Pour une pensée critique corrosive. Le CorteX en terres parisiennes

Depuis les attaques qui ont touché Paris en novembre dernier, la pensée critique est mise à toutes les sauces. On ne compte plus les experts auto-consacrés qui raflent de juteux marchés publics en prison (nous avions reproduit un article du Canard enchaîné qui en cause ici) ou dans les écoles. Soyons honnêtes : en plus de nous affliger, la situation nous agace car elle participe à aseptiser et à individualiser une pensée critique que nous concevons comme collective et corrosive. Alors, sur les conseils de nos prédécesseurs comme Normand Baillargeon, nous avons accepté de porter la lutte dans les hautes sphères du Ministère de l’Éducation Nationale à Paris. Récit d’une folle aventure qui va porter le CorteX et le travail discret mais acharné de notre collègue Denis Caroti dans la bouche d’une ministre.

Tout commence par un de ces courriels qui nous invitent à siéger en tant qu’expert dans un obscur « comité de pilotage ». Cette fois-ci, c’est du Ministère de l’Éducation nationale dont il est question. A l’origine la demande est plutôt reçue fraîchement : on se demande ce que va bien pouvoir changer notre participation à une énième réunion d’experts de la pensée critique.  Alors, comme souvent, on pèse le pour et le contre et on en parle autour de nous. Richard Monvoisin en touche notamment un mot à Normand Baillargeon lors de sa participation au colloque Forum et Société de l’Association Francophone pour le Savoir (ACFAS). La réponse de ce dernier est sans équivoque : il nous conseille d’y aller pour porter la cause de toutes celles et ceux qui ont essuyé quolibets, horions et avanies pour avoir enseigné une pensée critique subversive dans des lieux où elle n’était guère la bienvenue.

C’est ainsi que nous avons mandaté nos collègues Denis Caroti et Richard Monvoisin pour participer à cette grand-messe de la pensée critique (il faut dire qu’on sentait bien que tous deux avaient une furieuse envie de voir la Tour Eiffel et les Champs Élysées). Le fonctionnement de telles instances est tellement flou qu’on se dit, qu’à tout le moins, on pourra rapporter ce qu’il s’y passe. 

Arrivés sur les lieux, on se retrouve au milieu d’un panel d’experts invités et mélangés avec un grand nombre de représentants de l’Education Nationale et autres institutions qui y sont rattachés. Aucune justification n’est donnée du panel de personnes présentes mais on se retrouve en compagnie de têtes connues comme Nicolas Gauvrit et d’autres moins connues comme Frédéric Lenoir, plutôt connu pour ses positions spiritualistes ambigues1. L’ordre du jour mentionnait un grand nombre de points à traiter (comme l’évaluation des actions remontées au Ministère par les enseignants depuis un mois suite à l’appel à projets diffusé à tous les professeurs de France), et nous avions peu d’espoir de glisser nos interrogations et propositions et aussi de dire que la pensée critique que nous rêvons de voir enseignée dans les classes n’est pas forcément celle promue par nos prescripteurs.

La réunion flotte alors un peu et c’est à ce moment que nos collègues s’engouffrent dans la brèche et présentent le travail fait depuis ces 10 dernières années, sans taire les griefs contre un « esprit critique » longtemps vanté par tous, enseigné par personne, et désormais improvisé par nombre d’acteurs avec des standards plus ou moins élevés, personnalisant son enseignement et dévoyant son contenu, subversif par nature. Nous en avons été témoins à de maintes reprises : à trop vouloir ramener les détenus, les élèves, et le « grand public » dans le droit chemin au nom de la promotion du « bien penser », on finit par créer les bi-standards que l’on dénonce en plaçant la pensée critique du côté des puissants. On en profite aussi pour souligner les blocages, trop fréquents, auquel on fait face. C’est l’occasion, une fois n’est pas coutume, de souligner l’œuvre de notre collègue Denis Caroti qui a pendant près de 10 ans répandu des centaines (centaines !) de conférences en collège et lycée et des dizaines de formations pour enseignants sur la pensée critique, dans une indifférence presque totale de la part de sa hiérarchie et de l’ESPE surtout. On se dit que, quitte à avoir fait le déplacement, autant le rentabiliser en ne restant pas silencieux. A dire vrai, la sensation fut plutôt positive : écoute et hochements de têtes réguliers accompagnant nos prises de paroles.

La suite, nous n’en espérions pas tant : un directeur de cabinet qui promet de nous revoir, une proposition de création de postes dédiés à la formation continue des enseignants à la pensée critique et… une ministre qui cite dans le CorteX devant un parterre de professeurs à la Sorbonne. Voici un extrait du discours du 9 décembre 2016 de Najat Vallaud-Belkacem, lors du forum Laïcité et esprit critique.

Le reste du discours est ici.

Oh, le discours n’est pas enflammé, la ministre ânonne un peu. Et puis, nous ne sommes pas dupes : cette reconnaissance, on la doit avant tout à un travail obstiné dans l’ombre et aux centaines de professeurs qui sont repartis convaincus de nos formations et qui ont porté le combat dans leurs établissements. Et pour qui nous connaît bien, la recherche des reconnaissances symboliques n’est pas notre fort. Médailles, breloques, citations, ce n’est pas vraiment le carburant qui irrigue nos veines, et nous applaudissons celles et ceux qui les refusent (comme Jacques Bouveresse, vous vous rappelez ? On avait applaudi des deux mains). 

Mais enfin, c’est une brèche, et notre but est de contraindre tous les acteurs auto-revendiqués esprit critique à prendre un standard critique élevé. Car la pensée critique n’existe plus si elle est bradée, ou cantonnée à des sujets limités et consensuels. Elle est corrosive, griffue, difficile à manier et oblige à se la retourner soi-même contre soi.

Petite compromission quand même : Denis répète souvent qu’il faut arrêter de jouer avec l’effet paillasson sur le mot énergie.  Bizarre, il ne l’a pas fait remarquer à la Ministre. Pleutre !

Liens d'intérêts – Données sur l'indépendance des facultés de médecine vis-à-vis des industries

Notre camarade Paul Scheffer (doctorant en sciences de l’éducation, laboratoire Experice, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis) et ses comparses font passer un article dans PLOS One, sur l’indépendance des facs de médecines françaises vis-à-vis des industries. Nous en reproduisons le résumé plus bas, avec un article de The conversation.com en introduction. La question des liens d’intérêt nous intéresse particulièrement au CorteX dans la mesure où de nombreux travaux expérimentaux montrent depuis plus de 30 ans à quel point notre jugement et nos actions peuvent être influencés par eux, alors même que nous pensons agir et raisonner en tout indépendance.

Les facs de médecine les plus indépendantes vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique

publié ici.

C’est une première en France. Les facultés de médecine viennent d’être classées sur l’indépendance qu’elles garantissent à leurs étudiants vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques. Ce travail inédit, inspiré d’un palmarès établi chaque année par l’Association américaine des étudiants en médecine, vient d’être publié, le 9 janvier, par la revue scientifique de référence en accès libre PLOS ONE, sous le titre « Conflict-of-Interest Policies at French Medical Schools : Starting from the Bottom » (NdCorteX : voir plus bas).

La faculté de Lyon Est arrive en tête, avec un score de 5 points, sur un maximum possible de 26. Celle d’Angers arrive en deuxième position, avec 4 points. Suivent sept établissements ex aequo, avec chacun 1 point : Aix-Marseille, Lyon Sud, Paris Descartes, Paris Diderot, Rennes 1, Strasbourg et Toulouse Purpan.

Ainsi, notre étude montre que seules 9 facultés sur 37, en France ont pris des initiatives pour se prémunir contre les conflits d’intérêts qui surgissent en cas de liens de l’établissement ou de ses enseignants avec l’industrie du médicament. Les 28 autres, n’ayant adopté à ce jour aucune mesure en ce sens, n’obtiennent aucun point.

Des prescriptions moins orientées par le marketing des firmes

Ces résultats montrent, sans surprise, que la situation française n’est pas brillante. Mais celle des États-Unis, lors du premier classement réalisé en 2007, ne l’était pas beaucoup plus. Or des changements significatifs se sont produits outre-Atlantique en moins d’une décennie. La majorité des universités américaines se sont hissées en haut du tableau. Et selon plusieurs études, les étudiants qui en sortent prescrivent différemment, d’une façon moins orientée par le marketing des firmes et plus favorable aux patients.

Doctorant en sciences de l’éducation, j’ai proposé l’idée de ce classement au sein du Formindep, association qui milite pour une formation et une information indépendantes dans le domaine de la santé, à laquelle j’appartiens. Nous avons constitué fin 2014 un groupe de travail composé de 2 médecins, 3 étudiants en médecine et 2 chercheurs. Nous espérons fournir un levier dont pourront s’emparer les enseignants et les étudiants décidés à changer la situation. Nous puisons notre motivation dans les formidables avancées constatées dans les universités américaines.

Pour ma part, j’ai été convaincu de l’importance de la formation initiale dans les pratiques de toutes les professions en lisant un témoignage à charge contre une école de journalisme prestigieuse, Les petits soldats du journalisme (Les Arènes), publié en 2003 par François Ruffin. C’est en effet durant les études que se forgent les valeurs, les normes, les habitudes et le réseau amical, que certains plis plus ou moins heureux se prennent, parfois pour la carrière entière.

La défense de l’esprit critique dans l’éducation

Plus tard, j’ai rejoint le Formindep. J’y ai trouvé une convergence avec mes propres points de vue et des encouragements à défendre l’esprit critique dans l’éducation. Des membres m’ont fait découvrir l’existence du « Tableau de bord des politiques de conflits d’intérêts dans les universités de médecine » réalisé par l’Association américaine des étudiants en médecine (AMSA).

