Quand les sciences sociales s’intéressent aux coutumes bizarres

Les récits historiques et archives – ou, du moins, celles qui nous parviennent – regorgent d’exemples de pratiques bizarres ou franchement barbares. Prenons, par exemple, l’exemple de l’ordalie ou jugement de Dieu pratiquée en Europe durant le Moyen-Âge. Elle consiste à soumettre un suspect à une épreuve douloureuse et potentiellement mortelle dont l’issue, déterminée par Dieu lui-même, décidait de l’innocence ou de la culpabilité du suspect. L’ouvrage What the Fuck?! L’économie en absurdie de Leeson (2018) nous donne des outils pour décrypter ces usages.

Rien d’étonnant à ce que, en se plongeant, dans le passé, le récit de pratiques comme la vente aux enchères publique de femmes mariées pratiquées en Angleterre entre la fin du 18ème et du 19ème siècle suscite la réprobation et l’indignation. Cette réaction est même, à de maints égards, salutaire, et alimentée par la représentation médiatique et cinématographique du passé lointain. Le Moyen-Âge y est volontiers présenté comme une période obscure, où régnaient la pauvreté, la crédulité et la barbarie.

Vente aux enchères de femme mariée (1812-1814), Thomas Rowlandson

L’objectif de ce livre est de prendre le contrepied de cette réaction pour pousser le lecteur à se questionner sur ce qui conduit les personnes à adopter et à se prêter à de telles pratiques. Face à cette question, deux stratégies sont possibles. La première consiste à juger ces pratiques comme relevant de l’irrationnel et de l’exotique. De nombreuses pratiques archaïques ont, d’ailleurs, donné lieu à des descriptions denses mettant en avant leur caractère révolu et unique sur le plan de l’histoire de l’humanité 1. La second stratégie consiste à retracer, dans le passé, les facteurs qui expliquent la création, le maintien et la disparation de tels usages et qui pousseraient tout un chacun, placé dans les mêmes circonstances, à se prêter aux mêmes bizarreries.  A l’exotisme s’oppose donc la pensée analytique, basée sur une théorie du comportement humain, valable au-delà des circonstances historiques et géographiques.

Outil d’analyse et méthode employée

La grille d’analyse que choisit l’auteur de l’ouvrage est celle de la théorie du choix rationnel. Cette théorie repose sur un postulat et un outil :  

  • Postulat : Les individus sont rationnels dans un sens très précis : ils disposent de préférences qu’ils s’efforcent de poursuivre de la façon la plus efficiente possible (selon un calcul coût/ bénéfice) dans la limite de l’information dont ils disposent (et de leur capacité à la traiter)
  • Outil : Les calculs coût/ bénéfices des individus dépendent des contraintes et des « coups de pouce » (les incitations) auxquels ces derniers sont soumis. Ces incitations sont de divers types : institutions politiques, droit,… Si la rationalité (au sens défini plus haut) ne varie pas à travers les âges et les lieux, les incitations, elles, varient.

L’hypothèse est donc la suivante : une fois ces incitations décryptées, des pratiques étranges révèlent leur logique. Attention, il ne s’agit pas ici de justifier de telles pratiques mais de les analyser de la façon la plus rigoureuse possible.   L’intérêt de cette approche est de permettre de considérer l’irrationalité ou la folie de nos ancêtres comme l’hypothèse la plus coûteuse. Avant d’y recourir, autant épuiser des explications considérant que les personnes hier et aujourd’hui développent des stratégies ingénieuses pour régler les problèmes ils sont confrontés. Armés de cette grille analytique, la lectrice et le lecteur peut débuter son tour de l’absurde – le livre étant rédigé comme une visite commentée, où les analyses sont rythmées par les questions et réactions du public 2. La méthode employée est celle du récit analytique : la pratique ancienne est décryptée ainsi que le contexte idéologique, juridique et politique dans lequel elle s’insère (les fameuses incitations). L’auteur démontre ensuite comment les incitations expliquent l’existence de pratiques bizarres, et comment un changement dans ces incitations produit une disparition graduelle de la croyance ou sa persistance sous de nouvelles formes. L’analyse est fouillée sur la base de documents historiques, présentés en note. Pour les plus experts, une annexe modélise la pratique étudiée sur la base d’équations mathématiques.

L’exemple de l’ordalie

L’ordalie par le feu

Reprenons l’exemple de l’ordalie pour illustrer le propos. Quelques faits de base d’abord. Ce type de jugement a perduré entre le 9ème et le 13ème siècle en Europe. Deux types furent particulièrement courant. L’ordalie par le feu commandait de faire plonger la main du suspect dans de l’eau bouillante ou la faire brûler par du fer chaud (iudicium aquae fervantis and iudicium ferri). Si le suspect n’était pas blessé, un miracle avait démontré son innocence. L’ordalie par l’eau froide consistait en jeter à l’eau le suspect (probatio per aquam frigidam). Si le malheureux flottait, il était reconnu coupable. Ce jugement était très encadré (on ne rigole pas avec l’invocation de Dieu) et était réservé aux crimes les plus graves (selon les normes de l’époque) et aux cas où la vérité ne pouvait être connue par d’autres moyens (témoignage confondant ou aveux) (p.10).

Face à cette pratique, quelles sont les possibilités d’un suspect ? Précisons d’emblée qu’au Moyen-Âge la croyance en Dieu était très répandue et l’influence de l’Église très forte. Elle transparait d’ailleurs tout au long du livre. S’il est coupable, le suspect a fortement intérêt à avouer tout de suite, accepter la sentence et éviter une souffrance supplémentaire et inutile. S’il est innocent, le choix est plus difficile mais, comme l’individu a, en plus, de fortes chances de croire en Dieu, il peut tenter l’ordalie en espérant échapper à une sanction terrible et injuste.

Étrangement, les prêtres semblent parfaitement informés de ce raisonnement chez le suspect. En effet, les archives sur l’ordalie concluent au miracle dans la majorité des cas (entre 62,5% et 89 %). En reprenant les récits de jugement par le feu, l’auteur montre qu’un temps très long s’écoule entre le chauffage de l’eau ou du fer et le châtiment. La cérémonie est complexe et laissée à la totale discrétion du prêtre. Cela laisse largement la possibilité au fer et à l’eau de refroidir. Dans le cas de la mise à l’eau, les archives suggèrent que les prêtres sélectionnent les personnes les plus susceptibles de couler pour ce châtiment (les hommes lourds).

Aujourd’hui, avec l’ADN, les empreintes et autres avancées scientifiques, nous avons moins besoin de manipuler les suspects de la sorte. De plus, dans les sociétés connaissant un déclin des croyances religieuses, le jugement de Dieu n’est guère une manière de distinguer les coupables et les innocents. Cependant, nous pratiquons aussi nos « ordalies » à nous. L’auteur montre ainsi qu’aux États-Unis, la croyance en la toute-puissance de la technologie est plus développée que celle dans les croyances religieuses. Le système judiciaire y pratique donc le recours « détecteur de mensonge », une invention maison. Officiellement, il s’agit d’une technologie de pointe permettant de savoir si le suspect ment sur la base de manifestations physiologiques. En réalité, l’instrument si peu fiable qu’il ne sert quasiment à rien. Enfin, si : il sert à évaluer la motivation du suspect à se soumettre à une telle épreuve. S’il y va sans crainte, tel jadis un innocent face à l’eau bouillante, alors les enquêteurs pourront écarter la piste.

Cet ouvrage mérite sa place dans la bibliothèque de tout penseur critique et enseignant en pensée critique. Il invite à se méfier de notre tendance à considérer les pratiques passées comme exotiques et montre que les sciences sociales disposent d’outils pour analyser des institutions juridiques bizarres. Le raisonnement pourra être appliqué avec profit aux institutions actuelles. C’est aussi une mine d’or pour enseigner la pensée critique dans le supérieur ou, pourquoi pas, avec des lycéens sur la base d’exemples particulièrement bien choisis.


Esprit critique et vaccination obligatoire : une séquence pédagogique au lycée Langevin

Johanna et Guillaume Tonussi sont tous les deux enseignants en Sciences de la Vie et de la Terre au lycée Langevin de Martigues (13). A la rentrée 2017, ils ont décidé de travailler avec leurs élèves de première et Terminale S sur un sujet controversé et d’actualité : l’obligation vaccinale portée à 11 vaccins. L’objectif est double : à la fois décortiquer les différentes étapes que traverse chaque individu pour arriver à se forger son propre avis sur une question vive relative à des connaissances scientifiques mais également faire ressortir les méthodes permettant la compréhension critique des informations. Ce travail a été conduit toute l’année, dans le cadre de l’Enseignement Moral et Civique, avec l’intervention du professeur de philosophie. Johanna et Guillaume ont accepté de partager leur bilan (document à télécharger ici) qui explique toutes les étapes de la séquence, les documents utilisés, des exemples de productions des élèves ainsi qu’une grille d’évaluation. Merci et bravo à eux pour ce travail de qualité !

Le document complet est à récupérer ici, voici néanmoins la présentation de la séquence pédagogique :

Présentation et objectif

Le but de cette séquence est de décortiquer les différentes étapes que traverse chaque individu pour arriver à se forger son propre avis sur une question vive relative à des connaissances scientifiques. Il s’agit de faire ressortir les méthodes permettant la compréhension critique des informations. La problématique étudiée ici est « Doit–on rendre obligatoire 11 vaccins ? ». Il est à noter que tout autre question vive relative à des connaissances scientifiques (Questions vives à propos du glyphosate, des boues rouges de Cassis, des droits des animaux…) peuvent être traitées selon la même méthode didactique)

Niveau

1ère S ou Terminale S. La séquence peut en effet être traitée sur ces deux niveaux pendant les heures d’enseignement moral et civique car les programmes s’y prêtent.

Dispositif

Cette séquence intervient dans le cadre de l’Enseignement Moral et Civique : 1 heure quinzaine en demi-groupe sur la moitié de l’année.

Lien avec les programmes

  • Classe de Première :

Spécificité et rôle des différents médias et éléments de méthode permettant la compréhension critique des informations dont ils sont porteurs et des réactions qu’ils suscitent (commentaires interactifs, blogs, tweets…).

  • Classe de Terminale :

Les problèmes bioéthiques contemporains

A noter : l’avantage de traiter la question vive « Doit-on rendre 11 vaccins obligatoires ? » en EMC en classe de Terminale scientifique est qu’une partie du programme de SVT porte sur l’immunologie et la vaccination. Ainsi les élèves abordent la vaccination selon deux aspects : en cours de SVT sous l’angle scientifique et en EMC d’un point de vue social, économique, politique et éthique.

  • Pour les deux niveaux, article de la charte de la laïcité travaillé :

Article 6 ‐ La laïcité de l’École offre aux élèves les conditions pour forger leur personnalité, exercer leur libre arbitre et faire l’apprentissage de la citoyenneté. Elle les protège de tout prosélytisme et de toute pression qui les empêcheraient de faire leurs propres choix.

Disciplines concernées

SVT et Philosophie

Le professeur de SVT anime les séquences d’EMC. Le professeur de philosophie intervient en appui du professeur de SVT sur certaines séances. Il est à noter que tout autre professeur de discipline différente (pas forcément en SVT) peut intervenir du moment qu’il est compétent sur le sujet. Il serait intéressant de travailler avec un professeur de SES par exemple sur les questions économiques relatives aux vaccins.

Atelier Esprit critique et autodéfense intellectuelle en 2nde

Nathalie Laot-Godebert enseigne les SVT au lycée Langevin de Martigues. Dans le cadre de l’Accompagnement Personnalisé (AP), elle a fait travailler ses élèves de seconde sur la thématique « Esprit critique et autodéfense intellectuelle ». Comme beaucoup de collègues, elle a décidé de partager son travail, en présentant la manière dont elle a organisé ses séances, leur contenu, ce qui a marché et ce qui a été plus difficile. Merci à Nathalie et bravo pour tout cela, c’était la première fois qu’elle se lançait dans ce type d’enseignement et nous avons tenté de l’épauler au mieux dans cette aventure !

 

Objectifs

Donner les outils scientifiques pour se faire une opinion éclairée face à une information ou un phénomène qui sort de l’ordinaire au travers de l’étude des médecines dites « alternatives ». Plusieurs raisons m’ont poussé à travailler sur cette thématique :

  • Au niveau scientifique : savoir construire un protocole expérimental avec tous les outils nécessaires, douter de son opinion pour en tester la véracité, éventuellement changer d’avis pour une opinion plus juste.
  • Au niveau sociétal : un grand nombre de personnes se tournent vers « l’alternatif » (consommer autrement, voyager autrement, donner se rapprocher de l’essentiel, du « naturel »…), le domaine de la santé n’est pas épargné : on cherche à se « soigner autrement ». C’est un sujet a priori proche des élèves.
  • Au niveau affectif : le choix d’une approche thérapeutique est très personnel, lié à notre vécu et à notre conception de ce qu’est bien vivre et bien s’entretenir : or, plus l’adhésion à une pratique donnée est ancienne, plus sa remise en question semble difficile. Ce sujet illustre donc bien l’escalade d’engagement décrite en psychologie sociale et qui permet de pointer et décrire certains biais cognitifs pour les élèves.

Compétences travaillées

  • Reconnaître les biais de raisonnement qui peuvent venir fausser notre jugement.
  • Utiliser les méthodes permettant de construire de la connaissance fiable.
  • Sensibiliser aux mécanismes de rumeur dans les médias et sur le net et à la recherche de sources.
  • Appliquer les outils méthodologiques et expérimentaux.

Public

24 élèves de seconde, toutes classes confondues. Une semaine avant le début du projet, chaque élève devait indiquer parmi une liste de toutes les thématiques proposées par les enseignants d’AP, quatre thématiques par ordre de préférence (de 1 à 4 avec en 1 la thématique la plus souhaitée). Sur les 24 élèves, la majorité avait choisi le thème « Esprit critique et autodéfense intellectuelle » en choix 2 ou 3.

