L’effet Matilda ou l’invisibilisation des femmes de science

En pensée critique, on connaisait l’effet Mathieu 1 faisant référence à la moindre recognition (notamment en science) de ceux qui parte avec un capital de départ (matériel, social ou culturel) moins élévé. On doit à Margaret Rossiter, historienne des sciences états-unienne, une variante, l’effet Matilda, un clin d’oeil à la suffragiste, libre-penseuse, abolitionniste, Matilda J. Cage, une des premières à dénoncer l’absence des femmes dans les récits historiques et scientifiques.

Parmi les sans-droits et sans-noms des oubliettes de l’histoire des sciences, une écrasante majorité a en commun d’être de genre féminin. Les femmes scientifiques sont moins reconnues de leur vivant, notamment en raison de leur statut plus précaire et subordonné. 2 Leur contribution est aussi invisibilisée dans les récits scientifiques, par paresse – on s’attarde uniquement sur les figures, principalement masculines, déjà connues -, inertie ou biais sexiste.

Margaret W. Rossiter revient sur certaines de ces figures oubliées dans son article sur l’effet Matilda 3. Une des premières connues est Trota, une médecin de l’Italie du douzième siècle, qui documenta et traita, de manière inédite, des pathologies féminines. Son nom devint connu par l’action de son époux et de son fils, tous deux médecins également. Un moine, chargé de rédiger un traité sur la médecine au Moyen-Age, décida toutefois qu’une telle contribution ne pouvait être que le fait d’un homme et donna à son nom la forme latine masculine. Une erreur qui la fit passer, en tant qu’homme, à la prospérité. Il faudra attendre le vingtième siècle pour que cette erreur soit réctifiée par l’historien de la médecine allemand Karl Sudhoff, qui, au passage, dégrada sa qualification au rang d’assistante sage-femme, un statut qui retira toute mention à ses découvertes dans les ouvrages scientifiques postérieurs.

Trota – aussi appelée Trotula – représentée dans une gravure du quatorzième siècle.

Plus proche de nous, Frieda S. Robscheit-Robbins, doctoresse en médecine allemande experte du traitement de l’anémie, fut privée du Prix Nobel en 1934 au profit de son co-auteur. L’histoire retient par contre, sa « présence »et ses coiffes toujours élégantes 4. Si les femmes non- mariées sont d’office non reconnues, les travaux et découvertes des femmes mariées à d’autres scientifiques reviennent, quasi systématiquement, à leur conjoint, même dans les cas, nombreux, où leur contribution excède celle de leur partenaire masculin.

En qualifiant cette stratégie d’invisibilisation systématique, l’effet Matilda invite à accroître notre vigilance et à considérer, au moment de se pencher sur l’histoire des découvertes scientifiques, qu’il est fort probable que derrière chaque grand homme se cache non seulement une multitude de collaborateurs oubliés mais aussi un grand nombre de femmes.

Si vous faites partie de celles et ceux qui ont contribué à réparer cette injustice en effectuant des recherches sur des femmes scientifiques oubliées? Contactez nous !

Ajout dans Démasculiniser la langue française

Nous avons déjà abordé la thématique de l’écriture inclusive et des raisons morales et scientifiques qui devraient pousser à y recourir (voir ici). Dans son numéro de janvier/mars 2018, la revue Science & pseudo-sciences a publié un article de Brigitte Axelrad sur le sujet : « Êtes-vous prêt·e·s pour l’écriture « inclusive » ? ». Nous en avons fait une succincte analyse.

Bonjour,

Nous avons lu avec intérêt votre article du SPS n°323 Êtes-vous prêt·e·s pour l’écriture « inclusive » ? (1). Cependant, cela nous surprend de constater que cet article fait fi d’une grande partie des données empiriques disponibles dans la littérature. Il y a au moins quatre points à soulever.

Lire la suite ici.

De l'utilisation de Masters of sex en cours

Masters of Sex est une série télévisée américaine en 46 épisodes, parue fin 2013 d’après la biographie Masters of Sex: The Life and Times of William Masters and Virginia Johnson, the Couple Who Taught America How to Love de l’étasunien Thomas Maier, qui elle-même retrace l’histoire du duo William « Bill » Masters (1915-2001) et Virginia E. Johnson (1925-2013), qui ont documenté la sexualité humaine des années 1950 jusque dans les années 1990. Je me sers de la saison 1 dans certains cours de biologie, mais surtout dans un cours spécial intitulé « sexes, genres et autodéfense intellectuelle ». Comme les algorithmes d’une certaine plate-forme vidéo fonctionnent plein pot dans la défense du sacro-saint droit de propriété, je viens vous donner ici mon matériel patiemment prélevé avec le logiciel libre Avidemux. J’ai écrit aux propriétaires de cette série, par courtoisie et en argumentant de l’intérêt pédagogique de leur travail. J’espère qu’ils ne me demanderont pas de tout retirer. Bon usage enseignemental !

En prolégomènes, une petite excuse : les sous-titres ne sont pas de la meilleure qualité orthographique, mais je n’ai pas le temps de les refaire.

Pour commencer, je présume qu’il s’agit ici de l’épisode 2. Ici, Bill Masters se fait enguirlander par son supérieur pour les problématiques morales posées par ses études, qualifiées de pornographiques. C’est cocasse de rapporter ces considérations au fait que Masters était un républicain engagé, ainsi qu’un fervent protestant épiscopalien.

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Ici, Masters et Johnson reviennent à l’assaut, menaçant même de changer d’hôpital pour faire leur étude. Les plus averti.es repéreront un joli placement de produit pendant l’extrait !

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Dans l’épisode 3 de la saison 1, petit retour sur l’origine de la passion de Bill Masters, avec analyse d’un coït de lapin.

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On voit dans le même épisode une très intéressante séquence sur la contraception, et la gène de certaines patientes.

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Enfin, Masters et Johnson sont amené.es, pour échantillonner avec moins de tracas, de demander secours à des femmes dont le métier est prostituée, ce qui ne va pas sans soulever quelques particularités.

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Mais le mur de la norme va heurter de plein fouet le jeune gay qui s’est prêté à l’expérience.

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Nous voici dans l’épisode 4, où les scientifiques étudient la masturbation.

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Un détail doit être rendu explicite pour qui n’a pas regardé la série : l’un des protagonistes est un ex-petit ami de Virginia Johnson.

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Second passage de cet épisode : lorsque Johnson conclue que les femmes atteignent probablement mieux l’orgasme seule que par la pénétration vaginale d’un homme.

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L’épisode 8 est touchant car le directeur de Masters lui parle de son homosexualité, qu’il intègre lui-même comme déviante, et qu’il cherche à « corriger » par une thérapie de l’aversion – l’une des divers thérapies de conversion, prétendant avec un discours fortement teinté de fondamentalisme chrétien « ramener dans le droit chemin les homosexuel-les ». Ces théories, désormais unanimement dénoncées comme pseudoscientifiques, sont encore employées dans certains endroits du monde, notamment certains états US. En décembre 2016, une campagne intitulée 50 Bills 50 States Campaign a été portée par Samuel Brinton pour dénoncer ces pratiques d’un autre âge.

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Si d’aventure vous avez creusé les saisons suivantes, faites-le savoir !

Orgasmiquement vôtre, RM

Story-tellings et représentations historiques erronées

Il m’arrive (RM) fréquemment de donner à des étudiant.es des thèmes sur les représentations scientifiques erronées dans les fictions. L’Histoire étant une science, il est évident que certaines œuvres réécrivent des pans entiers de ce qu’il s’est concrètement passé. Il arrive que ces réécritures soient du fait du caractère parcellaire des informations disponibles ; mais il arrive aussi et surtout que ces récits narratifs, ces story-tellings, soient des manières de surfer sur les fantasmes et les représentations sociales sur une période. Au gré du temps, et au fil des demandes, j’étofferai le matériel disponible.

Far West américain

CorteX_Bon_brute_truandDébat historiographique pour évoquer les représentations de l’Ouest américain en France, dans La fabrique de l’histoire, sur France Culture, le 29 septembre 2016, co-animée par Victor Macé de Lépinay : du mythe du « bon sauvage » à la conquête de l’Ouest, de Fenimore Cooper à Buffalo Bill, nous cheminons sur les pas des voyageurs, géographes, historiens, écrivains et cinéastes qui ont imaginé un Far West pour Européens. Comment ont évolué les représentation de l’Ouest américain en France ? Quelle place a-t-on donné à l’idée de « frontière » dans notre vision de l’Amérique ? Avec Tangi Villerbu, maître de conférences à l’université de La Rochelle, Jacques Portes, professeur à l’université de Paris 8 Vincennes-Saint Denis et Mathilde Schneider, conservatrice au Musée franco-américain du Château de Blérancourt.

