L'effet Will Rogers, ou effet de migration des stades

L’effet de migration des stades (stage migration en anglais), ou effet Will Rogers, en hommage à l’acteur du même nom qui aurait déclaré « quand les Okies 1 quittèrent l’Oklahoma et vinrent en Californie, ils élevèrent l’intelligence moyenne des deux côtés ».

En déplaçant un élément d’un groupe à l’autre, on peut paradoxalement faire monter la moyenne dans… les deux groupes ! Représentons-nous par exemple un ensemble de patients qui indiquent sur une échelle de 1 à 10 la douleur moyenne qu’ils
ressentent. On crée un groupe A à douleur faible, A = {1, 2, 3, 4} et
un groupe B de douleur forte, à partir de 5, soit B = {5, 6, 7, 8, 9}

Si l’on fait la moyenne de chaque groupe, on obtiendra 2,5 pour A,
et 7 pour B.

Mais imaginons que les normes d’inclusion changent, et que par exemple, après une recommandation de l’Organisation mondiale de la Santé, 5 est finalement considéré comme faible. Les groupes deviennent alors A = {1, 2, 3, 4, 5} et B = {6, 7, 8, 9}. Or
de ce fait, la moyenne (notée ci-dessous μ) de A est montée à 3, et celle de B, à 7,5. Les deux groupes ont vu leur moyenne augmenter.

Situation 1
A = {1, 2, 3, 4} ->  μ = 2,5
B = {5, 6, 7, 8, 9} ->  μ = 7

Situation 2
A = {1, 2, 3, 4, 5} -> μ = 3
B = {6, 7, 8, 9} ->  μ = 7,5

Quelles en sont les conséquences ? Si le système de détection d’une maladie par exemple s’améliore et permet du dépistage précoce, certains individus passeront du groupe des sujets en bonne santé vers le groupe des sujets malades. À travers ce changement, la moyenne de la durée de vie augmentera paradoxalement dans les deux groupes, et cela quel que soit le traitement que l’on fera. On aura ainsi tendance à conclure à l’efficacité du traitement, alors que c’est un problème d’un critère d’inclusion dans les groupes qui a changé 2.

Nicolas Pinsault, Richard Monvoisin

(tiré de Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles, aux éditions PUG).

On trouvera un autre exemple dans « Le dépistage organisé du cancer du sein : outils d’autodéfense intellectuelle » de N. Darbois et G. Reviron.

Le dépistage organisé du cancer du sein : outils d'autodéfense intellectuelle

L’augmentation de la participation au dépistage organisé (DO) du cancer du sein fait partie en France des objectifs de santé publique. Toutes les femmes de 50 à 74 ans sont invitées (parfois même incitées) à recourir à une mammographie tous les 2 ans afin de potentiellement détecter un cancer du sein. Des organismes départementaux comme nationaux sont chargés de veiller au bon déroulement de ce dépistage, mais doivent aussi s’assurer que le taux de participation corresponde à celui recommandé au niveau national et européen. Cette thématique fait l’objet d’interventions du CorteX en 2016 (à l’UIAD et lors des stages de formation doctorale Science sans conscience et Auto-défense mathématique pour non mathématicien) car elle permet d’aborder de nombreuses facettes de l’autodéfense intellectuelle. Alors que l’efficacité propre de cette pratique est aujourd’hui au cœur du débat scientifique, toutes sortes d’arguments plus fallacieux les uns que les autres sont utilisés pour convaincre les femmes de participer à ce dépistage, leur ôtant par là même la possibilité de faire un choix éclairé. Voici un aperçu des arguments trompeurs que nous avons relevés suivi de ressources bibliographiques pour explorer à sa guise le sujet. Précisons que tout ce qui suit ne concerne que le DO (dépistage généralisé,  systématique) par mammographie et non le suivi individualisé réalisé par les gynécologues, conduisant parfois à la réalisation de mammographies selon les symptômes et les facteurs de risque des patientes. Enfin, prenons encore une fois la précaution de préciser qu’il ne s’agit pas pour nous de dicter ou d’imposer une bonne conduite individuelle ou collective, mais bien de poser des bases rationnelles d’un débat. Ajout d’octobre 2016 : le rapport final d’une concertation citoyenne initiée par l’INCa recommande deux scénarios : un où le dépistage organisé est totalement supprimé, l’autre où son organisation est profondément modifiée 1.   

Décryptage de quelques arguments

Toutes les résidentes françaises âgées de 50 à 74 ans reçoivent tous les deux ans à leur domicile une lettre d’invitation les enjoignant à réaliser une mammographie. Cette lettre est parfois accompagnée de brochures informatives. Des documents du même type sont également diffusés massivement dans de nombreux établissements publics (mairies, hôpitaux etc.) et privés (centres d’imagerie médicale, cabinets de médecins généralistes, magasins, pharmacies etc.) ainsi que dans les médias (chaînes télévisuelles, radio, journaux, sites internet etc.). Afin d’avoir une idée du contenu de ces documents, nous avons visité en janvier 2016 le site de l’Institut national du cancer (INCa) et ses pages dédiées au sujet et nous avons mené des recherches à partir de Google avec les mots clés « dépistage organisé du cancer du sein » et « mammographie cancer du sein ». Dans les paragraphes suivants, nous faisons une sélection non exhaustive des arguments rhétoriques fallacieux détectés les plus redondants.