Organisation

Les séquences se sont déroulées sur des créneaux de 2h. En tout, j’ai pu effectuer six séances.

Séance 1

Présentation de la zététique, de ses divers champs d’investigations. Bases épistémologiques et différents biais de raisonnements. Notamment :

  • Partir sur des faits : en l’absence de faits, ne pas entrer dans la théorisation.
  • Bien cerner l’hypothèse à tester et prendre des mesures non ambiguës (un sourcier est capable de trouver de l’eau à partir de 2 mètres de profondeur et non pas entre 0 et x mètres, quelle quantité d’eau, etc.).
  • On ne teste qu’un seul paramètre à la fois.
  • Faire un échantillonnage sans biais de validation subjective (exemple du rêve prémonitoire, il faut un critère temporel qui permet de dire que c’est prémonitoire ; la personne doit avoir fait le rêve deux ou trois jours avant l’événement (à fixer) et non pas 1000 jours avant).
  • Le principe du double aveugle.
  • Éviter les pièges des probabilités et statistiques (par exemple le paradoxe des anniversaires).

Récupérer le diaporama utilisé : ici

Points positifs : Les élèves apprécient les supports visuels qu’ils ont l’habitude de manipuler : vidéos youtube, blogs, articles chocs diffusés sur les réseaux sociaux. L’expérience réalisée avec Dave Guillame (https://www.youtube.com/watch?v=F7pYHN9iC9I) leur a permise de comprendre à quel point il est possible de récolter beaucoup d’informations sur leur vie.

Points négatifs : les élèves ne distinguent et ne mémorisent pas tous le nom des différents biais cognitifs « validation subjective », « dissonance cognitive », « prétentions floues »…

Séance 2

Apprentissage des outils méthodologiques et expérimentaux au travers d’une expérience de « détection de l’eau ». Cette séance, élaborée par Stanilas Antczak et Florent Tournus, est entièrement décrite dans le livre Esprit critique es-tu là ? 30 activités zététiques pour aiguiser son esprit critique. La présentation des résultats s’est faite sous forme d’un histogramme « fait maison » pour illustrer la répartition aléatoire des réponses, formant une distribution normale, en forme de « courbe de Gauss ».

Dans cette activité, j’ai joué le rôle de la personne possédant le « pouvoir » de détecter de l’eau. Mais j’ai également dû prendre un élève complice. Ainsi, la séance précédant celle de l’expérience, j’ai demandé à une élève du groupe de jouer ce rôle pour m’aider à « deviner » où se trouvaient les verres remplis d’eau. Nous avons convenu d’un signe : les pieds ouverts en V = « il y a de l’eau », les pieds fermés = « il n’y a pas d’eau ». Ce signe a été particulièrement efficace compte tenu de sa discrétion et de la configuration de la salle et des paillasses qui me permettaient de jeter un œil sur les pieds de l’élève assise en face de moi. Cette élève a toujours eu l’habitude de s’asseoir au premier rang donc ça n’a pas attiré les soupçons. La grande difficulté pour le complice est de mémoriser très rapidement les 10 verres sans se tromper avant qu’ils ne soient cachés. Si c’était à refaire, j’aurais pu conseiller de ne retenir que les verres remplis…
Je n’ai pas choisi de travailler avec un second complice désigné pour m’assister, car cela aurait trop attiré l’attention sur lui. J’ai donc joué le jeu seule sans assistant, le complice restant dans le public.

MatHistogramme expérienceériel utilisé :
– 10 verres
– 10 boîtes non transparentes pour cacher les verres
– 10 cartons notés de 1 à 10 pour numéroter les verres
– Le matériel pour la partie « étude statistique » (voir photo)
– Un tableau avec feutres ou craies pour noter les réponses

Pour la construction du matériel de la partie statistique j’ai utilisé des feuilles rigides plastifiées pour rétroprojecteur, et des tubes de sarbacane pour le moulage ; les boules à tirer pour la sarbacane m’ont ensuite servi pour remplir chaque partie !

Configuration de la salle :
Une salle de classe avec 2 portes pour, lors du test en double aveugle, permettre au groupe 1 de remplir les verres et de sortir sans croiser le groupe 2 qui rentre dans la salle pour tester mon pouvoir de détecter les verres remplis ou non.

Points positifs : L’expérience a très bien fonctionné, à tel point qu’ils ont eu du mal à proposer l’hypothèse d’un complice dans la salle. J’ai donc dû les mettre un peu sur la piste en leur demandant « pensez-vous que vous devez connaître les verres remplis pendant le test ? Si non, comment faire pour que ni vous ni moi ne le sachiez ? » […] « Ah mais oui c’est vrai, il y a peut-être l’un de nous qui vous donne les réponses en fait… ». La mise en place d’un double aveugle avec un générateur de hasard type pièce pile/face a pu alors être mise en place avec les élèves.

Points négatifs : La partie analyse statistique des résultats a été un peu plu laborieuse à mettre en place et pas forcément fiable car je manquais d’effectif pour construire une belle courbe de Gauss.

Séance 3

Mise en application par les élèves d’un travail d’enquête sur un sujet en lien avec les affirmations extraordinaires dans le champ des thérapies non conventionnelles

Consignes : Travailler par binôme/trinôme sur la recherche de sources d’une affirmation extraordinaire dans le domaine de la santé et des thérapies dites alternatives, choisie et considérée communément comme vraie.

Déroulement possible : Choisir une affirmation sur un sujet que vous souhaiteriez traiter (à la seule condition que l’affirmation centrale à vérifier soit de type scientifique). Guidé et encadré durant une séance de 2h, vous construirez une enquête sur l’affirmation choisie en présentant la séance suivante un diaporama (10 minutes/groupe pour la présentation + échanges/questions).

Modalités :

  1. Une diapo-introduction qui formule la question (avec un point d’interrogation), son contexte, ses enjeux
  2. Une diapo présentant les différentes hypothèses, théories, scénarios sur le sujet : qui les défend, où, pourquoi ?
  3. Une diapo présentant les biais, effets, erreurs que vous relevez pour chaque hypothèse.
  4. Une diapo qui décrit votre enquête personnelle et la méthode employée pour rechercher les informations qui vous manquent. Quelles erreurs relevez-vous dans les différentes théories ?
  5. Une diapo-conclusion présentant le résultat de votre enquête (même s’il est incomplet : l’important est moins ce que vous trouvez que la manière dont vous avez cherché)

Votre diaporama devra contenir :

  • Des illustrations pertinentes et de qualité. Les extraits vidéos de films, documentaires, publicités sont bienvenus !
  • Les principaux mots-clefs (très peu de texte, l’essentiel se dit à l’oral)
  • La bibliographie utilisée, citée, la source des illustrations, la webographie, à chaque diapositive !

Exemples de sujets :

  • L’hypnose : fin thérapeutique ou escroquerie ?
  • Y-a-t-il un effet placebo sur les animaux ?
  • Le jeune a-t-il une efficacité thérapeutique propre ?

Votre sujet peut dépasser le cadre des thérapies dites alternatives et s’étendre au domaine plus large de la médecine/santé/bien-être :

  • Quelles sont les prétentions des colliers d’ambre sur les enfants ?
  • Des guérisons extraordinaires se produisent-elles à Lourdes plus qu’ailleurs ?

Vous trouverez sur cette page wikipedia bon nombre d’autres médecines non-conventionnelles  :https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_m%C3%A9decines_non_conventionnelles

Points positifs : Élèves motivés

Points négatifs : …mais un peu perdus. La plupart des groupes ont eu du mal à cerner les prétentions de départ des personnes décrivant un phénomène, ils ont voulu directement s’attaquer à la partie scientifique en disant d’emblée que c’est « faux », même avec un très faible bagage de preuves. J’ai relevé une absence d’analyse des biais de raisonnement, des erreurs de logique et de citations des sources. L’outil internet est vaste et les élèves se perdent vite dans le visionnage de vidéos, au point qu’ils finissent par s’éloigner lentement mais sûrement de leur sujet. Je leur ai donc proposé une série de sites à partir desquels ils pouvaient travailler (site du Cortecs, tatoufaux.com…). Et malheureusement, le résultat s’est bien souvent transformé en un copier-coller intégral d’un sujet déjà traité.

Séance 4

Séance consacrée à la recherche de sources et à la mise en forme du diaporama. C’est la partie la plus laborieuse : j’ai conseillé d’insister sur la formulation de la question de départ et ajouter le maximum de ressources illustratives (une vidéo sur le phénomène, un article, un témoignage) ainsi que sur les biais et erreurs relevés. Malgré ces conseils, très peu sont parvenus à appliquer ne serait-ce que le principe de parcimonie face à certaines allégations. Ils ont tous conclu que le phénomène qu’ils avaient étudié n’était pas prouvé, alors que j’attendais davantage qu’ils travaillent sur l’élaboration d’arguments permettant d’arriver vers cette conclusion, que la conclusion en elle-même.

Séance 5

Présentation des diaporamas de chaque groupe. Voir ici la production d’un groupe sur la paralysie du sommeil.

Points positifs des deux dernières séances : un travail de recherche et de présentation assez sérieux

Points négatifs : … mais un « départ » assez difficile, ne serait ce que dans le choix du sujet, j’ai dû leur proposer une liste et quasiment tous ont pioché leur sujet dans cette liste. J’aurais préféré qu’ils partent de leur propre croyance personnelle justement, et qu’ils étayent ensuite, car il n’y a pas meilleurs arguments que ceux qui sont parvenus à nous faire changer de point de vue… Sinon, le risque est de partir directement vers le « démontage » du phénomène en lui-même. C’est mon grand regret.

Séance 6

Intervention de Denis Caroti du Cortecs (théories du complot, sophismes, curseur de vraisemblance et principe de parcimonie…)

Points positifs : intervention d’une personne extérieure, sujets stimulants et contenu complémentaire des premières séances.

Points négatifs : un peu d’inertie dans le groupe, qui devait remobiliser aussi des notions vues auparavant.

Conclusion

L’accompagnement personnalisé autorise une grande liberté pédagogique face à des thématiques novatrices. La position du projet dans l’année (3ème trimestre) et le créneau horaire (de 16h à 18h) ne permet pas toujours d’avoir des élèves en forme ; à cela se rajoute la difficulté d’échanger avec des élèves qui ne sont pas les nôtres (groupes d’élèves de différentes classes) ou qui n’ont pas choisi en 1er vœu le thème. Les MPS (Méthodes et Pratiques scientifiques et les TPE (travaux personnels encadrés) peuvent laisser la place à davantage de temps et de possibilité d’expériences en classe, en tout cas le temps que la prochaine réforme du bac ne dessine plus précisément les contours d’autres intitulés d’enseignements qui laisseront libre cours à la démarche d’investigation des élèves.

La sophrologie Caycédienne, entre conte new age et pseudoscience

La sophrologie est un incontournable des techniques de bien-être et de développement personnel. Présentée (et vendue) comme une simple méthode, nous nous sommes interrogé·es sur son efficacité réelle, sur les piliers psychologiques sur lesquelles elle repose, et sur son substrat philosophique. À notre grande surprise, elle a rarement fait l’objet d’une analyse circonstanciée, aussi ébauchons-nous un chantier sceptique qui permettra de faire gagner du temps aux éventuels chercheur·e·s mais surtout apportera une touche contradictoire argumentée à ce que le marché cognitif du Web et des ouvrages de librairies vend et survend. À l’heure actuelle, il existe de multiples courants de sophrologie (la sophro-analyse, la sophrologie existentielle, la sophrologie dynamique, la sophro-substitution sensorielle, etc.1), chacun reprenant plus ou moins les fondements théoriques issus de la sophrologie Caycédienne. C’est la raison pour laquelle nous nous intéressons particulièrement à celle-ci, qui reste la base de tous les autres types de sophrologie existants. Et comme nous le verrons, à ce jour, ni la validité des fondements théoriques historiques de la sophrologie, ni son efficacité thérapeutique ne sont attestés.

Quels sont les fondements théoriques de la sophrologie Caycédienne ?

Selon Caycedo, fondateur de la sophrologie qui porte son nom, on peut considérer la sophrologie comme « une école scientifique » ayant pour base la « phénoménologie existentielle ». Elle permettrait de proposer une « étude nouvelle » de la conscience, en étant à la conquête des « valeurs » de l’existence et de l’être2.

Naissance et développement

Son fondateur, Alfonso Caycedo, est né en 1932 à Bogota, en Colombie, et décédé en 2017. Il devient médecin psychiatre puis professeur à la Faculté de Médecine de Madrid.

Voici l’histoire, qui mériterait une investigation plus poussée, présentée par différentes sources plus ou moins hagiographiques3 : constatant l’utilisation de techniques psychiatriques qui le révoltent, tels les électrochocs ou les comas insuliniques, il découvre l’hypnose (l’hypnose dite traditionnelle, au sens de Patrick-André Chéné4, directeur de l’Académie de sophrologie de Paris, et l’hypnose Ericksonnienne, de Milton Erickson) et l’introduit à l’hôpital où il travaille. Cependant, l’hypnose étant une technique connotée étrange ou mystique, pouvant faire peur ou être taxée de charlatanisme, Caycédo décide alors de créer un nouveau terme : la sophrologie. Ce terme, selon son fondateur, provient de trois racines grecques, sos (sérénité), phren (conscience), logos (étude). La sophrologie se définie alors comme l’étude de la « conscience en harmonie », laissant un flou conceptuel patent.

Alfonso Caycedo (1932-2017) - fondateur de la sophrologie caycédienne
Alfonso Caycedo (1932-2017) – fondateur de la sophrologie caycédienne

Il est dit que durant deux années, Caycedo et sa femme, qui pratiquent le yoga, vont voyager en Asie (Inde, Tibet et Japon). En Inde, ils auraient rencontré des moines tibétains pratiquant des exercices de « modification de conscience ». Caycedo se familiarise semble-t-il également avec le bouddhisme zen.