Gradué de A à F, à l’anglo-saxonne, ce classement utilisant des pictogrammes très simples est fondé sur des critères d’indépendance dont la validité est établie par la littérature scientifique. Il indique par exemple s’il existe ou non dans l’université une politique pour encadrer les cadeaux offerts aux étudiants par les firmes pharmaceutiques ou leurs invitations à déjeuner, l’organisation d’événements par les industriels sur le campus, les déclarations des liens d’intérêts par les enseignants au début de leurs cours. Aujourd’hui, les deux-tiers des établissements sont classés A ou B alors qu’en 2007, la plupart avaient écopé d’un F…

Notre travail sur les universités françaises s’inspire de ce tableau de bord – qui a également fait des émules au Canada, avec un classement publié en 2013. En plus de l’article publié dans la revue scientifique internationale PLOS ONE, nous avons mis en ligne sur le site du Formindep le « Classement des facultés françaises en matière d’indépendance », fondé sur 13 critères. Les 9 établissements ayant démontré une politique dans ce domaine sont gratifiées d’un D, les autres d’un I pour « incomplet ». Précisons qu’à ce jour, aucune n’a rédigé de document pour définir sa politique officielle en matière de conflit d’intérêts, comme cela existe dans les universités américaines, par exemple à Stanford.

Seuls trois doyens nous ont répondu

Notre méthode d’évaluation et de recueil des données reprend les principes américains, adapté aux spécificités françaises. Nous avons combiné plusieurs sources sur une période s’étalant de juin 2015 à début 2016 : les sites Internet des facultés, les informations de terrain dont nous disposions notamment par le biais d’enseignants, et des demandes d’information envoyées aux bureaux des doyens de chaque faculté. Seuls 3 doyens nous ont répondu, en dépit de nombreuses relances de notre part, suggérant que la coopération sur ce sujet ne va pas de soi pour les équipes dirigeantes des facultés.

Pourtant, davantage de transparence sur cette question ne ferait que répondre aux souhaits de nombreuses institutions à travers le monde. L’Académie de médecine américaine, le Collège des facultés de médecine aux États-Unis et son équivalent au Canada, le Conseil de l’Europe, le parlement français, tous ont publié des rapports concluant à cette nécessité. Il existe d’ailleurs déjà un manuel pratique d’enseignement, Comprendre et répondre à la promotion pharmaceutique, édité par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’ONG Health Action International. Il est disponible en français sur le site de la Haute autorité de santé.

Mais pour faire bouger les lignes, rien ne remplace l’engagement des étudiants sur les bancs même des facultés. Le cas d’Harvard est devenu emblématique suite à un article du New York Times. Celui-ci relatait comment les étudiants de cette université américaine de premier plan avaient interpellé leurs enseignants après l’attribution d’un F à l’établissement. Ils avaient également découvert qu’un des professeurs présentait de façon avantageuse les médicaments anticholestérol dans ses cours et minimisait leurs effets secondaires, alors qu’il était par ailleurs consultant salarié de dix firmes pharmaceutiques, dont cinq commercialisaient ces médicaments. Ces liens n’étaient pas déclarés. Aujourd’hui, Harvard est gratifiée d’un A.

Une tribune d’Irène Frachon

En France, la principale association étudiante, l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), s’est emparée de la question dès 2014. Le médecin qui révéla le scandale du Mediator, Irène Frachon, rend d’ailleurs hommage à son implication dans une tribune publiée sur The Conversation. À la rentrée 2016-2017, l’ANEMF a imprimé et distribué aux étudiants 8 000 livrets sur le thème « Pourquoi garder son indépendance face aux labos pharmaceutiques ? » (NdCorteX : dont le CorteX s’est fait l’écho et le soutien en son temps, ici). L’organisation a réussi à se passer complètement des financements des firmes pharmaceutiques.

L’ISNAR-IMG, le syndicat des internes en médecine générale (étudiants ayant au moins 6 ans d’études), qui regroupe 6 000 adhérents, est également en bonne voie d’y parvenir. Le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG), qui regroupe des internes et des jeunes médecins, a quant à lui fait le choix de l’indépendance financière dès sa création.

Ils se croient immunisés contre l’influence des firmes

Cependant, bon nombre d’étudiants estiment aujourd’hui que l’industrie pharmaceutique est un partenaire tout à fait légitime ne posant pas de problème particulier, comme on l’entend de la bouche de médecins et enseignants. Ils se croient souvent immunisés contre l’influence des firmes, en dépit d’études concordantes montrant le contraire, comme celle du chercheur Inserm Bruno Etain portant sur plus de 2000 étudiants.

La réflexion sur l’indépendance vis-à-vis des firmes peut se heurter à des résistances, voire de l’hostilité. Ainsi 14 facultés ont déjà projeté dans leurs murs le film La fille de Brest, qui raconte le combat d’Irène Frachon. Mais 3 s’y sont opposées – sans toutefois en donner officiellement les raisons.

Pour notre part, nous retenons surtout le message adressé par le président de la Conférence des doyens, le professeur Jean-Luc Dubois-Randé. Une journée sur la formation à l’indépendance dans les études médicales dont les vidéos sont disponibles ici s’est tenue le 30 avril 2016 à Paris, dans des locaux de la revue Prescrire. Le doyen de médecine de l’université Paris-Est Créteil y a déclaré :

« L’actualité nous rappelle que le temps des collusions entre le monde médical et l’industrie pharmaceutique n’est plus soutenable. Nul n’a sa liberté dès l’instant où il est juge et partie. L’expertise devient-elle difficile ? On est un très bon expert lorsqu’on est le professionnel de telle ou telle discipline, ou champ scientifique. Nul ne le conteste, mais il faut alors que la communauté soit informée de la façon la plus transparente des conflits d’intérêts […]. Les règles sont en train de changer, l’ignorer est s’exposer à des réveils judiciaires difficiles. La Conférence des doyens a maintenant homogénéisé les formulaires de cumul d’intérêts et sera très vigilante pour qu’ils soient remplis et signés. »

L’année 2017 débute, et avec elle l’espoir que la formation médicale devienne, dès les premières années, plus indépendante vis-à-vis des firmes. La faculté pourra ainsi donner davantage les moyens aux futurs médecins de déjouer les multiples stratégies d’influence les visant avec, pour cible ultime, leurs patients. Gageons que les résultats de la deuxième édition de ce classement, prévue fin 2017, seront meilleurs et le nombre de facultés volontaires pour partager leurs informations, plus élevé.

Conflict of Interest Policies at French Medical Schools: Starting from the Bottom

Paul Scheffer, Christian Guy-Coichard, David Outh-Gauer, Zoéline Calet-Froissart, Mathilde Boursier, Barbara Mintzes, Jean-Sébastien Borde

PLOS One, January 9, 2017

Abstract

Background

Medical faculties have a role in ensuring that their students are protected from undue commercial influence during their training, and are educated about professional-industry interactions. In North America, many medical faculties have introduced more stringent conflict of interest (COI) policies during the last decade. We asked whether similar steps had been taken in France. We hypothesized that such policies may have been introduced following a 2009–2010 drug safety scandal (benfluorex, Mediator) in which COIs in medicine received prominent press attention.

Methods

We searched the websites of all 37 French Faculties of Medicine in May 2015 for COI policies and curriculum, using standardized keyword searches. We also surveyed all deans of medicine on institutional COI policies and curriculum, based on criteria developed in similar US and Canadian surveys. Personal contacts were also consulted. We calculated a summary score per faculty based on 13 criteria. [range 0–26; higher scores denoting stronger policies]

Results

In total, we found that 9/37 (24%) of French medical schools had either introduced related curriculum or implemented a COI-related policy. Of these, only 1 (2.5%) had restrictive policies for any category. No official COI policies were found at any of the schools. However, at 2 (5%), informal policies were reported. The maximum score per faculty was 5/26, with 28 (76%) scoring 0.

Conclusion

This is the first survey in France to examine COI policies at medical faculties. We found little evidence that protection of medical students from undue commercial influence is a priority, either through institutional policies or education. This is despite national transparency legislation on industry financing of health professionals and limits on gifts. The French National Medical Students Association (ANEMF) has called for more attention to COI in medical education; our results strongly support such a call.

Best of – Les meilleurs dossiers Z du semestre 23, décembre 2016

Chaque semestre depuis 2005, les étudiants de l’UE transversale « Zététique & autodéfense intellectuelle » produisent des dossiers d’enquête sur des sujets « critiques ». Si certains dossiers sont peu exploitables, d’autres sont vraiment de très beaux travaux, qui contiennent certes parfois des erreurs ou des fautes, mais témoignent d’une démarche intellectuelle exigeante, d’une vérification des sources et des informations présentées, et allant pour quelques-uns jusqu’à l’élaboration de protocoles expérimentaux. Cette fois, un excellent test sur la sensation d’être observé, autisme et régime GAPS, un peu de Napoléon, du Bushido, MK-Ultra, la théorie réactionnaire de Renaud Camus et plein d’autres choses.

L’objectif à terme serait de mettre tous les dossiers de qualité depuis dix ans. J’ai réussi à le faire le semestres 20 (ici), 21 (), et 22 (par là). En attendant, en décembre 2016 m’ont été rendu 62 travaux (hors rattrapages), dont voici à mon avis (subjectif) les plus stimulants. Bien sûr il y a des coquilles, des fautes d’orthographes, des maladresses, mais pour des étudiant-es commençant leur parcours universitaire, on aura vu bien pire, et difficilement mieux. Bravo à elles/eux.

