Pourquoi un tel attrait pour la naturopathie ?

Cet article (3/12) s’inscrit dans une série de douze articles sur la naturopathie rédigée avec la volonté de porter un regard détaillé et critique sur la discipline, et dont vous pourrez trouver le sommaire ici. Il ne s’agit pas de partir en quête d’une vérité absolue, mais d’alimenter des réflexions destinées à éviter de causer ou laisser perdurer des souffrances inutiles, de permettre à chacun.e de faire les meilleurs choix en termes de santé. Dans ce troisième article, il s’agira de présenter certains des éléments qui justifient l’attrait dont bénéficie la naturopathie.

Les médecines alternatives et complémentaires (MAC – dont la naturopathie) sont attractives à plusieurs titres, et sont parfois perçues comme une alternative valable à la médecine. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette attirance.1

Certaines personnes, convaincues par plusieurs témoignages, sensibles à la dimension « naturelle » ou « holistique » ou bien encore réceptives à l’illusion d’autonomie vantée par les MAC se laissent facilement tenter par ces pratiques. C’est d’autant plus vrai lorsque ces personnes baignent dans un milieu « alternatif » où fleurissent diverses influences favorables aux MAC (que ce soit le milieu familial, amical ou professionnel). Mais au-delà de ces influences, d’autres raisons expliquent l’attrait pour les MAC.

On remarquera pour commencer que la naturopathie profite des limites inhérentes à la médecine. En effet, la médecine n’apporte pas une réponse parfaite à toutes les situations. Il arrive en effet, malgré son sérieux, qu’elle échoue à proposer une solution curative, qu’elle peine à établir rapidement un diagnostic complexe, qu’elle peine à proposer des traitements efficaces sans effets secondaires, ou bien qu’elle soit limitée dans la prise en charge de certaines douleurs chroniques (même si cela a fortement évolué ces dernières années). Or, pour ce genre de situations, les MAC avancent des solutions simples et prétendument efficaces : il est donc particulièrement tentant d’y recourir, en désespoir de cause.

La naturopathie surfe également sur le climat de défiance généralisée envers la médecine, en se présentant comme une approche préventive et curative qui s’est construite en opposition aux fondements de la médecine (approche causaliste VS approche symptomatique, approche holistique VS approche spécialisée, approche vitaliste VS approche matérialiste etc – c’est l’objet de l’article suivant). La réputation de la médecine souffre en effet des nombreux scandales sanitaires qui ont écorné son image (affaire du sang contaminé, scandale du Distilbène ou du Mediator…), ainsi que des nombreuses situations où sont mis en avant divers conflits d’intérêts entre l’industrie pharmaceutique et les professionnel.les de santé. Cette crise de défiance généralisée conduit certaines personnes à réclamer un encadrement plus strict des rapports entre l’industrie pharmaceutique et les acteurices du monde médical (voir par exemple l’activité de l’association Formindep). D’autres personnes choisissent plutôt de se tourner vers les MAC, perçues comme une alternative idéalisée (nous reviendrons sur cet aspect un article suivant).

Notons également que, que dans certains secteurs géographiques, il est plus aisé de prendre rendez-vous avec un.e naturopathe qu’avec un médecin : les praticien.nes de MAC sont en effet souvent bien plus accessibles… Dans certaines situations d’ailleurs, ce sont les médecins elleux-mêmes qui recommandent le recours à des MAC, dont la naturopathie. A ce sujet, il n’est pas impossible que le peu d’énergie déployée par les institutions ordinales et gouvernementales pour combattre les dangers des MAC soit pour partie responsable de leur essor et de leur attractivité.

Un autre aspect qui peut rendre les MAC attirantes, c’est le constat d’une relation thérapeutique médecin / patient.e altérée.2 Les patient.es vont alors chercher auprès des praticien.nes de MAC la qualité relationnelle dont iels n’ont pas bénéficié dans un contexte médical.

En premier lieu, on peut pointer du doigt le manque d’écoute dont se plaignent la plupart des patient.es. Car les praticien.nes de MAC, elleux, peuvent se permettre de faire des consultations d’une heure, voire plus. Consultations pendant lesquelles les client.es se sentent pleinement écouté.es et entendu.es. Bien évidemment, les médecins, pour la plupart, ne peuvent pas se permettre de mener des consultations qui durent plus d’un quart d’heure. C’est tout simplement impossible au regard de la demande sous laquelle iels croulent. La première chose à faire, ce serait donc de réformer notre système de soin de manière à ce que les médecins et professionnel.les de santé puissent prendre ce temps d’écoute. Mais en attendant une petite révolution dans le milieu médical… rien n’empêche, pendant ce quart d’heure de consultation, de faire un effort pour se montrer à l’écoute de son ou sa patiente. Ça passe notamment par le fait de répondre précisément aux questions qui sont posées, d’être à l’écoute de ce que son ou sa patiente exprime verbalement et non verbalement, et de montrer dans la réponse que l’on apporte que l’on prend bien en compte ce qui a été exprimé.

Ensuite, un élément majeur dans l’attirance pour les MAC, c’est le fait que les médecins, pour la plupart, ne prennent pas le temps d’expliquer aux malades les mécanismes de leur(s) pathologie(s) et le mode d’action des traitements qu’ils leurs prescrivent. Parce qu’il faut bien avoir conscience d’une chose : là où les professionnel.les de santé n’auront pas fait cet effort de pédagogie et de communication, les praticien.nes de MAC, elleux, ne se priveront pas de donner des explications causales diverses et variées. Et même si ces explications sont sans fondement sérieux, si les patient.es n’en ont pas eu d’autres, iels y adhéreront sans peine.

Les patient.es se plaignent aussi parfois des jugements émis par les professionnel.les de santé au sujet de leur mode de vie, de leur choix de contraception, de leurs choix alimentaires etc. A ce sujet, je pense notamment aux travaux de thèse en médecine générale du Dr Sébastien Demange3, qui a montré clairement un lien entre le fait d’être confronté.e à des jugements négatifs de la part de son médecin sur le choix d’avoir une alimentation végétarienne, et l’attirance qui en découle pour les MAC. Car une fois que la qualité de la relation médecin / patient.e est altérée, les patient.es ont tendance à taire leurs symptômes auprès de leur médecin, à moins bien observer les prescriptions médicales, mais aussi à plus facilement solliciter un.e naturopathe, un.e praticien.ne de médecine traditionnelle chinoise ou un.e homéopathe. Les patient.es pensent donc échapper à ces jugements en ayant recours à des pratiques de soins valorisées dans des milieux alternatifs.

A noter également : les comportements ou propos oppressifs (sexisme, homophobie, racisme, transphobie, validisme, grossophobie ou bien psychophobie) sont des éléments majeurs qui conduisent les patient.es à se détourner de la médecine, pensant être préservé.es en recourant aux MAC. La littérature scientifique abonde de publications qui mettent en lumière l’impact de ces discriminations dans le parcours de soin de personnes minorisées.4

Autre point dont je pense qu’il contribue à l’essor des MAC : les médecins ont encore trop souvent tendance à négliger l’importance de l’accompagnement réalisé par les professionnel.les de la santé mentale et par les professionnel.les de santé que sont les diététicien.nes. Car en ne renvoyant pas vers les diététicien.nes, les médecins laissent la porte ouverte aux naturopathes, qui se réjouissent de pouvoir faire des recommandations alimentaires à leurs client.es. Et en ne renvoyant pas leur patient.es vers les professionnel.les de la santé mentale que sont les psychologues, les médecins contribuent indirectement au succès des sophrologues, kinésiologues, magnétiseurs et autres réflexologues, ces praticien.nes de MAC qui tentent tant bien que mal de répondre à la détresse mentale et psychologique de leurs client.es.