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Bushido japonais

CorteX_SamuraiLe bushido, littéralement « voie du guerrier », est le code des principes moraux que les samouraïs japonais étaient soi-disant tenus d’observer. Le doute m’avait été mis sur le sujet par Jean-Michel Abrassart dans l’émission ci-dessous, j’ai contacté et parcouru les travaux de Benesch et j’ai donné ce sujet à des étudiant.es intéressé.es. Leur travail est là.

L’émission n°351 de Scepticisme scientifique, croisée avec le podcast Anthrostory, aborde les thèmes suivants :

  • l’origine du Bushido.
  • Le livre Bushido: the soul of Japan, une référence pour beaucoup de pratiquants d’arts martiaux.
  • Le livre Hagakure, de Yamamoto Tsunetomo, autre référence.
  • Un court résumé de l’histoire des samouraïs qui nous aide à mieux comprendre les histoires qu’on nous raconte et leur réalité historique.
  • Un petit clin d’œil au film The last samouraï, sur son historicité et l’idéal qu’il semble défendre.
  • Un micro clin d’œil à la magnifique série Shogun, là aussi pour parler de son authenticité éventuelle.
  • Un autre éclairage sur le positionnement des samouraïs et de leur idéologie, et de savoir quel serait leur positionnement politique actuel.
  • Pourquoi  avoir besoin de croire en l’efficacité d’un art martial et pourquoi lui chercher une origine lointaine ?
  • Pourquoi la question de l’efficacité (et de l’origine de l’efficacité) d’un art martial est important dans sa pratique au jour le jour ?
  • En quoi une idée fantasmée des samouraïs a pu et peut encore aujourd’hui avoir de l’influence sur le Japon ?

Quelques sources :

  • Bushido, l’âme du Japon, par Inazo Nitobe
    Hagakure : Ecrits sur la voie du samouraï, de Yamamoto Tsunetomo
    Inventing the Way of the Samurai: Nationalism, Internationalism, and Bushido in Modern Japan, de Oleg Benesch, historien le plus pointu sur le sujet
    La série Shogun, de Jerry Lyndon (1980)
    Le film Le Dernier samouraï, d’Edward Zwick (2003) à voir pour le stéréotype

Gaulois français

J’ai créé un article spécifique assez complet .

Mayas

Un excellent travail a été proposé par Jonathan, de Anthrostory à cette page-ci.

Je rêve de la recopier ici, mais je préfère vous renvoyer vers son site.

Voici l’émission de radio qui en est tirée.

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Histoire de Paris / de France

Nous avons déjà élaboré des ressources critiques des relectures fantaisistes de Loran Deutsch. Guillaume Guidon a ainsi élaboré

Histoire – peut-on critiquer Loran Deutsch ?

Le métronome de Loran Deutsch, un exemple de pseudo-histoire

Alexis Corbière a quant à lui critiqué les représentations sur la Révolution Française relayées par les jeux vidéos (ici)

Enfin, nous avons reproduit avec l’amabilité de son anonyme auteur Retour sur l’Histoire – Robespierre sans masque

Les Arabes

An American Carol images, pictures, photos and wallpapersNous avions réalisé avec des doctorant.es des travaux sur le sujet

  •  avec Djaml Hadbi sur les stéréotypes sur les Arabes dans les films : les Arabes, souffre-douleurs du cinéma. C’est ici.
  •  avec Andréa Rando-Martin sur Aladdin, de Disney et ses archétypes sexistes et racistes. C’est là.

Les pirates

(à venir)

Les bandits

(à venir)

Louis Mandrin

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Louis Mandrin blessé par l’assaut des Dragons à Guenand en décembre 1754 © Getty / Keystone-France

Retour sur Louis Mandrin le « capitaine Belle humeur », célèbre en Dauphiné, et abordé ici dans l’émission Autant en emporte l’histoire, de Stéphanie Duncan du 15 janvier 2017.

Ce 26 mai 1755, depuis tôt le matin, 6000 personnes se sont amassées sur la place des Clercs à Valence. Des curieux sont montés sur les toits, dans les arbres, ou sur des gradins de fortune, loués 12 sols pour l’occasion. Au centre de la place, se dresse un grand échafaud de bois. C’est là que, dans quelques heures, sera exécuté Louis Mandrin, le célèbre contrebandier, celui qui depuis deux ans, sur les routes du Dauphiné, de la Franche-Comté et de la Bourgogne, nargue les fermiers généraux et l’armée du roi. Personne dans la foule ne l’a jamais vu, mais l’on dit que Belle Humeur (c’est son surnom) est beau de visage, blond de cheveux, bien fait de corps, l’esprit vif et d’une hardiesse à toute épreuve… On dit aussi qu’il ne quitte pas son grand chapeau bordé de fils d’or. Deux jours auparavant, la commission de Valence, véritable tribunal d’exception, a condamné à mort Mandrin, par le supplice de la roue, la plus grave des peines infamantes. C’est donc ici, devant la foule, que ce 26 mai 1755 va prendre fin la vie tumultueuse de Mandrin. Mais sa mort marque aussi le début d’une légende, toujours tenace aujourd’hui, celle du bandit au grand cœur qui prend aux puissances de l’argent pour redonner aux pauvres.

L’invité de Stéphanie Duncan est l’historien Benoît Garnot.

La fiction

Louis Mandrin, Capitaine Belle Humeur, une fiction de Christine Spianti.

Tarzan

(à venir)

Un ministre peut-il tomber enceinte ?* Dé-masculiniser la langue française, entrevue avec Pascal Gygax

Sans doute avez-vous déjà lu des textes où l’on évoquait des « enseignant-es », ou l’on parlait d’« ielle », et peut-être avez-vous été intrigué·e ou agacé·e par ces libertés grammaticales. Au CorteX, nous employons régulièrement de telles tournures, mais, faute de temps, nous n’avions jamais consacré un article à ce sujet. Nous tentons d’y remédier partiellement avec ce petit article, afin d’expliciter les enjeux et les alternatives possibles et surtout déconstruire quelques idées reçues auxquelles nous avons été confronté·e·s (ou auxquelles nous avons même pu souscrire). Pour cela, nous avons sollicité l’expertise de Pascal Gygax, chercheur en psycholinguistique à l’Université de Fribourg, qui a chaleureusement accepté de nous répondre.  Nous vous proposons ensuite quelques ressources documentaires. *Le titre « Un ministre peut-il tomber enceinte » est emprunté à l’excellent article de Markus Brauer1.

 

Entrevue

Bonjour Pascal Gygax, votre laboratoire travaille sur les représentations sociales véhiculées par le langage, et notamment par l’usage massif du genre masculin dans la grammaire française. Pouvez-vous expliquer quels types d’expériences vous mettez en place pour étudier cela ?

CorteX_Gygax2017De manière générale, nous nous intéressons surtout à l’ambiguïté de la forme grammaticale masculine – celle-ci ayant plusieurs sens possibles – , et la manière dont notre système cognitif résout cette ambiguïté. Nous avons utilisé des paradigmes de psycholinguistique expérimentale pour étudier ceci. De manière générale, nous nous intéressons à la manière dont une phrase comme « une des femmes portait un parapluie » est traitée lorsqu’elle suit une phrase comme : « Les musiciens sortirent de la cafétéria »1.

Illustration. L’équipe de Pascal Gygax a présenté à notamment 36 francophones des groupes de 2 phrases. Chaque première phrase introduisait un groupe de personne appelées par un nom de métier au pluriel (comme « Les musiciens sortirent de la cafétéria. » ou « Les assistants sociaux marchaient dans la gare. »). Les métiers étaient associés à des stéréotypes masculin, féminin, ou neutre. Chaque seconde phrase précisait qu’il y avait des (mais pas exclusivement) femmes ou hommes dans le groupe (par exemple, « Une des femmes portait un parapluie. » ou « Du beau temps était prévu, plusieurs femmes n’avaient pas de vestes. »). Les francophones devaient dire rapidement si la deuxième phrase était une suite possible ou non de la première. Les francophones répondaient plus souvent par l’affirmative lorsque des hommes figuraient dans la deuxième phrase, indépendamment des stéréotypes de la première phrase. En d’autres termes, les représentations des francophones étaient moins guidées par les stéréotypes que par les marques de genre au pluriel.

