Chaos, mais aucun autre terme ne conjugue autant science, mystère et complexité intellectuelle que le mot quantique.
Mécanique quantique. Il faut le dire dans un murmure, avec un air un peu mystérieux et les yeux plissés. En susurrant « méca-Q », comme les initiés, ou en l’écrivant MQ comme je le ferai dans la suite de cet article, on pense à Einstein, on pense aux Bogdanoff, on se dit qu’on pénètre là dans le temple de Delphes, dans la sacristie de la connaissance où tout est tellement obscur qu’il est difficile d’y distinguer un authentique prix Nobel de physique d’une paire de jumeaux russes médiatiques.
Au lycée, avant que je l’étudie pour de bon, le mot quantique était pour moi ce que le feu rouge des Humains est pour Louie, le roi des singes dans Mowgli : j’y voyais un pouvoir qu’il fallait acquérir à tout prix. J’avais envie de m’approcher, de pénétrer des connaissances interdites, mais avec cette peur de me brûler, de devenir fou, de savoir ce qu’il ne faut pas savoir, même d’approcher Dieu et de vérifier si effectivement il joue ou non aux dés.
Je n’avais pas du tout compris que je devais essentiellement cette fascination à un bon plan médiatique.

Quantoc : l’art d’accommoder le mot quantique à toutes les sauces. Richard Monvoisin, 2010

On peut toujours rétorquer que, bien entendu, si tout ceci est un peu exagéré dans la présentation, l’important est le sens de ce titre ! Eh oui, la vie serait quantique… que nous dit donc S&V sur ces « révélations » ?
La suite ici.

À plus tard pour de nouvelles aventures sur les rapports médias/science.

RM