Appel au témoignage

CorteX_inca_roman_photo

En 2009, l’INCa a conçu un roman-photo pour « sensibiliser au dépistage ». Il relate l’histoire d’une esthéticienne d’une cinquantaine d’année, Véronique, qui prend conscience de l’importance du dépistage suite au témoignage d’une de ses clientes, traitée pour un cancer, qui témoigne « heureusement, mon médecin traitant m’a rappelé de faire ma mammographie de dépistage et, du coup, on a détecté mon cancer très tôt« . 

CorteX_inca_roman_photo2

Relevons au passage que le livret entretient des clichés1 très genrés2

Nous avons déjà évoqué les limites liées à l’appel au témoignage notamment pour orienter ses choix de santé (voir ici ou ). L’appel au témoignage est un procédé courant dans les campagnes publiques ou privées de sensibilisation au dépistage (voir par exemple ci-dessous la campagne 2009 de l’association Le cancer du sein, parlons-en ! ) :

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Pire, on fait parfois appel au témoignage de patientes de moins de 50 ans pour inciter les femmes plus jeunes à effectuer également des mammographies. C’est le cas par exemple dans ce reportage de la chaîne BFM TV en 2010, qui interroge une patiente de 48 ans qui a contracté un cancer alors que rien ne le laissait présager, ainsi qu’un radiologue encourageant cette pratique (s’étoffant au passage d’un argument d’autorité).

Dans le court-métrage ci-dessous réalisé à l’initiative de l’Institut Curie et l’association NRB Vaincre le cancer, diffusé à la télévision et dans les cinémas en 2010, c’est une femme dont le physique ne laisse en rien présager un âge de plus de 50 ans qui nous suggère « d’aller montrer nos seins ».

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Dans la brochure 2015 de l’association Le cancer du sein, parlons-en, la quasi-totalité des photos illustratives présentent des femmes d’apparence jeunes au regard de l’âge ciblé par le DO. Voici par exemple une photo d’une femme réalisant une mammographie. Relevons au passage la posture décontractée, le sourire bienheureux qui ne laisse pas imaginer que le passage d’une mammographie est un acte douloureux et non anodin. Cette photo est un effet impact.

Or, les études de bonne facture menées les dernières décennies convergent toutes vers une absence d’efficacité sur la diminution de la mortalité par cancer du sein du dépistage par mammographie chez les femmes de moins de 50 ans non à risque3.

Appel aux célébrités

L’impact du récit des expériences individuelles des patientes atteintes de cancer du sein sur le choix pour des femmes de recourir au dépistage est non négligeable, qui plus est si la patiente est une célébrité. En mai 2005, les médias annoncèrent le diagnostic de cancer du sein de la chanteuse australienne Kylie Minogue. Dans les dix jours qui suivirent, les médias nationaux reprirent l’information et parlèrent vingt fois plus que de coutume du cancer du sein. En parallèle, les réservations pour des mammographies de dépistage augmentèrent de 40% en Australie durant ces deux semaines par rapport aux semaines précédents l’annonce, particulièrement pour la tranche d’âge des 40-49 ans alors que le dépistage n’est pas recommandé à ces âges4.

En France en 2011, France Télévisions en partenariat avec l’INCa mobilise certains de ses animateurs « célèbres » (Nagui, Sophie Davant, Élise Lucet etc.) pour promouvoir le dépistage dans des campagnes télévisuelles.

CorteX_mammo_sophie_davant

La marque de café Carte Noire a elle aussi fait appel à des femmes médiatisées (styliste, chanteuses, mannequin, actrice, animatrice, blogueuse… ) pour promouvoir le dépistage dans un clip qui rappelle les stéréotypes de genre du roman-photo de l’INCa.

https://www.youtube.com/watch?v=XLLDNikq2gg

Le message final du clip est « au nom de vos seins, faites-vous dépister » ; ainsi, les femmes ne devraient pas recourir au dépistage au nom de leur santé, mais au nom de leurs « seins », ce qui fait leur essence si on en croit ce film. La femme ne se conçoit pas autrement qu’à travers ses seins durant toute la durée de la vidéo, ce qui donne à penser que les seins sont le siège de la féminité – ce qui non seulement entretient les poncifs genrés classiques, mais est normatif pour les femmes, surtout pour celles qui n’ont pas de poitrine5. Le même glissement a lieu lorsque par exemple on avance que la féminité réside dans la maternité (ce qui exclut derechef les nullipares, les stériles, les intersexes, etc).

Ad populum

CorteX_mammo_roman_photo_ad_populum
Roman-photo de l’INCa, 2009

Parfois, le fait qu’un nombre X de femmes ait déjà eu recours au dépistage est apporté pour suggérer à celles qui ne font pas partie de ce groupe de le rejoindre. C’est le cas par exemple sur cette affiche réalisée par l’INCa en 20076. Le texte de l’affiche laisse penser qu’un nombre important de femmes s’étant déjà fait dépister (bien que le chiffre manque de précision ; s’agit-il de 3 millions de femmes en France ? Sur l’année encourue ou depuis que le DO est en place ? ), celles qui n’ont pas encore saisi l’occasion devraient s’empresser de le faire. C’est un argument ad populum. L’affiche est d’ailleurs de nouveau utilisée et mise à jour dans le roman-photo de l’INCa évoqué précédemment.