Quels sont les principaux résultats de la littérature sur le sujet ?

Nous avons montré (avec d’autres équipes également) que notre cerveau résout l’ambiguïté sémantique du masculin au dépend des femmes et au profit des hommes, systématiquement et indépendamment du contrôle que nous essayons parfois de mettre en place. Ceci veut simplement dire que le sens « masculin = homme » est toujours activé, et que ne pouvons pas empêcher cette activation, même si nous essayons d’activer consciemment les sens « masculin = mixte ou neutre »2.

Ilustration. Une équipe de recherche de Clermont-Ferrand3 a demandé à 101 personnes de répondre à une des deux questions suivantes : « Sans tenir compte de vos opinions politiques, citez tous les candidats de droite que vous verriez au poste de Premier ministre » (condition générique masculin) ou « Sans tenir compte de vos opinions politiques, citez tous les candidats/candidates de droite que vous verriez au poste de Premier ministre » (condition générique neutre). Les résultats, représentés ci-dessous, montrent que, toutes choses étant égales par ailleurs, les personnes citent plus de femmes lors de la deuxième condition.CorteX_brauer_candidates-candidats

Peut-on dire que le masculin neutre existe en langue française ?

De fait, un sens neutre peut exister (comme pour les termes épicènes4), mais ce sens ne peut pas être porté par le masculin. En effet, le fait de désigner un groupe de personnes par un mot ou un groupe de mots au masculin fait que l’on va plus souvent penser que des hommes constituent ce groupe.

Vous suggérez de ne pas utiliser de formules de ce type : «  Pour faciliter la lecture du document, le masculin générique est utilisé pour désigner les deux sexes ». Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Nous avons montré que le sens « masculin = homme » est activé de manière passive, non-consciente et incontrôlable. Nous appelons ceci un mécanisme de résonance. La mention dont vous parlez ne changera rien à cette activation5.

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Brochure délivrant des conseils pour de-masculiner son style à l’écrit

Que dites-vous aux personnes qui trouvent que dé-masculiniser la langue française, c’est alourdir un texte, le rendre presque illisible ? Cette question a-t-elle été étudiée de façon expérimentale?

Oui, un article a été publié en 2007 sur le sujet6. Celui-ci montre que nous nous habituons très vite à ces formes non-sexistes. J’ajouterais tout de même qu’une démarche linguistique de neutralisation – en formulant le texte sans forcément se référer à des individus en particulier (par exemple, « la direction estime que… ») allège souvent le texte. C’est ce que nous souhaitons transmettre au travers des ateliers d’écriture non-sexiste que nous organisons.

La grammaire et l’orthographe de la langue française ont-ils toujours été ainsi ?

Je ne suis pas historien du langage, mais une forme neutre existait en latin, et le masculin comme valeur par défaut s’est imposé pour des raison de patriarcat. On retrouve des écrits du XVIIème qui l’attestent7.

Illustration. Claude Favre de Vaugelas, grammairien et académicien, en 1647, dans Remarques sur la langue française. Utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire  : « La forme masculine a prépondérance sur le féminin parce que plus noble ».
Nicolas Beauzée, grammairien et académicien, en 1767, dans Grammaire générale : « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ».

Y a-t-il des langues qui, dans leur construction, ne privilégient jamais un genre au détriment de l’autre ?

Oui, le finnois, par exemple, n’a pas de marque grammaticale de genre. En danois, il existe des formes spécifiques, des formes neutres, et même des formes dites mixtes. La Suède adopte progressivement le nouveau pronom « hen », pour remplacer hon [elle] et han [il]. En allemand, on trouve de plus en plus de formes dites « nominalisées », qui sont neutres. Quelques linguistes proposent des formes semblables en français (par exemple, illes). Nous souhaitons par ailleurs tester ces nouvelles formes, mais manquons pour l’instant de ressources financières.

Lorsque l’on emploie des formules du type « les étudiantes et les étudiants », n’enferme-t-on pas finalement les individus dans deux sexes ou deux genres, alors que certaines personnes ne se retrouvent pas dans ces catégories ? Pourrait-on imaginer des alternatives ?

Oui, vous avez raison. À terme, ceci n’est pas une solution viable. Pour l’instant, cette formulation permet d’améliorer la visibilité des femmes dans la société, mais il active également une catégorie (le genre) qui est complètement aléatoire et non pertinente dans beaucoup de situations. Nous avons d’ailleurs dédié un chapitre sur ce sujet8.

Plutôt que de dé-masculiniser la langue française, pourrait-on envisager de la dégenrer ? Y a-t-il des personnes ou collectifs qui travaillent dans ce sens ?

Nous souhaitons commencer un projet sur ce sujet : apprendre à des participantes et participants de nouvelles formes, et tester leur représentations à la fin de l’apprentissage. Nous sommes relativement convaincu·es que les effets de nouvelles formes, plus inclusives de la diversité de genre (et de sexe), apporteront énormément à notre manière de percevoir le monde.

Si nous sommes sensibles à ces questions, quelles mesures simples pouvons-nous mettre en pratique au quotidien ?

Financer nos recherches… je plaisante (…à moitié). Je pense qu’un changement de représentations doit passer par deux démarches linguistiques possibles : la féminisation ou la neutralisation. La première permet surtout de renforcer la visibilité des femmes dans notre société (surtout si les femmes sont mentionnées en premier, comme dans « les musiciennes et les musiciens »), et la deuxième de diminuer l’activation de la catégorie « genre ». Cette dernière demande souvent un effort de reformulation, car elle nécessite un changement de lexique (en passant par des termes épicènes notamment) ainsi qu’un changement sémantique. Par exemple, lorsque nous souhaitons parler des migrantes et des migrants, nous pouvons utiliser les termes « la population migrante ». Le sens change quelque peu, mais est souvent parfaitement adapté au propos souhaité.

Merci beaucoup Pascal Gygax pour votre disponibilité et pour vos travaux !

Ressources

Vous souhaitez plutôt écouter Pascal Gygax ? Voici le fichier audio de son passage chez Radio télévision suisse en mars 2016.

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Nous vous recommandons également le visionnage d’Éliane Viennot à la Wikiconférence francophone d’août 2016. Cette professeure de littérature française de la Renaissance à l’Université de Saint-Étienne rappelle ici que la langue française traitait de manière quasi-égalitaire les sexes masculins et féminins, jusqu’à ce que des personnes clairement opposées à l’égalité entreprennent de la masculiniser.

Vous pouvez également lire Éliane Viennot, que nous n’avons pas encore lu, mais que nous allons dévorer.

CorteX_viennot_feminin-masculin CorteX_viennot_academie-francaise

À lire également, l’article d’Aurore Évain, « Histoire d’autrice, de l’époque latine à nos jours », Sêméion – Travaux de sémiologie, n°6, , qui revient sur la disparition de noms féminisés à la charnière des XVIIème et XVIIIème siècle. La forme « autrice », dérivée du latin auctrix, a par exemple été supprimée à la suite d’une longue querelle entre praticiens et grammairiens. Aurore Évain explique comment la réfutation de l’usage de ce mot s’appuie à l’époque non seulement sur des débats sur sa formation grammaticale, mais aussi sur la remise en cause de la légitimité même des femmes à écrire. 

Analyse d’un texte critique sur l’écriture inclusive

Dans la revue Science & pseudo-sciences n°323 de janvier/mars 2018, Brigitte Axelrad aborde ce sujet au travers d’un texte intitulé « Êtes-vous prêt·e·s pour l’écriture « inclusive » ? ». Nous avons rédigé le texte suivant à l’intention de la rédaction du journal :

Bonjour,

Nous avons lu avec intérêt votre article du SPS n°323 Êtes-vous prêt·e·s pour l’écriture « inclusive » ? (1). Cependant, cela nous surprend de constater que cet article fait fi d’une grande partie des données empiriques disponibles dans la littérature. Il y a au moins quatre points à soulever.

1) La question de la démasculinisation de la langue française n’est pas seulement une question d’ordre politique, pour moins « invibiliser les femmes » ou « faire progresser les mentalités et avancer l’égalité entre les hommes et les femmes ». Les enjeux sont aussi méthodologiques. Si nos formulations langagières impactent nos représentations, alors il faudra apporter une attention toute particulière par exemple aux formulations des questionnaires utilisés lors d’enquêtes. Il y a d’ailleurs des données empiriques qui soutiennent cette hypothèse. Une équipe de recherche de Clermont-Ferrand, par exemple, a demandé à 101 personnes de répondre à une des deux questions suivantes : « Sans tenir compte de vos opinions politiques, citez tous les candidats de droite que vous verriez au poste de Premier ministre » (condition générique masculin) ou « Sans tenir compte de vos opinions politiques, citez tous les candidats/candidates de droite que vous verriez au poste de Premier ministre » (condition générique neutre). Les résultats montrent que, toutes choses étant égales par ailleurs, les personnes citent plus de femmes lors de la deuxième condition (40 % contre 15 %) (2).