En 1968, Caycedo s’installe à Barcelone, en tant que professeur à l’école de psychiatrie de la Faculté de médecine de Barcelone, et c’est le point de départ de la distanciation entre la sophrologie et l’hypnose. Il crée le concept de relaxation dynamique, plus ou moins inspiré de techniques yogi et saupoudré de bouddhisme zen qu’il aurait découverts lors de son voyage en Asie. En 1992, afin de protéger la méthode originelle des copies et dérives, Caycedo dépose la marque de « Sophrologie Caycédienne » qui est considérée comme la « sophrologie dans sa forme authentique »5, selon l’Académie internationale de sophrologie Caycédienne (Sofrocay)6.

Un travail historique approfondi permettrait de vérifier, et de compléter cette biographie somme toute assez lisse.

Les grands principes

La phénoménologie existentielle

Selon les biographies disponibles, Caycedo aurait été passionné par la « phénoménologie existentielle ». Il n’existe pas à proprement parler de définition claire et consensuelle de ce concept, hormis celle de méthode technique de « recherche de la Conscience » (la majuscule étant de Chéné). Nous avons eu du mal à trouver une référence « fiable », qui ne soit pas de l’ordre du forum ou de la référence « sauvage » du ou de la sophrologue indépendant·e qui en délivre sa propre définition.

Bouchard, en 1990, tente une définition indirecte : en phénoménologie existentielle « le principal de l’activité clinique consiste à cultiver l’émergence d’expériences de contact » (la respiration pouvant être par exemple considérée comme une fonction de contact par la rencontre entre les poumons et l’air). Dans le cadre de cette approche, un inconscient de type freudien est postulé, mais avec lequel il n’existerait pas de séparation nette d’avec le conscient7.

La « phénoménologie existentielle » serait issue de la phénoménologie husserlienne, méthode philosophique proposée par le philosophe allemand Edmund Husserl (1859-1938) pour étudier la conscience89. Cette méthodologie « dérivée » va semble-t-il aider Caycedo à « étudier la conscience humaine en utilisant des attitudes phénoménologiques telles que la « suspension de jugement » ou « l’épochè » (ἐποχή), qui consiste à laisser venir les « phénomènes » qui apparaissent durant la séance sans les juger, les comparer ou les interpréter »10. Précisons que la notion d’épochè, est une notion classique chez les philosophes sceptiques grecs antiques (notion proche du bonheur extatique).

La sophronisation et la relaxation dynamique Caycédienne

Aujourd’hui, la sophrologie Caycédienne propose deux types d’exercices centraux : la sophronisation et la relaxation dynamique.

Schéma conscience Chené (p.101)
Schéma des différents états de conscience selon la sophrologie Caycédienne, tiré du livre de Chené (p.101)

Selon Caycedo, la conscience peut se trouver dans quatre états : la veille, puis le niveau sophro-liminal (sorte d’état intermédiaire), le sommeil et le coma. Paradoxalement, ce découpage n’est pas scientifique, et fait fi des travaux de Jouvet en 195911 et autres, pourtant fameux (sommeil paradoxal, lent léger, lent profond, phases hypnagogique et hypnopompique, etc.).

Le premier apprentissage est donc d’apprendre la sophronisation, c’est-à-dire à se placer dans cet état intermédiaire de conscience, pour arriver ensuite au contrôle de celui-ci. Cette technique est notamment inspirée de l’hypnose ericksonienne. Le but est « d’accéder à la libération de la conscience [des humains] à travers la double tridimensionnalité spatio-temporelle de ses techniques (…), d’embrasser la notion de totalité dans une liberté responsable de laquelle les valeurs fondamentales se dégagent de chaque être » (p.114)12.

12 degrés de relaxation - Chené
Tableau des douze degrés de la relaxation dynamique par Chené (voir ici).

La Relaxation Dynamique Caycédienne (RDC) permettrait de conduire au « développement de la perception de notre corps, de notre esprit, de nos états émotionnels et des valeurs qui nous sont propres »13. Le premier cycle de RDC, qui est le plus souvent effectué avec les patient·e·s, est constitué de 4 degrés :

  1. Degré de la concentration : découverte des sensations et du schéma corporel (inspiré des différentes écoles de yoga comme le Raja-Yoga et le Nada yoga) ;
  2. Degré contemplatif : contemplation du corps limité et de l’illimité de la conscience (inspiré du bouddhisme traditionnel tibétain)14. Les exercices sont principalement centrés autour de l’apprentissage de techniques de relaxation. Ici, les exercices sont des techniques méditatives ;
  3. Degré méditatif : intégration corps-esprit (inspiré du zen Japonais) ;
  4. Présence des valeurs (ajouté dans les années 1990 à la RDC) : renforcement des valeurs fondamentales de l’être humain (l’individualité ou la liberté, la « groupéité » (amis, famille, êtres chers), la société, l’humanité, l’universalité, l’éternité, la divinité15).

On remarque au passage que dès ce premier cycle, on perçoit que la démarche n’est pas laïque, mais déiste, avec un syncrétisme assez classique de ce qu’on appellera par la suite dans la littérature spécialisée le courant New Age16. Progressivement, la sophrologie se voit ajouter des cycles avec chacun des degrés supplémentaires.

Le deuxième cycle aiderait à prendre conscience de la « phylogenèse » (histoire évolutive de l’espèce) et de l’« ontogenèse » (développement d’un individu depuis la fécondation jusqu’à sa forme adulte) en tant que phénomènes caractéristiques de l’histoire de l’évolution de la conscience humaine. Un bien vaste programme qui devrait laisser perplexe qui sait à quoi se rapportent scientifiquement ces termes en biologie de l’évolution17.

Le troisième cycle permettrait de renforcer la présence et l’expérience des valeurs existentielles comme la liberté, la « tridimensionnalité » (prise de conscience du passé, du présent et du futur), la responsabilité et la dignité de l’être humain18.

Les effets prétendus de la Relaxation Dynamique Caycédienne

Selon Patrick-André Chené, considéré comme un auteur incontournable puisque son livre est considéré comme l’ouvrage de référence des sophrologues notamment au cours de la formation de Sophrologie Caycédienne en Andorre, l’étendue de ce que permet la pratique de la RDC est large :

« Une réconciliation du sujet avec le corps, une prophylaxie du déséquilibre psychosomatique, un traitement de la pathologie psychosomatique, un rétablissement de l’équilibre psychique, un amortissement de la résonance émotionnelle, une mise au repos de l’organisme, une amélioration de la concentration et de la mémoire, un contrôle de la douleur, une amélioration du sommeil, une autocritique et maîtrise de soi, une amélioration des rapports humains, une diminution importante de l’agressivité, une amélioration de l’adaptation de l’homme à son environnement, une discipline personnelle d’amélioration des potentiels personnels, une découverte, conquête et intégration des nouvelles valeurs de l’être, d’une conscience supérieure, la Conscience Sophronique, une nouvelle Quotidienneté (sic!) fondée sur une démarche existentielle libre et responsable. »19.

Selon lui, les champs d’application seraient alors particulièrement vastes du fait que les techniques peuvent être appliquées à la plupart des domaines de l’activité humaine et « qu’elles s’élargiront encore dans un proche avenir »20.

L’obtention du diplôme du sophrologue

Au jour de la rédaction de ce travail, début 2018, ce métier n’est pas réglementé et son exercice est libre en France, tout comme en Belgique par exemple. En effet, il est considéré comme étant « accessible sans diplôme particulier » avec une facilitation d’accès par « des formations spécifiques (médecines naturelles, alternatives ou complémentaires et traditionnelles, conseil et information en phytothérapie, naturopathie, …) selon la fiche Rome K1103 de Pôle Emploi21 datant d’octobre 2017. Cela signifie qu’un·e sophrologue n’est pas un·e soignant·e, et ne peut légalement procéder à aucun acte médical (diagnostic, traitement médical ou prescription de médicaments). Certaines formations bénéficient d’une prise en charge au titre de la formation professionnelle et de la validation des acquis et de l’expérience (VAE).

Il est actuellement possible d’obtenir un « master » en Sophrologie Caycédienne, exclusivement au siège européen de la Fondation Alfonso Caycedo en Andorre 22, ce titre étant considéré par l’Académie internationale de Sophrologie Caycédienne comme le seul permettant l’exercice de la Sophrologie Caycédienne. Il est impossible d’obtenir un tel diplôme en France car depuis juillet 2013, l’article L731-14 du code de l’Enseignement Supérieur indique que les établissements d’enseignement supérieur privés ne peuvent décerner des certificats portant le titre de baccalauréat, licence, master, doctorat, sous peine d’usurpation de diplôme et de 30 000 euros d’amende23. De ce fait, les intitulés de formation utilisant le nom de master sont interdits en France. Il existe des diplômes universitaires (D.U.) comme à l’Université de Lille 2 (D.U. de sophrologie) et à l’Université de Saint-Étienne (D.U. synthèse des techniques de relaxation et sophrologie). En France, quatre organismes privés délivrent le titre et 28 écoles préparent au titre RNCP (Répertoire national de la certification professionnelle) de sophrologue24. Dans le monde il existe 47 écoles privées de Sophrologie Caycédienne selon le site de l’Académie Internationale de Sophrologie Caycédienne (dont plus de la moitié sont en France).

En 2001, le rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) indique :

« La sophrologie est source de nombreuses interrogations. On se bornera à constater que maintes offres de formation créent la confusion en proposant des titres tels que « sophrologue clinicien », « sophrologue de l’éducation et de la prévention » Ces appellations s’inspirent du titre de psychologue, titre dont la loi n° 85-772 du 25 juillet 1985 fixe l’usage, et qui peut être accompagné ou non d’un qualificatif, le plus souvent « psychologue clinicien », des notions d’éducation à la santé, et de prévention sanitaire. Or, les titres de « sophrologue clinicien », de « sophrologue de l’éducation et de la prévention » ne sont ni homologués ni reconnus. »25.

Critiques des fondements théoriques de la sophrologie Caycédienne

La sophrologie Caycédienne et son rapport à la science

La Sophrologie Caycédienne se définit comme une école scientifique qui étudie la conscience. Concernant l’aspect scientifique, Chené indique :

« Les nombreuses expérimentations et travaux scientifiques des sophrologues de tous les continents depuis plus de 35 ans ont validé les postulats de recherche du début de la Sophrologie. (…) La Sophrologie [qui] s’impose aujourd’hui comme science phénoménologique (…) »26.

« La méthodologie est la grande force de la Sophrologie Caycédienne. Elle comporte à la fois la thérapie et la recherche »27.

« De nombreuses études scientifiques, électroencéphalographiques et physiologiques, pharmacologiques et chimique, psychologiques et cliniques ont confirmé la validité du concept de l’Éventail de la Conscience comme base de travail de la Sophrologie »28.

Cependant, aucune de ces études n’est référencée par Chené. Tout au long de son ouvrage celui-ci ne fera aucune référence à des études scientifiques validées par des revues scientifiques à comité de lecture par les pairs. Les rares références ne concernent que les travaux de Caycedo.

Dans son livre, Chené explique que face à la critique d’un sophrologue (il ne nous donne cependant pas plus d’informations sur l’auteur de la question) qui demandait à ce que le terme « conscience » soit moins utilisé (il n’y a pas plus de précision dans le livre), car peu reconnu scientifiquement, voici ce que Caycedo répondit :

« Un bon professeur a un certain espace, maintient une rigueur, une éthique médicale ; la psychiatrie elle-même est devenue une « cachetologie », elle n’arrive pas à être phénoménologique, ce qui serait plus rapide pour l’évolution des consciences. Même la psychothérapie est limogée, une période d’animalisation de notre espèce s’annonce : on enlève la conscience, c’est l’animalisation, la médecine vétérinaire »29.

On remarque que Caycedo, au lieu de répondre sur le plan de la scientificité, mobilise un jargon de type pseudoscientifique, et joue sur le registre de la peur face à une aliénation, une « animalisation » prochaine de l’Humain, incluant de fait la critique du sophrologue dans ce processus menaçant.

Caycedo a cependant peu écrit en français. La plupart de ses écrits sont rédigés en anglais ou en espagnol entre les années 1961 et 1979 (sept publications en espagnol, trois publications en anglais et une en français). Sa dernière publication datant de 1995 a été écrite en français30. C’est Raymond Abrezol (1931-2010), dentiste formé au courant psychanalytique jungien et à la médecine traditionnelle chinoise31 qui diffuse la sophrologie en France et en Suisse. Il devient responsable de la Sophrologie Clinique en Suisse et de l’enseignement de cette discipline. En 1986, Abrezol rédige un livre intitulé Sophrologie et évolution : demain l’Homme, dans lequel il explique que l’humanité, décadente, est vouée à sa perte et qu’il est nécessaire de stimuler l’hémisphère cérébral droit, siège de l’intuition, afin de retrouver son identité propre. Il reprend ainsi les grands classiques, malheureusement faux, de latéralisation artificielle gauche/droite, rationnel/intuitif du cerveau humain (Grinder, etc.32). Les propos d’Abrezol, d’apparence scientifique, ne sont cependant pas appuyés sur des recherches scientifiques référencées, ni sur des descriptions de ces méthodes qui permettraient alors de tester les effets de la stimulation de l’hémisphère droit.

Le rapport entre la sophrologie Caycédienne et le spiritualisme

Une dimension ouvertement spiritualiste est utilisée par Abrezol lorsqu’il aborde notamment le thème de l’enfance, introduisant ainsi le concept syncrétique de « grands Maîtres » hérité du courant théosophique de Helena Blavatsky et du colonel Henry S. Olcott et qu’on retrouvera par la suite chez les Antroposophes autour de Rudolf Steiner.

« La conception ne doit pas être considérée sur le plan scientifique, mais selon le fruit de l’expérience des grands Maîtres ; elle n’a aucun rapport avec la raison (le carré). Nous abordons ici son côté spirituel, métaphysique (le cercle). Sur le plan de la structure de l’Homme, ce qui provient du cercle est inexprimable par le langage articulé que seul peut énoncer le carré »33.