RM

  • Régime GAPS et autisme, par Hugo GALLIEN, Anaïs GRILLET, Camille MARTINIE et Nolwenn MARQUIS. Télécharger
  • Test de la sensation d’être observé, ou Dans quelle mesure l’apprentissage sceptique peut-il influer sur l’apparition du phénomène de la sensation d’être observé ? par Thomas BADIN, Mina BERNARD-SALMIRS, Mana BOURDET, Clémence CHARLES, Alexanne CHESNEAUX, Laura CITTADINI, Simon DADER, Laurine DELORME, Doriane DEPUYDT, Julia DWORAK, Coralie EYNAUD, Johan FERRAZZI, Charlotte GENIN, Sylvain GUICHARD, Paul MARSEILLE LABRANCHE, Océane MASOERO, Césame MELCHER, Lucile RUEL et Anaïs SETTURA. Télécharger  et Analyse statistique (en cours de reprise sur quelques points)
  •  La théorie du grand remplacement de Renaud Camus, ou notre civilisation est-elle en train de disparaître ? par Marylou BLONDIN, Salomé MAMY, Clementine MARTIN, Scott McGUIGAN, Idris SHAH et Jahm-Aldinne SPELO. Télécharger
  • Bushido, historicité et mythes, par Lucie FLATTET, Alain LEONARD, Louane MATUSZCZAK et Marine PASCALIS. Télécharger
  • La scientificité des motifs d’accusation de sorcellerie de la fin du XVème siècle jusqu’au début du XVIème siècle en France, par Chloé LE BRET, Quentin MARX, David MONTALVO, Morgane ROISSE-MERLIN et Thibault VERNET. Télécharger
  • L’affaire du pain de Pont-St-Esprit, par Emilie BERNAZ, Cécile HERAUD, Baptiste REYNAUD, Clémentine STEPHANT et Laura VUAGNOUX. Télécharger
  • Le discours climato-sceptique, ou Claude Allègre, l’imposture climatique ou la fausse écologie, par Iliana BITZBERGER, François EYRAUD, Corentin FOL, Makan GANDIT et Félicie THORAVAL. Télécharger
  • Test de l’effet Knobe, Thomas FAUCHE, Antonin.MACLES, Emilien MANTEL et Bérenger SCHWAB, supervisés par Timothée GUILHERMET. Télécharger
  • Le fluor, par Mathilde DIEUMEGARD, Océane MANGEL et Audrey MARNAS. Télécharger
  • La rationalité dans l’analyse néo-classique est-elle fondée ? par Thomas BOYER, Ronan JEZEQUEL, Laurent JUVENET, Alexis LAURENT et Nawel REY. Télécharger
  • Le fauteuil de la mort, par Marine AGNEL, Fabrice BOUTET, Lorraine DUMONT GIRARD, Marine DUNIER, Emilie GAUTHIER et David MARTIN CHEVALIER. Télécharger
  • Les lampes en cristal de sel, par Kim BARRET, Alice BATTAREL, Clara MOSCA, Benjamin TAM et Fanny VIDAL. Télécharger
  • Le suaire de Turin, par Sarah CORTAY. Télécharger
  • La partialité dans le traitement historique de Napoléon Bonaparte, par Théo BOURGEOIS, Jordan DEMMER, Avo GHARIBIAN, Mathieu TANTOLIN et Rémi RICHOUX. Télécharger
  • Le projet MK-Ultra et la mort toujours étrange du scientifique de l’US Army Frank Olson, par Bertrand GAUSSENS, Valentin MOULIN, Diego PENA AGUILAR LlOTARD et Francois VIEUX. Télécharger
  • La proposition de résolution Fasquelle, étude de son rejet et de son traitement médiatique, par Grégoire COUTURIER, Nolwen KERLOCH, Aurélien RIGOTTI et Tania SOLIER-BRIN. Télécharger et Annexe Texte de la proposition de loi

Publication du CorteX dans Plos One – Les affres de la publication scientifique

Si vous suivez régulièrement les travaux du collectif, le rapport sur l’ostéopathie crânienne réalisé à la demande du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes (CNOMK) et les réponses portées aux réactions suivant sa parution ne vous auront pas échappés. Après un an de labeurs, nous venons tout juste de publier Reliability of Diagnosis and Clinical Efficacy of Cranial Osteopathy : A Systematic Review dans Plos One. Nous vous livrons ici le dessous des cartes, une illustration de plus des limites et des avantages du processus de publication scientifique actuel. Pour nous, accepter de se plier aux règles du jeu imposées n’a de sens qu’en les explicitant, pour que chacun puisse affiner son regard critique sur ce système.

Première étape : affrontement de considérations éthiques et économiques – Le choix de la revue

Logo Boycott Elsevier (parmi d’autres créé par Michael Leisen)Le vieux sage se tourne cette fois vers la planète de PLoS, Public Library of Science, pour un accès libre, et laisse l’arbre mort seul.
Logo Boycott Elsevier (parmi d’autres créé par Michael Leisen). Le vieux sage se tourne cette fois vers la planète de PLoS, Public Library of Science, pour un accès libre, et laisse l’arbre mort seul.

Le choix de la revue ne s’est pas fait sans mal. En 2013, nous signalions notre boycott d’Elsevier1. Nous manifestions notre refus de publier chez des éditeurs qui privatisent et rendent lucrative la connaissance alors que celle-ci est souvent le fruit de l’argent public investit dans la formation et le financement des chercheur/ses. Seulement, les alternatives sont coûteuses et demandent de faire des concessions. Nous pouvions faire le choix de ne pas publier dans une revue avec relecture par les pairs, mais nous aurions alors perdu en qualité scientifique et en visibilité internationale. Une autre alternative est de publier dans une revue en accès libre avec relecture par les pairs. Cette option présente l’inconvénient de générer un coût financier substantiel pour une petite équipe comme la nôtre. C’est pourtant le choix que nous avons fait. La rétribution octroyée par le CNOMK au CorteX pour son rapport sur l’ostéopathie crânienne, que nous destinons au financement de stages de master 2, a ainsi été amputée des 1400 euros réclamés par Plos One. C’est semble-t-il le prix à payer pour garantir un accès libre et gratuit au compte-rendu d’un travail de recherche relu par les pairs.

Deuxième étape : le problème linguistique – La nécessité de recourir à un anglais « natif »

Impérialisme culturel et linguistique

Une fois la revue choisie, une étape cruciale s’est présentée : celle de la traduction. La question ne se pose pas lorsque l’on souhaite publier dans une revue de bonne qualité scientifique dans le champ de la santé : il faut écrire en anglais, bien que nous le déplorons2. Nicolas Pinsault est le plus affûté d’entre nous avec la langue de Shakespeare et le vocabulaire scientifique, c’est donc lui qui a écrit l’essentiel de l’article. Nous avons ensuite tou-tes relu son manuscrit, puis nous l’avons soumis aux gracieuses relectures de nos ami-es Maguendra Codandamourty, Phillipe Prouvost, Catherine Wilcox et Edward Ando, qui ont respectivement vécu et travaillé dans un pays anglophone, enseigné l’anglais toute une carrière ou sont carrément anglophone de naissance. Qu’ils et elle en soient chaleureusement remercié-es. Assez confiant-es après toutes ces précautions, nous soumettons notre manuscrit à Plos One. Advient alors notre première déconvenue. Notre manuscrit ne passe même pas à l’étape de l’attribution d’un éditeur à cause de fautes de grammaire et de lisibilité globale du texte. Plos One nous suggère de nous tourner vers quelqu’un qui parle anglais de manière fluide, et si possible un natif. Aucune précision supplémentaire sur les passages concernés n’est amenée, ce qui nous a mis dans l’impossibilité de reprendre nous-même l’article. Notre ultime solution est alors de nous tourner vers une traductrice scientifique professionnelle, le Dr Alison Foote de l’Université Grenoble-Alpes, qui a accepté de modifier notre manuscrit dans des délais très courts imposés par la revue. À nouveau, notre cagnotte réservée initialement aux futurs stagiaires de Master se voit amputée de quelques centaines d’euros.

Après la correction d’éternelles coquilles et « vices de forme » dans les tableaux et figures, qui nous ont valu de perdre quelques cheveux – qui s’obstine à utiliser des logiciels sous licence libre comprendra, nous avions enfin un manuscrit linguistiquement acceptable pour Plos One.

Troisième étape : la relecture par les pairs − Intérêt réel du système de publication

cortex_relecture-par-les-pairs

À ce stade, plusieurs mois se sont déjà écoulés, alors que la qualité scientifique de notre manuscrit n’a pas encore été étudié. Qui plus est, alors que nous avons déjà passé tant d’heures à reprendre le contenu, Plos One nous informe que le processus est bloqué car la revue n’arrive pas à trouver un éditeur3. Heureusement, quelques semaines plus tard, nous recevons enfin un message nous informant que notre article a été attribué à un éditeur, le Dr. Fleckenstein. Il a confié la relecture à trois relecteurs/trices anonymes. Leurs retours nous imposent de reprendre l’article et d’y apporter des « révisions majeures ». Soit. Nous acceptons bien évidemment les critiques, certaines étant très pertinentes. Nous est demandé d’affiner l’analyse, de préciser la méthode et d’approfondir les discussions. Finalement, après avoir tenu compte des relectures, l’article est d’une qualité sans commune mesure avec le premier jet. Ceci nous conforte dans l’intérêt de se soumettre à la relecture par les pairs, car nous améliorerons ainsi la fiabilité de nos revues systématiques à venir – bien que nous ne remboursons pas notre dette de sommeil, tant s’accumulent de nouvelles heures de travail de fond, de forme et de traduction, l’exigence de l’anglais natif étant toujours là.

Quatrième étape : affrontement de considérations épistémologiques

"Les preuves sont comme les poires : de ux poires médiocres ne font pas une  bonne poire (à la rigueur une compote)" - Tirée de la thèse de Richard Monvoisin
« Les preuves sont comme les poires : de
ux poires médiocres ne font pas une
bonne poire (à la rigueur une compote) » – Tirée de la thèse de Richard Monvoisin

Nous soumettons alors la nouvelle mouture une énième fois à Plos One. La réponse qui nous parvient quelques semaines plus tard nous laisse cette fois-ci complètement abasourdi-es : le manuscrit doit à nouveau subir une révision majeure. Alors que deux relecteurs/trices jugent nos modifications très adéquates et sont heureux de recommander la publication de l’article, le/la troisième relecteur/trice est « disagree with the approach of only highlighting the better quality studies », alors qu’il n’avait rien dit à ce sujet lors de sa première relecture. Autrement dit, le reproche que nous faisait ce relecteur était de ne pas accorder assez de place dans la discussion aux études de mauvaise facture méthodologique. Si cela peut s’avérer justifié s’il s’agit d’élaborer des conseils et recommandations aux futur-es chercheurs-ses pour concevoir de meilleures études (ce que nous avons déjà fait sur conseil d’un-e autre relecteur-trice), ce que nous demande le présent relecteur n’est ni plus ni moins que de considérer les mauvaises études comme des preuves : « The authors should strive to discuss all of the included studies in their paper. Otherwise, they put the spotlight on a subset of articles and do not report the totality of the evidence. » Nous sommes à ce stade tou-tes dépitées et l’envie de tout abandonner est bien là. Notre volonté de rigueur épistémologique et nos futurs projets nous motivent cependant à continuer – avec un soupçon d’escalade d’engagement.