2) Comme il est évoqué succinctement dans une partie du texte, démasculiniser la langue française, ce n’est pas seulement adopter l’écriture inclusive par le point médian, mais surtout privilégier des formulations non genrées (dites épicènes : « les personnes » plutôt que « les hommes » ; le « corps enseignant » plutôt que « les enseignants »). Cela ne veut pas dire non plus que les genres ne sont jamais utilisés, dans les récits par exemple. Dans certains cas, il est tout à fait normal de vouloir individualiser son propos, et d’expliciter le genre de la personne (ou des personnes), à laquelle nous nous référons. Ainsi l’introduction de l’article : « Maître·sse Corbe·au·lle sur un arbre perché·e tenait en son bec un fromage. Maître·sse Renard·e par l’odeur alléché·e lui tint à peu près ce langage » ressemble plus à une caricature qu’à un exemple précis et illustratif de la façon de démasculiniser la langue française. Il y a probablement des façons plus rationnelles de démasculiniser la langue et de ne pas alourdir les textes. Des travaux expérimentaux sont d’ailleurs également menés sur le sujet (3).

3) Le paragraphe consacré aux influences des langues sur les modes de pensée s’abstient lui aussi d’en référer à des travaux empiriques et ne présente pas l’étendu du débat sur la question. Plusieurs articles y sont pourtant consacrés, publiés dans des revues à comité de lecture (4). En français et en ouvrage grand public, Claude Hagège, linguiste et titulaire par le passé au Collège de France d’une chaire de théorie linguistique, a également écrit sur le sujet (5), dans un sens différent. En Suisse, à l’université de Fribourg, Pascal Gygax et ses collègues travaillent spécifiquement sur ces questions et ont réalisé par exemple un état des lieux de la recherche francophone en psycholinguistique sur les représentations mentales du genre pendant la lecture (6), mais aussi dans une perspective plus internationale (7).

4) Enfin, le dernier paragraphe portant sur les déterminants de l’évolution des langues aurait lui aussi pu être confronté à la littérature historique sur le sujet. « Il semble bien que l’échec de l’écriture inclusive est assuré car, qu’elle soit écrite ou parlée, la langue n’évolue que selon ses propres lois et non par décret. » Éliane Viennot (8) et Aurore Evain (9), parmi d’autres, se sont précisément penchées sur la question des déterminants de l’évolution des langues relativement aux genres, au travers d’études historiques approfondies et passionnantes, et leurs conclusions ne sont pas aussi définitives. Par exemple, la règle concernant l’accord des adjectifs disant que le « masculin qui l’emporte sur le féminin », a été mise au point au XVIIème siècle. Avant, le plus souvent, l’accord se faisait avec le mot le plus proche (10). Il y a d’autre part des exemples de loi qui elles ont modifié les usages de la langue. L’ordonnance de Villers-Côtterets d’août 1539 entre autres choses statuait sur l’usage unique du français comme langue officielle du droit et de l’administration en France. La loi Haby du 11 juillet 1975 portait elle notamment sur l’usage des langues régionales à l’école. En outre, quand bien même l’affirmation sous-entendue jusqu’à aujourd’hui les langues n’ont jamais évolué sous le coup de l’intervention humaine serait vraie, elle ne pourrait servir que d’argument inductif pour soutenir qu’il ne pourra jamais en être autrement. Or on connaît la faiblesse des arguments inductifs. La dinde inductiviste de Bertrand Russel en a fait les frais (11). Tous les jours bien nourrie, elle acquiert la certitude qu’il en sera toujours ainsi. Jusqu’au jour de son exécution. Par conséquent, gardons-nous d’utiliser ce type d’argument « cela n’a jamais été ainsi donc cela ne pourra jamais être autrement. » pour prévoir l’impossibilité d’une transformation sociétale quelconque. Une brève présentation des travaux empiriques sur le sujet des représentations induites par l’usage d’une langue dé-masculinisée ou non, par le biais d’une entrevue avec Pascal Gygax, chercheur en psycholinguistique, est disponible sur cortecs.org (12).

Nous saluons l’initiative de SPS et de Brigitte Axelrad d’avoir traité de ce sujet passionnant et siège de débats depuis plusieurs siècles (10) et nous apprécierions de lire à nouveau un article consacré au sujet, agrémenté nous l’espérons de données plus factuelles.

Bien à vous, Nelly Darbois, Albin Guillaud, Richard Monvoisin, Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique & sciences.

(1) Brigitte Axelrad. Êtes-vous prêt·e·s pour l’écriture « inclusive » ? SPS n°323, janvier / mars 2018

(2) Markus Brauer. Un ministre peut-il tomber enceinte ? L’impact du générique masculin sur les représentations mentales. In: L’année psychologique. 2008 vol. 108, n°2. pp. 243-272.

(3) Pascal Gygax et Noelia Gesto (2007). Féminisation et lourdeur de texte. L’Année psychologique, 107, pp239-255.

(4) Gabriel U, Gygax P, Kuhn E. Neutralising linguistic sexism: Promising, but cumbersome?. In press in Group Processes & Intergroup Relations.

(5) Claude Hagège. Contre la pensée unique. Paris, Édile Jacob, 2012.

(6) Gygax P, Sarrasin O, Lévy A, Sato S, Gabriel U. La représentation mentale du genre pendant la lecture: état actuel de la recherche francophone en psycholinguistique. Journal of French Language Studies. FirstView Article. September 2013, pp 1 -­ 15.

(7) Sato S, Öttl A, Gabriel U, Gygax P. Assessing the impact of gender grammaticization on thought: A psychological and psycholinguistic perspective. In press in “Gender and Language. Current Perspectives” in Osnabruecker Beitraege zur Sprachtheorie (OBST).

(8) Éliane Viennot. L’Académie contre la langue française : le dossier « féminisation ». Editions iXe, coll. xx-y-z, 2016. 216 pages.

(9) Aurore Évain, « Histoire d’autrice, de l’époque latine à nos jours », Sêméion – Travaux de sémiologie, n°6, février 2008.

(10) Site internet d’Éliane Viennot http://www.elianeviennot.fr/Langue-accords.html

(11) Alan Chalmers, Qu’est-ce que la science ? : Popper, Kuhn, Lakatos, Feyerabend, Le Livre de Poche, Paris, 1987.

(12) Nelly Darbois et Pascal Gygax. Un ministre peut-il tomber enceinte ?* Dé-masculiniser la langue française, entrevue avec Pascal Gygax. cortecs.org. https://cortecs.org/materiel/un-ministre-peut-il-tomber-enceinte-de-masculiniser-la-langue-francaise-entrevue-avec-pascal-gygax/#note-1111409-7

J'apprends en m'amusant – Corrigé de dissection d'un discours politique de Klaar Monvegger

Voici l’analyse des biais du texte de Klaar Monvegger présenté ici. Nous (CE et RM) en avons repéré 62. N’hésitez pas à nous faire part de biais en plus.

Quel est le véritable sens caché de la polycrise ?

« Il n’aura échappé à personne que notre civilisation moderne va mal. Le monde occidental est, en effet, frappé de tous les symptômes de ce que de nombreux politistes renommés ont qualifié de polycrise organique. Car la crise qui touche notre monde est plurale. Crise identitaire tout d’abord, puisque, partout, la démocratie libérale est contestée par un obscurantisme moyenâgeux puisant sa source dans un intégrisme rigoriste et agressif – rappelons-nous de Bâmiyân 2001. Ces attaques de l’étranger se couplent à une véritable démission sur le plan de la Morale. Les jeunes déboussolés sombrent dans la délinquance ou s’orientent vers un avenir fait de télé-réalité ou de culture fast-food. Mais la crise est aussi économique et sociale : la fraude sociale est érigée en modèle alors que, on le sait bien, la réforme est rendue impossible par l’action conjuguée de corporations intouchables et d’un archaïsme latent. Alors ? Les loups bêleront-ils avec les brebis ? »

Klar Monvegger, L’abîme de la civilisation occidentale, coll. la vieille martre, Presses Universitaires de Champagne-Mouton, pp. 212-213.