Il se rapproche également de Omraam Mikhaël Aïvanhov (créateur de la Fraternité Blanche Universelle, considérée comme mouvement sectaire de 500 à 2000 adeptes34). Les enseignements d’Aïvanhov, couplés à la sophrologie, pourraient, selon Abrezol, permettre de créer un Homme nouveau :

« Cet homme sera capable de se défendre contre les fantastiques pressions déséquilibrantes de notre société et il pourra devenir la base d’une société nouvelle où régneraient la paix et l’harmonie entre les hommes. Peut-être s’agit-il de ce célèbre Âge d’Or annoncé par les grands maîtres ? »35.

Alors qu’initialement, la Relaxation Dynamique Caycédienne ne comportait que trois degrés, Caycedo « approfondit » de plus en plus son étude de la conscience en ajoutant davantage de néologismes, qui rendent les terminologies de plus en plus complexes pour les profanes. On peut par exemple citer l’ajout dans les degrés les plus avancés de l’utilisation de techniques de vibrations sonores, de nouvelles énergies (nommées Omicron, Ompsilon ou Epsilon) et de nouveaux niveaux de conscience (la Conscience Phronique). Ces ajouts de la part de Caycedo font fi des travaux scientifiques dans le domaine et rendent l’approche de la sophrologie Caycédienne plutôt opaque, même pour des professionnel·le·s de la santé mentale. Deux sophrologues rencontrés lors de l’enquête de Mahric & Besnier indiquent que « dans les plus hauts degrés, la spiritualité est clairement présente. »36. La « divinité » est effectivement une valeur présente dans les valeurs fondamentales explorées dans le degré 4 du niveau 1 de RDC. Chené cite Caycedo qui indique que la méditation est « une tentative d’atteindre la divinité par le développement de la conscience »37.

Chené indique, par exemple, que le quatrième degré correspond à la « marche vers la lumière » de la Conscience Sophronique, ce qui nous investirait d’une mission qui est celle « d’aider [nos] semblables à se libérer et à franchir le seuil de la caverne vers la lumière »38. Par ailleurs, il compare par exemple les systèmes et lieux du corps théorisés en Sophrologie Caycédienne avec les Chakras39.sophrologie - bonzai

Ainsi, on remarque que l’on s’éloigne de l’« approche résolument médicale et scientifique » prônée par l’Académie Internationale de Sophrologie Caycédienne. Cependant, la validité du corpus théorique d’une pratique thérapeutique donnée n’implique pas nécessairement son inefficacité. Qu’en est-il alors de l’efficacité de cette méthode ? Procédons à une recension des publications scientifiques sur la question.

Efficacité thérapeutique de la Sophrologie Caycédienne

Une recherche (datée d’août 2017) du terme « sophrology » sur PubMed (base de données médicale), Pascal, Francis, PsycARTICLES, PsycINFO, Psychology and Behavioral Sciences Collection, Library, Information Science & Technology Abstracts (bases de données en sciences humaines) donne 168 références. Alors que sont référencées 14 032 pour « hypnosis » et 1 199 pour « autogenic training ». On constate donc que très peu d’études ont été publiées concernant la sophrologie, en comparaison avec l’hypnose ou le training autogène (qui sont deux techniques thérapeutiques qui s’apparentent peu ou prou à la sophrologie).

Sur ces 168 références, la plupart des protocoles mis en place sont des études de cas (ne permettant pas la généralisation des résultats obtenus) et rares sont les études qui utilisent un groupe contrôle, pourtant indispensable à l’évaluation de l’efficacité spécifique d’une pratique thérapeutique quelconque40. Au total, deux études seulement répondent à ce critère. Malheureusement, ces études présentent un biais méthodologique important (manquement quant aux procédures d’aveuglement41). En outre, les deux publications ne rapportent pas quantité d’informations essentielles pour juger de la présence ou non d’autres biais. Ainsi, ces études ne peuvent servir de preuves en faveur de l’efficacité ni de la sophrologie Caycédienne, ni de la sophrologie tout court.

  • Un article français de Constantin et al. (2009)42 rapporte une étude randomisée et contrôlée dans laquelle a été étudié l’effet de la sophrologie sur 28 patient·e·s atteints d’insuffisance respiratoire en service de réanimation, et dont la prise en charge incluait l’utilisation d’un appareil de ventilation non invasive. Dans le groupe expérimental, une séance de sophrologie d’une durée de 30’ est réalisée par une infirmière. Dans le groupe contrôle, la prise en charge a consisté en un accompagnement standard de 30’ effectué par la même infirmière que dans le groupe expérimental. Les résultats montrent une diminution significative de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle systolique, de la fréquence respiratoire et de la sensation de gêne et d’inconfort respiratoire (qui est le critère de jugement principal) pour les patient·e·s du groupe sophrologie.

Pour différentes raisons, cette publication est de qualité médiocre et l’étude qui y est décrite présente vraisemblablement des biais majeurs. Parmi ces raisons, nous retiendrons43 : 1) la procédure de randomisation n’est pas mentionnée ; 2) il n’est pas indiqué si une allocation cachée des traitements a été réalisée ; 3) outre la possibilité de mettre en place un double aveugle ou un simple aveugle strict pour ce genre d’étude, ce qui implique une rigueur sans faille sur les autres aspects méthodologiques, rien n’a été fait pour tendre vers un simple aveugle (le simple fait que la même infirmière réalise la prise en charge des deux groupes en est un indicateur décisif) ; 4) la procédure de traitement des données manquantes n’est pas mentionnée (or trois patient·e·s ont été exclus).

Ainsi, il n’est pas possible de considérer cette étude comme une preuve de l’efficacité de la sophrologie.

  • Un article de Tejedor et al.44 (2015), étudie les effets de la kinésithérapie (physiotherapy) soit isolément, soit associée à la sophrologie, soit à des techniques cognitivo-comportementales (TCC) dans le traitement des lombalgies. Trois groupes d’une vingtaine de sujets sont constitués. 10 séances de 45 à 60 minutes sont proposées dans les deux groupes. Le groupe contrôle est composé de patient·e·s sur liste d’attente. Des questionnaires sur la qualité de vie, l’anxiété, la dépression, la perception de la douleur et la sensation d’invalidité sont effectués au début de l’intervention puis à 6 mois. La qualité de vie est le critère de jugement principal. Les auteurs concluent qu’il n’y a pas de différences significatives entre les groupes pour l’ensemble des paramètres.

Ici encore, la publication est de piètre qualité et l’étude rapportée présente un risque de biais élevé : procédure de randomisation non décrite, allocation cachée des traitements vraisemblablement absente, aucune mesure décrite pour tendre vers du simple aveugle, absence de diagramme de flux, procédure de traitement des données manquantes non mentionnée, etc.

Comme pour l’étude précédente, ce travail ne peut être considéré comme une preuve en faveur ou en défaveur de l’efficacité de la sophrologie.

Finalement, il n’existe donc aujourd’hui aucune étude méthodologiquement rigoureuse qui démontre l’efficacité ou l’absence d’efficacité propre de la sophrologie.

Pour autant, la sophrologie présente une certaine popularité en France et dans les institutions. Selon l’enquête menée sur 80 sophrologues par l’Observatoire national de sophrologie, en 2011, environ 67% des sophrologues interrogés exercent ce métier depuis moins de 5 ans. On constate l’engouement pour le métier de sophrologue ces dernières années45. Dans le rapport de mai 2012 sur les médecines « complémentaires » à l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris46, la sophrologie fait partie des méthodes pratiquées par des personnels infirmiers ou des psychologues en tant que « médecine » complémentaire dans le traitement de la douleur chronique. On la retrouve au sein de nombreuses institutions (hôpitaux, écoles, etc.) mais également dans plusieurs cabinets en fonctionnement libéral.

Face aux questionnements de certaines personnes politiques concernant la non-reconnaissance de la formation des sophrologues, le ministre de la Santé et de la Protection sociale de l’époque répond47 :

« Par ailleurs, avant de reconnaître les bienfaits d’une thérapie, il est indispensable de définir les pathologies auxquelles celle-ci s’adresse et d’en apprécier l’efficacité. En effet, l’article 39 du code de déontologie médicale précise que « les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire et sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite ». À ce jour, aucune étude sérieuse n’ayant été réalisée dans ce sens sur la sophrologie, cette activité ne saurait être considérée comme une méthode thérapeutique à promouvoir. »

En conclusion 

Selon l’Académie internationale de Sophrologie Caycédienne et Patrick-André Chené (rappelons que c’est un auteur incontournable dont l’ouvrage est considéré comme la référence sur lequel se base la formation de sophrologie Caycédienne en Andorre) la Sophrologie Caycédienne ne se considère pas comme une technique de relaxation ou comme une thérapie mais comme une discipline de développement de la conscience. Selon Chené, son domaine d’application s’étend sur de vastes domaines comme par exemple le « traitement de la pathologie psychosomatique » ou un « rétablissement de l’équilibre psychique ». Cependant, l’étude des articles référencés sur les bases de données des sciences humaines, ne permet pas de conclure quant à l’efficacité de la sophrologie pour des affections spécifiques.

La Sophrologie Caycédienne n’est pas le seul courant « sophrologique », bien que se défendant comme étant la sophrologie authentique. D’autres courants se sont formés par la suite comme la sophro-analyse, la sophrologie existentielle, la sophrologie dynamique ou la sophro-substitution sensorielle. Chaque méthode utilise ses propres principes afin d’aider le·la patient·e, et ce avec des fondements théoriques peu étayés voire douteux, et une efficacité non prouvée.

Un formateur en Sophrologie, après avoir formé 5 755 professionnel·le·s à la sophrologie (dont seulement 17% la réutilisent dans leur pratique) au cours d’une formation de 20 heures qui présente les principaux aspects théoriques et pratiques, met en garde face à l’omnipotence qu’il a observé chez certain·e·s professionnel·le·s. Selon lui, certain·s se considéreraient comme doté·es d’un pouvoir permettant de mettre les client·es dans un état modifié de conscience (EMC, ou ECM, chers à la parapsychologie moderne)48.

Tout un·e chacun·e, sans formation préalable à la santé mentale notamment, peut devenir sophrologue en suivant la formation dispensée dans les diverses écoles. Bien que la plupart des sophrologues partent certainement d’une bonne intention, celle d’aider la personne à aller mieux, à mieux se connaître, à mieux gérer leur stress, etc., les pratiques utilisées par les sophrologues posent question quant à leur efficacité et leurs fondements théoriques (plus adossés à la mystique et la spiritualité qu’aux résultats scientifiques). Il semble possible que certain·e·s professionnel·le·s puissent intentionnellement ou non s’appuyer sur la sophrologie pour manipuler les populations les plus fragiles, leur promettant une guérison miraculeuse, que les autres professionnels de santé n’ont pas pu ou su faire.

Il convient par ailleurs de rappeler, qu’au cours de leur formation pour devenir sophrologue caycédien49, les sophrologues ne suivent pas de cursus en psychologie et/ou psychopathologie. À moins que leur formation ne soit dans ce domaine, ils et elles n’ont pas appris les précautions à prendre en fonction des pathologies mentales que pourraient présenter certain·e·s patient·e·s en demande d’aide. Selon l’Académie Internationale de Sophrologie Caycédienne, il n’existe pas de contre-indication à la sophrologie et elle peut être utilisée par toute personne en pleine possession de ses facultés. La responsabilité incombe donc aux sophrologues de considérer si une personne est en « pleine possession de ses facultés » ou non, si l’on se réfère à l’Académie Internationale de Sophrologie Caycédienne. Cependant, il est peu recommandé de pratiquer une quelconque forme de méditation ou de relaxation avec des patient·e·s particulièrement anxieux·ses (certains exercices de méditation risquant d’entraîner une crise d’angoisse importante), ou qui seraient à risque d’entrer en phase de décompensation psychotique, de dissociation ou de vivre un épisode délirant ; les patient·e·s avec un trouble de la personnalité de type borderline (ou état limite) seraient également à risque50. Sur des patient·e·s ayant été hospitalisés à la suite d’un épisode délirant, les exercices de méditation de type mindfulness (méditation pleine conscience), effectués avec deux thérapeutes, ne durent pas plus de 15 minutes afin justement d’éviter que les patient·e·s expérimentent d’intenses symptômes délirants51. Un·e sophrologue non averti·e pourrait causer des dommages à ses patient·e·s s’il ne décèle pas cela en utilisant certaines techniques enseignées par la sophrologie Caycédienne.CorteX_SPS_323

Cet article, dans sa version épurée, est disponible ici, ainsi que dans le numéro 323 de Science & Pseudo-Sciences, à commander sur www.afis.org.

Gwladys Demazure, Albin Guillaud, Richard Monvoisin

Rapport CORTECS CNOMK : l'ostéopathie viscérale à l'épreuve des faits

En 2015, nous avions réalisé un rapport à la demande du Conseil national de l’ordre des kinésithérapeutes (CNOMK) portant sur la validité scientifique de l’ostéopathie crânienne, une des ramifications de l’ostéopathie. En 2016, un an après, nous avons rendu un deuxième rapport au CNOMK concernant une deuxième sphère de l’ostéopathie : l’ostéopathie viscérale (RAPPORT CORTECS − Ostéopathie viscérale). Ce document a été rendu public au mois de mars 2018 après un vote des membres du CNOMK. Voici un résumé de ce rapport de 288 pages dans lequel nous avons soigné au maximum le détail des méthodes de recherche et d’analyse employées. Des remarques, des questions ? Nous vous invitons à lire la partie QFP à la fin de cet article.

Résumé

Dans ce rapport, nous nous sommes attelé·es à trois tâches principales. Nous avons d’abord reconstitué l’histoire de l’ostéopathie viscérale, puis nous avons décrit et analysé ses fondements théoriques, et enfin nous avons synthétisé et examiné les preuves portant sur ses procédures cliniques (diagnostiques et thérapeutiques).