Nous reprenons alors une énième fois le manuscrit en prenant en compte les quelques remarques de forme restantes. En revanche, nous refusons de modifier le manuscrit en fonction de la principale critique du troisième relecteur (ici). Nous avons argumenté ce point . Le tout se fait toujours laborieusement en anglais, et repasse à chaque fois par la case traduction professionnelle.

Cette fois, enfin, nos efforts paient (notre cagnotte aussi), notre manuscrit est accepté et sera publié dans les semaines qui viennent.

Trois questions restent en suspens :

primo, où vont ces 1400 euros ? A quoi servent-ils, et à qui ?

Secundo, les structures sans financement comme la nôtre n’ont aucune chance de publier tant le processus est cher. Il y a une sorte de gentrification de la publication, qui de fait exclut les petits, les chercheurs de pays pauvres, les hors-grosses structures4.

Tertio, n’aurions-nous pas dû avec le même investissement écrire deux livres grand public bon marché, faire 25 conférences gratuites, ou encore faire des conférences de méthode critique dans des universités d’Afrique de l’Ouest ? C’est l’éternel dilemme moral de toute personne ou collectif qui souhaite avoir le meilleur impact sur son monde : sommes-nous sûrs de devoir faire ceci plutôt que cela ? Avant de nous lancer dans cette publication, nous avons fait sciemment certains paris stratégiques. Espérons que ceux-ci porteront leurs fruits car leur coût est, comme prévu, élevé.

Albin Guillaud, Nelly Darbois, Nicolas Pinsault et Richard Monvoisin.

alt

Effet Panurge, argumentum ad populum, ou principe de la preuve sociale

Le principe de la preuve sociale désigne cette tendance à croire que si la plupart des gens croient en quelque chose ou agissent d’une certaine manière, alors mieux vaut se conformer.


Une chose devient acceptable parce qu’elle est supposée vraie/crue par un certain nombre de gens. Plus formellement, le fait qu’une masse de gens nourrissent un sentiment favorable à l’égard d’une proposition ou d’une action se substitue à la preuve étayant cette proposition.

Dans le cadre de la didactique zététique, nous employons le terme d’effet Panurge, en souvenir du personnage de François Rabelais, compagnon de Pantagruel pendant leur voyage au « Pays des Lanternes » (Quart Livre, ch. VIII) :

« Malfaisant, pipeur, buveur, Panurge sait et entend tout faire, notamment des farces ; par exemple il fait plonger les moutons de Dindonneau dans la mer en y jetant le premier, que les autres suivent bêtement. »

CorteX_Monvoisin_effet Panurge
Cialdini (2004, voir Pour démarrer) présente l’ambivalence de cet effet en utilisant une métaphore de chemin vicinal :

« Habituellement, quand un grand nombre de gens fait quelque chose, c’est que c’est la meilleure chose à faire. Cette vérification par les faits est à la fois la force et la faiblesse du principe de la preuve sociale. (…) La preuve sociale représente un raccourci commode, mais elle rend en même temps celui qui l’emprunte vulnérable aux assauts des profiteurs embusqués sur le chemin. » (pp. 127-180)

Ce sophisme est très commun et extrêmement puissant. Puisqu’une majorité de gens sont enclins à se conformer avec les vues de la majorité, convaincre une personne en lui disant que la majorité approuve l’assertion en question est un excellent moyen de le lui faire accepter, soit par mimétisme, soit par peur de l’ostracisme.

Dans la ligne directe des rires pré-enregistrés qui accompagnent les séries télévisées afin de provoquer l’hilarité des téléspectateurs au moment voulu, le comportement individuel a une forte propension à se calquer sur celui de la société. Et de la même façon que l’introduction des rires pré-enregistrés dans un programme qui plus est médiocre n’est pas laissée au hasard et s’appuie sur une connaissance scientifique de leur influence sur la réception du public (Nosanchuk & Lightstone, Canned laughter and public and private conformity, Journal of Personality and Social Psychology, Vol 29(1), Jan 1974, pp. 153-156), les stimulations marketing sont elles aussi étudiées de près et jouent sur l’étude des mouvements de troupeau : arguments de grande vente, 100 000 exemplaires vendus, hits des meilleurs ventes de disques, etc. sont passés au peigne fin par des professionnels de l’un des rares débouchés des études françaises de sociologie. On a pu montrer très récemment, comme Salganik et ses collègues, que les gens achètent la musique qu’ils savent ou croient savoir que les autres apprécient1. « Ainsi, cette tendance à l’uniformisation musicale s’opère principalement grâce aux (ou à cause de) radios/télévision qui, les unes après les autres, reprennent souvent les mêmes morceaux favorisant, par effet de mimétisme, leurs ventes au détriment d’autres morceaux ignorés. », ajoute F. Grandemange, auteur du site Charlatans.

De là à la fabrication du consentement politique, il n’y a qu’un pas, qui a été formalisé depuis sous le nom de Bandwagon effect — en souvenir du clown Dan Rice qui contribua à la propagande politique de Zachary Taylor en faisant processionner sa carriole chargée de monde. La technique fut reprise bien des fois, avec le slogan « jump on the bandwagon« .
Les études les plus récentes montrent ce comportement de troupeau (herd behaviour) lors des choix politiques, notamment Nadeau & al. sur l’avortement et sur la constitution québécoise2, Goidel & al.3, Mehrabian sur l’influence des sondages sur les votants4, amenant même Morwitz & al. à se demander si les sondages reflètent l’opinion ou si l’opinion reflète les sondages5).

Effet Panurge

  • Un grand nombre de gens pensent que X=b
  • Donc X=b

Ce sophisme est très commun et extrêmement puissant. Puisqu’une majorité de gens sont enclins à se conformer avec les vues de la majorité, convCorteX_Panurge_assiette_au_beurreaincre une personne en lui disant que la majorité approuve l’assertion en question est un excellent moyen de le lui faire accepter, soit par mimétisme, soit par peur de l’ostracisme.

Illustrer l’effet Panurge au moyen de supports tirés des médias est chose facile :

  • les classements de meilleures ventes de livres/disques/logiciels, avec parfois la mention « x clients satisfaits » – occasion de montrer un effet cigogne retors que celui consistant à faire croire qu’un produit acheté non rapporté a satisfait son acheteur ;
  • les classements des meilleures fréquentations ;
  • les labels sur certains produits ;
  • les « avis de consommateurs » et les slogans type « élu produit/voiture/saveur de l’année » ;
C’est également l’occasion de glisser quelques exemples tirés du vécu, que les étudiants ont certainement déjà rencontré. En voici trois que nous utilisons en cours.
 
  • L’exemple des boîtes de nuit laissant s’entasser devant la porte les clients même lorsque la boîte est vide juste pour créer l’illusion d’une demande accrue mise sur l’effet Panurge (Cialdini ouv.cité, p. 131).
  • L’exemple du dilemme des restaurants, ou à deux restaurants équivalents dont l’un contient déjà un client, l’autre non, le passant sera attiré par le premier (Cialdini ouv.cité, p. 131).
  • L’exemple plus dramatique : lors d’un événement grave, les individus vont d’abord chercher des signes, des indications dans l’attitude de leurs semblables afin de choisir l’action appropriée – ce qui expliquerait cette fameuse « dilution de responsabilité » appelée « effet spectateur » ou « bystander apathy » lors des agressions devant témoins : l’impassibilité se transmettant et se rationalisant peut amener un individu à ne plus réagir à un danger là où seul il aurait réagi6.

  Cet effet se situe à la convergence de plusieurs autres outils zététiques, notamment :

  • le scénario appel à l’émotion, et la peur de cet ostracisme qu’encourt qui ne se plie pas à la peer pressure, le conformisme de groupe tel qu’on a pu l’appréhender depuis les études célèbres de Solomon Ash.
  • le faisceau de preuve, par le fait qu’il se base sur la réunion de nombreuses « mauvaises preuves » :
 
Labossière le décrit ainsi dans son Fallacy Tutorial :

« The fact that most people have favorable emotions associated with the claim is substituted in place of actual evidence for the claim. A person falls prey to this fallacy if he accepts a claim as being true simply because most other people approve of the claim ».

Des séquences pédagogiques simples peuvent être réalisées sur ce thème, en demandant aux élèves d’aller relever des arguments ad populum dans la vie de tous les jours. 

Exemples du quotidien :

  • Arguments de grande vente, 100 000 exemplaires vendus, hits des meilleures ventes, x clients satisfaits ;
  • Les avis de consommateurs et les slogans type élu produit/voiture/saveur de l’année, vu à la T.V. , etc.alt

On peut également collectionner les exemples un peu plus complexes, comme l’appel au peuple lié au courrier ou aux appels au standard d’une émission. Il y a appel au peuple quand l’intervenant.e change son propos du fait d’une avalanche de plaintes arrivant au standard – avalanche qui est probablement un double biais d’échantillonnage, entre le tri  effectué par la radio ou la chaîne, et le tri « naturel » à voir une surreprésentation des mécontents téléphoner, là où les satisfaits sont plus discrets.

Le meilleur exemple que nous ayons pour l’instant est celui de Didier Sicard, sur France Inter, en 2011, à propos de l’ostéopathie.

 

Pour aller un peu plus loin : Principe de la preuve sociale, effet Panurge ou argumentum ad populum dans la thèse de didactique de Richard Monvoisin Pour une didactique de l’esprit critique – Zététique & utilisation des interstices pseudoscientifiques dans les médias, 4.3.2.14 pp. 233-236).