Affiche de l'INCA de 2007
Affiche de l’INCa de 2007

 

Une version un peu différente proposée par l’Agence sanitaire et sociale de Nouvelle-Calédonie qui s’appuie sur le fait qu’aujourd’hui, plus de la moitié des femmes concernées l’ont fait [le dépistage] »7.

Effet paillasson

C’est le fait de qualifier un objet, une chose (ici un acte) par un mot qui renvoie à autre chose (cf. article). Le dépistage est souvent associé à la prévention ou à la protection de la santé.  Or, passer une mammographie est un acte de prévention secondaire : cela ne permet pas d’éviter d’être atteint d’un cancer (prévention primaire) mais de potentiellement diminuer le risque de mourir de ce cancer, une fois qu’on est déjà atteint (prévention secondaire).

Affiche de la campagneOctobre rose 2012 de l'organisme de Dépistage organisé du cancer (DO) de Haute-Garonne
Affiche de la campagne Octobre rose 2012 de l’organisme de Dépistage organisé du cancer (DO) de Haute-Garonne ; la prévention est associée au dépistage.

« Dans le cadre de la prévention du cancer du sein, il est conseillé de faire cet examen [une mammographie](…) »8

« pour vous protéger (…) il faut se faire dépister » 9

« La meilleure protection : la mammographie de dépistage » 10

 Sur site de l’Assurance maladie (Ameli), le dépistage est classé dans la rubrique « Prévention santé : protection, prévention« .

Ce type de message peut conduire les femmes à penser que le dépistage réduit le risque d’avoir un cancer du sein. Une étude11 réalisée à partir d’interrogatoires de femmes à la fin des années 1990 constate que sur un échantillon de plus de 6000 femmes de plus de 15 ans habitant dans cinq pays dont la Suisse et l’Italie, 68 % pensent que le dépistage réduit ce risque. Cela revient à croire que le port de la ceinture de sécurité diminue le risque d’accident de la route !12

Effets impact et appel à la peur

L’usage de mots (ou images) à effet impact est un procédé récurrent : on emploie des mots fortement connotés, générant un impact affectif, pour qualifier le cancer du sein ou « l’urgence » nécessaire du dépistage. La vidéo ci-dessous, proposée par la chaîne TEVA et réalisée par l’association Le cancer du sein, parlons-en ! en 2015 en déploie une belle brochette centrée sur l’appel à la peur :  elle nous parle du cancer du sein, « le plus meurtrier », qui « frappe à toutes les portes », pour lequel « chaque jour compte », en concluant « faites-vous dépister ». Notons également la typographie utilisée qui fait ressortir ces expressions.

Spot 2015 de la chaîne TEVA et de l'association Le cancer du sein parlons-en
CorteX_cancer_sein_teva_2015

On peut penser que ce type d’arrangements syntaxiques et typographiques participe à la surestimation du risque de développer un cancer du sein constatée chez les femmes. Dans une étude réalisée à partir d’interrogatoires de femmes en 2001 et 2002, on constate que sur un échantillon de 500 femmes états-uniennes entre 40 et 50 ans n’ayant jamais contracté de cancer, 15 % pensent que le risque d’avoir un cancer du sein au cours de la vie est de plus de 50 % (surestimation de 5 fois par rapport aux données de l’époque)13.

Mésusage des chiffres

Détecté tôt, le cancer du sein peut être guéri dans 9 cas sur 1014

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Brochure de l’INCa, 2015

C’est sans doute l’affirmation la plus fréquemment retrouvée dans tous les documents d’information et de promotion du dépistage que nous avons eu sous les yeux. Elle se décline sous différentes formes, par exemple : « Détectés à temps, 90% des cancers du sein se soignent. »15, « Un traitement précoce permet une rémission dans 95% des cas »16, « Parce que dans 9 cas sur 10, s’il est détecté à temps, un cancer du sein peut être guéri »17. Ces phrases sont trop imprécises pour délivrer un message véritablement informatif :