À propos des fondements de l’ostéopathie viscérale, ont été décrits et analysés :

  • Les concepts de « mobilité viscérale » et de « dynamique viscérale ».
  • Le rapport entre mobilité viscérale et pathologie avec tous les concepts ostéopathiques associés tels que ceux d’« articulation viscérale », de « fixation viscérale », de « dysfonction ostéopathique viscérale », de « Dynamique intrinsèque© » et de « motricité viscérale ».
  • Le concept de « motilité viscérale ».
  • Le concept de « chaîne ostéopathique » recouvert par différentes expressions telles celles de « suite mécanique », de « chaîne lésionnelle », de « chaîne phréno-médiastino-vertébro-crânienne » et de « tendon viscéral central ».
  • Le concept de ptose viscérale et ses concepts parents tels celui d’« entéroptose » ou d’« hépatoptose ».
  • Le concept d’« élasticité viscérale » et ses concepts associés : « lésion de tissularité », « loi des tubulures », « autonomie viscérale », « dysfonction ostéopathique viscérale, « Dynamique© intrinsèque », « dysfonction de raccourcissement© » et « dysfonction d’étirement© ».
  • Le « Modèle Pressif© Finet-Williame » qui articule les concepts de « dysfonction ostéopathique viscérale », de « réflexe dynamogène », de « série musculaire respiro-posturale », de « dysposturalité tonique© » de « posturalité tonique-phasique© », de « colonne de pression© » et de « report pressif »CorteX_visceres.
  • Le concept d’« hypersensitivité© viscérale ».
  • Les concepts de « tenségrité », « biotenségrité » et de tenségrité en ostéopathie.

La conclusion de notre rapport est claire : aucun des concepts spécifiques à l’ostéopathie viscérale n’est fondé :

Si les ostéopathes viscéraux se sont appropriés des concepts physiologiques et biomécaniques valides (tels que la mobilité et la dynamique des viscères, le fait que la pression intra-abdominale puisse varier, ou encore le fait que les organes intra-abdominaux soient élastiques), tous ces phénomènes sont connus de la communauté médico-scientifique et aucun d’entre eux n’a été découvert par un ostéopathe.

Quant aux conceptions spécifiques à l’ostéopathie viscérale, aucune ne bénéficie de donnée scientifique pour la soutenir. En outre, les ostéopathes viscéraux font un mésusage du concept de « ptose viscérale » en s’appuyant sur un arrière-plan théorique dépassé. D’autre part, leur raisonnement en « chaîne ostéopathique » que l’on retrouve sous la forme de différents concepts chez tous les ostéopathes viscéraux, à défaut de produire des hypothèses testées ou testables expérimentalement, ne s’apparente pour l’instant qu’à un jeu intellectuel de construction anatomique et biomécanique […]

En résumé, rien ne permet aujourd’hui de défendre que l’ostéopathie viscérale dispose de fondements scientifiques théoriques propres, et cela tant du point de vue physiologique que pathologique. Toutefois, cela ne présage pas nécessairement de l’inefficacité des procédures diagnostiques et thérapeutiques des ostéopathes viscéraux : c’est pourquoi c’est à la recherche et à l’examen des données expérimentales testant ces procédures qu’a été consacrée la prochaine et dernière partie de ce rapport.

CorteX_bmcNotre travail sur les procédures diagnostiques et thérapeutiques de l’ostéopathie viscérale à quant à lui fait l’objet d’une publication dans la revue BMC Complementary and Alternative Medicine1 dont nous avons parlé ici. Nos résultats permettent d’affirmer qu’il n’existe aucune donnée soutenant les reproductibilités intra et inter-observateurs des techniques diagnostiques de l’ostéopathie viscérale. La majorité des études existantes et disponibles échoue à mettre en évidence ces reproductibilités pour tous les paramètres considérés. Enfin, la revue de littérature réalisée n’a pas permis d’identifier de preuve méthodologiquement valable et favorable à une efficacité thérapeutique spécifique des techniques de l’ostéopathie viscérale.

QFP (Questions fréquemment posées)

Nous répondrons bien volontiers aux remarques, questions et critiques qui :

  • concernent strictement le contenu de ce rapport (l’évaluation des fondements théoriques et cliniques de l’ostéopathie viscérale) ;
  • nous parviennent directement (contact < at > cortecs.org).
  • ont un ton courtois et ne font pas d’attaque à la personne ;
  • sont étayées avec des références précises et accessibles ;
  • ne sont pas déjà traitées dans le rapport ou dans notre article Rapport ostéopathie crânienne − réponses aux réactions.

Corrigé – La fabrique du consentement selon Mathieu Vidard

Voici le corrigé de « Entraînez-vous – La fabrique du consentement selon Mathieu Vidard« . Le texte de Mathieu Vidard est indiqué en italique.

Selon nous, les trois points centraux de la critique de ce texte sont :

  1. la technique de l’épouvantail,
  2. la technique du faux dilemme couplée à la rhétorique de repoussoir,
  3. et la fabrication scénaristique (que les journalistes appellent parfois technique du carpaccio, ou storytelling).

La technique de l’épouvantail

CorteX_epouvantail
Aperçu du champ rhétorique de Mathieu Vidard

Appelé également homme de paille ou strawman, nous y avons consacré une page, et c’est l’une des moisissures argumentatives les plus prisées (cf. Les 20 moisissures argumentatives). La méthode consiste à travestir d’abord la position de l’interlocuteur·rice de façon volontairement erronée et facile à réfuter puis détruire cet « épouvantail » en prétendant ensuite avoir réfuté la position. Quelques exemples :

(…) qui ont pris la plume pour dire tout le mal qu’ils pensaient des thérapies

« mal » est une notion morale caduque, et les auteurs de la tribune ne parlent jamais du mal qu’ils pensent de ces théories. Il est très difficile de s’entendre de manière consensuelle sur ce qu’est le « mal » et le « bien »1, sauf peut-être sous le couvert d’une morale déontologiste et de commandements d’ordre religieux, là encore souvent discutés. Il aurait été plus explicite, plutôt que d’évoquer le « mal », de dire que les auteurs·rices ont pris la plume pour évoquer les risques et les effets délétères des thérapies discutées, par exemple.

nos docteurs  (…) se drapent dans l’arrogance de leur respectabilité scientifique pour dézinguer (…)

Il n’y est pas question de « dézinguer » quoi que ce soit. Dézinguer est un mot à effet impact, qui donne une connotation négative à la tribune. Pour rappel, dézinguer, c’est faire du dézingage, c’est-à-dire enlever le revêtement de zinc sur une pièce ou retirer le zinc contenu dans un autre métal. Ça a pris le sens argotique de tuer (au même titre que « dessouder » par exemple, autre métaphore métallurgique).

Et d’en appeler au Conseil de l’ordre des médecins pour sévir contre les fous furieux de la granule et renvoyer au fin fond du Larzac ces dangereux baba cool qui empoisonnent les patients

« fous furieux de la granule » est une invention de Mathieu Vidard, tout comme « dangereux baba cool qui empoisonnent les patients » (voir plus bas la référence). Notons à nouveau l’usage de mots fortement connotés alors qu’ils ne sont pas employés par les rédacteurs et rédactrices de la tribune : « sévir », « fous furieux », « renvoyer au fin fond ».

La technique du faux dilemme, couplée à la rhétorique de repoussoir.

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Autre grand classique du sophisme, le faux dilemme. La méthode est efficace : elle consiste à n’offrir que deux alternatives déséquilibrées en omettant toute autre alternative pourtant possible. Il peut s’agir de réduire le choix à deux alternatives qui ne sont pas réellement contradictoires. Au final, le choix est confisqué et la décision étriquée. Cette stratégie est redoutable car elle oriente sournoisement le débat en le simplifiant en un unique antagonisme. Mais celui-ci n’est qu’apparent : le fait que deux propositions soient compétitives ne signifie pas forcément qu’elles soient contradictoires. Le faux dilemme crée l’illusion d’une « compétitivité contradictoire », qui permet en critiquant l’opposant, de se donner un crédit factice, ce que le monde anglo-saxon appelle le two wrongs don’t make a right, ou sophisme dit « de la double faute ». Dans l’affirmation « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous », nous pouvons trouver des arguments acceptables pour ne pas être « avec eux » sans pour autant « être contre eux » : il n’y a pas contradiction.

Ici Mathieu Vidard applique à la truelle deux faux dilemmes, permettant par repoussoir de glisser un two wrong don’t make a right.

Le premier :

Lorsqu’on pense aux dizaines de milliers de personnes qui sont devenues gravement malades ou qui ont passé l’arme à gauche en raison des effets secondaires de médicaments allopathiques type Médiator ou Distilbène, ou lorsque l’on sait que les somnifères ou les anti-dépresseurs sont prescrits de façon excessive, qu’ils représentent des bombes à retardement tout en faisant la fortune de laboratoires pharmaceutiques véreux ; on se dit que notre club des 124 pourrait légèrement baisser d’un ton. 

Le journaliste, qui n’a pas bien fait son travail, ramène les signataires de cet appel au rang des pro-industries pharmaceutiques. Nous ne sommes pas très loin du célèbre dilemme de George W. Bush : « ou vous êtes avec nous, ou vous êtes avec les terroristes« 2. Cela nous touche d’autant plus que nous, enseignant·es au CORTECS, sommes à la fois critiques des effets négatifs occasionnés par les interactions entre les industries des produits de santé 3 et les systèmes publiques de santé (et investis pour les supprimer) et circonspect·es sur une grande majorité de thérapies dites « alternatives ».

Un second pour la route :

En conclusion de leur tribune, les 124 exigent que l’ensemble des soignants respectent une déontologie et qu’ils proposent à leurs patients une écoute bienveillante. Il fallait oser ! Car c’est précisément à cause d’une médecine conventionnelle déshumanisée que les malades fatigués d’être considérés comme de simples organes sur pattes, se tournent vers des praticiens capables de passer du temps avec eux et de les écouter.

Mathieu Vidard, qui décidément n’a pas creusé très loin, imagine un monde manichéen, dans lequel celui qui critique les médecines non basées sur des preuves est forcément un médecin « déshumanisé » qui considère ses malades comme de « simples organes sur pattes », filant ici le vieux cliché dualiste « médecine conventionnée organiciste froide versus médecine alternative holistique chaleureuse ». D’autre part, il y a un problème ici avec l’usage de l’expression « une médecine conventionnelle ». Deux sens sont souvent confondus à partir de ce mot :  « conventionnel » et « conventionné ». Conventionné signifie que les professionnel·les de santé signent avec l’Assurance maladie une sorte de contrat où il·elles s’engagent
à pratiquer selon des règles négociées avec l’Assurance maladie, à des conditions tarifaires fixées par avance, en échange de quoi l’Assurance maladie prend en charge une partie du coût de la consultation. Conventionnel a simplement le côté péjoratif de « répondant à une convention », ce qui nous renvoie à l’éternel représentation héritée du relativisme cognitif : les résultats scientifiques seraient le fruit de simples conventions (et la science un clergé comme un autre)4.

Heureusement, il existe des médecins conventionnés, répondant au bien public, ne faisant pas de dépassement d’honoraires, limitant voir supprimant leurs interactions avec les industries des produits de santé et chaleureux.

Admirons le magnifique repoussoir ici, que les puristes identifieront comme une variante du Tu quoque, confinant au sophisme de la solution parfaite (fondé sur l’idée que si une mesure prise, ici la médecine conventionnelle, ne constitue pas la solution parfaite à un problème quelconque, elle ne vaut pas un clou) :

est-ce que tous les allopathes peuvent se vanter de pouvoir soigner chaque maladie de façon rationnelle ? Non bien sûr.

En écoutant cet édito, il est difficile de ne pas penser à l’extrait de La crise, de Coline Serreau (1992).

Télécharger pour utiliser dans vos propres cours.

La fabrication scénaristique

(que les journalistes appellent parfois technique du carpaccio, ou storytelling).

© 2018 Tatiana Karaman
Faites des tranches de n’importe quoi, et vous aurez un carpaccio. © 2018 Tatiana Karaman

Se mélangent dans ce genre de narration des procédés rhétoriques comme ceux ci-dessus, avec des options lexicales et métaphoriques qui ancrent l’histoire, le carpaccio.

Le scénario dans l’esprit de Mathieu Vidard a déjà été présenté : il s’agit de défendre les gentils homéopathes « humains » contre les méchants médecins conventionnels « déshumanisés » qui les attaquent par opportunisme et par moralisme rigoriste. Outre les procédés techniques présentés, on trouvera des traces de ce carpaccio émaillant tout le texte. Quelques exemples, associés à leur analyse sommaire :

 professionnels de santé, qui ont pris la plume pour dire tout le mal qu’ils pensaient des thérapies non conventionnelles

Deux des auteurs principaux de la tribune
Deux des auteur·es de la tribune ?

Moralisation artificielle de la controverse, la tribune des 124 se basant d’ailleurs plus sur des données factuelles que sur des opinions (bien que son format ne prête pas à l’étayage bibliographique)

en dénonçant en particulier les médecins homéopathes

Moralisation artificielle de la controverse  : à moins que quelque-chose nous ait échappé, les auteur·es ne semblent « dénoncer » personne – et à qui, d’ailleurs ? Les destinataires principales de la tribune sont d’ailleurs plutôt les instances ordinales et étatiques. Mais elles non plus ne sont pas « dénoncées » : ce sont les conséquences de la tolérance de l’exercice de certaines pratiques qui sont mentionnées et remises en questions.)

Surfant sur le thème des fake news

Soupçon d’opportunisme : les auteur·es surferaient, tels Brice de Nice et Igor d’Hossegor, sur la mode des fake news)

nos docteurs déguisés en oies blanches se drapent dans l’arrogance de leur respectabilité scientifique

CorteX_deux_oies-blanches
Deux des médecins déguisés.

moralisation artificielle de la controverse, procès d’intention, attaque ad personam, prêtant à l’arrogance et à la morgue ce qu’on doit à une démarche scientifique simple ; instillation d’une sournoiserie – M. Vidard manie l‘oie blanche, qui dans le folklore est une personne niaise ou candide ayant reçu une éducation pudibonde. Volontairement ou non, les gens ayant écrit la tribune sont ainsi ramené·es artificiellement à la défense de valeurs morales rigoristes et datées)

pour dézinguer

(procès d’intention, épouvantail et effet impact)

pour sévir contre

procès d’intention, épouvantail et effet impact

les fous furieux de la granule

Epouvantail

et renvoyer au fin fond du Larzac ces dangereux baba cool qui empoisonnent les patients à coup de Nux Vomica et d’Arnica Montana 30 ch.