 

Astrologie : la fin des mystères – un incontournable de Serge Bret-Morel

cortex_serge_bret-morel
Serge Bret-Morel en action

Il est des gens qui ont des trajectoires aussi étonnantes que les plus surprenants objets de la  ceinture d’Edgeworth-Kuiper, allant jusqu’au-delà de Neptune. Serge Bret-Morel est de ceux-là. Astrologue devenu sceptique, il a publié un livre riche, étonnant, technique et pourtant plaisamment lisible, forgeant la critique de ce que furent pourtant ses primes amours : les liens entre les astres qui nous entourent et nos petites existences.

 

Il y avait bien quelques ouvrages, pour sceptiques intéressé-es, mais qui allaient de Charybde en Scylla : soit ils étaient trop complexes et calculatoires, soit ils étaient simplistes, et assénaient des tartes à la crème sur une discipline qui, comme l’écrit Serge, « fut » une science et mérite mieux. cortex_bret-morel_astrologie-la-fin-des-mysteresEt aucun ne faisait montre d’une telle connaissance interne du milieu. C’est surtout ce point qui m’a amené à lire ce livre alors que le sujet me paraissait être, pardon du jeu de mot, une vieille lune. Car si j’y ai appris un paquet de choses notamment sur la genèse de la mode des horoscopes, je voulais surtout lire en filigrane sa « déconversion » et comment il allait la traiter. Il est extrêmement rare qu’un spécialiste d’une pseudo-science soit capable d’une telle prouesse : tordre à ce point son cerveau au point de renoncer à ce qui fait son expertise, sans tomber dans la consonance cognitive bricolée de toute pièce. En plus de quinze ans à étudier ces sujets, je n’ai rencontré que deux ou trois personnes qui avaient été capables d’une telle ascèse intellectuelle, et me demande si j’en serais moi-même capable. Merci de cette production, et nous attendons la suite !

On peut largement compléter ses connaissances en surfant sur le site de l’auteur, nouvelle version, intitulé ASTROSCEPT.

RM

 

 

« Sale bête », « sale nègre », « sale gonzesse » – Identités, dominations et système des insultes, par Yves Bonnardel

Yves Bonnardel est un militant politique, notamment connu pour ses textes sur l’antispécisme et la construction morale du droit des animaux. Sa critique radicale de la notion de « nature », soit comme avatar de Dieu, soit comme processus essentialisant, a beaucoup inspiré le CORTECS, et reste l’un des sujets les plus tortueux à aborder1. Voici un texte introductif sur la normativité dont témoignent nos insultes. Il a été publié il y a près de vingt ans dans les Cahiers antispécistes n°12 (avril 1995) : de quoi stimuler la réflexion de tout être humain en lui faisant décortiquer ses insultes favorites. C’est l’occasion pour des enseignant-es de s’emparer de ce sujet, et ce dès le plus jeune âge, pour introduire ce qui pourrait être le premier cours de philosophie morale de beaucoup d’enfants à partir des insultes classiques.

CorteX_Yves-Bonnardel« Sale bête », « sale nègre », « sale gonzesse »  –  Identités, dominations et système des insultes

par Yves Bonnardel

La liste aurait pu s’allonger : sale gitan, sale juif, sale arabe, sale pédé, sale gouine, sale pute, sale gosse… Les insultes sont des mots ou des expressions toutes faites, dont le caractère offensant est immédiatement perçu par tous, et que l’on utilise pour attaquer quelqu’un à qui l’on s’adresse directement, en le rabaissant et en lui signifiant du mépris. Parce qu’il leur faut être immédiatement compréhensibles à chacun, elles négligent tout caractère réellement individuel pour ne se référer qu’à des catégories sociales : et c’est ainsi qu’elles sont une bonne source d’indications sur les rapports sociaux. C’est pourquoi elles sont normalisées1, et aussi pourquoi elles sont particulièrement bêtes et mesquines : c’est que, comme d’autres aspects du langage mais avec plus de vivacité et clarté, elles expriment les catégories sociales déterminantes et l’ordre dominant.

Toujours, injurier quelqu’un consiste à l’attaquer en dévalorisant ou en niant l’image qu’il est censé (par le corps social) avoir de lui-même. Et si le ton de mépris ou de haine joue également un grand rôle, le contenu (la signification) de l’insulte n’est pas du tout indifférent : il obéit à des règles strictement codifiées et à des types bien définis, qui révèlent ainsi les rapports sociaux de domination et les représentations d’eux-mêmes que les humains acceptent (semble-t-il) si facilement.

Les insultes ont donc en commun d’attaquer une identité sociale de l’injurié, dans une situation de conflit. L’Espèce et le Sexe (mais la Race aussi) sont parmi les plus fondamentales de ces identités : ce sont des catégories sociales, qui apparaissent d’autant plus évidentes par elles-mêmes que leur rôle social est plus omniprésent, et qui permettent, au sein d’une société donnée, de classer des individus et de les remiser en divers paquets, avec des conséquences tout à fait concrètes.

Ces catégories sont bien plus conventionnelles et arbitraires qu’il n’y paraît spontanément : ainsi, il y a cinquante ans, « blonde » ou « brune » (pour les individus remisés dans le groupe femmes) étaient des catégories signifiantes (les « brunes » étaient censées être « de tempérament volcanique », etc.), comme l’indiquent les chansons de l’époque, mais qui n’existent plus guère aujourd’hui.

Toujours est-il que les insultes sont des expressions abouties, et même souvent caricaturales, de l’omniprésence de ces catégories et des liens de hiérarchie qu’elles entretiennent, et qu’elles permettent donc dans un premier temps de s’en faire une idée (même si on peut perdre un peu alors le sens de la nuance).

Comme en fait je n’ai pas du tout l’intention d’entreprendre un inventaire exhaustif de tous les types d’insultes, et que je ne veux m’attacher qu’aux catégories existantes qui conditionnent le plus la vie des humains, ne vont m’intéresser ici que certaines d’entre elles, qui sont tout de même, et de loin, les plus fréquentes : les insultes racistes, sexistes, homophobes ou… spécistes.

Les insultes racistes

Les injures racistes traitent un Juif de youpin (ou sale Juif), un Noir de nègre (ou sale nègre), un Arabe de bougnoul (sale Arabe)… On a une bonne idée du statut de ces humains lorsqu’on remarque que pour les attaquer on ne les compare pas à « quelque chose d’autre », mais qu’au contraire on insiste simplement sur « ce qu’ils sont » : youpin signifie Juif, nègre Noir, etc., ces mots étant seulement plus explicitement péjoratifs. De même, « sale » n’est introduit que pour expliciter ce caractère péjoratif, « sale Juif » par exemple ne signifiant pas « Juif de la variété sale », mais « Juif, donc sale ».

Dans la civilisation « blanche », tout Blanc (non Juif, du moins) sera en grande mesure épargné par les insultes racistes : car « blanc » n’est pas dévalorisant. Et je ne serai jamais traité ni de bougnoule ni de nègre, parce que me manquent les signes fondamentaux de cette « différence » qui collent à la peau d’autres et les distinguent négativement2.

Les insultes sexistes

Les injures sexistes qui s’adressent aux humains, elles, ont trait directement à l’appartenance de sexe (la catégorisation de sexe, en homme ou femme) ou prennent pour cible la sexualité (la catégorisation en fonction des préférences sexuelles).

Eh bien, lorsqu’on attaque les hommes directement en tant qu’hommes, on les traite… de femmes : gonzesse, femmelette, sans-couilles… Par ailleurs on les traite aussi, ce qui est plus ou moins censé revenir au même, de « faux » hommes, d’hommes passifs, d’« hommes-femmes » en quelque sorte, en les assimilant à ceux qui n’ont pas la bonne sexualité (celle, masculine standard, qui fait un « vrai homme ») : pédé, enculé, tapette, tante…

Ainsi, bien que j’aie de façon indéniable un pénis, du poil au menton, etc., je peux encore être nié dans ma qualité d’homme : mes caractères physiques ne sont que des présomptions de mâlitude, insuffisantes pour me remiser ad vitam aeternam dans la catégorie « homme ». Il y faut aussi les attitudes dont la société estime qu’elles leur correspondent : virilité, hétérosexualité, courage, dynamisme (caractère actif et individuel), etc. Le fait d’être « un homme » ne semble pas aller autant de soi que celui d’être « un Noir ». Finalement, « homme » n’est pas du tout un attribut aussi « naturel » qu’il semblerait de prime abord …

Par contre, le fait d’être femme l’est clairement plus, « naturel », puisque pour attaquer une femme en tant que telle on ne la traite pas d’homme, mais au contraire, on marque sa non-virilité, c’est-à-dire qu’on la traite en toute bonne logique de… vraie femme (putain, salope, gouine, connasse, pétasse, serpillère). De « vraie » femme, puisque, comme on sait, dans la représentation courante les femmes restent essentiellement mères ou putains, comme l’exprime la caricature machiste : « Toutes des salopes, sauf ma mère ! ». C’est le fait que l’on puisse injurier une femme en la traitant dans le fond simplement de femme3 qui donne le plus clairement la mesure du mépris dans lequel sont tenus la moitié des humains.

De plus, contrairement à celle des « hommes », et comme celle des « Noirs », la catégorie « femme » est censée être « naturelle » : on n’en échappe pas (malgré quelques dérogations limitées, du type « elle a plus de couilles que beaucoup de mecs ») ; nul besoin d’un comportement particulier pour être une femme, le sexe biologique suffit (« on naît femme, on devient un homme »).

Les insultes spécistes

Et, enfin, on peut encore attaquer un humain quel qu’il soit dans son humanité : en le traitant d’inhumain (monstre), d’humain raté (avorton, taré, mongol), ou d’un nom d’animal quelconque : soit chien, porc, âne, cochon… soit chienne, truie, dinde… (ici aussi le sexe reste trop déterminant pour être oublié). Ou bien encore on l’attaquera sur les attributs présumés de l’humanité, principalement la raison (fou), l’intelligence (âne, idiot, bête, imbécile, stupide, débile) ou… l’« humanité » (salaud, monstre, sans cœur).