Quel est le véritable sens caché de la polycrise ?

1 & 2 – Double Plurium interrogatum1 –  : la façon dont cette question est posée conduit à avaler deux « couleuvres », une prémisse, sans l’avoir négociée. En y répondant, on adhère à deux prémisses : 1) nous vivons une « polycrise » ; 2) dotée d’un sens caché.

3 – Carpaccio (scénario artificiel) du sens caché, de la révélation.

4 – Effet puits sur « polycrise » : terme aussi profond que creux (pas de définition claire, non-présence dans le dictionnaire ATLIF, seules quelques références chez E. Morin, M. Rocard, et quelques autres, semble-t-il depuis le début des années 2010). « Polycrise » n’aurait de sens qu’au travers d’une définition de crise, ce qui n’est pas le cas (cf. point 24).

Il n’aura échappé à personne

5 – Technique d’engluement : rhétorique ratissant large par appel au bon sens / à l’évidence. C’est une technique qui englue le public, qui ne peut de fait plus remettre en cause le propos tenu.

que notre civilisation moderne

6 – Technique d’engluement : « notre » inclusif artificiellement.

7 – Ciblage forcé de public : avec « notre », l’auteur présume que son lectorat appartient à la même civilisation que lui.

8 – Plurium affirmatum n°1 : « notre » civilisation (sous-entendue « occidentale ») est « une ». C’est un argument typiquement essentialiste (voir à ce sujet Guillemette Reviron, Biologie, essentialisme – Nature, écologisme, sexisme, racisme, spécisme).

9 – Effet paillasson : « moderne » a deux sens différents. Le premier est un sens historique et qualifie la période qui va de la Renaissance à la Révolution française (les XIXe et XXe siècles étant qualifiés de contemporains). Le second signifie : qui est soit de notre temps, soit d’un temps plus ou moins rapproché du nôtre, par opposition à antique, à ancien, et n’a donc par conséquent de sens que relatif.

10 & 11 – Plurium affirmatum n°2 : déclarer « notre » civilisation moderne. En outre c’est un propos qui relève de l’erreur historique classique dite d' »anachronisme psychologique« 2.

va mal.

12 & 13 – Effet paillasson sur « mal ». Soit il s’agit d’un jugement moral de type mal / bien – et nous sortons derechef de l’analyse scientifique -, soit il s’agit, ce qui est plus probable, d’un jugement sanitaire, ce qui nécessite une métaphore organique qui ne va pas de soi : la (notre !) civilisation ici comparée à un organisme vivant, habituellement en bonne santé mais souffrant désormais d’une pathologie.

Le monde occidental

14 – Pente savonneuse : « notre civilisation moderne » devient « le monde occidental », ce qui a au moins le mérite de préciser enfin de quelle civilisation on parle.

15 – Effet puits : le mot « occidental » est la notion-valise par excellence puisqu’elle inclut, en réalité, l’ensemble des pays judéo-chrétiens dotés d’une économie capitaliste de marché. 3

 est, en effet,

16 – Usurpation de connecteur logique. « En effet » est un connecteur (ou opérateur) logique causal, qui n’a pas d’autre utilité ici que de faire croire en la démonstration d’une thèse de toutes les façons fumeuse (notre civilisation va mal) par ce qui suit.

frappé

17 – Deus ex machina : le mot « frappé » instille l’idée d’une action divine, d’une fatalité.

de tous les symptômes

18 – Métaphore organique – voir point 13.

de ce que de nombreux politistes renommés

19 – Argumentum ad verecundiam : les « politistes » cités ici sont présentés comme des figures d’autorité, oublieux du fait qu’il est de bons et de médiocres politistes. Qu’ils soient en outre « renommés », célèbres, n’augure en rien de leur compétence.

20 – Argumentum ad populum : le fait que ces « politistes renommés » soient nombreux n’est en rien un argument.

ont qualifié de polycrise organique

21 – Effet puits sur « polycrise » – voir point 4.

22 – Métaphore organique.

Car

23 – Usurpation de connecteur logique. « Car » est un connecteur (ou opérateur) logique causal mal employé ici.

la crise

24 – Effet paillasson : le terme « crise », employé sans définition préalable, souffre de multiples acceptions et rend redondante la métaphore organique avec le mot « crise » en médecine (manifestation aiguë d’une maladie à l’échelon d’un individu ou d’une population). Pour information, voici une liste non exhaustive de sens du mot « crise » :

Crise :

  • politique
  • économique
  • monétaire
  • financière
  • systémique
  • monétaire
  • financière
  • dans les organisations
  • bancaire
  • du disque
  • pétrolière
  • de la presse quotidienne française
  • alimentaire
  • de natalité
  • d’extinction
  • de l’énergie
  • écologique
  • climatique
  • sanitaire
  • du logement

qui touche

25 – Deus ex machina.

notre monde est plurale.

26 – Technique d’engluement.

27 – Pente savonneuse, avec un « monde » considéré comme unique et homogène – cf. 14.

Crise identitaire tout d’abord, puisque, 

28 – Usurpation de connecteur logique. « Puisque » est un connecteur logique causal mal employé ici, car la contestation en question n’est pas une cause de crise identitaire (si tant est que ce syntagme ait un sens : voir plus loin).

29 – Effet puits, « crise identitaire » n’ayant pas de définition en sciences politiques, tant cela recouvre de réalités possibles : primo parce que le mot « crise » n’a pas de sens précis – cf. X -, secundo parce l' »identité » ou l' »identitaire » se réfère une culture. Dans ce cas, l’auteur postule donc une identité culturelle commune au monde « occidental », ce qui, au vu de l’étendue dudit monde, est pour le moins surprenant.

partout, la démocratie libérale

30 – Exagération abusive.

partout, la démocratie libérale

31 & 32 – Double effet paillasson :

  • sur le mot « démocratie », qui reçoit de multiples acceptions et une définition floue pour un concept qui est plutôt vectoriel (on « tend » vers un état de démocratie, par le peuple et pour le peuple : ainsi la démocratie athénienne est moins démocrate que la démocratie représentative, qui elle-même… etc.)
  • sur le mot « libéral » qui fait étymologiquement référence à des choses très diverses. Le libéralisme politique, qui promeut la fixation des limites des actions de l’État ; le libéralisme économique, qui défend l’idée que les libertés économiques sont nécessaires à un fonctionnement pérenne de l’économie et que l’intervention de l’État doit y être aussi limitée que possible. Ici, il est probable que l’auteur veuille signifier le social-libéralisme, c’est-à-dire le développement et l’épanouissement des êtres humains pris dans leur interaction sociale. Par conséquent il désigne un système dans lequel la démocratie représentative défend les droits des individus, et la liberté personnelle (aussi bien celle de pratiquer sa sexualité que celle d’accumuler sans limites des richesses). .

est contestée par un obscurantisme

33 – Effet puits – « obscurantisme » désigne dans le vocabulaire des héritiers des Lumières une attitude d’opposition à la diffusion du savoir, dans quelque domaine que ce soit.

Note : ce terme dérive d’une satire datée de 1515-1519 intitulée Epistolæ Obscurorum Virorum (Lettres d’hommes obscurs), centrée sur une dispute intellectuelle entre l’humaniste allemand Johann Reuchlin et des moines Dominicains dont Johannes Pfefferkorn portant sur l’obligation ou non de brûler ou non des livres Juifs, car non-Chrétiens.

moyenâgeux

34 – Argument d’historicité, ou argumentum ad antiquitatem.

35 – Misreprésentation historique : le Moyen-Âge, catégorie temporelle immense (1016 ans), n’a été obscur, ou obscurci, que pour mieux faire ressortir les fastes de la Renaissance. à en croire Miglio (2006) et Albrow (1997), le terme lui-même apparut pour la première fois en latin en 1469 comme media tempestas (« saison intermédiaire ») puis medium aevum (« moyen âge ») en 1604.

puisant sa source dans un intégrisme rigoriste et agressif

36 – Effet impact : l’intégrisme est un mot qui possède une forte connotation négative.

37 – Effet paillasson : le terme « intégrisme » désigne des courants traditionalistes prétendant représenter l’orthodoxie catholique, comme lors du schisme de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X de M. Lefebvre, en 1988. Par une analogie discutable et discutée, le terme désigne plus généralement toute attitude doctrinale de conservatisme intransigeant, en particulier le fondamentalisme musulman (qui est « fondamental » au sens où il revendique la religion de la période des quatre premiers califes.