Épouvantail ; mots à effet impact comme empoisonnement tout droit sorti du cerveau enfiévré de l’auteur ; technique du chiffon rouge, ou hareng fumé ; et scénarisation contre-culture politique : les médecins conventionnels verraient les homéopathes et les acupuncteurs au mieux comme les paysans du Larzac en lutte de 1971 à 1978 contre l’extension de la base militaire du causse, au pire comme des babacool, référence vraiment péjorative aux courants contre-culturels non-violents des années 1960, prônant entre autres l’abandon du puritanisme sexuel – on voit bien que Mathieu Vidard file la vieille métaphore des médecines dites alternatives perçues comme des alternatives socio-politiques ; mais il n’est pas très regardant, car les modèles commerciaux par exemple, de l’entreprise mondiale d’homéopathie, Boiron, est exactement la même que les industries qu’il rejette, tandis que le modèle de santé du monde ostéopathique relève plus de la libre concurrence que du modèle de la sécurité sociale générale et inconditionnelle).

Si cette tribune n’était pas franchement insultante

Prétérition, et plurium de droit moral : une insulte est la négation d’une valeur du point de vue de celui qui la profère, or si tant est qu’il y ait insulte – ce qui n’est pas le cas – il faudrait comprendre quelle valeur fondamentale, et selon qui, est atteinte par la tribune

pour les praticiens comme pour les 40% de Français qui ont recours aux médecines alternatives

Très joli appel au peuple

on s’amuserait des arguments de ces pères la morale

Transformation artificielle des auteur·es de la tribune en moralisateur·rices, alors qu’il n’est fait qu’un rappel à la déontologie des professions de santé – référence ambiguë, soit au livre d’Alfred des Essarts, Le père la morale, 1863, soit au sénateur René Bérenger, considéré, par sa morale rigide et sa défense des bonnes mœurs comme un père-la-pudeur. Cela valut au sénateur une chanson anonyme, reprise dans les années 1950 par le fameux groupe de l’époque les quatre barbus.

Et pourquoi montent-ils au créneau ?

Expression métaphorique guerrière évoquant une époque féodale – fantasmée, d’ailleurs, si l’on en croit les expertes du sujet, Joëlle Burnouf et Isabelle Catteddu, dans Archéologie du Moyen-âge (INRAP, Ouest-France, 2015). On écoutera sur ce sujet l’excellente émission de Vincent Charpentier Carbone 14, sur France Culture, datée du 15 octobre 2016). 

 on se dit que notre club des 124 pourrait légèrement baisser d’un ton

Club : terme péjoratif évoquant une coterie ; baisser d’un ton est un plurium, sous-entendant que le ton était élevé, donc affectif.

Et ils ont raison puisqu’aucune étude sérieuse n’a prouvé à ce jour une quelconque efficacité de cette thérapie.

Méconnaissance scientifique entre efficacité propre/spécifique et efficacité globale, la base de l’étudiant·e en santé

Le contenu scientifique des médecines alternatives est vide.

Ce qui est inexact ; il est souvent faux, mais pas vide.

Rien d’autre que l’effet placebo. Et alors ?

Théoriquement nous devrions nous attendre à ce qu’un des journalistes scientifiques les plus écoutés de France soit pointu sur le sujet. Si l’objet placebo lui a toujours sa place dans la terminologie, le terme d’effet placebo est quant à lui désuet en santé, car il entraîne des représentations erronées : il ne s’agit pas d’un effet à proprement parler, mais d’un mille-feuilles d’effets (au pluriel) contextuels dont beaucoup s’expliquent très bien : régression à la moyenne, Yule-Simpson, migration des stades, etc.

Alors n’est-il pas possible d’admettre qu’il existe parfois une part de magie permettant de soigner ?

Incurie épistémologique : nous ne sommes pas si loin de l’intrusion spiritualiste en science

Comme le rappelle le pharmacologue Jean-Jacques Aulas

Que manifestement le journaliste n’a pas lu, car justement, notre ami Aulas est un des plus raides pourfendeurs des thérapies en question

l’illusion constitue un outil redoutablement efficace, qui peut avoir sa place dans l’art difficile de la thérapeutique.

effet paillasson : Vidard confond magie et illusion – qui n’a rien de magique

En conclusion de leur tribune, les 124 exigent que l’ensemble des soignants respectent une déontologie

Incurie en philosophie morale : il ne s’agit pas de respecter une déontologie, mais la déontologie professionnelle édictée par les conseils de l’Ordre. S’il est pertinent de remettre en question la façon dont les codes de déontologie ont été élaborés ou mis à jour (souvent de manière non collégiale et concertée), et si leurs contenus pourraient reposer beaucoup plus sur des bases empiriques, ils ont le mérite de déterminer un socle commun de pratiques autorisées parce que potentiellement bénéfiques au plus grand nombre.)

En accusant les médecins homéopathes de charlatanisme

épouvantail

et en dénigrant la fonction humaniste apportées par ces thérapeutes

Moralisation et repoussoir : sous-entend que les thérapeutes conventionnés n’ont pas cette fonction humaniste

les signataires de ce texte (…) et font courir le risque à des patients de se retrouver vraiment entre les mains de pseudo médecins.

pente savonneuse

On se demande bien quel est l’intérêt d’une tribune aussi péremptoire

moralisation artificielle

à l’heure où la médecine allopathique

Utilisation d’un terme obsolète, inventé par Samuel Hahnemann, fondateur de l’homéopathie, et désignant « tout ce qui n’est pas homéopathique »

pourrait largement balayer devant sa porte plutôt que d’avoir le mauvais goût de dénigrer le travail de ses confrères.

Majestueux repoussoir en sophisme de la double faute, couplé à moralisation artificielle – mauvais goût – et procès d’intention.

Remarque : ceci est le seul passage qui nous parait [presque] correct, même s’il s’agit d’un propos banal qu’on pourrait entendre au comptoir du coin.

Car c’est précisément à cause d’une médecine [conventionnelle] déshumanisée que les malades [fatigués d’être considérés comme de simples organes sur pattes] se tournent vers des praticiens capables de passer du temps avec eux et de les écouter.

Il faut néanmoins relever ceci : énoncé comme cela, M. Vidard désyncrétise et déplace le problème : la médecine conventionnelle (conventionnée, devrions-nous plutôt écrire, voir plus haut) n’est pas « déshumanisée » partout – et nous rendons hommage aux centres de santé, avec des médecins généralistes dévoué·es à des populations vulnérables ; et si elle l’est, particulièrement en milieu hospitalier, c’est bien plus par manque de moyens humains et politiques que par l' »allopathisme » des méthodes utilisées. Prudence, car en raisonnant comme cela, on loge le problème dans les thérapies employées, et non dans les rouages socioéconomiques qui les régissent.

RM & ND

Pour aller plus loin sur la question de l’homéopathie, le cours de Richard Monvoisin est là.

Sur la question de l’ostéopathie, on regardera avec plaisir (en mettant le son à fond) Albin Guillaud ici.

Sur les questions de thérapies manuelles, on dégustera Nicolas Pinsault là.

Sur les questions plus globales de santé publique, nous avons écrit un ouvrage qui plonge l’analyse dans les ramifications de notre système de santé. Achetez-le dans une petite librairie, et non chez les mastodontes type GAFAM ou FNAC qui en plus d’enrichir les mêmes personnes, réduisent drastiquement l’accès aux littératures les plus fragiles, dissonantes, ou contestataires.

Entraînez-vous – La fabrique du consentement selon Mathieu Vidard

Mathieu Vidard, journaliste de France Inter, alterne depuis des années des émissions de bonne qualité et de très mauvaises séquences, qui lui sont probablement dictées par son manque assez manifeste de formation en épistémologie (voir ici, , et ). Il est donc un fournisseur régulier de matériel pédagogique pour nos colonnes. Cette fois-ci, en date du 20 mars 2018 pour l’édito carré, il a produit un texte réagissant à la publication d’une tribune relayée dimanche 18 mars par Le Figaro et d’un blog intitulé fakemedecine. Pour nous qui faisons cours dans l’unité d’enseignement Santé et autodéfense intellectuelle d’un Master destiné aux étudiants des filières médicales et paramédicales, et qui dirigeons des travaux sur la fabrique du consentement par les médias, ce genre d’édito est un riche combo en terme d’esprit critique. En cliquant en bas de l’article, vous trouverez l’analyse détaillée de cet édito. En attendant, entraînez-vous, en faisant l’analyse par vous-même en écoutant l’audio, visionnant la vidéo, ou en lisant la retranscription.

Charlatans d’homéopathes !

Télécharger l’audio

Ce matin dans l’édito Carré, vous réagissez à ce texte contre les médecines alternatives publié hier dans le Figaro.

Et signée par 124 médecins et professionnels de santé, qui ont pris la plume pour dire tout le mal qu’ils pensaient des thérapies non conventionnelles en dénonçant en particulier les médecins homéopathes.

Surfant sur le thème des fake news, nos docteurs déguisés en oies blanches, se drapent dans l’arrogance de leur respectabilité scientifique pour dézinguer –je cite- ces fausses thérapies à l’efficacité illusoire.

Et d’en appeler au Conseil de l’ordre des médecins pour sévir contre les fous furieux de la granule et renvoyer au fin fond du Larzac ces dangereux baba cool qui empoisonnent les patients à coup de Nux Vomica et d’Arnica Montana 30 ch. 

Si cette tribune n’était pas franchement insultante pour les praticiens comme pour les 40% de Français qui ont recours aux médecines alternatives, on s’amuserait des arguments de ces pères la morale.

Et pourquoi montent-ils au créneau ?

Pour alerter contre la dangerosité et le manque d’éthique des médecines parallèles avec des praticiens qui menacent selon eux de devenir les représentants de commerce d’industries peu scrupuleuses. 

Lorsqu’on pense aux dizaines de milliers de personnes qui sont devenues gravement malades ou qui ont passé l’arme à gauche en raison des effets secondaires de médicaments allopathiques type Médiator ou Distilbène, ou lorsque l’on sait que les somnifères ou les anti-dépresseurs sont prescrits de façon excessive, qu’ils représentent des bombes à retardement tout en faisant la fortune de laboratoires pharmaceutiques véreux ; on se dit que notre club des 124 pourrait légèrement baisser d’un ton. 

Dans cette tribune, les médecins écrivent que l’homéopathie n’est pas scientifique. 

Et ils ont raison puisqu’aucune étude sérieuse n’a prouvé à ce jour une quelconque efficacité de cette thérapie. Le contenu scientifique des médecines alternatives est vide. Rien d’autre que l’effet placebo. Et alors ?

Est-ce que tous les allopathes peuvent se vanter de pouvoir soigner chaque maladie de façon rationnelle ? Non bien sûr. 

Alors n’est-il pas possible d’admettre qu’il existe parfois une part de magie permettant de soigner ? 

Comme le rappelle le pharmacologue Jean-Jacques Aulas, l’illusion constitue un outil redoutablement efficace, qui peut avoir sa place dans l’art difficile de la thérapeutique. 

En conclusion de leur tribune, les 124 exigent que l’ensemble des soignants respectent une déontologie et qu’ils proposent à leurs patients une écoute bienveillante. Il fallait oser ! Car c’est précisément à cause d’une médecine conventionnelle déshumanisée que les malades fatigués d’être considérés comme de simples organes sur pattes, se tournent vers des praticiens capables de passer du temps avec eux et de les écouter. 

En accusant les médecins homéopathes de charlatanisme et en dénigrant la fonction humaniste apportées par ces thérapeutes, les signataires de ce texte se trompent de cible et font courir le risque à des patients de se retrouver vraiment entre les mains de pseudo médecins. 

On se demande bien quel est l’intérêt d’une tribune aussi péremptoire à l’heure où la médecine allopathique pourrait largement balayer devant sa porte plutôt que d’avoir le mauvais goût de dénigrer le travail de ses confrères.

(C)AJPhoto Homéophatie
(C)AJPhoto
Homéophatie (sic!)

Pour voir l’analyse détaillée, cliquez ici.

 
 

La thérapie miroir, l'effet neurosciences et les neuromythes

Il existe une multitude de techniques de rééducation proposées aux patient·es pour diminuer leurs douleurs ou améliorer leurs capacités fonctionnelles. Depuis 2014, je présente l’une de ces techniques, la thérapie miroir (TMi), aux étudiant·es en kinésithérapie de l’Institut de formation en masso-kinésithérapie de Grenoble. L’enseignement de cette technique est un bon moyen de mettre en application la recherche et le tri d’informations en santé et quelques outils d’autodéfense intellectuelle, notamment dans le domaine des neurosciences. Ci-dessous, je présente les grandes lignes du cours, les ressources pédagogiques utilisées et propose au format audio une présentation sur le sujet plus généraliste, présentée devant un public d’étudiant·es et chercheur·es en sciences humaines et sociales, professionnel·les de santé, ingénieur·es et patient·es.

Cours pour étudiant·es kiné

Introduction

En guise d’introduction, je propose aux étudiant·es (entre 50 et 70 personnes, lors d’un cours magistral en amphi de 3 heures) de répondre sur une feuille de manière anonyme à trois questions.

  • « On n’utilise que 10% de nos capacités cérébrales » (Réponses possible : totalement d’accord, d’accord, peu d’accord, pas du tout d’accord.)
  • « Il y a des preuves quant à l’efficacité de la TMi chez les patient·es souffrant de douleurs du membre fantôme. » (Réponses possible : totalement d’accord, d’accord, peu d’accord, pas du tout d’accord.)
  • « Il existe des techniques de rééducation agissant sur les neurones miroir et permettant par leur biais de retrouver une bonne motricité après un AVC massif. » (Réponses possible : totalement d’accord, d’accord, peu d’accord, pas du tout d’accord.)