Là aussi mon humanité, pourtant censée être fondée sur des signes biologiques évidents, peut m’être retirée, notamment si je ne satisfais pas aux critères de comportement requis. Elle n’est pas très « naturelle » non plus, et n’est pas acquise d’emblée…

J’appelle cette dernière classe d’insultes « spécistes », d’une part parce qu’elles s’attaquent à notre identité d’espèce, et d’autre part (mais cela est bien sûr directement lié), parce qu’elles font référence de façon péjorative à d’autres animaux qui sont, eux, dévalués parce que n’appartenant pas à la bonne espèce, celle de référence, l’humaine. L’adjectif « spéciste » est évidemment construit sur le modèle de « raciste » et « sexiste », et l’analogie faite ici est bien pertinente : bien que les humains sachent que les animaux ne parlent pas, les « sale bête ! » ponctuent volontiers les coups de pied d’un « maître » à son chien.

Voilà clos ce rapide tour d’horizon4. Les insultes qui jouent sur les identités sociales sans pour autant reprendre les schémas que l’on vient de voir sont peu nombreuses et visent généralement plus à se moquer (plus ou moins) gentiment qu’à réellement blesser. À peine peut-on encore parler d’insultes : ainsi, les seules qui traitent un humain mâle de mâle (par une référence au signe de mâlitude qu’est le pénis) sont bon-enfant et souvent affectueuses : couillon, cornichon, andouille. Ce sont en fait des variations humoristiques sur le thème de l’injure, qui ne sauraient se prendre véritablement au sérieux.

Insultes et appartenances

Ces différents types d’injures ont en commun d’attaquer l’individu, identifié à une catégorie sociale, dans cette appartenance même ; soit en la niant si son groupe est dominant, soit en insistant dessus dans le cas contraire. Elles l’attaquent donc non en tant qu’individu singulier, mais en niant sa singularité pour ne plus se référer qu’à son appartenance, fictive ou non, reconnue par lui ou non. C’est à travers la catégorie toute entière qui lui est attribuée que l’individu est censé être dévalorisé, et l’insulte ne l’atteint que si (ou parce que) lui-même adhère à cette catégorisation, c’est-à-dire accepte le jeu. Et il faut convenir que… ça marche ! (en notant par ailleurs que la haine, le mépris, la volonté de détruire dont l’insulte est vecteur sont aussi en soi déstabilisants, terroristes.)

Les insultes ont pour effet de verrouiller l’appartenance d’un individu, lorsqu’il s’agit d’un groupe dominé. Cette catégorie (noir, femme, bête…), identifiée à l’aide de « signes » anatomiques, est perçue comme « naturelle » ; l’individu ne peut donc en changer, et les insultes le remettront toujours à sa place. À l’inverse, les critères d’appartenance à un groupe dominant sont ressentis comme moins purement naturels, biologiques ; doivent s’y ajouter des critères de comportement obligatoires sous peine de déchoir et d’être remisé dans une catégorie dominée. Les dominants se perçoivent donc comme une catégorie naturelle et sociale, ou plutôt, comme une catégorie naturellement sociale, les catégories dominées étant, elles, vues comme purement naturelles5.

Paradoxalement cependant, l’appartenance à la catégorie dominante est conçue comme la norme ; puisque le mot « homme » désigne aussi tous les humains, un homme est un homme tout court, et une femme est un homme plus, ou plutôt moins, sa féminitude. L’appartenance à une catégorie dominée est perçue comme faisant relief négativement sur la « bonne » communauté, la normale, celle de référence. Le fait d’être « un Blanc » par exemple est généralement un implicite, non formulé : il correspond directement à l’appartenance à la société, à la civilisation (la vraie !), à l’humanité typique…

Quand l’individu fait partie du groupe dominant, les insultes peuvent remettre en cause cette appartenance. Cela se fait peu pour la race (on traitera rarement un Français bon teint de bougnoul ; les nazis avaient cependant l’expression « enjuivé ») ; s’adressant à un membre de la catégorie la plus « normale » (un humain mâle bon teint), les insultes de loin les plus nombreuses sont celles qui contestent, à travers le comportement, l’identité sexuelle et celle d’espèce. La représentation que nous avons de nous-mêmes semble ainsi construite d’abord sur ces deux identités sociales fondamentales, dans une certaine mesure liées : l’identité sexuée et l’identité humaine, modes de représentation de nous-mêmes socialement imposés, correspondant à des statuts sociaux.

Cela se retrouve également dans nos vêtements et nos aménagements corporels (coupe de cheveux, etc.), uniformes bel et bien obligatoires en pratiquement toutes circonstances. Être vêtu est en soi symbole de notre humanité (obligatoire au moins en public), tout comme l’est la civilisation de notre corps (qu’on arrache à la « pure naturalité » en passant chez le coiffeur, par exemple). Les vêtements doivent en outre obéir à des critères plus ou moins stricts, ceux d’une époque et d’une civilisation, marquant ainsi l’appartenance à une culture donnée, et de façon indirecte encore à l’humanité. Enfin, last but not least, ils doivent être féminins ou masculins, et cela aussi est pour une grande part obligatoire6.

Identités et statuts sociaux

J’entends par identité sociale une image de nous-mêmes qui nous est donnée par notre environnement social à la fois comme nature et comme modèle, à laquelle nous sommes tenus de nous conformer dès la naissance, et à partir de laquelle nous nous construisons : elle façonne notre attitude générale face au monde, face à nous-mêmes comme face aux autres, et nous pourvoit en valeur. Bien qu’elle ne nous détermine pas entièrement et que nous puissions prendre quelques libertés avec elle, il s’agit d’une image sur laquelle nous comptons trop en toutes choses et à laquelle nous sommes trop souvent ramenés par les autres pour pouvoir nous en débarrasser ou simplement en faire abstraction.

L’identité sera l’aspect subjectif du rôle social, et le rôle social l’expression dans les actes (objective) de l’identité. Tout individu a une identité d’espèce, de sexe et de race (et beaucoup d’autres encore, moins fondamentales, moins perçues comme « naturelles »), correspondant chacune à divers rôles sociaux, eux-mêmes liés à divers statuts sociaux. Dire à quelqu’un qu’il est peu humain (« complètement taré ! ») ou qu’il est un animal, qu’il est une femme, qu’il n’est pas de bonne race, peut le blesser sérieusement, et est couramment pratiqué dans ce but. Le fait même que celui qui se fait ainsi verbalement traiter le ressente mal est le signe de son mépris pour les non-humains, pour les individus qui ont un sexe femelle, pour ceux qui sont d’ailleurs.

C’est aussi par contre le signe de son grand respect pour son appartenance à l’humanité, à son propre sexe, à sa propre communauté : quelle mine il fait, si on cherche à remettre en cause cette appartenance ! Et ce genre de pratique qui semble si dénué de sens, si absurde, qui consiste à traiter quelqu’un soit de « ce qu’il est », ou au contraire de « ce qu’il n’est pas », est en fait pris au sérieux par tous, ou peu s’en faut ! Qui, homme ou femme, blanc ou non, homo ou hétérosexuel…, aurait le réflexe d’éclater de rire, et de bon coeur, à s’entendre traiter d’enculé, de pétasse, de sale nègre, de porc ? Non, par-delà le simple fait d’être haï ou méprisé, il s’agit bien en soi d’un mauvais traitement, face auquel l’âme fière pâlira et l’âme moins bien trempée s’empourprera. Une partie de la misère des humains ne se niche-t-elle pas là, dans cette difficulté à prendre une distance par rapport à ces images de soi-même ? Des images qui ne sont d’ailleurs même pas directement de soi, mais seulement du groupe auquel on est socialement identifié ! Quelle rigolade !

En fait, non, ce n’est certainement pas drôle, et ce n’est pas une simple histoire de mots. Rares sont ceux qui peuvent ne pas se sentir concernés ; car derrière les mots se cachent des différences de statut fondamentales, et selon celui qui nous est assigné nous pouvons être propriétaire ou esclave, bon vivant ou bien mort. Homme ou femme, je lirai le journal et rapporterai une paye plus élevée de moitié, ou ferai la vaisselle et torcherai la marmaille. Mâle homo ou hétérosexuel, on me crachera au visage ou je serai l’enseigne de la respectabilité. Humain ou animal (non humain), je jouirai de droits élaborés et ma vie sera sacrée, ou l’on pourra me faire ce que l’on voudra pour n’importe quel motif (comme me plonger vivant dans l’eau bouillante, si je suis classé truite ou homard !). Les mots désignent des réalités, des statuts qui ont une telle incidence sur notre vie et sa qualité, qu’il ne peut être indifférent à quiconque que l’on cherche à rabaisser la catégorie à laquelle il appartient.

Car toujours, dans un conflit, les injures sont potentiellement un premier pas. En assignant verbalement à un adversaire une position de dominé dans le système hiérarchique social (en lui rappelant sa position sociale réelle lorsqu’il s’agit déjà d’un dominé, ou en le ravalant à une catégorie inférieure dans le cas contraire), on le met en demeure de se soumettre ou de se préparer à être traité physiquement comme un dominé, récalcitrant de surcroît : c’est-à-dire, fort mal.

Les insultes, en nous renvoyant brutalement à nos identifications de groupe, renforcent celles-ci (et la hiérarchie entre elles), et ceci tant pour l’insulteur que pour l’insulté. Attaquer par exemple un humain dans son humanité, cela revient en fin de compte à renforcer l’obligation à laquelle je suis moi-même aussi soumis de me conformer à « mon » humanité, qui plus est au détriment des idiots, des handicapés ou des non-humains. Non merci.

Car les identités sociales font référence à des groupes (que j’appelle groupes d’appartenance) auxquels je suis censé appartenir et qui ont de ce fait des droits sur moi, sur mes agissements, etc. C’est pourquoi les insultes ne sont pas un problème en soi, ne sont pas le problème : elles n’en sont qu’une expression. J’aurais pu tout aussi bien parler du ridicule et de la peur qu’on en a si souvent. Les insultes ou la peur du ridicule sont un bon révélateur de notre enfermement à tous dans différentes catégories sociales, qui déterminent notre vie à tous les niveaux, et dont il est très difficile de sortir.