38 – Pléonasme : « rigoriste » souligne un respect strict des règles de la religion ou de la morale. Or l’intégrisme (ainsi que le fondamentalisme, d’ailleurs) est rigoriste.

39 – Effet impact : « agressif » est un mot jouissant d’un sens péjoratif.

rappelons-nous de Bâmiyân 2001

40 – Argumentum ad verecundia, ou argument de respect– imposé par une référence probablement peu connue du lecteur, en tout cas sous cette forme. De fait, c’est une technique d’engluement par élitisme.

41 – Désyncrétisation historique : en ne rappelant qu’une date et un lieu, on gomme les racines profondes d’un phénomène social.

Pour rappel : en 2001, à Bâmiyân (Afghanistan), d’immenses statues bouddhistes furent décrétées idolâtres par Mohammed Omar puis dynamitées. Cet événement fut mobilisé dans les médias pour illustrer la « sauvagerie » et la « barbarie » du régime taliban.

Ces attaques de l’étranger

42 & 43 – Rhétorique de repoussoir et effet impact. L’auteur re-situe encore son propos : « étranger » est à mettre ici en opposition « au monde occidental », et les « attaques » sont bien sûr celle des « intégristes rigoristes et agressifs » qui sont responsables de « l’obscurantisme moyenâgeux ».

Pour rappel : c’est une version un peu caricaturée de la thèse (qu’on pourrait désigner comme pseudo-scientifique) du choc des civilisations de Samuel Huntington, défendue en 1993 (dans l’article The Clash of Civilizations, dans la revue Foreign Affairs) puis en 1996 (dans le livre The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order).

se couplent à une véritable démission sur le plan de la Morale.

44 – Effet paillasson : « Morale » est utilisée sans précision, avec un M majuscule.

45 – Glissement diabolisant : l' »intégrisme » est perçu comme démissionnaire sur le plan de la morale – ce qu’est absurde, puisque justement, toute la démarche est d’ancrer un code moral, justement, religieux. C’est une rhétorique efficace : l’ennemi n’a pas de morale, puisque ce n’est pas la nôtre.

Les jeunes déboussolés

46 – Métaphore oiseuse : la « M »orale ferait office de boussole, comme un sur-moi qui tournerait l’individu vers un Nord sans ambiguïté. Sans elle, les jeunes seraient perdus.

sombrent dans la délinquance

47 – Effet cigogne : est instillée une causalité entre intégrisme – perte de repères – délinquance.

48 – Effet paillasson : le mot « délinquance » a une définition juridique très problématique (voir ici).

49 – Métaphore sclérosante : on « sombrerait » dans la délinquance comme un corps dans l’océan. Par cette formule, on instille l’idée que potentiellement, une personne peut se débattre, s’en « sortir », alors que les processus de délinquance sont plus insidieux et englobants.

ou s’orientent vers un avenir fait de télé-réalité ou de culture fast-food.

 

50 – Effet puits : un avenir fait de télé-réalité ou de culture fast-food est faussement clair, faussement précis.

51 – Généralisation hâtive : tous les jeunes, « déboussolés », s’orientent vers un tel avenir.

Mais la crise est aussi économique et sociale :

52 – Effet paillasson sur le mot « crise ». Cf. biais 24.

53 – Amalgame entre « économique » et « social ». Notons que d’un point de vue philosophique, le premier devrait être assujetti au second.

la fraude sociale est érigée en modèle 

54 & 55- Technique du bouc émissaire et rhétorique « populiste » dilatoire : la fraude aux prestations sociales est couramment amplifiée, détournant du coup d’autres « trous » budgétaires plus importants, comme l’évasion fiscale, et incriminant facilement les « petites bourses » qui sont les principales bénéficiaires des prestations sociales.

alors que, on le sait bien,

56 – Technique d’engluement.

la réforme

57 – Effet puits : le terme « réforme » n’est pas défini précieusement (structurelles, économiques, … ?)

est rendue impossible par l’action conjuguée de corporations intouchables

58 – Effet cigogne : « par » introduit un lien causal non démontré.

59 – Rhétorique conspirationniste, rappelant les dénonciations de complots judéo-maçonniques.

et d’un archaïsme latent

60 – Effet puits : cela ne veut rien dire de précis – et c’est pourtant une cause de « l’action conjuguée »…

Alors ? Les loups bêleront-ils avec les brebis ?

 61 – Effet puits : cette question ne veut rien dire de précis, mais feint de le faire.

62 – Argumentum ad verecundiam : cette question n’est que de la poudre aux yeux, afin de se donner une certaine morgue faussement spirituelle.

Nous avons un peu coupé les cheveux en quatre ? L’auteur ne nous en voudra pas. CaCorteX_Klaar_Monveggerr est-il nécessaire de préciser l’imposture ? Klaar Monvegger est une hasardeuse chimère entre Clara Egger et Richard Monvoisin. L’abîme de la civilisation occidentale est un livre aussi captivant qu’inexistant, la collection la vieille martre une référence facile à une défunte maison d’édition, La vieille taupe, connue pour ses diffusions de textes négationnistes. Quant aux Presses Universitaires de Champagne-Mouton, elles sont en devenir probable, malgré le moins d’un millier d’habitants de ce village de Charente.

 Richard Monvoisin, Clara Egger

 

J'apprends en m'amusant : réponses au quiz de datation d'acquis sociaux

Voici les réponses au quiz de datation des acquis sociaux (voir le descriptif ici). Les questions portent toutes sur la France, sauf les questions 16 et 18.

  1. L’obtention d’un droit de vote pour la première fois pour les femmes
  2. L’octroi du droit de vote des femmes au suffrage universel
  3. La première nomination d’une femme à un poste ministériel
  4. L ‘inscription dans la loi du droit de grève
  5. L’inscription dans la loi du droit syndical
  6. L’abolition de l’esclavage
  7. La création obligatoire d’écoles de filles dans les communes de 800 habitants
  8. La suppression de l’incapacité juridique de la femme mariée
  9. L’autorisation, pour les femmes mariées, d’exercer une profession sans l’autorisation de leur mari
  10. La légalisation de la contraception
  11. L’institution du congé de maternité
  12. L’institution du congé de paternité
  13. L’autorisation de l’Interruption volontaire de grossesse (IVG)
  14. La reconnaissance du viol comme un crime
  15. L’instauration de la procédure d’éviction du conjoint violent
  16. L’exclusion de l’homosexualité des maladies mentales par l’Organisation mondiale de la santé
  17. Le dernier condamné à mort (qui fut d’ailleurs le dernier guillotiné dans le monde)
  18. L’octroi du droite de vote au femmes en Arabie Saoudite

1) Des femmes eurent pour la première fois le droit de vote en France lors des États généraux convoqués par Philippe le Bel en 1302. Elles furent convoquées jusqu’aux États généraux de 1789, date à laquelle furent contraintes de se faire représenter par un homme (noble ou clergé).

2) Les femmes obtinrent le droit de vote au suffrage universel direct en France le 21 avril 1944,  par le Comité français de la Libération nationale. Ce droit est confirmé par l’ordonnance du 5 octobre sous le Gouvernement provisoire de la République française, mais il n’est utilisé que le 29 avril 1945 pour les élections municipales, puis en octobre pour les élections à l’Assemblée constituante.

3) Le gouvernement du Front Populaire de 1936 nomma trois femmes (alors que ces dernières n’avaient pas le droit de vote, ce qui ne manque pas de faire sourire). Il s’agissait de Cécile Brunschvicg (Éducation nationale, tutelle de Jean Zay), Suzanne Lacore (chargée de la Protection de l’enfance, tutelle de Henri Sellier) et Irène Joliot-Curie (Recherche scientifique : elle démissionnera trois mois plus tard en désaccord avec la non-intervention en Espagne). Anecdote : si elles siégèrent, jamais elles ne prirent jamais la parole dans l’hémicycle du Palais Bourbon.

4) L’inscription dans la loi du droit de grève en France  date de la loi du 25 mai 1864 portée par le député Émile Ollivier (qui abroge la loi Le Chapelier de délit de coalition du 14 juin 1791).

5) Le droit syndical fit son entrée dans la loi avec la loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884.

6) L’abolition de l’esclavage a été proclamée une première fois en France pendant la Révolution, à l’initiative de l’abbé Henri Grégoire le 4 février 1794 (16 pluviose an II). Mais Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage par la loi du 20 mai 1802. Il faudra attendre ensuite le décret d’abolition de l’esclavage du 27 avril 1848 (et encore ! En Algérie par exemple, cette abolition ne fut pas effective, de même que dans les colonies postérieures à 1848.