  • il n’y a pas d’élément de comparaison avec le nombre de cancers détectés « tard » mais guéris. Si le nombre de cancers guéris considérés comme détectés tard est aussi de 9/10, alors il n’y a pas d’intérêt à détecter « tôt » ;
  • lorsqu’une détection précoce ou un traitement précoce sont mentionnés, aucune précision n’est donnée sur ce qui permet cette détection ou ce traitement précoce. Comme la phrase apparaît sur un document encourageant à la réalisation d’une mammographie dans le cadre du DO, il peut être cohérent de croire que c’est le passage d’une mammographie tous les deux ans qui permet cela. Or, la mammographie dans le cadre du DO est loin d’être le seul outil diagnostique, y compris en première intention. Les 9 femmes sur 10 qui guérissent d’un cancer n’ont pas forcément eu recours à une mammographie dans le cadre du DO ;
  • on nous délivre une valeur relative sans la raccrocher à une valeur absolue, ce qui peut influencer notre perception de la situation. En effet, on oublie parfois que 90% d’une petite quantité reste une petite quantité. Il serait donc préférable de préciser systématiquement le nombre de femmes atteintes du cancer du sein18 si l’on souhaite décrire la situation au plus près ; contrairement à ce qui est suggéré, « 90% de femmes sauvées » n’est pas pas, en soi, un argument indiscutable pour justifier l’intérêt collectif du DO.
  • cette affirmation masque deux biais potentiels : un biais statistique appelé Phénomène de Rogers19 ainsi que le surdiagnostic20 Plus précisément, le principe du DO est de détecter des cellules pathologiques par mammographie. Une première difficulté réside dans le fait qu’il s’avère parfois très difficile de distinguer, à partir des images produites, des cellules pathologiques de cellules saines,  ce qui peut conduire à un mauvais diagnostic dans un sens ou dans l’autre. Le deuxième problème est que, contrairement à une idée très répandue, chez certaines patientes, les cellules dites pathologiques détectées n’évolueront pas en cancer invasif et se « résorberont » spontanément ; il n’y a par ailleurs, à l’heure actuelle, aucun moyen de savoir si les cellules dites pathologiques vont évoluer en une tumeur ou non : le DO diagnostique donc comme porteuses de cancer des femmes qui, même sans traitement, n’auraient pas été malades. Si le DO tend ainsi à diminuer le taux de létalité des patientes dépistées21, encore faut-il s’assurer que cette baisse n’est pas seulement due à une augmentation du nombre de diagnostics : il est alors nécessaire de connaître la mortalité par cancer du sein22 pour se faire une idée de la pertinence du DO. Dans les brochures à destination du grand public, ce chiffre n’est jamais (rarement ?) avancé.

Diminution de la mortalité de 15% à 21%, voire 30%

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Philips (quatrième marque de mammographe la plus utilisée en France en 2012 et 2013 (INCa, 2015)) participe à la « sensibilisation au cancer du sein » et au dépistage en évoquant une diminution de la mortalité par cancer du sein de 25% à 30% chez les femmes ayant recours régulièrement à des mammographies. Un autre aspect qui mériterait attention est l’acoquinement entre certaines de ces campagnes et les industries qui en tirent bénéfice, comme Philips ou General Electric. Puissent des spécialistes du lien d’intérêt s’y pencher

Le dépistage permettrait de réduire la mortalité liée au cancer du sein de 15% à 21% pour les femmes de 50 à 74 ans selon la plupart des documents informatifs officiels français23. D’où proviennent ces chiffres ? Que signifient-t-ils concrètement ? Sont-ils fiables ?

  • Remonter à la source (primaire)

L‘Institut Curie renvoie et s’appuie sur un article réalisé en 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). En lisant l’article, on réalise qu’il n’y est pas fait mention d’une diminution de 15% à 21% comme rapportée par l’Institut : « Les femmes de 50 à 69 ans invitées à se rendre à un dépistage par mammographie avaient, en moyenne, une réduction de 23 % du risque de décès par cancer du sein ; les femmes ayant participé à un dépistage par mammographie présentaient une réduction plus importante du risque, estimée à environ 40 % »24.

  • Analyser le chiffre

Petit test 1 : lorsqu’on parle de réduction de mortalité de 25% grâce au dépistage, sur 100 femmes participant au DO, combien de femmes, selon vous, seront sauvées ?

Il est fort à parier que beaucoup répondront 25 femmes. Cette réponse, bien que fausse, est tout-à-fait compréhensible puisque c’est la présentation habituelle des chiffres de la mortalité qui l’induit. Ce chiffre de 25% ne signifie pourtant pas cela. Avant d’expliquer pourquoi, voici une autre question :

Petit test 2 : entre un test de dépistage qui réduit la mortalité de 25% et un test de dépistage qui réduit la mortalité de 0,1%, lequel choisissez-vous ?

Il est tentant de répondre que le premier est « évidemment » « bien plus » efficace que l’autre, mais les évidences sont parfois trompeuses, et le test du DO réduit le risque de mortalité de 25%, mais réduit aussi le risque de mortalité de 0,1%. Vous avez bien lu, ces deux affirmations très différentes sont possibles en même temps. Comment cela est-il possible ?
Dans les deux questions, on joue sur l’ambiguïté entre risque absolu et risque relatif. Il faudrait en fait formuler les choses comme cela : le test du DO réduit le risque de mortalité relatif de 25% (régulièrement présenté dans les brochures informatives), mais réduit le risque de mortalité absolu de 0,1% (jamais évoqué)25. Comment est-il possible d’obtenir des chiffres apparemment si différents pour décrire une même situation ? Explicitons ces chiffres en nous appuyant sur les données d’une étude réalisée en Suède en 199326 :

 

Nombre de décès (sur 1000 femmes) au bout de 10 ans

Sans mammographie

4

Avec mammographie (tous les 1 à 2 ans)

3

La réduction du risque relatif consiste à faire 1 – le quotient (taux de mortalité avec DO)/(taux de mortalité sans DO), c’est-à-dire 1-(0,003/0,004) = 0,25 = 25%.
La réduction du risque absolu consiste à faire le quotient (nombre de personnes sauvées)/(population totale) = 1/1000 = 0,001 = 0,1%. Et le tour est joué.