Il me faut bien évidemment nuancer mon propos, car on ne peut pas souligner l’importance de l’accompagnement diététique et psychothérapeutique sans déplorer en même temps le frein majeur que constitue l’absence de prise en charge par la sécurité sociale de ces consultations. On notera tout de même qu’il y a eu une tentative en ce sens avec le conventionnement des certain.es psy, mais force est de constater que la réforme « Mon parcours psy » est un échec cuisant et ne répond absolument pas aux besoins des patient.es (ni à ceux des psy d’ailleurs…).

Enfin, le défaut d’enseignement des outils de la pensée critique et d’auto-défense intellectuelle aux plus jeunes contribue sûrement pour partie à l’attractivité des MAC, qui, sans recul critique, peuvent être perçues comme rigoureuses. Mais sur ce point, les choses évoluent favorablement, car le Ministère de l’Éducation Nationale prend de plus en plus au sérieux l’éducation à l’esprit critique (bien que les volontés politiques ne permettent pas, pour l’heure, de déployer des moyens adaptés…).

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En pratique, la naturopathie, ça donne quoi ?

Cet article (2/12) s’inscrit dans une série de douze articles sur la naturopathie rédigée avec la volonté de porter un regard détaillé et critique sur la discipline, et dont vous pourrez trouver le sommaire ici. Il ne s’agit pas de partir en quête d’une vérité absolue, mais d’alimenter des réflexions destinées à éviter de causer ou laisser perdurer des souffrances inutiles, de permettre à chacun.e de faire les meilleurs choix en termes de santé. Dans ce deuxième article, il s’agira de définir les modalités pratiques de la naturopathie.

Au regard du manque d’encadrement de la discipline, les pratiques observées en naturopathie sont très variables. On peut cependant dégager quelques points qui semblent communs à la quasi-totalité des naturopathes, et que je vais détailler ci-dessous.

Les naturopathes reçoivent leurs client.es en consultation individuelle, le plus souvent pour une durée minimale d’une heure. Une consultation est facturée en moyenne entre 50 et 80 euros, mais les tarifs sont très variables, notamment en fonction du lieu d’exercice. A la manière des professionnel.les de santé, les naturopathes mènent une anamnèse : c’est à dire qu’iels posent de nombreuses questions sur les antécédents médicaux de la personne, son histoire de vie, d’éventuels événements marquants, ses pathologies et troubles actuels, ses données de santé de manière plus générale (bilan biologique récent, poids, éventuels traitements en cours…), son activité professionnelle, ses habitudes en terme d’hygiène de vie (sommeil, tabac, activité physique, gestion du stress…), son environnement familial, ses habitudes alimentaires, son état émotionnel etc.

Iels vont aussi tenter d’évaluer la qualité du « terrain » en posant des questions censées donner des informations sur chacun des systèmes principaux de l’organisme (respiratoire, cardio-vasculaire, immunitaire, cutané, urinaire, digestif, hormonal, locomoteur et nerveux) et en observant certains détails de la physionomie de la personne reçue (pilosité, ongles, yeux/iridologie, traits du visage/morphopsychologie…). De ce dernier aspect découle la préférence des naturopathes pour les consultations en présentiel, car iels peuvent ainsi analyser de près leurs client.es.

A l’issue de ce long temps d’échange, où la personne reçue a l’occasion de s’exprimer librement et d’être écoutée (ou bien au fur et à mesure de la consultation), les naturopathes vont formuler des recommandations supposément destinées à préserver ou améliorer l’état de santé de cette personne. Le plus souvent il s’agira de recommandations diététiques (éviter absolument certains aliments, en privilégier d’autres, revoir ses habitudes alimentaires, composer ses repas autrement, changer de lieux d’approvisionnement etc) associées à des recommandations d’hygiène de vie (activité physique, sommeil, tabac…) et des recommandations de compléments alimentaires plus ou moins coûteux (gélules de plantes, minéraux, vitamines, huiles essentielles, probiotiques, complexes détox…). Il est fréquent que des recommandations relevant du développement personnel soient également prodiguées (outils de CNV, pensée positive, PNL…), ainsi que des exercices de gestion du stress (cohérence cardiaque, relaxation de Jacobson, méditation…) et des conseils d’ordre énergétique (exercice des bonhommes allumettes, lithothérapie, techniques réflexes, EFT…).

Les naturopathes étant considéré.es comme les « généralistes » des médecines dites alternatives, il est courant qu’iels renvoient leurs client.es vers des collègues perçu.es comme complémentaires : ostéopathes, sophrologues, kinésiologues, magnétiseurs, chamanes, praticien.nes de médecine traditionnelle chinoise (acupuncture), homéopathes, réflexologues, hypnothérapeutes, géobiologues etc. A moins d’être elleux-même formé.es à ces pratiques, auquel cas les naturopathes peuvent s’auto-recommander pour plusieurs séances supplémentaires…

Habituellement, les recommandations formulées par les naturopathes visent à suivre une logique bien établie, qui présente trois étapes distinctes et qui justifie un suivi régulier :

– En premier lieu, la cure de désintoxication, pour prétendument nettoyer et drainer l’organisme, le libérer des surcharges et toxines accumulées.

– Puis, la cure de revitalisation, supposément destinée à combler les carences et mettre en place des habitudes alimentaires et d’hygiène de vie optimales (c’est à dire qui soient moins sources de toxines et surcharges).

– Et enfin, la cure de stabilisation, censée permettre de maintenir les bénéfices acquis dans les précédentes phases, pour un parfait équilibre physique, émotionnel, et énergétique sur le long terme.

Notons que si certain.es naturopathes sont également professionnel.les de santé (médecins, infirmier.es, pharmacien.nes…), l’immense majorité ne le sont pas et exercent après une formation en naturopathie de durée et contenu extrêmement variables. Et encore, cela n’est pas obligatoire puisque, faute d’encadrement de la pratique, il est possible en France d’installer sa plaque de naturopathe et d’ouvrir son cabinet sans avoir suivi la moindre formation ni obtenu la moindre certification.

Et en matière de formation, on trouve absolument de tout : à distance ou en présentiel, sur quelques week-ends ou sur une année entière, avec ou sans période de stage, avec ou sans contrôle continu, certifiée par la fédération française de naturopathie ou pas, condensée en quelques dizaines de pages de pdf ou en des centaines d’heures de cours… Mais pour avoir eu l’occasion de comparer les enseignements prodigués dans une formation à distance à 69 euros et dans une formation en présentiel à presque 12.000 euros, je peux me permettre d’affirmer que l’essentiel du programme est identique.1

Et pour ce qui concerne la clientèle des naturopathes, un récent sondage nous apprend que 44 % des français.es auraient déjà eu recours à la naturopathie pour prévenir ou guérir des maladies. En tout, 4 % des français.es se soigneraient « principalement grâce à la naturopathie » et un quart jugent cette pratique « autant ou plus efficace que la médecine conventionnelle ».2

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Regard critique sur la naturopathie

La naturopathie est une médecine alternative et complémentaire (MAC) particulièrement médiatisée ces derniers mois, notamment après le scandale relatif à l’hébergement sur Doctolib de nombreux.ses naturopathes1, mais aussi et surtout autour des désormais célèbres Irène Grosjean2, Thierry Casasnovas3 et Miguel Barthéléry4. On en parle beaucoup, mais au final, on en parle rarement de manière très précise.

Cette série d’articles a donc été rédigée avec la volonté de porter un regard détaillé et critique sur la discipline. Critiquer la naturopathie, en effet, mais je précise qu’il n’est pour autant pas question ici de remettre en cause les intentions louables des naturopathes, ni leur volonté sincère de prendre soin d’autrui. Il ne s’agit pas non plus de partir en quête d’une vérité absolue, mais d’alimenter des réflexions destinées à éviter de causer ou laisser perdurer des souffrances inutiles, de permettre à chacun.e de faire les meilleurs choix en termes de santé.

Le contenu de cette série d’articles concerne la naturopathie, mais comme vous pourrez le constater, beaucoup des aspects abordés concernent également la plupart des autres MAC, que ce soit dans les fondements philosophiques de la discipline, son rapport à la médecine ou bien encore ses effets thérapeutiques et ses dangers.