7) La création obligatoire d’écoles de filles dans les communes de 800 habitants est rendue obligatoire par la loi Falloux du 15 mars 1850.

8) La suppression de l’incapacité juridique de la femme mariée prévue dans le code Napoléon (code qui considérait celle-ci comme mineure, entièrement sous la tutelle de ses parents, puis de son époux) date de 1938. L’époux conserve toutefois le droit d’imposer la résidence et l’autorité parentale sur les enfants.

9) L’autorisation pour les femmes mariées d’exercer une profession sans l’autorisation de leur mari date de 1965.

10) L’autorisation légale de la contraception date de la loi Lucien Neuwirth du 19 décembre 1967.

11) L’institution du congé de maternité de huit semaines, sans rupture de contrat de travail mais sans traitement date de la loi Fernand Engerand du 27 novembre 1909 (les institutrices conservent leur traitement en 1910).

12) l’institution du congé de paternité date de la loi du 4 décembre 2001. Le droit est effectif le 1er janvier 2002.

13) La loi Simone Veil du 17 janvier 1975 légalise l’Interruption volontaire de grossesse (au prix de violents débats, voir Reductio ad hitlerum – Simone Veil et l’IVG).

14) Depuis 1810, la loi définit le viol, mais c’est seulement en 1980 qu’il a acquis sa définition actuelle, désignant toute forme de pénétration non-consentie quelle qu’elle soit. Il fallut pour cela le procès très dur d’Aix-en-Provence en 1980, appelé « le procès du viol » (voir le documentaire du même nom ici).

15) La création d’une procédure d’éviction du conjoint violent date (seulement) du 26 mai 2004.

16) L’Organisation mondiale de la santé exclut l’homosexualité des maladies mentales en 1980.

17) Le dernier condamné à mort en France est Hamida Djandoubi, guillotiné le 10 septembre 1977.

18) En Arabie Saoudite, ni les femmes, ni les hommes ne disposent du droit de vote aux élections nationales (c’est une monarchie). Seuls les hommes peuvent voter aux municipales.

Ce quiz permet de montrer :

-qu’une mémoire des luttes qui permirent de les obtenir est à entretenir.

– que présenter seulement une date désyncrétise et gomme les processus, parfois longs, violents, qui présidèrent à ces acquis. Les droits des femmes sont par exemple un combat qui a au minimum deux siècles.

Clara Egger, Richard Monvoisin

J'apprends en m'amusant : quiz de datation d'acquis sociaux

Voici un quiz de datation utilisé en introduction du cours Histoire & pseudo-histoire, dans le cadre de l’enseignement Sciences et pseudosciences politiques de Clara Egger et Richard Monvoisin, à l’Institut d’études politiques de Grenoble (2014). Vous voulez jouer ?

Avec une marge d’erreur de cinq ans, pouvez-vous dater de quand datent les événements suivants en France (sauf questions 16 et 18) ?

  1. L’obtention d’un droit de vote pour la première fois pour les femmes
  2. L’octroi du droit de vote des femmes au suffrage universel
  3. La première nomination d’une femme à un poste ministériel
  4. L ‘inscription dans la loi du droit de grève
  5. L’inscription dans la loi du droit syndical
  6. L’abolition de l’esclavage
  7. La création obligatoire d’écoles de filles dans les communes de 800 habitants
  8. La suppression de l’incapacité juridique de la femme mariée
  9. L’autorisation, pour les femmes mariées, d’exercer une profession sans l’autorisation de leur mari
  10. La légalisation de la contraception
  11. L’institution du congé de maternité
  12. L’institution du congé de paternité
  13. L’autorisation de l’Interruption volontaire de grossesse (IVG)
  14. La reconnaissance du viol comme un crime
  15. L’instauration de la procédure d’éviction du conjoint violent
  16. L’exclusion de l’homosexualité des maladies mentales par l’Organisation mondiale de la santé
  17. Le dernier condamné à mort (qui fut d’ailleurs le dernier guillotiné dans le monde)
  18. L’octroi du droite de vote au femmes en Arabie Saoudite

Vous avez trouvé ? Les réponses ici.

Corrigé – Analyse du texte "Le panda est une création tout à fait étrange", de R. Meinnachbach

Analyse du texte « le panda est une création tout à fait étrange »
(Pour l’énoncé, voir ici).

« Le panda

Catégorie imprécise. Rappelons-nous que la notion d’espèce est une catégorie créée par le cerveau humain. En gardant cette catégorisation, il faut être précis : il y a deux grands genres de panda, les Ailuropodes et les Ailurides (de ailos, en grec : le chat). Ils sont tous les deux du sous-ordre des caniformes, mais les premiers appartiennent à la famille des ours, les Ursidés. Chez les Ailuropodes, il y a deux sous-espèces, le panda géant, Ailuropoda melanoleuca, auquel il est fait référence ici dans ce texte, et le panda de Qinling, Ailuropoda melanoleuca qinlingensis. Quant aux Ailurides, qui n’ont qu’un seul représentant vivant, le panda roux, ou panda fuligineux, Ailurus fulgens, ils sont de la famille des ratons-laveurs, les procyonides. Pour les embranchements phylogénétiques, voir plus loin.

est une création

Terme téléologique. « Création » implique un créateur, et instille l’idée d’une espèce créée telle quelle, ce qui nous ramène au fixisme.

 tout à fait étrange

Norme. Étrange par rapport à quelle norme ? Cette « étrangeté » relative fait le jeu de la lecture téléologique

 et inadaptée à son milieu

Erreur d’analyse évolutive. Aucune espèce n’est « inadaptée » à son « milieu » (sauf éventuellement lors d’un bouleversement colossal de celui-ci). Elles sont toutes au contraire fortement adaptées à leur niche. Le panda géant, avec ses spécificités, a justement une niche écologique « très sensible », au point qu’une simple variation de ladite niche peut le mettre en péril.

 : il ne sait manger que des feuilles de bambou, alors que son estomac est fait pour manger de la viande

Terme téléologique. Un organe n’est pas « fait pour » quelque-chose. Il n’est pas « fait », et pas « pour » (dans le but de). Il est le fruit d’un ensemble de caractéristiques héritées d’individus les ayant possédés et leur ayant conféré un avantage par rapport aux autres individus pandas. De ce fait, ces caractéristiques se sont propagées à toute la population car augmentant le succès reproducteur de leurs porteurs.

  ; cela ne lui donne que très peu d’énergie pour se déplacer ou même copuler. Certains disent que ce fossile vivant

Notion désuète et fausse. Un fossile vivant, ou espèce panchronique est une espèce actuelle présentant des ressemblances morphologiques avec des espèces éteintes, identifiées sous la forme de fossiles. Ces appellations, abandonnées, suggéraient, à tort, que ces espèces n’ont plus évolué depuis les temps fossilifères. Or l’apparente stabilité morphologique des espèces panchroniques ne concerne que la morphologie externe globale de ces groupes d’espèces, l’anatomie interne et a fortiori le patrimoine génétique de ces espèces varient et évoluent au cours du temps (cf. ouvrages de Lecointre et Le Guyader). En clair, comme l’écrit le Maître de conférences parisien Patrick Laurenti, un bon fossile vivant est un fossile mort 🙂

 est le chaînon manquant

Notion désuète et fausse. Le chaînon manquant, ou forme transitionnelle serait une espèce vivante ou fossile qui présenterait une mosaïque de caractères de deux autres espèces ou groupes d’espèces actuelles, laissant penser qu’il est une forme intermédiaire entre ces dernières, dans une logique de classification linéaire que l’on sait illusoire. Cette expression est à bannir, à l’instar de « chaînon manquant » ou « maillon », car l’identification d’une forme transitionnelle n’est possible qu’a posteriori et en négligeant l’aspect continu, buissonnant et non directement orienté du processus évolutif. En gros, on lit à rebours le processus, en un beau raisonnement panglossien. En outre, une forme transitionnelle entre espèces actuelles ne peut pas exister, au contraire d’ancêtres communs ou d’ « intermédiaires structuraux ».

 des ours

→ « chaînon manquant des ours »  ne veut rien dire : même si chaînon manquant avait du sens, il faudrait dire « entre les ours et …. quelque chose d’autre ».