En pratique, un chiffre indiquant la diminution du risque de mortalité, pour être véritablement exploité, devrait être accompagné de précisions concernant :

  • le type de mortalité (mortalité toute cause confondue ? mortalité par cancer ? par cancer du sein ?) ;
  • les groupes comparés (ensemble des femmes se faisant dépister tous les deux ans comparé à l’ensemble des femmes qui ne se font jamais dépisté) ;
  • la durée cumulée (la réduction est-elle calculée au bout de deux ans ? cinq ans ? dix ans ?) ;
  • le nombre de femmes décédées dans chaque groupe comparé ;
  • idéalement, le nombre nécessaire à traiter (NNT), c’est-à-dire le nombre de femmes qu’il faut traiter pour qu’une seule soit sauvée (1 sur 1000, 1 sur 2000 etc.).

Notons à propos de ce dernier point que l’hypothèse la plus optimiste actuellement concernant le dépistage est qu’il permet de sauver du cancer du sein 1 femme sur 2000 (pour 2000 femmes invitées à participer au dépistage pendant 10 ans).27

Éthique, choix individuels et choix collectifs

Aujourd’hui, le débat sur nos choix individuels et collectifs est complètement enseveli sous la culpabilisation des femmes et de leur entourage et sous les appels à la peur. Pourtant, les enjeux sont de taille et mériteraient vraiment qu’on regarde la situation en face, sans faux semblants. Discuter et soupeser les chiffres en matière de santé est parfois difficile : on est vite soupçonné de vouloir faire des économies sur la santé des individus. Pourtant, refuser de questionner nos choix moraux, refuser de se demander où et comment il est le plus utile de dépenser l’argent public a justement pour conséquence de laisser d’autres personnes faire ces choix à notre place, qui plus est sans avoir à les expliciter. Par exemple, on peut se demander qui a décidé, et sur quels critères, que les hommes ne seraient pas invités à participer au DO, alors qu’ils peuvent être touchés – même si c’est très rare – par le cancer du sein ? Qu’en est-il pour les personnes intersexes ? En ce qui concerne le DO, on met les projecteurs (souvent grossissants) sur les guérisons gagnées grâce à cette pratique (de l’ordre de 1 sur 2000), mais on ne met jamais en balance les conséquences du surdiagnostic, c’est-à-dire toutes les conséquences subies par les femmes qui ont un test positif malgré le fait qu’elles ne sont pas et ne seront pas atteintes d’un cancer : stress, biopsie, voire chimiothérapie ou mastectomie, interruption professionnelle etc. Sur 2000 femmes mammographiées tous les 2 ans pendant 10 ans, 10 femmes en bonne santé recevront un diagnostic de cancer qu’elles n’auraient pas eu si elles n’avaient pas été dépistées et seront traitées inutilement tandis que 200 femmes en bonne santé seront victimes d’une fausse alerte.28. Une technique n’est jamais « bonne » en soi : au mieux présente-t-elle un excellent rapport bénéfice-risque et s’avère-t-elle préférable à une autre technique à une époque donnée. L’enjeu est donc de commencer par expliciter et clarifier les critères choisis pour évaluer ce rapport bénéfice/risque puis de comparer les différentes techniques suivant ces critères. La question n’est alors plus de savoir s’il faut promouvoir le DO, mais bien de savoir s’il faut promouvoir le DO plutôt qu’autre chose : ces moyens financiers pourraient-ils être investis pour développer des traitements plus efficaces ? Ou pour traiter éventuellement d’autres pathologies ? Ou encore pour améliorer les conditions d’accueil de nos systèmes de soins ? Ou choisissons-nous, avec toutes ce informations, de continuer à financer de dépistage ? Que préférons-nous ?
Nous sommes conscients que ces choix collectifs doivent également tenir compte du choix individuel des patientes et des patients qui, en connaissance de cause, choisiront ou non de participer au dépistage organisé. Nous déplorons cependant que les informations nécessaires à ce choix soient confisquées.

Ressources documentaires

Ouvrages

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Rachel Campergue, No mammo ? – enquête sur le dépistage du cancer du sein, Max Milo, 2011.

Rachel Campergue a également publié plus récemment Octobre rose – mot à maux, qui s’attache plus à décortiquer les messages délivrés par les différentes campagnes visant à promouvoir le dépistage. Nous regrettons beaucoup que ce livre ne soit disponible que par l’intermédiaire d’Amazon et au format Kindle qui oblige les potentiel.le.s lecteurs et lectrices à recourir à une liseuse commercialisée uniquement par cette enseigne aux pratiques moralement condamnables (lire par exemple En Amazonie : infiltré dans le « meilleur des mondes » de Jean-Baptiste Malet, Fayard, 2013 ).

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H. Gilbert Welch, Dois-je me faire tester pour le cancer ? Peut-être pas et voici pourquoi, PUL, 2005

Ce livre délivre des outils et connaissances en épidémiologie et en physiopathologie pour faciliter un choix éclairé concernant le recours ou non à titre individuel au dépistage des différents cancers.