Les articles qui composent cette série sont listés dans le sommaire ci-dessous. Le premier article sera mis en ligne en même temps que cette introduction, la suite suivra à raison d’un article publié chaque semaine.

Bonnes lecture et réflexions !

Au sommaire :

Ce contenu est conçu pour être accessible aux personnes qui connaissent peu ou pas la naturopathie, ainsi qu’aux personnes n’ayant que peu ou pas de connaissances scientifiques ou médicales.

Les ressources partagées en note de bas de page n’indiquent pas que je suis en accord avec l’ensemble des positions des personnes à l’origine des articles, vidéos ou autres publications référencées. J’ai choisi de mentionner ces ressources car elles sont, au moment de la rédaction de ces articles, celles que j’estime les plus complètes et accessibles parmi celles dont j’ai connaissance.

Au passage, un grand MERCI à mes relecteurices !

La naturopathie, qu’est-ce que c’est ?

Cet article (1/12) s’inscrit dans une série de douze articles sur la naturopathie rédigée avec la volonté de porter un regard détaillé et critique sur la discipline, et dont vous pourrez trouver le sommaire ici.
Il ne s’agit pas de partir en quête d’une vérité absolue, mais d’alimenter des réflexions destinées à éviter de causer ou laisser perdurer des souffrances inutiles, de permettre à chacun.e de faire les meilleurs choix en termes de santé.

Dans ce premier article, il s’agira de définir dans les grandes lignes ce qu’est la naturopathie : sa définition, ses outils et ses prétentions.

Il existe plusieurs définitions de la naturopathie, cette discipline n’étant pas vraiment encadrée. Mais celle-ci, extraite des cours d’une école de la fédération française de naturopathie, semble plutôt complète :

« Fondée sur le principe de l’énergie vitale de l’organisme, la naturopathie rassemble les pratiques issues de la tradition occidentale et repose sur les 10 agents naturels de santé. Elle vise à préserver et optimiser la santé globale de l’individu, sa qualité de vie, ainsi qu’à permettre à l’organisme de s’auto-régénérer par des moyens naturels. »

Les 10 agents naturels de santé mentionnés dans cette définition sont les suivants :

  • La bromatologie = diététique, nutrition, conseils diététiques.
  • La chirologie = techniques manuelles (massage, ostéopathie, chiropraxie…).
  • La kinésilogie = activité physique, activité sportive, mouvement.
  • L’actinologie = bienfaits du soleil, de la lumière, des couleurs…
  • La psychologie= prendre soin du mental, du psychisme (psychothérapie, psychanalyse, sophrologie, hypnose, psychogénéalogie, fleurs de Bach, EMDR…).
  • La pneumologie = exercices respiratoires inspirés du yoga ou des arts martiaux notamment.
  • L’hydrologie = soins par l’eau (hydrothérapie du côlon, bains dérivatifs, sauna…).
  • La magnétologie = techniques énergétiques (reiki, biomagnétisme, chakras, aimants, lithothérapie…).
  • La phytologie = phytothérapie, compléments alimentaires à base de plantes (tisanes, teintures-mères, gélules de poudre de plantes, gemmothérapie, huiles essentielles/aromathérapie…).
  • La réflexologie = techniques réflexes (réflexologie plantaire, auriculothérapie, sympathicothérapie…).

On notera l’astuce qui consiste à remplacer le suffixe « -thérapie » par « -logie » (hydrologie au lieu d’hydrothérapie, phytologie au lieu de phytothérapie…) pour donner l’impression que l’on n’a pas de prétention thérapeutique.1 C’est voulu, et nous en reparlerons dans un prochain article.

Bien que revendiquant l’ancienneté de ses outils, la naturopathie est une discipline récente. Elle a en effet été conceptualisée au 19ème siècle seulement, inspirée des théories hygiénistes2 qui avaient cours à l’époque en Europe et aux États-Unis. Les fondateurs de la naturopathie (John Scheel, Benedict Lust et ceux qui ont complété leurs travaux) revendiquent une affiliation avec des médecines plus anciennes, notamment la médecine hippocratique, la médecine traditionnelle chinoise et l’ayurveda3, bien qu’il s’agisse en réalité de récupérations opportunistes de divers concepts ou outils susceptibles de coller avec le cadre récemment créé de la naturopathie.

Hippocrate

La naturopathie emprunte en effet ponctuellement aux médecines traditionnelles de tous les continents, qui sont plus ou moins remises au goût du jour. Par exemple avec les humeurs et tempéraments hippocratiques, l’énergie vitale (empruntée au prana hindouiste ou au chi de la médecine traditionnelle chinoise), le jeûne (d’inspiration religieuse), les soins à l’argile, la théorie des signatures4, etc. Ainsi, il n’est pas rare que les naturopathes revendiquent l’ancienneté de leurs outils comme preuve de leur efficacité : les pratiques anciennes (ou prétendues anciennes) de santé sont perçues comme meilleures car à la fois plus « naturelles » et plus « traditionnelles ». Cela constitue un appel à la tradition ou à l’ancienneté5. Il s’agit d’un argument fallacieux, car ce qui est perçu comme traditionnel ou ancien n’est bien évidemment pas nécessairement bon ou meilleur. En terme de santé et de médecine par exemple, on a fort heureusement abandonné de nombreuses pratiques traditionnelles qui ont pourtant eu un fort succès à une époque : les interventions chirurgicales sans anesthésie, les saignées systématiques, mais aussi la thériaque de Galien ou bien encore les remèdes à base de mercure ou d’urine de vache… Ainsi, le caractère « ancien » ou « traditionnel » d’une pratique ne dit absolument rien sur le fait qu’elle soit préférable ou pas. Pourtant, les naturopathes continuent à défendre une prétendue supériorité des thérapeutiques anciennes ou traditionnelles.

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Des mots pour abîmer les dogmes : Poésie et pensée critique

Qu’est-ce qui nous fait sortir des chemins battus qu’emprunte aveuglément notre pensée ? Qu’est-ce qui fait vaciller les esprits, les normes, les règles, les habitudes ? Bien peu de choses semble-t-il. Mais peut-être que la poésie est de celles qui savent corrompre les équilibres trop bien établis de nos mondes intérieurs nous confinant à un éternel statu quo. C’est en tout cas une idée que nous avons tenté d’explorer dans le dernier épisode en date du podcast « Enfin, peut-être », intitulé « Le droit des ombres à choisir leur forme et leur couleur », en compagnie de Gabrielle Golondrina.
L’essentiel de l’épisode consiste à découvrir des textes à même de bousculer nos représentations du monde. Dans cet article nous en retranscrivons l’introduction et la conclusion qui tentent d’éclaircir et de motiver cette idée : les mots ont le pouvoir de fissurer la niche confortable et redoutable que sont les dogmes.

Edito : La poésie et le doute 

Il n’y a pas d’esprit critique. 

Je veux dire : il n’y a pas d’esprit qui soit continûment critique : toujours à l’affût de ses perceptions, décortiquant toute information, analysant tous les arguments, interrogeant chaque mot et doutant de sa capacité à raisonner. On ne peut pas toujours prendre du recul, il y a des moments où on est juste là. Parce que le doute est inconfortable.
Voilà ce que dit à ce sujet David Hume dans Enquête sur l’entendement humain

“La grande destructrice du pyrrhonisme, des principes excessifs du scepticisme, c’est l’action, c’est le travail, ce sont les occupations de la vie courante. Ces principes peuvent fleurir et triompher dans les écoles, où il est, certes difficile, sinon impossible de les réfuter. Mais aussitôt qu’ils quittent l’ombre et que la présence des objets réels, qui animent nos passions et nos sentiments, les oppose aux plus puissants principes de notre nature, ils se dissipent comme de la fumée, et laissent le sceptique le plus déterminé dans le même état que les autres mortels”

David Hume, Enquête sur l’entendement humain

Même après avoir remis en cause nos systèmes de croyances, nos raisonnements, nos arguments, on atterrit dans un nouveau vallon confortable, une nouvelle structure dans laquelle il nous est possible de penser et de vivre. Vous avez peut-être vécu la découverte de la pensée critique comme un abandon du monde de la croyance pour celui de la vérité ou celui du doute permanent. Il n’en est rien, vous l’avez abandonné au profit d’un autre système. Probablement meilleur d’ailleurs. Encore qu’il est difficile de savoir ce que signifie ce meilleur, mais c’est une autre question.   