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Résultats de la promotion d’étudiant·es en kinésithérapie eue en cours en 2014 (à l’époque, les choix de réponse n’étaient pas de type « échelle de Likert » comme expliqué précédemment mais sous la forme très vraisemblable, vraisemblable, peu vraisemblable, invraisemblable). Nb : une coquille s’est glissée dans le titre du graphique, on lira plutôt « On n’utilise que 10% de notre cerveau ».

J’invite ensuite les étudiant·es à regarder les réponses au test données par les étudiant·es les années précédentes et leur explique que ces différentes affirmations vont être traitées dans le cours.

Présentation de la technique

Afin de présenter la technique, je propose notamment de visionner cet extrait de l’épisode 4 saison 6 de la série Docteur House (l’extrait est en version originale).

 

Dans cet extrait on suit une « séance » de thérapie miroir pratiquée sur un patient amputé d’un bras et souffrant de douleurs du membre fantôme extrêmement fortes et gênantes depuis plusieurs années. Le patient, par le biais d’une simple boîte en carton, observe le reflet dans un miroir de son membre sain. À peine l’a-t-il observé que ses douleurs se volatilisent.

Si cette séquence a pour mérite d’assez bien présenter le dispositif de la TMi, elle est aussi une très belle illustration du traitement médiatique régulièrement réservé aux techniques d’éducation ou rééducation basée sur les neurosciences : on exagère les effets attendus.

Historique de la TMi

Diane et Vilayanur Ramachandran
Diane et Vilayanur Ramachandran

J’aborde ensuite brièvement l’historique de la TMi. La paternité de la Tmi est souvent attribuée à Vilayanur Ramachandran, qui est effectivement co-auteur (avec sa femme Diane Ramachandran) du premier article retrouvé dans les bases de donnée indexant les publications dans le champ de la santé, datant de 1996. Mais on retrouve dans la littérature des travaux datant de la fin du XIXème siècle qui déjà utilisaient l’idée de regarder dans un miroir certaines parties de corps et observaient les conséquences en terme de perceptions et motricité (travaux du psychologue George Malcom Stratton). J’explique un peu plus précisément comment se met en place une rééducation par TMi en montrant quelques photos voire vidéos de patient·es que j’ai pris en charge. J’introduis à ce moment là les limites découlant de ma propre expérience personnelle amenée comme preuve potentielle d’efficacité de la technique.

Problèmes liés à l’apport du témoignage en guise de preuve

J’explique que comme pour beaucoup de thérapies, ce sont souvent des témoignages de praticien·nes, de patient·es ou de chercheur·es qui peuvent être amenés en guise de preuve de l’efficacité de la TMi, y compris dans la littérature scientifique (études de cas). J’introduis ici les problèmes liés au témoignage et aux cas cliniques apportés comme preuve de l’efficacité de quelque chose : généralisation abusive, confusion corrélation-causalité, fluctuation des symptômes et des maladies et régression à la moyenne, biais de mémorisation, tri sélectif 1.

Je rappelle ici les principes de la pratique basée sur les preuves (ou Evidence-based practice) : l’idée n’est pas de mettre l’expérience personnelle des praticien·nes et des patient·es à la poubelle mais de leur accorder une juste place dans le triptyque expérience clinique, préférences des patient·es, données de la recherche.

L’accent est surtout mis sur la façon de se renseigner dans la pratique quotidienne sur une technique de rééducation dont on questionne l’efficacité (quels sites internet, quels mots clés, quelles informations lire), et sur la lecture critique de quelques essais (comment se faire rapidement une idée de la qualité des essais que l’on a devant les yeux ?), au travers de la littérature sur la TMi.

Une technique efficace ?

Revue de littérature

Cette partie est l’une des plus longues. Il s’agit de présenter les preuves disponibles dans la littérature scientifique sur l’efficacité (ou non) de la TMi (une liste non exhaustive de la littérature évoquée est disponible tout en bas de la page dans le document en PDF) pour différentes pathologies (principalement : l’hémiplégie suite à un accident vasculaire cérébral, la paralysie cérébrale de l’enfant, l’amputation, les syndromes douloureux régional complexe et les troubles musculo-squelettiques d’origine traumatologique ou rhumatologique) et symptômes (douleur, déficit articulaire ou musculaire, déficit fonctionnel, troubles sensitifs). Aujourd’hui, des preuves d’efficacité de la TMi comparativement à des prises en charge par TMi placebo ou prise en charge standard sont présentes pour certains symptômes présents chez les personnes hémiplégiques et les enfants souffrant de paralysie cérébrale. Il n’y a pas de preuve de qualité suffisante montrant l’effet de la TMi chez les personnes amputées, contrairement à ce qui est souvent avancé.

TMi « seconde vague »

Finalement j’aborde l’existence dans la littérature médicale relue par les pairs d’une sorte de TMi « seconde vague ». En effet, on voit apparaître depuis les années 2000, y compris dans des journaux de médecine réputés comme le Lancet 2, des articles présentant de la TMi par le biais d’environnements de réalité virtuelle, des exosquelettes ou encore des robots. Ces articles ne comparent jamais, à ma connaissance, l’efficacité de la TMi numérisée ou robotisée à la TMi plus classique. Pire, il s’agit le plus souvent d’études de quelques patient·es (parfois un seul 3) sans groupe contrôle. Or ses « études » ne peuvent constituer des preuves d’efficacité (et encore moins de supériorité) de la TMi numérisée ou robotisée, pour toutes les raisons évoquées dans la partie précédente réservée aux témoignages et cas clinique. Les dispositifs utilisés sont coûteux sur le plan économique et humain comparativement aux simples boîtes en carton « faites-maison » utilisées le plus souvent en TMi : fabrication (avec matières premières rares, pour les batteries notamment), achat par les établissements ou professionnel·les de santé, frais de formation des patient·es et des praticien·nes, maintenance, réparation. Sont aussi soulevés les problèmes liés au fait que le temps d’installation des patient·es sur ces dispositifs est conséquent, et qu’il n’est pas imaginable que chaque patient·es puisse avoir ces dispositifs à la maison et continuer les séances en autonomie. En résumé, il est abordé avec les étudiant·es les limites potentielles de ces dispositifs, particulièrement s’ils ne sont pas testés de manière comparative avec des outils moins coûteux.

Mécanisme d’action

Je rappelle aux étudiant·es que souvent lors des cours sur des techniques de rééducation, un temps non négligeable du cours est consacré aux mécanismes d’action (neurophysiologiques ou mécaniques) de la technique présentée. Concernant la TMi, une des hypothèses avancées pour expliquer son efficacité (dont les preuves disponibles sont circonscrites, on l’a vu, à certaines populations et indications bien précises) est l’activation du système des neurones miroirs lorsqu’on réalise la technique.

Les limites des explications cohérentes

J’explique pourquoi je passe peu de temps sur ces explications : une technique peut être tout à fait cohérente avec les connaissance antérieures en physiologie humaine et biomécanique, et pour autant ne pas montrer une efficacité supérieure à d’autres techniques ou à l’absence de prise en charge. Une illustration possible est l’histoire du flécaïnide, dans les années 80. La substance active contenue dans ce médicament réduisait les arythmies de patient·es souffrant de problèmes cardiaques. Il semblait donc logique de le recommander à des patient·es souffrant de troubles du rythme. Plus de 200 000 personnes furent traitées avec ce médicament. En parallèle, des essais contrôlés randomisés ont été menés sur d’autres patient·es. On s’est alors rendu compte que la mortalité des patient·es était plus importante dans les groupes avec flécaïnide que dans les groupes avec placebo. Le médicament a alors été retiré du marché pour certaines indications, bien que d’un point de vue physio-pathologique, l’indication était cohérente 4.

Les neurones miroirs

J’insiste sur le fait que l’hypothèse de l’activation du système des neurones miroirs lors de la TMi est une des hypothèses physio-pathologiques possibles, mais qu’elle ne peut constituer en rien une preuve quelconque de son efficacité.

Je rappelle brièvement ce que sont les neurones miroirs. J’insiste surtout sur l’extrapolation qui est faite des connaissances relatives aux neurones miroirs : on retrouve dans un certain nombre d’ouvrages de développement personnel, d’éducation ou de rééducation, destinés au grand public ou aux professionnel·les de santé, l’appel au système des neurones miroirs pour justifier l’efficacité d’une méthode ou expliquer des phénomènes complexes et multifactoriels. Cela est notamment le cas dans la conférence TED de Ramachandran où il qualifie les neurones miroirs de « neurones qui ont formé la civilisation », ou dans cet article de Médiapart où on trouve la citation suivante : « Ces neurones miroirs confirment les découvertes de C.G.Jung sur l’influence déterminante de notre inconscient personnel et collectif. » 5.

L’effet neurosciences

Définition

Ces présentations permettant d’enchaîner sur l’effet neurosciences, décrit ainsi par Normand Baillargeon : « On tend à accorder plus de crédibilité à une idée, même fausse, quand elle se réclame des neurosciences, quand elle utilise son langage, ses images. » 6.

Preuves expérimentales

Cet effet est étayé expérimentalement. Je présente une ou deux études illustrant cet effet : celle de Lindell et Kidd de 2013, qui montre que le fait d’être exposé à un prospectus vantant une méthode d’éducation dont le titre est Right Brain Training plutôt qu’à un prospectus de contenu strictement identique mais s’intitulant Right Start Training, influence les adhésions aux programmes des personnes (les gens exposés à Right Brain pensent par exemple plus souvent que le fondement scientifique de la méthode est important) 7. (Voir illustration ci-après, qui m’a été fournie par les auteur·es de la publication.)

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CorteX_tmi_effet-neurosciencesUne autre étude s’intéressant à l’effet neurosciences est celle de Ali et al., 2014 8. Des étudiant·es sont exposé·es à une machine censée lire dans leur pensées (nommée Spintonics, qui les expose à des représentations graphiques de cerveaux) ; des questions leur sont posées relativement à leur scepticisme vis-à-vis des capacités de la machine, selon si les étudiant·es ont ou non suivi un cours d’esprit critique durant tout un semestre. Leur scepticisme vis-à-vis des capacités de la machine à leur pensée reste faible, y compris pour les étudiant·es exposé·es à des cours d’esprit critique sur les neurosciences.

Illustrations

On trouve de nombreuses illustrations de l’effet neurosciences dans des magazines grand public ou pour professionnel·les de santé, sur des sites internes, dans des brochures commerciales, etc. Le Neuromotus© est par exemple un appareil permettant de réaliser de la TMi par réalité virtuelle, notamment pour des personnes amputées.

Les neuromythes

Selon le temps dont je dispose, j’aborde également certains neuromythes tels que ceux présentés ci-dessous, qui ont déjà fait l’objet d’une présentation en accès libre disponible ici.

 

Audio

L’enregistrement audio de la présentation La thérapie miroir : de l’outil thérapeutique aux neuromythes par Nelly Darbois lors du séminaire Corps et prothèses, sensori-motricité, intersensorialité et réalité virtuelle du 26 janvier 2018 à Grenoble.

Télécharger l’audio ici. Voir ou télécharger le diaporama en PDF.

Nelly Darbois

Publication sur l'ostéopathie viscérale dans BMC Complementary and Alternative Medicine

Depuis plusieurs années, nous analysons de manière approfondie l’historique, les fondements physio-pathologiques, les outils diagnostics et l’efficacité spécifique de diverses thérapies ou méthodes, pratiquées notamment par les kinésithérapeutes : fasciathérapie méthode Danis Bois, biokinergie ou encore ostéopathie crânienne. En décembre 2016, nous vous annoncions notre publication, non sans encombre, d’une partie de nos travaux sur l’ostéopathie crânienne dans Plos One. Nous nous sommes à nouveau soumis·es au processus de relecture par les pairs pour publication dans une revue scientifique indexée. Cet article porte cette fois sur l’ostéopathie viscérale. Se trouve ci-dessous la référence de la publication (en accès libre), son résumé, ainsi qu’une petite note à l’intention de nos lectrices et lecteurs qui attendent avec impatience la mise à disposition de notre rapport complet sur l’ostéopathie viscérale.

Référence de l’article

Albin Guillaud, Nelly Darbois, Richard Monvoisin, Nicolas Pinsault. Reliability of diagnosis and clinical efficacy of visceral osteopathy: a systematic review. BMC Complementary and Alternative Medicine. 2018 18:65

Lire ou télécharger la publication en PDF ici.

Résumé (en anglo-américain)

Il est possible d’utiliser Deep-L pour traduire ce texte.

Background

In 2010, the World Health Organization published benchmarks for training in osteopathy in which osteopathic visceral techniques are included. The purpose of this study was to identify and critically appraise the scientific literature concerning the reliability of diagnosis and the clinical efficacy of techniques used in visceral osteopathy.

Methods

Databases MEDLINE, OSTMED.DR, the Cochrane Library, Osteopathic Research Web, Google Scholar, Journal of American Osteopathic Association (JAOA) website, International Journal of Osteopathic Medicine (IJOM) website, and the catalog of Académie d’ostéopathie de France website were searched through December 2017. Only inter-rater reliability studies including at least two raters or the intra-rater reliability studies including at least two assessments by the same rater were included. For efficacy studies, only randomized-controlled-trials (RCT) or crossover studies on unhealthy subjects (any condition, duration and outcome) were included. Risk of bias was determined using a modified version of the quality appraisal tool for studies of diagnostic reliability (QAREL) in reliability studies. For the efficacy studies, the Cochrane risk of bias tool was used to assess their methodological design. Two authors performed data extraction and analysis.

Results

Eight reliability studies and six efficacy studies were included. The analysis of reliability studies shows that the diagnostic techniques used in visceral osteopathy are unreliable. Regarding efficacy studies, the least biased study shows no significant difference for the main outcome. The main risks of bias found in the included studies were due to the absence of blinding of the examiners, an unsuitable statistical method or an absence of primary study outcome.

