Cet article (5/12) s’inscrit dans une série de douze articles sur la naturopathie rédigée avec la volonté de porter un regard détaillé et critique sur la discipline, et dont vous pourrez trouver le sommaire ici. Il ne s’agit pas de partir en quête d’une vérité absolue, mais d’alimenter des réflexions destinées à éviter de causer ou laisser perdurer des souffrances inutiles, de permettre à chacun.e de faire les meilleurs choix en termes de santé. Dans ce cinquième article, il s’agira d’explorer la relation ambiguë entre naturopathie et médecine…
Les naturopathes tentent d’imposer sur le devant de la scène un concept propre aux médecines alternatives et complémentaires (MAC) : la « médecine intégrative ». Il s’agit de valoriser une prétendue complémentarité des MAC avec la médecine, et de faciliter l’intégration pleine et entière de ces dernières dans le parcours de soin médical. Sont donc envisagées des collaborations étroites entre professionnel.les de santé et praticien.nes de MAC, en libéral mais aussi à l’hôpital.
Mais cette prétention de complémentarité peine à faire écho avec les discours des naturopathes sur la médecine… Comme évoqué précédemment, les naturopathes alimentent une méfiance démesurée envers les traitements médicamenteux (notamment les chimiothérapies, les anti-inflammatoires et les antidépresseurs), les vaccins et les chirurgies. En dehors des rares situations que les naturopathes considèrent relever de l’urgence vitale, le dénigrement de la médecine est constant.
On retrouve ce dénigrement distillé de manière plus ou moins subtile dans leurs prises de position publique (sites internets, blogs, vidéos en ligne, livres…), et de manière plus franche lorsque le contexte est plus privatif (de vive voix, en formation… ou en consultation). La tendance est à l’exagération des effets secondaires (quel naturopathe ne dénonce pas la iatrogénie1 tout en passant sous silence la toxicité des compléments alimentaires qu’iel recommande à tour de bras ?…), à la minimisation des effets bénéfiques des traitements, voire à l’affirmation de leur inutilité. En lien avec le causalisme affiché de la naturopathie, les naturopathes se dressent en opposition à la médecine, dont iels affirment qu’elles ne traiterait que les symptômes, voire qu’elle rendrait malades les patient.es.
Cette posture ambiguë vis à vis de la médecine (volonté de partenariat / dénigrement systématique) se remarque également dans les références que les naturopathes font aux médecins. En effet, on remarque que dans leurs publications, conférences, ouvrages ou formations, de nombreux.ses médecins servent de références. Mais toustes ne sont pas logé.es à la même enseigne…
Lorsque des médecins sont évoqués dans un contexte naturopathique, c’est rarement en dehors de l’un des quatre cas suivants :
- En premier lieu, les médecins de l’antiquité, qui sont mentionnés pour être glorifiés dans leur approche « naturelle » et « traditionnelle » de la santé. Pythagore et Hippocrate notamment.
- Des médecins plus récents sont souvent pris en exemple : des médecins dont les travaux et hypothèses alimentent une vision de la santé compatible avec la naturopathie. Et ce, même si la preuve de l’invalidité de ces travaux et hypothèses a été apportée, parfois même de leur vivant. Je pense par exemple à Samuel Hahnemann, inventeur de l’homéopathie2, Antoine Béchamp et sa théorie des microzymas3, Pierre Delbet et Auguste Neveu sur le chlorure de magnésium et ses prétendues vertus curatives4, Jean Seignalet et son régime hypotoxique5, Catherine Kousmine et sa médecine orthomoléculaire6, Mirko Beljanski (qui est lui docteur en biologie, pas en médecine) et ses remèdes miraculeux contre le cancer et le Sida7, Edward Bach et ses élixirs floraux8 et de nombreux autres médecins dans cette lignée. Les naturopathes se prévalent de ces méthodes ou théories aux apparences scientifiques, en se reposant sur l’argument d’autorité9 que constitue le titre de médecin de leurs auteurices. Mais étonnamment, les naturopathes ne s’encombrent pas du fait que les chercheur.ses attaché.es à la rigueur scientifique considèrent par contre que ces méthodes ou théories n’ont strictement aucune validité. Dans cette même logique, les naturopathes se prévalent des paroles de médecins contemporains qui se sont distingués pendant la pandémie de Covid19 par leur interprétation très libre des publications scientifiques, leurs discours sans fondement et leur méthodologie frauduleuse…
- Le troisième contexte dans lequel les naturopathes font référence à des médecins, c’est pour en travestir les travaux et les paroles, afin de servir une vision de la santé compatible avec la naturopathie. Vision que ces médecins dénonceraient sûrement haut et fort s’ils étaient encore en vie. Car on leur invente parfois des citations, et on fait dire à leur travaux… le contraire de ce qu’il en ressort en réalité. Le plus célèbre d’entre eux est Claude Bernard, médecin du 19ème siècle qui a permis d’énormes avancées dans la science expérimentale, et à qui la naturopathie emprunte la notion de « milieu intérieur »10 pour calquer dessus sa notion de « terrain »11, et utilise à tort et à travers la notion d’ « homéostasie » qu’il a développée.