Il n’y a donc pas de pensée critique, ce que l’on expérimente c’est plutôt des bonds critiques. Ce sont des instants isolés où l’on perçoit une erreur de raisonnement jusque-là invisible, où l’on réalise l’ambiguïté d’un mot, où l’on distingue une autre manière de voir les choses, où l’on doute réellement. On va alors faire évoluer notre appréhension du monde vers un autre état, stable à nouveau.  

Voilà, le scepticisme est fait de bonds qui séparent deux états stables de la pensée. On peut évidemment favoriser l’apparition de ces bonds critiques afin de mettre à jour régulièrement notre vision du monde.  

C’est, en un sens, le but des enseignements de zététique et d’esprit critique : s’approprier des méthodes, des outils permettant d’identifier une vision du monde fallacieuse. 

Mais ce n’est pas la seule manière de faire émerger des bonds critiques : dès que nous expérimentons un rapport au monde qui bouscule notre vision courante du monde, celle-ci risque d’évoluer.
Pas toujours d’ailleurs, on peut rejeter en bloc cette expérience inhabituelle, mais si l’on y est disposé, cette expérience peut faire vaciller l’inertie de notre pensée.

Parmi ces sources de perturbations, il y a l’art et en particulier la poésie. Et ce sera le sujet de cet épisode.

L’idée de l’épisode sera de lire quelques textes qui d’une manière ou d’une autre viennent questionner notre vision du monde et possiblement assouplir nos rigidités cognitives. 

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Retrouvez le reste de l’épisode ci-dessous :

Conclusion

L’idée que nous voulions partager ici, c’est de promouvoir des visions alternatives, des angles différents, s’amuser à bousculer nos croyances, quelles qu’elles soient. Non pas parce que l’alternative est forcément meilleure mais parce qu’elle montre que notre pensée actuelle peut être remise en question.

C’est une idée que j’ai depuis quelque temps : l’éducation à l’esprit critique gagnerait à insister sur l’exploration des différentes explications et des différentes solutions. Peut-être plus que sur la méthode. En fait, le manque d’esprit critique vient en premier lieu d’un manque de visibilité sur les explications ou les solutions alternatives. Une fois que l’on prend en compte ces différentes alternatives, il me semble que l’on est plus aisément disposé à les comparer et que la méthode pour y parvenir en découle plus naturellement.  


Je vais prendre un exemple que je cite souvent et qui vient du livre La naissance de la pensée scientifique de Carlo Rovelli. Il raconte le périple de Hécatée, un historien et géographe grec qui part voyager en Egypte. Hécatée est un savant et il sait que l’histoire humaine se résume en gros à une vingtaine de générations. Avant cela, c’était le règne des dieux. Il le sait parce que c’est ce que son maître lui a transmis, et c’est ce que le maître de son maître avait transmis à son maître. C’est une connaissance qui fait partie de la culture grecque à ce moment-là. Non seulement Hécatée n’a aucune idée de comment il pourrait la tester, mais pire, il n’imagine même pas que cette connaissance pourrait être testée et remise en question.

Hécatée part donc en Egypte, il y visite le temple de Thèbes et il est confronté à la vision égyptienne de la généalogie humaine qui compte, elle, 343 génération d’humains. Hécatée en est fortement déstabilisé et de retour en Grèce, il lui est désormais possible de se dire que sa connaissance de l’histoire peut être remise en question et il peut commencer à réfléchir à une méthode pour y parvenir. Voilà ce qu’en dit Carlo Rovelli :

“Un Grec, devant les statues égyptiennes qui contredisent spectaculairement son orgueilleuse vision du monde, a peut-être commencé à penser que nos certitudes peuvent aussi être mises en doute.
C’est la rencontre avec l’altérité qui ouvre nos esprits, en ridiculisant nos préjugés.”

Carlo Rovelli, Anaximandre de Milet ou la naissance de la pensée scientifique

Cette aventure, vécue par Hécatée et par un certain nombre d’autres penseurs grecs de l’époque, est assez emblématique de ce qui se passe dans le bassin méditerranéen au IVe siècle avant notre ère et plus particulièrement en Ionie : le contexte de cette période a rendu possible la naissance de la pensée scientifique. Et ce n’est pas pour rien que le livre porte justement ce nom, c’est parce que cet événement, aussi flou soit-il, est souvent situé dans cette région et à cette époque.
Et il y a trois facteurs qui peuvent expliquer cela :  les échanges culturels se multiplient, les premières formes de démocraties apparaissent et la simplification de l’écriture rend l’accès à la culture beaucoup plus facile1. Trois facteurs qui vont faire émerger des pensées alternatives, des connaissances contradictoires, des points de vue différents et desquels va spontanément découler une critique des dogmes et la mise en place de méthodes pour comparer, quand cela est nécessaire, ces différentes visions du monde.

La pensée critique naît de là, de ces confrontations à une altérité qui bouscule nos préjugés, qui mobilise notre flexibilité cognitive, qui fissure les dogmes et les conventions. Il faut, je crois, toujours être attentif à cette altérité et rendre visible celles et ceux qui l’incarnent : les artistes, les punks, les queers, les clowns, les marginaux, les pirates, les poètes, les rhinocéros et les enfants…  

Je vous laisse avec un dernier poème : « Les statuts de l’Homme » de Thiago Mello qui se permet de réécrire les règles qui gouvernent le monde, jusque dans les mots qu’on utilise, jusque dans nos ressentis, jusque dans les lois physiques et qui, de ce fait fragilise, l’espace d’un instant, des conventions qui étant trop familières nous deviennent des fatalités.  

L’esprit jubile : recension de la BD « L’esprit critique »

Qu’est-ce que l’esprit critique ? On pense tous l’avoir mais sait-on vraiment le définir ? C’est la question à laquelle ont voulu répondre Isabelle Bauthian (biologiste de formation, scénariste et rédactrice culturelle et scientifique) et Gally (dessinatrice) dans cette bande-dessinée publiée aux éditions Delcourt (130 pages). Et… c’est tout bonnement une petite merveille !

Case issue de la bande-dessinée L’esprit critique de Isabelle Bauthian et Gally, Octopus, Delcourt, 2021, p. 4.

D’un point de vue narratif et esthétique

Lors d’une soirée, Paul rencontre une jeune femme qui se présente comme druide. Après une discussion animée autour de photos de fées, Paul rentre chez lui, se connecte sur ses réseaux sociaux et déverse sa haine de l’irrationnel. C’est alors qu’il apparaît, enfin… elle : L’esprit critique !

On prend énormément de plaisir à faire un bout de chemin avec ces personnages extrêmement attachants. Paul, croyant en La science sans aucune méthode, perdu dans la complexité du monde qui s’ouvre devant lui grâce à Elle, doppelgänger métamorphe critique aux cheveux roses qui donne au lecteur une soif de connaissance comme jamais. Paul, c’est tout simplement nous qui découvrons cet univers de l’esprit critique. Il exprime nos interrogations et nos doutes sur cette conception à laquelle nous n’avons pas forcément beaucoup réfléchit. Elle, elle est l’incarnation de l’esprit critique et de sa perfectibilité.