CorteX_mammo_penser_le_risque

Gerd Gigerenzer, Penser le risque – apprendre à vivre dans l’incertitude, Markus Haller, 2009

L’auteur réalise une synthèse et une analyse de la façon dont les médecins, les instituts sanitaires et les médias comprennent et présentent les chiffres et statistiques, en s’appuyant particulièrement sur le cas du DO du cancer du sein. Il montre qu’une présentation plus compréhensible pour tou.te.s, avec ou sans connaissance en mathématiques, est possible.

Films

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Le film L’industrie du ruban rose, 2012 développe particulièrement le pinkwashing29 autour du cancer du sein (l’utilisation de la cause du cancer du sein par des grandes entreprises pour améliorer leur image ou leurs bénéfices), est téléchargeable en ligne ou achetable en DVD à cette adresse.

Arte a diffusé pour la première fois en 2011 le reportage ci-dessous consacré aux différents dépistages organisés (ou non) des cancers. La partie consacrée au cas du cancer du sein s’étend des minutes 0 à 22 et concerne la situation allemande.

Plus récemment, en janvier 2016, France 5 a diffusé une nouvelle émission consacrée au sujet. La première partie consiste en un reportage présentant les parcours de dépistage de quatre femmes ainsi que les entrevues avec les chercheurs ayant mené les principales études consacrées à l’efficacité du dépistage, qui apportent des éléments en sa défaveur. La seconde partie (non disponible en ligne) est présentée comme un « débat » sur l’efficacité du dépistage. On remarque cependant que sont présentes pour ces échanges uniquement des personnes promouvant le dépistage et ayant des liens d’intérêt à le promouvoir, comme l’ont très justement relevé ici deux médecins du collectif Cancer Rose.

L’association Cancer Rose a réalisé un court métrage expliquant de manière simple les données disponibles dans la littérature concernant les bénéfices et les risques associés au dépistage organisé du cancer du sein.

Audio

Entretien avec Rachel Campergue, auteur de No mammo ?, sur Radio Enghien le 20 octobre 2014. Télécharger.

Brochure

CorteX_cancer_sein_cochrane

Brochure d’information s’appuyant sur les études scientifiques les plus récentes (en 2012) à destination des patient.e.s, réalisée par les auteurs des méta-analyses de la collaboration Cochrane (organisation internationale indépendante). Cette brochure a été traduite en français par Thierry Gourgues , membre du Formindep et est téléchargeable à cette adresse.

Sites internet

Ces différents sites rassemblent depuis plusieurs années des informations à destination des patient.e.s et des professionnels de santé sur le DO du cancer du sein, en s’appuyant sur les données scientifiques les plus récentes et en étant vigilant concernant les liens d’intérêts pouvant impacter ces dernières. Il est possible d’utiliser leur barre de recherche avec des mots-clés adaptés pour trouver la documentation correspondante.

CorteX_logo_formindep
CorteX_Prescrire
CorteX_cancer_rose
Tu crois que ma vie va chahger ? Je ne sais pas… Faut voir les sondages…

Sondage : 63% des Français pour une limitation des libertés individuelles ! Et vous ?

Le 13 avril 2015, l’institut de sondage CSA publiait un sondage pour le site Atlantico.fr intitulé « Les Français et le projet de loi relatif au renseignement ». La plupart des médias des grands groupes de presse 1 relayèrent l’information avec pour titre « Loi renseignement : 63% des Français favorables à une limitation des libertés ». Au CORTECS, nous avons l’habitude d’être plutôt méfiants face aux sondages d’opinions tant l’art du sondage est délicat. Nous relayons donc ici une rapide analyse effectuée par l’équipe de Là-bas si j’y suis suivi d’un court et amusant reportage d’Anaëlle Verzaux et de Gaylord Van Wymeersch dans les rues de Paris et initialement publié ici.

Nous profitons de cet article pour relayer un appel au respect des libertés fondamentales et contre la nouvelle loi sur le renseignement car la pensée critique ne peut s’exercer sans liberté de critiquer et sans craindre d’être surveillé pour ces raisons. Lire la suite ici.

LOI SUR LE RENSEIGNEMENT, DES SONDAGES COUSUS DE FILS BLANCS

Le jeudi 30 avril 2015

Une loi liberticide, un « Patriot act » à la française, une
surveillance de masse sans précédent… Non, la « loi pour le
Renseignement » qui doit être votée le 5 mai ne fait pas vraiment
l’unanimité. Pour comprendre, nous avons réuni cinq intervenants qui,
chacun dans son domaine, condamnent cette loi sécuritaire, Justice,
Police, Média, Syndicat, Internet : « Si t’as rien à te reprocher, t’as pas peur d’être surveillé ».

Pourtant, selon les médias, cette loi a le soutien de l’opinion.
D’après un sondage de l’institut CSA de la mi-avril, 63% des Français y
sont favorables. Le chiffre est repris partout. Un excellent argument
pour le gouvernement face à ses contestataires : les Verts, la gauche,
la droite, la droite extrême, les militants politiques et syndicaux, les
défenseurs des Droits, y compris la CNIL…
Alors ?

Alors regardons d’un peu plus près ces sondages. C’est facile, ils sont publiés sur le site de l’Institut CSA :

Question : Avez-vous entendu parlé de ce projet de loi ?