- Et enfin, certains médecins sont cités pour être critiqués sans argumentation valable, car leurs travaux sont perçus comme nuisibles à la santé : le meilleur exemple en est Louis Pasteur et son implication dans l’essor de la vaccination, perçue par les naturopathes comme une pratique néfaste.
Si je résume un peu, les médecins cités par les naturopathes le sont principalement dans quatre contextes différents : pour mettre en avant une vision de la santé qui prévalait il y a plus de 2000 ans, pour valoriser des pratiques de santé et des théories qui sont la risée de la communauté scientifique, pour travestir les travaux de médecins célèbres, ou bien encore pour être critiqué.es sans fondement.
Un autre aspect de la médecine très souvent critiqué par les naturopathes, c’est le poids des intérêts économiques des laboratoires pharmaceutiques et de l’industrie agro-alimentaire dans les divers aspects du monde médical : formation des médecins, influence exercée sur la recherche, lobbying auprès des médecins en exercice, conflits d’intérêts entre l’industrie et le milieu médical, lobbying auprès des décideurs politiques, influence sur la tarification des médicaments et actes médicaux…
Et pour le coup, je ne peux pas leur donner tort à ce sujet. Sauf que… cette critique est rarement formulée de manière rationnelle, comme elle l’est par exemple par l’association Formindep pour ce qui concerne les laboratoires pharmaceutiques, et par les auteurs de l’ouvrage « Des lobbys au menu »12 pour ce qui concerne l’industrie agro-alimentaire. Les exagérations des naturopathes en la matière contribuent à un sentiment de défiance généralisée vis à vis de la médecine et à éloigner plus encore des chances de guérison (ou de prévention) offertes par la médecine.
D’ailleurs, puisque les naturopathes sont particulièrement enclin.es à dénoncer l’influence des laboratoires sur la médecine, on pourrait légitimement penser que leur indépendance vis à vis des laboratoires « naturels » est assurée de manière exemplaire. He bien non, pas du tout… Ce serait même plutôt l’inverse, car les naturopathes n’ont pas l’obligation de déclarer d’éventuels conflits d’intérêt, contrairement aux professionnel.les de santé, qui doivent les déclarer publiquement depuis 2013 (voir le site Transparence Santé). Pourtant, les conflits d’intérêts sont légion13 : les représentant.es de laboratoires qui sont également chargé.es de cours dans des écoles de naturopathie, les écoles qui louent leurs locaux aux laboratoires, les associations professionnelles de naturopathes qui nouent des dizaines de partenariats avec des laboratoires, les sollicitations incessantes des naturopathes en exercice par des laboratoires, les visiteur.euses de laboratoires qui viennent promouvoir leurs produits auprès des naturopathes, les nombreux avantages concédés aux naturopathes par les laboratoires (produits offerts ou remises sur les produits, formations et repas offert.es, remise de supports d’aide à la prescription, commissions sur les produits vendus…). Et nous ne parlons pas là de petites sociétés coopératives locales anticapitalistes amoureuses de la Nature. Nous parlons d’entreprises à but lucratif dont la rentabilité n’a rien à envier à celles des laboratoires pharmaceutiques. Mais étonnamment, rares sont les naturopathes à s’indigner de l’ingérence des laboratoires dans leur discipline…