Grâce à ses pouvoirs elle fait sortir Paul de son petit confort, de sa petite routine pour l’emmener vers des contrées inconnues (voyage dans le temps et dans l’espace). L’odyssée de Paul commence avec une plongée dans l’histoire des sciences, des bâtons d’Ishango à Kepler et Galilée en passant par les philosophe grecs (Platon, Thalès, Aristote, Ptolémée Anaximandre de Millet, etc.). On regrette juste l’absence d’une excursion auprès des premiers sceptiques à l’instar de Pyrrhon d’Élis. Le voyage de notre personnage se poursuit ensuite sur la méthode scientifique moderne (évaluation des hypothèses, principe de réfutabilité, notion de preuve, pseudo-sciences, etc.) puis sur la déconstruction partielle de nos systèmes cognitifs principalement avec l’approche des biais (tous représentés de manière très parlante). Le périple continue avec les méthodes d’évaluation de l’information (approches des statistiques, théière de Russell, évaluation d’une étude scientifique, sophismes, etc.) et se conclut sur une note de tolérance et sur les limites de l’esprit critique (distinction entre faits et foi, valeurs, importance des émotions, différences de points de vue idéologiques, politiques et sociaux). 

Planche issue de la bande-dessinée L’esprit critique de Isabelle Bauthian et Gally, Octopus, Delcourt, 2021, p. 21.

D’un point de vue éducatif et pédagogique

L’alchimie du couple, l’humour malicieux, la bienveillance, la douceur du trait de Gally, la joie qui se dégage de cette BD… nous rend tous simplement heureux. C’est bête à dire, mais particulièrement pertinent dans un ouvrage qui veut nous faire sortir de notre zone de confort. Une tendresse véritable alimente des représentations réfléchies et travaillées en particulier au niveau du genre. Elle, l’esprit critique, est à la fois professeure, chercheuse, super-héroïne, militaire, dragonne, étudiante, etc. Autant de modèles hautement positifs et encourageants pour des secteurs où les femmes sont encore peu représentées allant de pair avec une mise en avant de femmes scientifiques (notamment l’astronome américaine Maria Mitchell) trop souvent invisibilisées par une historiographie grandement patriarcale.

C’est une mine d’or pour qui veut commencer à modeler son esprit critique avec des outils précis quoiqu’un peu survolés. Histoire des sciences et des idées, fonctionnement de la recherche moderne, biais cognitifs, sophismes et paralogismes, etc. Presque tout y est. Chaque planche, chaque case est d’une richesse incroyable. Certaines fonctionnent parfaitement en solitaire et pourraient être affichées dans les écoles, les collèges et les lycées (coup de cœur pour la planche de la « Méthode scientifique moderne »). On regrettera peut-être le rythme extrêmement intense de la BD qui transcrit l’enthousiasme de ses autrices mais sans doute trop soutenu pour un néophyte qui commencerait à s’y intéresser et qui devra sans aucun doute reprendre ses lectures plusieurs fois. Peut-être que plusieurs tomes auraient pu être à la fois plus détaillés et prendre plus de temps sur certains concepts. Mais ce n’est pas tellement gênant finalement puisque cette lecture est tellement plaisante qu’on prendra beaucoup de bonheur à s’y replonger.

En ce qui concerne « La » science, on aurait aimé une approche plus précise notamment des différents modes de construction des connaissances et non pas uniquement de la méthode hypothético-déductive ; et donc plutôt une approche « des » sciences. Par exemple, on regrettera, page 44, la formulation : « La science moderne est objective, expérimentale et autocorrective ». En effet, concernant l’objectivité, la sociologie des sciences nous a démontré le contraire ; tandis qu’au niveau de l’expérimentation, elle n’est pas l’apanage de tous les domaines. Quid de l’histoire, de la sociologie, etc.

Il faut donc voir cet ouvrage comme une vaste introduction, qui permettra au lecteur novice de savoir où creuser pour affiner ses outils de réflexion et de compréhension du monde. Et ça, c’est déjà pas mal !

Planche issue de la bande-dessinée L’esprit critique de Isabelle Bauthian et Gally, Octopus, Delcourt, 2021, p. 46-47.

D’un point de vue humaniste

La bienveillance et la tendresse ne sortent pas de nulle part, mais bien d’une très grande confiance en l’être humain et en ses capacités. Dans cette époque morose où nous sommes submergés d’information, où les polémiques s’enchaînent, où la société se divise, où l’univers médiatique appuie l’idée que l’irrationalité semble l’emporter… c’est une sublime bouffée d’air frais. Nous pouvons changer, nous en tant qu’être humain, et finalement changer la société qui nous entoure en nous basant sur des outils simples et dont l’efficacité est vérifiable sans forcément se mettre au-dessus de la mêlée. Pratiquer l’esprit critique ce n’est pas devenir une machine apathique mais au contraire comprendre et maîtriser ses émotions « nécessaires au raisonnement ». Pratiquer l’esprit critique ce n’est pas défendre le scientisme, mais connaître les limites de nos connaissances et tracer la frontière entre les faits et nos opinions (même si les autrices préfère le terme « foi ») . On regrette un peu que les philosophies des lumières et leurs apports essentiels à l’émancipation des sciences n’aient pas été abordées, mais on pardonne facilement au vu de la richesse des connaissances déjà présentes.

Planche issue de la bande-dessinée L’esprit critique de Isabelle Bauthian et Gally, Octopus, Delcourt, 2021, p. 56.

Pour conclure

En bref, on rigole, on est ému, on apprend, on voyage… C’est une véritable aventure initiatique à mettre entre toutes les mains… Bon, à partir d’un certain âge peut-être parce qu’assez ardue. De plus, certains concepts sont illustrés de manière… originale. L’explication de la différence entre moyenne et médiane avec la b*** de Rocco Siffredi reste mon préféré. Beaucoup de choses pourront vous sembler floues, complexes, dures à conceptualiser, mais ce n’est que le début de votre expédition en terre inconnue. Avec un peu de recherches extérieures pour recouper les sources – exercice ô combien sain et indispensable – vous arriverez à vous y retrouver. De plus, la bande dessinée propose une bibliographie et une section « pour aller plus loin ».

Pour les autres, ceux déjà rompus à l’exercice, vous y redécouvrirez les marottes du scepticisme et vous amuserez à trouver les différents easter egg zététiques et références geeks cachées un peu partout. Mais pour approfondir vos connaissances sur le sujet, ce n’est sans doute pas l’objet adapté. Dans tous les cas, si vous êtes convaincu, courez l’acheter et faites vivre ses autrices ; si vous n’êtes pas convaincu, courez l’acheter parce que vous manquez sans doute d’esprit critique. Comment ça un faux dilemme ?

Cases issues de la bande-dessinée L’esprit critique de Isabelle Bauthian et Gally, Octopus, Delcourt, 2021, p. 93.

Dessin par Maja Visual au Camp Climat Grenoble 2020. Représentant la formation de Nicolas et Valentin sous une serre végétalisée

Esprit critique au Camp Climat

Depuis 2016, les Camps Climat rassemblent chaque été des militant·e·s dans le but d’accélérer les mobilisations face à l’urgence climatique et sociale. On s’y rencontre, on s’y forme, on s’y serre les coudes et on y chante (c’est important). Pour la troisième édition d’affilée, j’y ai proposé des formations autour de l’esprit critique. Pourquoi ? Comment ? Je fais un petit retour ici.

Le contexte

Il n’est peut-être pas nécessaire de rappeler ici que la situation climatique et environnementale actuelle est extrêmement préoccupante. Les activités humaines menacent les conditions de vie sur Terre de l’ensemble du vivant.

Cette situation et le défi qu’elle pose à l’humanité font appel – peut-être pour la première fois à une telle ampleur – à une vaste palette d’outils utilisés dans la pensée critique : méthode scientifique, communication, médias, cognition, mécanismes sociaux, éthique, sciences politiques…
Le grand défi pour l’humanité consiste à réagir suffisamment rapidement face à l’inertie au changement qui nous menace à toutes les échelles : cognitive, sociale, culturelle, médiatique, politique… Il nous semble alors qu’une bonne partie de ces enjeux réside dans notre manière de traiter l’information, de la produire, de l’interpréter, de la transmettre… d’où l’intérêt de la pensée critique dans cette tache-là.