Réponse 1 – Non, je n’en ai pas entendu parlé : 27 %
Réponse 2 – Oui, mais je ne vois pas de quoi il s’agit : 40%
Donc, total des personnes qui n’y comprennent rien : 67%

À quoi s’ajoutent 5% qui sont sans opinion : 5%

Soit au total, ignorants, indifférents, incompétents : 72% !

Restent les « Oui, je vois bien de quoi il s’agit » : 28%

Question : Combien parmi ceux là sont favorables à la loi ?

Réponse : On ne sait pas

Question : D’où vient l’affirmation « 63% des Français sont
favorables à une limitation des libertés individuelles pour lutter
contre le terrorisme » ?

Réponse : C’est un gros bobard.*

Pas besoin d’être un grand de l’investigation pour le débusquer.
Abuser de la confiance, jouer sur les mots et sur les émotions avec
autorité. Manipuler l’opinion est une vieille coutume.* Ça ne marche pas toujours, heureusement. La preuve ce reportage d’Anaëlle VERZAUX et de Gaylord VAN WYMEERSCH dans les rues de Paris : SOURIEZ VOUS ÊTES SURVEILLÉS (8’34)

* Note du CORTECS : pour être plus précis, on peut dire que cette information est trompeuse étant donné qu’affirmer la faveur d’une personne à « la limitation des libertés individuelles pour lutter contre le terrorisme », si cette même personne n’est pas informée des dispositions relatives à cette limitation, n’a tout simplement aucun sens et est dangereusement manipulatoire.)

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Mathématiques – Limiter l'influence de données chiffrées sur notre perception d'une situation

Nicolas Gauvrit nous le démontrait dans Graphiques, attention aux axes : plusieurs représentations graphiques distinctes peuvent être justes simultanément tout en provocant des perceptions très différentes de l’importance d’une variation ou d’une quantité. Le choix d’une représentation graphique peut donc influencer notre perception d’une situation donnée. Afin de limiter l’impact de cet effet sur notre jugement, il nous suffira de prendre une petite habitude peu coûteuse en temps : jeter un coup d’œil à l’échelle et à la valeur prise pour origine de l’axe des ordonnées. 
Mais il s’avère que, de manière tout à fait similaire, une simple présentation de données chiffrées, qui pourrait sembler totalement objective, peut tout autant influer sur notre ressenti. Dans ce TP tout spécialement dédicacé aux « mathophobes », j’illustrerai ce phénomène sur un article du Dauphiné libéré intitulé Arnaques aux prestations sociales – Ces fraudes qui nous coûtent très chères et proposerai une parade efficace : confronter valeurs absolues et valeurs relatives.


Valeurs absolues et valeurs relatives.

La valeur relative est importante
Commençons avec un exemple fictif et imaginons qu’on me dise :  » tu te rends compte, il y a 5 femmes dans cette entreprise ! « . Le ton de la phrase indique clairement qu’il y a là quelque chose de surprenant, mais hors contexte, si nous ne connaissons pas l’entreprise en question, on a bien du mal à savoir s’il faut s’étonner qu’il n’y ait que 5 femmes ou bien, au contraire, qu’il y ait autant de femmes. Dans cet exemple, mon interlocuteur me donne la valeur absolue du nombre de femmes. C’est une donnée en soi, probablement juste, mais qui ne me donne pas les informations nécessaires pour mesurer le côté  » extra-ordinaire  » de la situation.
S’il m’avait dit :  » tu te rends compte, dans cette entreprise, il y a 50 salariés et 5 femmes !  » ou bien  » tu te rends compte, il y a 5 salariés : ce sont 5 femmes ! « , j’aurais compris sa surprise, dans un sens ou dans l’autre. Cette nouvelle donnée me permet d’évaluer ce qu’on appelle la valeur relative du nombre de femmes, sous-entendu relativement au nombre de salariés : 10% dans le premier cas, 100% dans le second.
La valeur absolue est importante
Imaginons à présent que cette même personne me dise : « tu te rends compte, mon salaire n’a augmenté que de 0,5% alors que celui de ma collègue a augmenté de 3% ». On peut se dire à la vue des ces valeurs relatives que la situation est injuste. Mais avant de se faire un jugement, il est toujours bon d’aller chercher quelques renseignements supplémentaires : mon interlocuteur dit avoir un salaire net de 10 000 euros/mois et sa collègue déclare 1 000 euros/mois. Je peux alors calculer la valeur absolue de leur augmentation – ici c’est la valeur en euros : 500 euros par mois pour mon ami et 30 euros pour sa collègue. En valeur absolue, l’injustice apparaît dans l’autre sens.
Les valeurs relatives et absolues sont justes toutes les deux, mais provoquent un ressenti opposé.
On retiendra de ces deux exemples une chose fondamentale : valeur relative et valeur absolue sont aussi importantes l’une que l’autre pour se faire un avis et il faudrait pouvoir exiger systématiquement qu’on nous donne les deux, sous peine de laisser à la personne qui défend sa thèse la possibilité de jouer sur notre ressenti en choisissant la valeur qui va le plus dans son sens. 