Être blanc, homme, et humain, c’est être inscrit comme dominant sur une échelle hiérarchique qui comprend, donc, aussi des dominés. C’est bénéficier de privilèges, matériels et identitaires…, dont de dominer d’autres, sans soi-même risquer de l’être. Mais c’est aussi toujours avoir sous les yeux l’exemple des dominés, de la façon dont ils sont traités, en sachant que si l’on cesse d’avoir les comportements requis par son groupe d’appartenance, on en sera exclu, et alors éventuellement passible des mêmes mauvais traitements.

Aspects communs des formes de domination

Toujours, les dominations présentent deux aspects, que l’on peut théoriquement isoler l’un de l’autre, mais qui dans la pratique sont souvent indissociables : un que j’appelle matériel (on pourrait aussi dire objectif), et un que j’appelle identitaire (on pourrait dire subjectif). Le premier consiste en une exploitation, une mise à son service du dominé par le dominant, qui vise à en retirer des avantages matériels, par l’utilisation de son corps, de sa force de travail, de son affection, etc. Le second aspect consiste pour le dominant à s’octroyer une valeur positive, supérieure, au moyen d’une dévalorisation du dominé : on ne peut se poser comme supérieur que relativement à autre chose, qu’il faut donc inférioriser, mépriser. Cette valorisation est en soi jouissive, source de plaisir.

Ces deux finalités de la domination sont généralement indissociables : pour plier quelqu’un à sa volonté, l’exploiter, et ceci sans problèmes de conscience graves, il faut l’avoir dévalorisé, avoir cessé de le considérer comme son égal. Mais inversement le fait d’utiliser quelqu’un, de le faire obéir à sa volonté, de l’obliger à devenir un instrument de nos propres besoins (quels qu’ils soient), indépendamment des siens, est une façon très efficace de le dévaloriser, de l’inférioriser, de l’humilier : donc de poser sa propre supériorité. Dans certains cas l’usage de la violence n’aura pas pour but l’exploitation matérielle, mais uniquement la dévalorisation : c’est ainsi que j’explique la consommation de la viande (où c’est l’exploitation matérielle qui a alors pour but la valorisation), et le sadisme des relations de pouvoir en général. De toute façon, que le but soit matériel ou identitaire, la domination s’exercera par la violence, effective ou simple menace explicite voire implicite ; et elle s’appuiera sur une idéologie justificatrice, forme sociale du mépris.

La domination, c’est la valorisation

Dans toutes les sociétés, la supériorité (dominance) sociale s’affirme symboliquement par le monopole, d’une part de l’usage légitime de la violence, et d’autre part, de la possession de biens. L’usage de la violence, et la possession de biens sont des annexes des individus dominants, ils leur sont constitutifs. C’est-à-dire que ce ne sont pas simplement des marques extérieures de leur qualité de dominants, mais des attributs inhérents, qui en font partie intégrante.

Les individus ne sont jamais appréhendés seuls, isolés de tout contexte : ils sont au contraire perçus à travers ce qu’ils ont, qui exprime ce qu’ils sont (ou ce qu’ils sont socialement censés être). C’est que je suis effectivement ce que je possède, ce qui, à des degrés divers, me constitue : mon corps, mes vêtements et autres objets, mais aussi mon caractère, mes projets, mes intérêts, mes sentiments, mon passé, mes relations, etc.7.

La possession de biens, c’est-à-dire, de choses qui sont perçues comme m’étant originellement extérieures, non propres, me permet, par leur annexion, leur appropriation, leur incorporation à mon individualité, de me poser relativement aux autres comme plus ou moins gros, plus ou moins puissant, plus ou moins riche en valeur(s) : ma valeur dépend de ce que je possède (au sens large) et peux faire valoir.

Ce sont bien sûr les biens les plus prestigieux qui confèrent le plus de valeur à leur propriétaire. Dans de nombreuses sociétés, lorsque les conditions s’y prêtent, les biens les plus prestigieux sont d’autres êtres vivants qui sont appropriés, annexés à leur propriétaire : animaux, enfants, femmes, esclaves. Propriétés d’un autre, ces individus n’ont pas eux-mêmes dans les cas les plus extrêmes de propriété du tout, y compris celle de leur corps ou de leurs traits de caractère, et n’existent pas socialement en tant qu’individus, que propriétaires.

Instrumentalisés, les dominés reçoivent des attributs d’instruments. Un tournevis est fait pour visser, fait par le fabricant. Une femme de même est faite pour faire des enfants, etc. : mais par qui ? Sa fonction procréatrice n’est pas façonnée par un humain ; c’est donc un troisième partenaire qu’on introduira, un partenaire complice, qui fait les femmes pour les hommes comme il pourrait aussi faire pour eux, mais ne fait pas, des tournevis : ce partenaire, c’est la Nature. Ainsi les dominés en général sont-ils naturalisés, faits par nature pour faire ou subir ce qu’ils sont obligés de faire ou subir8.

L’autre versant de l’idéologie, qui en est l’exact contrepoint, concerne alors les dominants : ceux-ci se retrouvent valorisés, investis d’une valeur égale à celle dont sont dépossédés les dominés, individualisés à la mesure même de la dés-individualisation que subissent les appropriés, et enfin se posent, eux, comme étant leur propre fin : ils existent pour eux-mêmes, par eux-mêmes, etc.

La valorisation à travers les appartenances

Je n’ai jusqu’à présent parlé de la domination que sous un angle individuel (la domination d’un individu par un autre, visant à une exploitation matérielle et à une annexion identitaire). Mais, même si ce point de vue individuel n’est pas incompatible avec l’angle social, il reste insuffisant si l’on ne recourt pas à une analyse des rapports de l’individu à sa société, à son groupe d’appartenance.

Les rapports d’appartenance des individus sont contraints socialement, c’est-à-dire que, même si nous y trouvons plus ou moins notre compte, il existe une très forte pression sociale à nous conformer aux comportements correspondant au groupe auquel nous sommes censés appartenir. Mais nous trouvons aussi des avantages à cette socialisation : les diverses appartenances qui nous sont imputées nous donnent une sorte de contenu (on est homme, femme, humain… : c’est notre identité), assorti d’une valeur qui sera plus ou moins grande selon les appartenances en question, mais aussi selon la façon dont nous gérons le rôle (avec plus ou moins de brio et de conviction…).

Or, schématiquement, les groupes d’appartenance s’opposent deux à deux, selon un modèle dominant/dominé : blanc/non-blanc, homme/femme, humains/animaux ; ce modèle dominant/dominé correspond également grosso-modo aux dichotomies valorisé/dévalorisé, social/naturel, libre/déterminé…

C’est que la domination d’un groupe, d’une catégorie sociale, d’une classe, sur un-e autre, lui permet de procurer une identité, fonctionnelle socialement bien sûr, mais également valorisante, à ses membres : et elle lui permet de fonder sa cohésion, car cette identité et sa valeur, qui sont pour les dominants un privilège, leur sont communes et doivent être conquises et défendues contre ceux à l’encontre desquels elles s’établissent. Ce sont donc en grande partie leurs intérêts communs qui fondent la cohésion du groupe des dominants, qui assurent qu’ils se soumettront à leur fonction-statut social, étant entendu que pour ceux d’entre eux qui refuseraient de s’y soumettre, par exemple en remettant en cause la domination de leur groupe, il y a la réprobation-répression-pression sociale, qui peut être ouvertement contraignante, et aller jusqu’à la mort, l’exclusion ou la rétrogradation au statut de dominé, en passant par la ridiculisation. C’est ainsi que je m’explique que les insultes qui attaquent des dominants dans leur identité d’hommes ou d’humains se baseront volontiers sur leur non-adéquation aux comportements imposés par leur propre groupe.

Pour les dominés, il n’y a pas besoin du tout (ou moins besoin, c’est selon les cas) d’une cohésion de groupe (qui pourrait se révéler dangereuse pour les dominants) : c’est directement la contrainte exercée par les dominants qui jouera le plus grand rôle dans le fait que les dominés restent à leur place inférieure et exploitée9 : c’est ce qui c’est passé pour les esclaves ou les indigènes des colonies, pour lesquels c’est la terreur plus que la propagande (dont faisait tout de même partie la christianisation) qui assurait la sujétion. C’est aussi la terreur plus que la propagande qui a assuré tant bien que mal la soumission du prolétariat aux conditions atroces des débuts de la révolution industrielle10.

Toujours est-il que c’est la domination sur un autre groupe qui crée subjectivement le groupe dominant en tant que tel (et également le plus souvent matériellement, parce que c’est l’exploitation des dominés qui fonde très concrètement les conditions de vie des dominants). Ses membres se considèrent comme égaux (les aristocrates anglais s’appellent des « Pairs », par exemple), c’est ce qui les distingue des autres ; ils sont égaux : cela signifie qu’ils sont investis, à peu de choses près, de valeurs égales ; qu’ils ont accès aux mêmes privilèges (relativement aux dominés), dont le plus important consiste sans doute justement à se traiter les uns les autres de façon égale. La meilleure façon de se rendre palpable le caractère distinctif de cette égalité consiste logiquement à la mettre en contraste avec l’inégalité de traitement qui est l’essence des rapports de domination, et qui est réservée aux dominés11.

Se livrer, donc, à des pratiques collectives humiliantes, dégradantes, dévalorisantes envers les dominés sera une bonne façon de resserrer les liens des dominants, de mettre en relief et leur rappeler les privilèges qu’ils partagent aux dépens des autres. Les pratiques en question sont celles qui vont instrumentaliser les dominés, et elles seront d’autant meilleures si elles font appel plus explicitement à la violence

L’analyse des insultes, de la logique qui leur est sous-jacente, nous montre que lorsqu’un homme insulte une femme en tant que femme, il se pose en contrepoint comme homme, comme « appartenant » à la catégorie des hommes, qui est alors clairement exprimée comme valorisée-valorisante. Lorsqu’un homme en insulte un autre en lui refusant sa qualité d’homme (en refusant de reconnaître son « appartenance » à cette catégorie), il se pose lui-même encore comme homme en valorisant cette « appartenance ». Quand un humain en traite un autre de non-humain (animal, sous-humain, etc.), il se renforce lui-même dans cette « appartenance », etc.