Dessin par Maja Visual au Camp Climat Grenoble 2020 lors de notre première formation (à l’époque masquée)

C’est à partir de cette idée que nous avons décidé en 2020 avec Valentin Vinci de proposer une première formation au Camp Climat de Grenoble. Concrètement l’objectif était de fournir des outils de pensée critique aux participant·e·s afin de :

  • Comprendre l’inaction et les forces réactionnaires qui s’opposent au changement. Déconstruire les rhétoriques climato-négationnistes, analyser les discours médiatiques ou politiques, comprendre l’inertie sociale…
  • Comprendre les pièges qui pourraient nuire au militantisme écologiste. Les biais cognitifs et sociaux auxquels nous sommes sujets, les arguments fallacieux, les croyances pseudo-scientifiques… et comment il est possible de les contourner.

Ce double objectif – tourné à la fois vers l’extérieur et vers l’intérieur du mouvement – est resté une constante dans les différentes formations que l’on a proposées. Il est évidemment bien ambitieux et dépasse largement nos compétences. Mais c’est un cap que l’on s’est fixé.

Notons que, lors de cette édition, les organisateur·ice·s avaient pris le parti d’interdire tout support numérique pour les ateliers et de mettre l’accent sur l’éducation populaire. Un très chouette défi vers lequel on essaie toujours de tendre.

D’abord dubitatif sur la manière dont serait reçue notre formation, les retours se sont avérés plutôt positifs1 et demandeurs de ce genre de contenu.
De cette première expérience germa l’idée de publier un document reprenant ces idées (qui est enfin sorti !) et surtout l’envie de continuer ces formations.

L’année suivante c’est au Camp Climat de Toulouse que nous avons proposé une formation avec Jean-Lou Fourquet, journaliste et créateur du blog Après la bière. Encore une fois les retours ont été relativement positifs.

Le Petit manuel d’esprit critique pour le militantisme écologiste distribué gratuitement au Camp Climat de Toulouse 2022

Enfin, en 2022 j’ai participé pour la troisième fois au camp climat en proposant, accompagné de Lo Pimfloìd2 mon compère du Rasoir d’Oc’3, deux formations : « L’esprit critique pour le militantisme » et « L’argumentation pour le militantisme » que je présente dans la dernière partie. En plus de cela, j’y ai amené quelques exemplaires du Petit manuel d’esprit critique pour le militantisme écologiste (oui, celui que l’on avait imaginé après notre première formation).

Quelques conseils que l’on peut extraire de cette expérience

Avant de présenter les deux formations proposées cette année, quelques conseils généraux que l’on a pu dégager de cette petite expérience.

  • Ne pas oublier que l’esprit critique et la démarche scientifique ne sont pas une fin en soi, ils fournissent des outils qui permettent de mieux appréhender le monde et en l’occurrence le militantisme. Nous ne sommes pas là pour expliquer comment bien penser/lutter et faire la police de la raison, nous sommes au service d’une cause qui nous semble primordiale.
  • Éviter les sujets « chauds » : Parler de sujet comme le nucléaire, les OGM ou la spiritualité sur lesquelles les participant·e·s peuvent avoir un a priori fort risque d’être contre-productif. Dans la tradition de la technique de la spatule, il parait plus efficace de prendre pour exemple des sujets légers (au moins dans un premier temps).
  • Préférer une approche d’éducation populaire en partant de l’expérience des participant·e·s pour discuter puis synthétiser avec des apports théoriques. Plusieurs jeux/ateliers peuvent être utilisés dans ce cadre-là : Groupe d’Interview Mutuel, ateliers Jigsaw, débat mouvant, concours de mauvaise foi…
  • Certains éléments nous paraissent plus pertinent à transmettre, parmi lesquels : la démarche scientifique et des éléments d’épistémologie, l’argumentation, les risques de biais de raisonnement, le rôle des médias…

Formation « L’argumentation pour les militantisme »

Cliquer pour télécharger le document

Cette formation s’inspire en grande partie d’une formation aux arguments fallacieux déjà présentée ici sur notre site. Elle s’est déroulée en quatre partie [Diaporama] :

  1. Introduction à l’argumentation.
    En particulier on commence par parler d’argumentation formelle : une construction qui part de prémisses et qui aboutit à une conclusion. On précise ensuite que dans la vie de tous les jours, l’argumentation est bien plus informelle : certaines prémisses sont implicites et la construction n’est pas clairement exposée.
  2. Atelier Jigsaw (pour plus de détails voir ici).
    – Première étape : Les participant·e·s sont réparti·e·s en groupes de 4. Les membres du groupe reçoivent chacun·e une « fiche expert·e » différente et disposent de 5 minutes pour la lire. Les 4 fiches décrivent chacune trois arguments fallacieux différents. [Fiches]
    – Deuxième étape : Les groupes de départ se séparent et tous·te·s les expert·e·s ayant la même fiche se retrouvent. Iels discutent ensemble des arguments fallacieux, de ce qu’iels ont compris ou pas. Iels doivent également imaginer de nouveaux argument fallacieux à travers des petits exercices. Durée : 20 minutes.
    – Troisième étape : Chaque membre des groupes d’expert·e·s revient à son groupe d’origine fort de ses nouvelles connaissances. Tout le monde partage alors son expertise avec le reste du groupe. Chacun·e des 4 membres ayant découvert 3 arguments fallacieux sur sa fiche, le but est que tout le monde soit familier des 12 arguments fallacieux. Leurs connaissances communes leur seront utiles dans la prochaine partie ! Durée : 20 minutes.
  3. Concours de mauvaise foi
    À partir des connaissances accumulées dans la deuxième partie, chaque groupe va devoir construire un argumentaire moisie en utilisant les arguments fallacieux étudiés. J’ai proposé à chaque groupe deux sujets plus ou moins absurdes4 au choix et une liste de 5 arguments à placer.
    Chaque groupe travaille sur un texte et une petite mise en scène avant de venir le présenter devant tout le monde. Le but pour les autres est d’identifier les arguments fallacieux employés.
  4. Comprendre l’argumentation fallacieuse
    Après avoir bien manipulé ces notions, je propose une explication quant à l’origine de ces arguments fallacieux : ceux-ci ne sont pas simplement des erreurs faites au hasard dans un sens quelconque. Ils peuvent plutôt être vus comme des moyens rhétoriques pour aboutir à une conclusion préétablie. On introduit alors la notion de raisonnement motivé et de consonance cognitive via l’histoire de « l’échec d’une prophétie ».
  5. Améliorer son argumentation
    Partant du point de vue précédent, on établit qu’argumenter efficacement revient à rendre moins coûteux, pour notre interlocuteur·ice, de changer d’opinion que de persévérer dans son opinion pré-établie. Pour mettre cela en œuvre, on peut jouer sur différents éléments : le fond des arguments, la forme, le contexte de la discussion, l’affect…
    Sans apporter davantage de réponses, la formation se termine par une discussion sur les différentes méthodes qui peuvent être utilisées dans cet objectif. On a évoqué entre autres la maïeutique, l’entretien épistémique, la communication non violente…

/!\ On n’oubliera pas de rappeler au long de la formation les implications éthiques de l’argumentation : sur les questions de manipulation ou sur la détection des arguments fallacieux chez soi et chez les autres.