Conclusions

The results of the systematic review lead us to conclude that well-conducted and sound evidence on the reliability and the efficacy of techniques in visceral osteopathy is absent.

Plus d’informations

Cet article est tiré d’un rapport que nous avons réalisé à la demande du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes (CNOMK). En plus du contenu de la publication dans BMC Complementary and Alternative Medicine, sont présentés dans ce rapport les résultats d’une enquête exhaustive sur l’histoire de l’ostéopathie viscérale, la description précise de ses fondements théoriques, et l’analyse de la validité scientifique de ces mêmes fondements1. Ce rapport est élaboré à partir d’une méthodologie similaire à celle employée dans le rapport sur l’ostéopathie crânienne, mais améliorée par notre expérience, nos erreurs et l’aide des outils de la collaboration Cochrane en constante évolution. Nous avons terminé et rendu le rapport au CNOMK en octobre 2016. Ce travail n’a pas encore été rendu public.

La maxime de Hume et le poids de la preuve

Une des règles au CorteX est celle-ci : si dans un article l’on se sert d’un outil qui n’est pas expliqué dans nos pages, alors on referme le piège sur soi et on est moralement contraint de documenter l’entrée. Cette fois, le piège à ours s’est refermé sur moi en un shllaaaak retentissant : je dois traiter de la maxime de Hume.

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Carl Sagan, hilare

Il est exact de dire que la proportionnalité du poids de la preuve à l’extraordinarité d’une affirmation a été rendue célèbre dans le monde anglo-saxon par Carl Sagan sous cette forme : « Extraordinary claims require extraordinary evidence » (des prétentions extraordinaires nécessitent une preuve extraordinaire). C’était dans le livre Broca’s Brain de 1980 1.

Sur le plan temporel, pourtant, c’est sous la plume du co-réinventeur de la zététique moderne, Marcello Truzzi, qu’on en retrouve la mention, dans l’édito de The Zetetic, volume 1, n°1 de la fin 19762. Plus tard, Truzzi écrira en substance la même chose :

Marcello Truzzi, goguenard

In science, the burden of proof falls upon the claimant; and the more extraordinary a claim, the heavier is the burden of proof demanded

(dans On Some Unfair Practices towards Claims of the Paranormal de 1987 et dans Oxymoron: Annual Thematic Anthology of the Arts and Sciences, 1998.)

Pourtant, ce « principe » se retrouve déjà chez d’autres auteurs plus classiques. On trouve en trace chez le marquis de Laplace, dans son Essai philosophique sur les probabilités de 1814 :

Pierre-Simon de Laplace, à peine souriant

Nous sommes si éloignés de connaître tous les agents de la nature et leurs divers modes d’action qu’il ne serait pas philosophique de nier les phénomènes uniquement parce qu’ils sont inexplicables dans l’état actuel de nos connaissances. Seulement, nous devons les examiner avec une attention d’autant plus scrupuleuse qu’il paraît plus difficile de les admettre 3.

David Hume, flegmatique

Mais soixante ans plus tôt, le philosophe écossais David Hume (prononcer « iume » : si vous dites üme, ou heum, ça ne fait pas pro) énonçait ce qui deviendra célèbre sous le terme de maxime de Hume : « A wise man, therefore, proportions his belief to the evidence », traduite en « Un homme sage, donc, proportionne sa croyance aux preuves ». Ce conseil ouvre sur son célèbre texte sur les miracles, extraite du chapitre X d’Enquête sur l’entendement humain de 1748 :

Pour que quelque chose soit considéré comme un miracle, il faut qu’il n’arrive jamais dans le cours habituel de la nature. Ce n’est pas un miracle qu’un homme, apparemment en bonne santé, meure soudainement, parce que ce genre de mort, bien que plus inhabituelle que d’autres, a pourtant été vu arriver fréquemment. Mais c’est un miracle qu’un homme mort revienne à la vie, parce que cet événement n’a jamais été observé, à aucune époque, dans aucun pays. Il faut donc qu’il y ait une expérience uniforme contre tout événement miraculeux, autrement, l’événement ne mérite pas cette appellation de miracle. Et comme une expérience uniforme équivaut à une preuve, il y a dans ce cas une preuve directe et entière, venant de la nature des faits, contre l’existence d’un quelconque miracle. Une telle preuve ne peut être détruite et le miracle rendu croyable, sinon par une preuve contraire qui lui soit supérieure. La conséquence évidente (et c’est une maxime générale qui mérite notre attention) est : « Aucun témoignage n’est suffisant pour établir un miracle à moins que le témoignage soit d’un genre tel que sa fausseté serait plus miraculeuse que le fait qu’il veut établir » (No testimony is sufficient to establish a miracle, unless the testimony be of such a kind, that its falsehood would be more miraculous than the fact which it endeavors to establish) ; et même dans ce cas, il y a une destruction réciproque des arguments, et c’est seulement l’argument supérieur qui nous donne une assurance adaptée à ce degré de force qui demeure, déduction faite de la force de l’argument inférieur. Quand quelqu’un me dit qu’il a vu un mort revenu à la vie, je considère immédiatement en moi-même s’il est plus probable que cette personne me trompe ou soit trompée, ou que le fait qu’elle relate ait réellement eu lieu. Je soupèse les deux miracles, et selon la supériorité que je découvre, je rends ma décision et rejette toujours le plus grand miracle. Si la fausseté de son témoignage était plus miraculeuse que l’événement qu’elle relate, alors, et alors seulement, cette personne pourrait prétendre commander ma croyance et mon opinion. » 4.

Jean Bricmont, qui fut le premier à me vanter les mérites de Hume, en prône une utilisation sans modération, avec une clarté d’eau de montagne.

« […] l’argument est le suivant : si vous observez vous-même un miracle, c’est à vous de voir si vous étiez sobre, sain d’esprit, etc. à ce moment-là. Mais si la plupart des gens qui croient aux miracles ont cette croyance, ce n’est pas parce qu’ils en ont observé un, c’est parce que le « fait » leur a été rapporté par d’autres. Or, observe Hume, un miracle (une résurrection par exemple) peut être considéré comme une violation des lois naturelles ; notre confiance dans la validité de ces lois est entièrement fondée sur l’expérience et, par conséquent, est faillible. Mais le témoignage qui atteste de leur violation est également entièrement fondé sur l’expérience. Eh bien ! Nous avons tous eu l’expérience du fait que des gens se trompent ou nous trompent (si vous n’êtes pas convaincus, achetez une voiture d’occasion). Nous devons donc comparer la probabilité de deux événements : d’une part, la suspension momentanée des lois naturelles, d’autre part le fait que quelqu’un dans la chaîne des témoignages qui nous rapportent le miracle (chaîne qui, en ce qui concerne les miracles de l’époque biblique, est assez longue) se trompe ou nous trompe. La probabilité penche toujours en faveur de la seconde hypothèse, pour la simple raison que notre expérience personnelle nous a amplement démontré l’existence de ce phénomène alors qu’elle ne nous a jamais montré que les lois naturelles peuvent être violées. Une autre façon de dire la même chose, c’est que le « fait brut » à expliquer, celui auquel vous avez directement accès, n’est pas le miracle lui-même, mais le témoignage (souvent indirect) concernant le miracle. Et celui-là est facile à expliquer, au moyen de la psychologie humaine et sans invoquer de violation des lois naturelles. (…) je prétends qu’on peut le généraliser et qu’il a alors une portée absolument dévastatrice pour toutes sortes de croyances ; il faut en effet poser la question suivante aux scientifiques tout autant qu’aux diseuses de bonne aventure, aux astrologues et aux homéopathes : quelles raisons me donnez-vous de croire que la véracité de ce que vous avancez est plus probable que le fait que vous vous trompiez ou que vous me trompiez ? » 5

Bricmont revient dessus dans un texte plus récent.

« Supposons, dit Hume, que, comme c’est le cas pour la plupart des gens, vous n’ayez jamais vu un miracle vous-même, mais que vous ayez simplement entendu des gens vous rapporter (par exemple via la Bible) l’existence de miracles. Est-il rationnel d’y croire ? Non, répond Hume, parce que vous savez, par votre expérience personnelle, qu’il existe des gens qui se font des illusions ou qui cherchent à tromper d’autres personnes. Par contre, un miracle, vous n’en avez aucune expérience personnelle. Par conséquent, il est plus rationnel de croire que le fait que vous entendiez un récit de miracle s’explique en supposant que quelqu’un se trompe ou vous trompe plutôt qu’en supposant qu’un miracle s’est réellement produit. Hume ne dit évidemment pas qu’il ne faut croire qu’en ce qu’on perçoit directement, mais plutôt qu’il faut exiger de son interlocuteur que, si ce qu’il dit contredit l’ensemble de toutes nos expériences passées, il apporte des preuves de ce qu’il avance qui soient plus crédibles que ces expériences elles-mêmes, en particulier que l’expérience quasi-quotidienne de gens qui se trompent ou nous trompent. Hume était manifestement content de son argument puisqu’il écrivait qu’il « doit au moins réduire au silence la bigoterie et la superstition les plus arrogantes et nous délivrer de leurs impertinentes sollicitations »6.

L’argument est important non plus tant en ce qui concerne les miracles religieux traditionnels, auxquels peu de gens croient aujourd’hui, au moins en France, mais parce qu’il donne un bon exemple de la façon rationnelle de procéder pour effectuer un tri entre les diverses opinions auxquelles nous sommes confrontés. On peut et on doit poser la même question au garagiste qui vend des voitures d’occasion, au banquier qui fait miroiter des dividendes fabuleux, au politicien qui promet la sortie du tunnel après des années d’austérité, au journaliste qui rend compte d’événements se passant dans des pays lointains, ainsi qu’au physicien, au prêtre ou au psychanalyste : quels arguments me donnez-vous pour qu’il soit plus rationnel de croire ce que vous dites plutôt que de supposer que vous vous trompez ou que vous me trompez ? De plus, la longue liste des erreurs scientifiques passées rend le défi du sceptique encore plus difficile à relever. Ce point mérite d’être souligné, parce que les erreurs scientifiques sont souvent invoquées, comme argument indirect, par les partisans des religions et des pseudo-sciences, alors que ces erreurs fournissent en réalité des arguments en faveur d’un scepticisme accru, y compris évidemment à l’égard des doctrines non scientifiques.

Notons également que Hume ne dit pas que cette façon de raisonner permet toujours d’arriver à des conclusions correctes. En effet, il donne l’exemple d’un prince indien qui refusait de croire que l’eau gèle chez nous en hiver et il approuve sa façon de raisonner : l’eau se solidifie abruptement autour de zéro degré et le prince, vivant dans un climat chaud, n’avait aucune raison de penser qu’un tel phénomène soit possible ; il était par conséquent rationnel pour lui de ne pas croire sur parole son interlocuteur venu d’Europe. Hume donne une règle méthodologique qu’il est rationnel de suivre en toutes circonstances ; mais que cette règle mène ou non à la vérité dans un cas particulier ne peut être garanti a priori et dépend du degré d’information que nous possédons dans ce cas-là. 7

CorteX_Isaac_Asimov
Isaac Asimov, circonspect

Isaac Asimov a lui aussi contribué à populariser cette question du « poids de la preuve ». Je crois que je lui ai pris (à moins que ce ne soit à Henri Broch, grand lecteur d’Asimov ?) cette formulation intuitive : si mon affirmation est triviale, comme « j’ai vu une grenouille », la preuve demandée n’a aucun besoin d’être grande, mais l’intérêt suscité non plus n’est pas grand. Si je dis que j’ai vu une grenouille rouge (une dendrobate), ou une grenouille tenant une fourche, l’intérêt est plus grand, mais la preuve demandée croit en proportion. Si je vous dis que j’ai vu galoper un dinosaure, à moins que vous ne soyez spécialiste de phylogénétique (et m’embêtez avec le fait que les oiseaux sont des dinosaures aviens, et que par conséquente une poule est un dinosaure), la preuve à fournir devra être très solide.

J’avais pour ma thèse fait deux dessins, qui m’ont servi de base pour certaines diapositives de mes cours. Les voici 8.

CorteX_Curseur_Vraisemblance2
R : confiance dans le rapporteur – R* état d’ébriété du rapporteur – F : qualité de la transmission du fait – M écoute du récepteur, son état.
CorteX_Curseur_Vraisemblance
CorteX_Monvoisin_Cours_3_CV
Ma diapo de cours Curseur vraisemblance, Zététique & autodéfense intellectuelle, Licence, Univ. Grenoble-Alpes
CorteX_Monvoisin_Cours_3_Hume
Ma diapo de cours Maxime de Hume, Zététique & autodéfense intellectuelle, Licence, Univ. Grenoble-Alpes

Asimov était d’ailleurs revenu sur ce principe dans The roving mind (1983) (traduit par Les moissons de l’intelligence, aux éditions Horizon chimérique).

“Don’t you believe in flying saucers, they ask me? Don’t you believe in telepathy?

– in ancient astronauts?

– in the Bermuda triangle?

– in life after death?

No, I reply. No, no, no, no, and again no.

One person recently, goaded into desperation by the litany of unrelieved negation, burst out ‘Don’t you believe in anything?’

‘Yes,’ I said. ‘I believe in evidence. I believe in observation, measurement, and reasoning, confirmed by independent observers. I’ll believe anything, no matter how wild and ridiculous, if there is evidence for it. The wilder and more ridiculous something is, however, the firmer and more solid the evidence will have to be.” (p. 43)

Jean Rostand, pensif

PS : j’en profite pour vous remémorer ce petit morceau exquis d’un auteur qui ne l’était pas moins, Jean Rostand, sur les miracles. Jean Rostand, spécialiste des grenouilles, grand penseur rationaliste, pacifiste, pro-avortement (il témoigna lors du procès de Bobigny), défendait l’autodéfense intellectuelle, qu’il appelait l’hygiène préventive du jugement. Il s’exprime ici 1958.

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