Or, il se passe la même chose lorsqu’on quitte le niveau verbal pour gagner celui des actes : lorsqu’on maltraite quelqu’un, on le dévalorise aussi en se valorisant soi ; s’il s’agit d’un dominé, c’est alors une façon de bien inscrire son « appartenance » à lui à un groupe dominé, de la lui rappeler tout en se « prouvant » ainsi son « appartenance » à soi à un groupe dominant. Et si c’est un égal que nous maltraitons, nous lui faisons ainsi quitter la sphère des égaux, et nous assurons par contre que nous, nous en faisons bien encore partie.

À ce niveau, on peut mettre sur un plan d’équivalence des pratiques aussi diverses que le fait pour des garçons de siffler des filles, que les viols collectifs ou individuels, les ratonnades (d’homos ou d’immigrés…), les spectacles où des animaux vont être tués à coups de pierre ou autres (corridas…), ou encore le fait de manger de la viande12.

… Les premières confortent les hommes dans leur « appartenance » à la classe des hommes, et confortent la valeur qui est associée à cette appartenance, les secondes confortent les humains en général (et plus encore, parmi eux, les hommes) dans leur appartenance à l’Humanité, en confortant simultanément la valeur qui lui est associée.

Mon propos est que la lutte contre les dominations passe donc aussi par la lutte contre les appartenances et les identités, puisque les dominations jouent un rôle de valorisation des identités et des appartenances des dominants, et que c’est là une de leurs raisons d’être.

Une loi récente par exemple interdit toute atteinte à la « dignité humaine » : je pense qu’un tel « attentat » (non pas à la dignité d’un individu, bien sûr, mais à celle de l’Humanité) est nécessaire, qu’il est un des axes que doit prendre la lutte pour l’égalité de tous les animaux ; car, une dignité humaine n’a de sens qu’en tant qu’elle est exclusive, qu’elle est dignité des seuls humains. Je ne vois pas sur quoi se base une telle valorisation de notre humanité… ou plutôt, malheureusement, je ne le vois que trop bien.

Yves Bonnardel

Ce texte a été publié initialement dans Les cahiers antispécistes n°12 (avril 1995). Merci à Yves Bonnardel pour l’autorisation de la reproduction. 

Tous les travaux de l’auteur sont disponibles ici.

Les animaux dénaturés, de Vercors

cortex_animaux_denatures Découverte remarquable que m’a fait faire l’ami biologiste Cyrille Barrette : un conte philosophique, sous la forme d’un procès « anthropologique » digne de la controverse de Valladolid, avec tous les dilemmes moraux possibles gravitant autour du leitmotiv central de l’ouvrage, que je vous livre sans en déflorer le contenu : y a-t-il une définition de la nature de l’Humain ?

Je ne connaissais de Vercors (pseudonyme de résistant de Jean Bruller) que Le silence de la mer, souvenir vague de mon adolescence. Mais cet ouvrage, « les animaux dénaturés » est un incontournable de la réflexion critique. Il aurait pu être écrit aujourd’hui, tant les questions posées sont solides, épaisses, coriaces. Tout y passe, des origines communes aux simiens, de la différenciation psychologique, physiologique, anthropologique, métaphysique : Vercors fait montre d’une maîtrise rare des enjeux de la théorie de la sélection naturelle de Darwin qu’on trouve chez bien peu de nos contemporains, alors que lui traite de ça en 1952.

cortex_vercors
Jean Bruller, alias Vercors

Ayant lu le livre annoté de Cyrille, j’ai eu le plaisir de découvrir ses coups de cœur et ses quelques bémols, rares – et pourtant, Cyrille a passé sa vie à l’étude comparée des mammifères. Je me suis retrouvé en lisant l’histoire de ce roman-procès un peu comme devant le film de Stanley Kramer Inherit the wind (le procès du singe) (1960), avec Spencer Tracy, ce qui me reste de cheveux balayé par le souffle violent de l’histoire des sciences biologiques.

Une phrase m’a marquée, page 130 de l’édition de poche, valable aussi bien pour les camarades qui bossent sur l’éthique animale que sur l’éthique extraterrestre ou sur l’Intelligence artificielle :

[Entre humains et non humains,] où fera-t-on passer la limite ? Où les plus forts le voudront. 

Parution de "60 questions étonnantes sur le paranormal", de Jean-Michel Abrassart

cortex_abrassart_mardagaSacré personnage que ce Jean-Michel Abrassart, à tous points de vue ! Outre être professeur de japonais, il est un sceptique de très bon niveau, capable de décrypter la littérature anglo-saxonne comme personne. Féru de balladodiffusion, il a décidé il y a quelques années de créer un podcast sceptique intitulé Scepticisme scientique, qu’il faut recommander à tou.te étudiant.e et tout.e curieu.se du domaine tant les émissions sont de haute tenue. Il s’est récemment entouré de gens compétents, comme Jérémy Royaux entre autres pour l’épauler dans cette entreprise, qui compte plus de 350 épisodes (voir ici). Quelle est la nouvelle ? Il vient de rejoindre, à l’automne 2016 et en grandes pompes, les frères Bogdanoff et Mme Teissier dans la nébuleuse des docteurs ès quelque chose !  Pour fêter ça, son livre « 60 questions étonnantes sur le paranormal et les réponses qu’y apporte la science » vient de paraître aux éditions Mardaga, collection in psycho veritas.

cortex_jmabrassart

Voici en avant-première quelques feuilles de ce livre : ici

Nous ne l’avons pas encore lu, mais gageons que ça ne saura tarder.

  • octobre 2016, 13,5X19, broché, 144 pages
  • ISBN : 9782804703219
  • 14.90 €

Par contre, Jacques van Rillaer, lui, l’a lu ! Il en a fait une recension dans Sciences et pseudosciences, la revue de l’AFIS, qu’il nous a transmise.

La majorité des gens pensent avoir vécu au moins une fois une expérience paranormale. Actuellement (décembre 2016) il y a plus de 1.600.000 entrées dans Google pour « parapsychology » et près de 31.000 dans Google scholar. La « guerre » entre les croyants en l’existence de phénomènes paranormaux et les sceptiques est loin de se terminer. C’est dire tout l’intérêt du livre de Jean-Michel Abrassart.

L’auteur est docteur en psychologie (titre obtenu après la publication de l’ouvrage). Sa thèse est une étude psychosociologique du phénomène OVNI. Abrassart est bien connu dans le monde des sceptiques francophones, notamment pour sa création du remarquable podcast « Scepticisme scientifique » dans lequel on retrouve plusieurs membres de l’AFIS.
L’ouvrage fait partie d’une collection dont un ouvrage (60 questions étonnantes sur l’amitié) a été présenté par Martin Brunschwig dans le n° 317 de « Science et pseudo-sciences ».
Pour répondre à une série de questions pertinentes et parfois drôles, l’auteur a choisi chaque fois une recherche scientifique représentative, publié dans un revue de haut niveau. Quelquefois il s’agit d’une méta-analyse. Chaque présentation s’articule en quatre parties : une introduction situant la problématique, la méthode utilisée, les résultats, une conclusion qui porte notamment sur la validité de la recherche et sur le degré de généralité des observations. L’auteur a sélectionné les recherches parmi une large diversité de pays et de publications. Il a pris soin d’en donner les références précises.
De nombreux chapitres sont consacrés à des caractéristiques de personnes qui croient facilement à des phénomènes paranormaux tels que fantômes, enlèvement par des extraterrestres, etc. : des traits de personnalité (par exemple la recherche de sensations), des modes de perception (ainsi les croyants donnent plus facilement que les sceptiques un sens à des formes aléatoires) et des façons de raisonner (par exemple les croyants sont davantage sensibles à des coïncidences). Parmi les autres questions abordées, citons à titre d’exemple l’explication neurophysiologique des expériences de décorporation et de mort imminente, les stratégies des médiums, la validité de techniques psychologiques comme l’hypnose et la PNL (programmation neurolinguistique), les faux souvenirs, l’astrologie, la télépathie, l’impression d’être épié.
L’auteur écrit de façon soignée, élégante et avec une bonne dose d’humour. On peut seulement regretter qu’il faille de bons yeux ou de bonnes lunettes pour lire cet ouvrage au format de poche.

Jacques Van Rillaer

 

 

South Park comme matériel pédagogique sur Popper et sur les faux souvenirs induits

Lors de mon cours sur les faux souvenirs induits et le caractère incontradictible de cette « théorie »1, un étudiant du cours Zététique et autodéfense intellectuelle de Grenoble, qui s’appelle Grégoire Couturier, m’a parlé d’un épisode de la série animée South Park de Trey Parker et Matt Stone, abordant ce point. J’ai donc été cherché la chose, dans l’épisode 16 de la saison 4, intitulé « Le mot en M » (The Wacky Molestation dans son titre original).

J’ai pris la version française, et n’ai monté que les trois morceaux en lien avec notre sujet. Il vous faut juste savoir que pour aller à un concert contre l’avis de leurs parents, les enfants ont trouvé la solution de les dénoncer les uns après les autres pour abus sexuel (to molest en anglais, abuser, a malheureusement été traduit par molester en français, qui n’a pas tout à fait le terme adapté). Tous mis en prison, la ville est laissée entièrement aux enfants – ce qui rappellera quelques souvenirs aux lecteurs de Stephen King2.

Voici le résultat !

Télécharger

cortex_gregoire_couturier
Grégoire Couturier, fournisseur officiel de matériel critique

Merci Grégoire ! Gageons que ce montage sera utile pour les formateurs en psychologie.

NB : j’ai déjà utilisé South Park en cours pour deux thèmes : le créationnisme (avec l’incroyable présence de Richard Dawkins) dans l’épisode 12 de la saison 10 intitulé « Vas-y Dieu ! Vas-y ! » (Go God Go), et la lecture à froid chez les prétendants au channeling, dont John Edward, dans l’épisode 15 de la saison 6 intitulé « Le Plus Gros Connard de l’univers » (The Biggest Douche in the Universe). Je promets de les mettre en ligne sous peu.

RM