Formation « L’esprit critique pour le militantisme »

Cliquer pour accéder au diaporama

Pour cette formation, les participant·e·s sont d’abord invité·e·s à répondre à un petit questionnaire dont les réponses seront utilisées plus tard. Entre temps, un atelier Jigsaw est également mis en place. [Diaporama]

1. Questionnaire
Il y avait en réalité deux questionnaires légèrement différents distribués aléatoirement composé chacun de trois questions (en réalité quatre, mais la première ne servait qu’à brouiller les pistes). Il y avait une petite trentaine de personnes à l’atelier donc chacun des deux questionnaires a reçu autour de 14 réponses.
– La première avait pour objectif de mettre en avant le biais d’ancrage. Il s’agit d’une réplication d’une expérience faite par Strack et Mussweiler 5. Dans un premier temps, je demandais si « Malpolon monspessulanus« , le plus grand serpent des Pyrénées, était 1) plus grand que 30cm (1er groupe) ; 2) plus petit que 4m (2ème groupe).
Dans un second temps, je demandais à tout le monde d’estimer la taille de ce serpent.
– Dans la deuxième question, je demandais si iels pensaient que les publicités pour la viande seraient interdites 1) comme la cigarette et l’alcool (1er groupe) ; 2) sans exemple (2ème groupe).
– Dans la troisième question, je demandais si dans une forêt attaquée par un parasite, iels préféraient plutôt une nouvelle méthode très efficace avec des effets secondaires incertains ou ne rien faire 1) comme depuis 10 ans (groupe 1) ; sans précision sur la situation actuelle (groupe 2).
Les résultats arrivent plus tard.

2. Atelier Jigsaw : Les altérations de l’information
Ici, le but est de familiariser les participant·e·s avec les différents pièges qui menacent le traitement de l’information. On répète les trois étapes présentées dans la formation ci-dessus.
Les fiches expert·e·s, créées pour l’occasion (et probablement à améliorer), sont au nombre de 5 : Biais cognitifs, biais sociaux, biais mnésiques, pièges du langage, manipulations graphiques. On pourrait aisément en imaginer d’autres sur ce thème-là.

3. Résultat des questionnaires
Les résultats sont affichés plus bas.
Pour la première question, l’effet est relativement visible. Les personnes ayant été exposées à la plus petite référence donnent ensuite une réponse plus petite. Cela met en relief un biais d’ancrage : une information reçue préalablement influence notre jugement.
Pour la deuxième question, l’effet est moins évident, mais il semble que les personnes ayant un exemple similaire en tête ont plus de facilité à imaginer ce scenario. Il s’agit d’une sorte de biais de disponibilité, où notre jugement est influencé par les éléments qui nous sont cognitivement disponibles.
Pour la dernière question, aucun effet n’est clairement visible. Elle était censée mettre en avant l’effet de statu quo (préférence pour la situation actuelle).

4. Synthèse sur le traitement de l’information
À partir du résultat des questionnaires ainsi que des connaissances acquises lors de l’atelier Jigsaw, on essaie de dégager quelques généralités. On propose que, à différentes échelles et dans différentes mesures, le traitement de l’information par défaut consiste à privilégier ce qui existe déjà, à favoriser notre cohérence interne et sociale. On illustre cela avec des illusions d’optiques où notre interprétation est influencée par ce que l’on connaît déjà du monde. Enfin, on conclut avec ces mots de Bertrand Russell

La grande masse des croyances qui nous guident dans notre vie quotidienne sont tout bonnement une expression du désir, corrigées de-ci de-là, en des points isolés, par le rude choc de la réalité. 

Bertrand Russell, Essais sceptiques

5. Groupe d’Interview Mutuel
Ainsi, par défaut, le régime de traitement de l’information est celui de la confirmation. Mais, ce n’est pas toujours le cas : il existe des moments où notre opinion évolue, où l’on change d’avis. Dans cet atelier, les participant·e·s se sont mis·e·s par groupes de trois au sein desquels chacun·e devait évoquer un cas où son avis avait changé sur un sujet. Chaque groupe devait ensuite identifier des éléments qui avait fait perdurer sa croyance initiale de la personne et des éléments qui l’ont faite changer d’avis.

6. Quelques principes de l’esprit critique
On voit alors que face au régime de confirmation, il existe un autre régime de traitement de l’information permettant plus efficacement de produire de la connaissance robuste : le régime critique promouvant l’altérité, le doute, la prudence… Ceci est illustrée par l’histoire du voyage de Hécatée de Milet à Thèbes en Égypte.

Un grec, devant les statues égyptiennes qui contredisent spectaculairement son orgueilleuse vision du monde, a peut-être commencé  à penser que nos certitudes peuvent aussi être mises en doute.
C’est la rencontre avec l’altérité qui ouvre nos esprits, en ridiculisant nos préjugés.

Carlo Rovelli, La naissance de la pensée scientifique

On propose alors trois principes généraux allant dans ce régime critique : 1) Le doute initial ; 2) Penser l’alternative ; 3) Comparer méthodiquement les alternatives. Par manque de temps, cette partie n’a pas pu être développée.

6. Petit jeu et discussion
Arrivant à la fin de cette partie théorique nous avons fini par un petit jeu l’alternative est féconde. Le but est de trouver, pour chaque situation une explication/solution alternative à celle suggérée.

Enfin, nous avons fini par une discussion sur les liens entre pensée critique et militantisme, puisque ce dernier doit nécessairement se dégager d’un scepticisme trop pointilleux qui empêcherait toute action. Et ce, d’autant plus, dans la situation urgente que nous vivons.

Dessin par Maja Visual au Camp Climat Grenoble 2020 lors de notre première formation (à l’époque masquée)

Former l’esprit critique : ressources pour enseignant·e·s

Depuis juillet 2020, je participe à une rubrique consacrée à l’esprit critique dans la revue Sciences & Pseudosciences éditée par l’Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS). J’y explore notamment les différentes facettes de la formation à l’esprit critique des enseignant·e·s ainsi que les questions en lien avec l’éducation à l’esprit critique. Vous trouverez ici l’ensemble des articles déjà publiés et mis en ligne par l’AFIS, ainsi qu’une présentation de ceux-ci, facilitant leur lecture et la compréhension générale de ce travail.

Pourquoi enseigner l’esprit critique ?

Dans ce premier article, je présente le cadre général de l’éducation à l’esprit critique, ses objectifs et enjeux, la définition de l’esprit critique et ses différentes dimensions. J’aborde également la question des formations à l’esprit critique pour les enseignant·e·s. En effet, si depuis 2015 celles-ci se développent fortement, certaines sont ancrées dans le travail du Cortecs et abordent spécifiquement la question de l’épistémologie, des démarches scientifiques, de la zététique et de l’autodéfense intellectuelle.

Former les enseignant·e·s à enseigner l’esprit critique

Dans ce deuxième article, je présente plus spécifiquement le contenu des formations à l’esprit critique pour les enseignant·e·s. En insistant d’abord sur le sens et les objectifs que l’on donne à ces formations, je reviens sur le juste équilibre à trouver entre un contenu ciblant des ressources pédagogiques à destination des enseignant·e·s et des activités permettant avant tout de former des individus. En effet, si l’on souhaite que soit transposée en classe cette éducation à l’esprit critique, il faut d’abord et avant tout que nos collègues s’approprient et trouvent un intérêt à aborder ces thématiques. Je présente également les différents « modules » que contient cette formation et décris rapidement un premier temps de « remue-méninges » pour travailler sur la délicate distinction entre science, croyances, connaissances et pseudosciences.

Croire et savoir

Cet article développe ce qui a été décrit à la fin du précédent : comment aborder la question de la distinction entre croyances et connaissances ? Comment, en tant qu’enseignant·e, s’y retrouver et être capable de poser clairement les choses face aux élèves ? J’y évoque quelques « astuces » et mises en œuvre pour travailler sur ce sujet : d’abord, en distinguant la capacité à remettre en question (ou pas) nos croyances et connaissances, puis en relevant les différences entre nos croyances (et connaissances individuelles) et les connaissances scientifiques. L’idée est de sortir d’une vision simpliste de la distinction entre croyances et connaissances, tout en donnant des moyens aux enseignants de répondre concrètement aux élèves sur ces questions.