Problème de filiation. Si on raisonne sur le panda roux, de récentes recherches en phylogénie moléculaire le situent dans un genre indépendant, les Ailures, de laquelle il serait la seule espèce encore vivante. Ce genre fait lui-même partie de la super-famille des Musteloidea qui inclut aussi les Mephitidae (mouffette) d’une part, les Procyonidae (raton laveur) et les Mustelidae (belette) d’autre part. Selon cette nouvelle classification, il n’appartient donc pas à la famille des Ursidae. Il serait plus proche des ratons-laveurs, en raison des grandes affinités du squelette, de la dentition, des organes génitaux et du pelage.

Si on raisonne vraiment sur les deux sous-espèces de pandas géants (Ailuropoda melanoleuca), alors effectivement il est classé dans la catégorie Ursidae, bien que longtemps considéré comme une sorte de « raton laveur aberrant ».

Précisons que Dwight Davis, de Chicago, a montré en 1964 que s’il y a une forte ressemblance entre les deux familles de panda, cela résulte davantage d’une évolution vers des fonctions semblables que d’une ascendance commune. Cela fut confirmé dans les années 80 par l’équipe de généticiens de Stephen J. O’Brien. Anecdote : le contre-argument contre le classement des pandas géants dans les Ursidés reposait sur le nombre de chromosomes : les ours possèdent 74 chromosomes et les grands pandas seulement 42, ce qui semblait contredire une étroite parenté. Mais on découvrit que les chromosomes plus courts de l’ours avaient fusionné, et formé les chromosomes moins nombreux et plus longs du panda géant. Remonter le buisson phylogénétique nous fait remonter dans le temps. On sait désormais que les familles de l’ours et du raton laveur se séparèrent sur l’arbre de l’évolution; il y a plus de 40 millions d’années, tandis que les pandas géants se différencièrent des ours il y a seulement 22 à 25 millions d’années.

 CorteX_Phylogenetique_panda

 , mais aucun fossile n’a jamais été découvert.

Erreur de raisonnement, et biais d’échantillonnage. Primo, nombre de fossiles n’ont pas été découvert ; secundo, un ancêtre commun à deux espèces peut avoir existé sans, hélas, se voir figé dans la roche ; tertio, fin 2012 ont été découverts deux jeux de dents fossiles d’un ancêtre commun entre l’ours et le panda géant… au nord de l’Espagne. Ce fossile, daté de 11,6 millions d’années, appartiendrait à un genre disparu, Kretzoiarctos beatrix, ou ours de Kretzoi, nommé ainsi en l’honneur du paléontologiste Miklos Kretzoi et de sa collègue Beatriz Azanza.

 Les évolutionnistes disent que sa seule stratégie

Terme téléologique. « Stratégie » impliquerait que l’acquisition d’un caractère se ferait par la volonté, la perspicacité ou le choix propre de l’espèce. Or primo il n’y a pas de « conscience » d’espèce. Secundo, il n’y a aucune part à la volonté des individus dans l’adaptation au milieu.

 fut de développer sa couleur pour mieux plaire à son partenaire sexuel,

Terme téléologique. « Pour » signifierait qu’il y a un but, séduire son partenaire. L’évolution se lit à rebours : ceux qui ont développé cette couleur ont été avantagé par rapport aux autres dans la compétition sexuelle.

 mais cette lecture est glaciale, comme l’est l’évolutionnisme

Double erreur épistémologique : primo, glacial s’interprète comme « froid, inhumain, immoral ». Or l’évolution n’est ni morale ni immorale, mais amorale, comme toutes les descriptions scientifiques. Secundo, le terme « évolutionnisme », avec son suffixe -isme, instille l’idée d’une école de pensée, ou une école de morale. On ne parle pas de gravitationnisme, ou de quanticisme, fort heureusement.

 qui est une sorte de religion ayant pour prophète Charles Darwin.

Métaphore de la religiosité de la science, très fréquente depuis Paul Feyerabend, et en vogue dans les courants relativistes. Or, quel que soit le sens que l’on donne au mot science la métaphore de la religion ne fonctionne pas vraiment : il n’y a pas de morale immanente, pas d’entité sur-naturelle, pas de rédemption, pas de texte sacré ni de prophète. Bien sûr, sous certains aspects, certains scientifiques ont prôné des courants à l’exclusion d’autres (ce qui n’était d’ailleurs pas du tout le cas de Darwin) mais on parlera plutôt de paradigmes, au sens de Kuhn. Et la notion de prophète (une personne qui tient, d’une inspiration que l’on croit être divine, la connaissance d’événements à venir et qui les annonce par ses paroles ou ses écrits) s’évapore.

 En regardant les caractéristiques du panda, il est impossible que cette créature

Terme téléologique. Même remarque que plus haut.

 soit le fruit du hasard,

Argument téléologique classique de l’Intelligent design dit « argument de l’impossibilité ».C’est un raisonnement panglossien. Notez que la théorie de l’évolution ne décrit pas l’apparition des espèces comme le fruit du hasard. C’est un mélange de hasard (comme par exemple les mutations) et de nécessité (contraintes du milieu). La rhétorique dont procède cette phrase relève de l’Homme de paille (argument du strawman).

 car s’il avait fallu évaluer la probabilité de son apparition par hasard, celle-ci aurait été immensément faible.

Raisonnement panglossien. Voir point précédent.

De même qu’une montre trouvée dans le désert ne s’explique pas par hasard et implique un horloger qui l’a fabriquée,

Argument téléologique classique de l’Intelligent design dit « Métaphore de l’horloger du Révérend William Paley ». Raisonnement panglossien.

de même

Analogie fausse entre la montre et le panda : le fait de comparer une production humaine à une espèce est injustifié, sauf à prendre ce qu’on veut montrer comme prémisse (ce qui deviendrait un raisonnement circulaire).

il est certain que, Dieu ou pas, une volonté immanente a créé cet être improbable.

Termes téléologiques. Création : terme téléologique, impliquant un créateur ; « être improbable » n’a pas de sens, car en soi tous les êtres sont improbables (mais possibles ! Avec des degrés de possibilité différents).

Défaut de rasoir d’Occam : postulat d’une volonté immanente, entité sans preuve ni nécessité pour expliquer le phénomène, donc surnuméraire.

Cela démontre

Erreur de démonstration : la métaphore (fausse qui plus est) ne démontre rien.

qu’il y a une essence, une nature de chaque espèce,

Biais d’essentialisme, ou de naturalisme : postuler une nature inaliénable de l’espèce. Cela nous ramène au fixisme primitif, propre aux créationnismes.

de même qu’il y a des natures délinquantes et d’autres non chez les Humains,

Biais d’essentialisme, ou de naturalisme : postuler une nature inaliénable des groupes sociaux (comme dans l’anthropologie du XIXe).

Effet paillasson : délinquant est un terme bien trop flou et composite

Effet cigogne + défaut de rasoir d’Occam : prêter à la « nature » d’un individu son caractère délinquant est coûteux sur le plan des connaissances. Rien ne permet de penser que la « délinquance » soit la nature de quelqu’un. Par contre on a maintes données sur le lien entre « délinquance » (hors délinquance en col blanc) et situation socio-économique. Cette seconde hypothèse est donc bien moins « coûteuse » selon le principe de parcimonie du rasoir d’Occam.

ainsi qu’une nature féminine et une nature masculine, comme le montre l’instinct guerrier chez les Hommes et l’instinct maternel chez les Femmes ».

Biais d’essentialisme, ou de naturalisme, variante sexiste

dichotomie entre deux sexes, là où il y a pourtant un continuum inter-sexe.

Effet cigogne + défaut de rasoir d’Occam. Prêt d’un instinct guerrier propre aux Hommes, d’un instinct maternel propre aux femmes, là où une explication socioéconomique des tâches est bien plus pertinente et étayée : la guerre est une activité politique, domaine réservé aux Hommes pendant longtemps ; la maternité une activité dévolue aux femmes. Sur ce point, il ne semble pas qu’il existe un instinct maternel dissociable du paternel, et qui ne soit pas le fruit d’un apprentissage très tôt chez la jeune fille, couplé à un temps accru passé avec les enfants, par la grossesse d’abord, par le partage des tâches ensuite.

R Meinnachbach, Für eine erfolgreiche intellektuellen Betrug in der Frage der panda, Oxbridge Ed. 1974, pp. 274-275

Canular. Version allemande de R. Monvoisin, Pour une imposture intellectuelle réussie sur la question du panda, livre qui n’existe pas. Oxbridge, contraction de Oxford et de Cambridge.


Cette correction est le fruit d’une étroite et glutineuse collaboration entre Richard Monvoisin et Julien Peccoud
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