La hiérarchie des niveaux de preuve

Pour continuer sur le lien entre épistémologie et esprit critique, cet article aborde la difficile tâche d’évaluer la fiabilité des preuves étayant une affirmation. En effet, parvenir à ajuster notre niveau de confiance face à une information passe par différents aspects, dont notamment notre capacité à savoir si les éléments fournis pour l’étayer sont suffisants. J’y présente d’abord ce qu’est une preuve puis j’y discute l’intérêt et les limites d’utiliser une échelle des niveaux de preuve, ainsi que les différentes manières d’aborder ces aspects au niveau pédagogique.

Bases théoriques et indications pratiques pour l’enseignement de l’esprit critique

Dans cet article, j’ai le plaisir d’interviewer Elena Pasquinelli, chercheuse, formatrice et membre du Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale, ayant en charge les travaux du groupe n°8 consacré à l’esprit critique. Elle revient notamment sur la publication et contenu du rapport produit par ce groupe en 2021 et fournissant pour la première fois un corpus théorique et pratique pour l’enseignement de l’esprit critique. Cet article permet ainsi d’avoir un bon résumé du contenu du rapport qui, si l’on devait le résumer en une phrase, précise l’importance d’identifier certains critères opérationnels et concrets, permettant aux enseignants de savoir comment orienter efficacement leur cours dans l’objectif d’y incorporer des éléments propres à l’éducation à l’esprit critique.

Le niveau d’étude peut-il aggraver les préjugés ?

Une question souvent posée en lien avec l’esprit critique et son enseignement concerne le rôle des connaissances. Celui-ci est indéniable : l’esprit critique ne s’exerce pas à vide. Mais ces connaissances ne suffisent pas pour évaluer l’information et reconnaître si l’on est en face d’un contenu biaisé ou frauduleux. Parfois, elles peuvent même entretenir nos préjugés erronés. Dans cet article, je reviens sur les travaux conduits par différents chercheurs étudiant le lien entre le niveau de connaissances générales (ou même le niveau d’études) et les capacités cognitives ainsi que le niveau de croyances non fondées. Par exemple, certaines recherches suggèrent que, sur des sujets médiatiquement controversés ou très contestés (réchauffement climatique, théories de l’évolution, recherche sur les cellules souches), le niveau d’études, même s’il s’agit d’études scientifiques, est corrélé à un renforcement des préjugés idéologiques. Il ne fait qu’aider à confirmer les opinions préexistantes des individus, même lorsqu’elles sont fausses…

Une partie de l'excellente équipe de la médiathèque d'Aubagne et des services jeunesse et prévention

Ateliers Esprit critique et autodéfense intellectuelle

Une partie de l'excellent équipe de la médiathèque d'Aubagne

Depuis 2019, le Cortecs travaille avec la médiathèque d’Aubagne et les services jeunesse et prévention de la Mairie d’Aubagne pour élaborer et construire des ateliers sur la thématique de l’esprit critique et de l’autodéfense intellectuelle à destination des élèves des collèges et lycées de l’académie d’Aix-Marseille. Après plusieurs journées de formations, les animateurs sont intervenus régulièrement auprès des classes sur différentes thématiques. Ce travail a permis de repenser, actualiser, mais aussi de créer des ateliers permettant d’aborder des « classiques » de la zététique : effet Barnum, principe de parcimonie, échelle des preuves ou coïncidences, autant de sujets que les élèves ont pu découvrir grâce à toute l’équipe qui partage aujourd’hui ses productions et ressources avec nous. Un grand merci et surtout bravo à eux pour tout cela !

Présentation du projet

Objectifs, compétences travaillées, organisation des séances : ce document présente le projet dans son ensemble.

Description des ateliers

Vous trouverez ci-dessous les différents ateliers proposés ainsi que tous les contenus utilisés et que toute l’équipe partage avec plaisir. Le dossier complet est ici. Merci à eux !

Jouer à débattre

Jouer à débattre (atelier créé par L’arbre des connaissances). Le thème choisi a été l’humain augmenté. Le but étant d’amener les élèves à argumenter et à prendre conscience de la complexité insoupçonnée des sujets de société.

Atelier philo

S’exercer à réfléchir, apprendre à discuter, écouter, raisonner et respecter l’autre avec cet atelier philo.

Fake news

Cet atelier correspond à l’atelier « Le vrai du faux » (créé par le CRIJ). L’objectif est d’appréhender la complexité à évaluer la fiabilité des informations et de se poser les bonnes questions pour y parvenir.

Test de personnalité : l’effet Barnum

Un « classique » de la zététique où l’on va reproduire l’expérience de Bertram Forer sur l’effet qui porte son nom (mais aussi celui d’effet Barnum) : un atelier mettant en scène un faux test de personnalité à évaluer par les élèves. Vous retrouverez dans ce dossier les fiches, vidéos et autres documents utilisées pour mener à bien cet atelier.

Principe de parcimonie et rasoir d’Occam

Comment travailler sur le principe de parcimonie avec les élèves ? Comment faire découvrir cet outil de tri des hypothèses et ses limites ? Le dossier avec tous les éléments se trouve ici !

Échelle des preuves et curseur de confiance

Un atelier repris de l’activité proposée dans l’excellent ouvrage publié par nos collègues de La main à la pâte, et qui permet de travailler avec les élèves sur la notion de preuves et de confiance. Tout le dossier est à retrouver ici.

Coïncidences…

Un atelier sur la notion de coïncidences : y a-t-il forcément un sens à donner à ces conjonctions d’événements intrigants et qui nous paraissent si étranges…? Le dossier complet ici !

Bilan

Voici quelques retours concernant les ateliers

Au niveau de l’enchainement des ateliers, commencer par Jouer à débattre permet de créer une bonne relation avec les élèves qui se retrouvent dans une situation de jeu qui les change de leur quotidien. L’atelier sur les fake news comme les suivants sont un peu plus scolaires, contenant plus d’explications (un peu plus descendant) : les élèves sont mis en activité, mais cela demande toujours une implication de leur part qui dépend bien entendu de beaucoup de paramètres.

On a pu remarquer que les ateliers Jouer à débattre, effet Barnum et rasoir d’Occam ont très bien fonctionné : le mélange entre travail de groupe, débat et effet de surprise motive toujours les élèves et retient leur attention.

Concernant l’atelier sur l’effet Barnum, il faut bien penser à faire attention aux contacts possibles entre élèves pour éviter qu’ils comprennent le truc.

L’atelier sur l’échelle des preuves est aussi à améliorer sur la manière de l’animer : nous proposons d’y ajouter davantage de moments d’interactions variées.

Loïc Massaïa, imperturbable mais toujours pertinent !

Un merci très spécial à Loïc Massaïa pour le soutien, l’expertise et l’aide apportée tout au long de ces ateliers, mais également pour le partage des documents !

Scepticothèque : films et esprit critique

Voilà plusieurs mois que Vivien Soldé, doctorant en sociologie à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, nous a parlé de sa « scepticothèque : la cinémathèque sceptique et zététique » regroupant des œuvres cinématographiques en lien avec l’esprit critique, le scepticisme, l’autodéfense intellectuelle. C’est un travail précieux que nous partageons aujourd’hui car il regroupe et permet de (re)découvrir des films parfois anciens, mais dont l’objet interroge des thématiques que nous avons l’habitude de rencontrer dans notre vie de sceptiques… Du Procès du singe en passant par Contact, Yéti et compagnie, ou encore Experimenter, l’ensemble de ces œuvres peut aussi constituer un vivier pertinent de ressources pédagogiques, à exploiter avec élèves et étudiants, pour travailler sur les thématiques abordées.
Cerise sur le gâteau, Vivien a également concocté une sélection de 10 films pour le confinement (celui de mars-avril est ici), à déguster entre deux apéros à distance…
Merci et encore bravo à lui pour tout ce travail !

La scepticothèque est à découvrir ici

10 films « sceptiques » pour le confinement (1) à regarder entre deux apéros à distance : c’est là

10 filmes « sceptiques » pour le confinement (2) à regarder entre deux apéros à distance : c’est là