Titre

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Titre + sous-titre

CorteX_fraude_rsa_Dauphine-libere_extrait_1
Extrait n°1

1er extrait + sous-titre : la fraude aux prestations sociales est estimée entre 8 et 10 milliards d’euros (valeur absolue).
Quel sentiment cela provoque-t-il ?
Pour établir la valeur relative, il nous manque la quantité de prestations sociales versées au total. L’article est long, mais en cherchant bien, on finit par trouver – si cette donnée n’avait pas été présente, on aurait pu aller la chercher dans le rapport de la Cour des comptes.

CorteX_fraude_rsa_Dauphine-libere_extrait_3
Extrait n°2
Valeur relative de la fraude par rapport à l’ensemble des prestations sociales : (8/450)*100 = 1,8%.
On pourra remplacer cette valeur relative dans le sous-titre et le premier extrait. Ressentez-vous la même chose ?


Un autre passage a attiré mon attention. Le voici.

CorteX_fraude_rsa_Dauphine-libere_extrait_2

Extrait n°3

Pourquoi m’arrêter sur ce passage ? Parce qu’à la première lecture, j’avais compris ceci :

Valeur (absolue) de la fraude détectée : 675 millions
Nombre d’allocataires contrôlés : 10 000

Difficile de se faire une idée de la situation avec ces chiffres « bruts », mais un rapide calcul de… valeur absolue démontre qu’il y a très probablement anguille sous roche :

Fraude moyenne par allocataire (ou valeur relative) : 675 000 000 / 10 000 = 67 500 euros/allocataire

L’ordre de grandeur est complètement déraisonnable, d’autant plus si l’on se souvient que le sous-titre nous assure que la plupart des fraudeurs sont des RMIstes. Des RMIstes qui arriveraient à frauder plus de 67 000 euros, c’est très étonnant. Un peu trop… Je suis donc allée vérifier à la source, dans le rapport des la Cour des comptes, et j’y ai trouvé ceci

 
Rapport de la Cour des comptes – Septembre 2009 – p????Les travaux les plus avancés d’analyse d’échantillons ont été menés dans la branche famille. La CNAF a réalisé en effet, au second semestre 2009, une évaluation des fraudes, à partir d’un échantillon représentatif de plus de 10 000 dossiers. Avec l’inévitable marge d’incertitude[…], les travaux réalisés semblent constituer une première base de travail solide qui permet de donner un ordre de grandeur de la fraude totale dans la branche famille, qui atteindrait environ 675 M€ par an […]

Ce petit mot, « totale », avait disparu dans l’article du Dauphiné Libéré. Il s’agit probablement d’une imprécision, mais toute influence n’est pas nécessairement « voulue » ou décidée. Il y a une différence de taille entre « on a repéré une fraude de 65 millions d’euros sur 10 000 allocataires » et « on a repéré une fraude de 65 millions d’euros sur l’ensemble des allocataires ».
Pour obtenir la valeur exacte de la fraude moyenne par allocataire, il nous faut le nombre total d’allocataires de la branche famille, nombre que je n’ai pas trouvé.
-> donc RSAste :  fraude 70% * 675000000= 472 Millions
nombre de RSAstes (2009) : 1,7 million
moyenne : 277 euros/an/allocataire -> erreurs ?


Repérer les probabilités inversées

Dans cet article, Florent Tournus nous avait fourni une explication claire et précise de ce que l’on appelle les probabilités inversées. Malgré tout, celles-ci restent difficiles à détecter dans un argumentaire ou une simple déclaration et, même avec de l’entraînement, nous devons souvent fournir un effort intellectuel pour décrypter et analyser les erreurs d’interprétations des probabilités inversées. Avec ces quelques exemples supplémentaires, nous pourrons trouver une aide précieuse en cas de cafouillage cérébral face à ces statistiques et autres probabilités. Aussi, n’hésitez pas et écrivez-nous pour partager vos exemples les plus éclairants.

Exercice – Saurez-vous détecter en quoi nous avons affaire à un effet de probabilités inversées sur cette affiche sortie tout droit d’un restaurant McDonald’s :

CorteX_Proba_inversee_Macdo

Si rien ne paraît suspect à première vue, un petit détour par deux autres exemples s’impose.

Des sous-vêtements dangereux ?

Tout d’abord, voici quelques mots sur les probabilités dites inversées. Comme l’explique très bien Florent dans son article, pour avoir une utilité, une probabilité, exprimée en pourcentage, doit être clairement définie. Si j’affirme par exemple que la probabilité de gagner au loto est de 0,000000052 soit 0.0000052%, je dois alors préciser que ce chiffre correspond à la probabilité de trouver 5 numéros parmi 49 + 1 numéro parmi 10. Même si tout le monde avait compris que l’on ne parlait pas de la chance de trouver seulement trois bons numéros, il est toujours nécessaire de fournir ces précisions : probabilité de quoi ?

Lorsqu’il s’agit d’évaluer le risque de contracter une maladie, en particulier le poids de facteurs environnementaux, les choses se compliquent. Prenons l’exemple d’une maladie comme le cancer des poumons. On peut lire que « le premier facteur de risque est le tabac » avec 81% des décès, en France (voir la page d’accueil du site Fondation Recherche Médicale). Que signifie cette probabilité ? Que 81% des personnes décédées d’un cancer des poumons fumaient du tabac (d’ailleurs rien n’est précisé sur les doses, le type de tabac, etc. mais ce n’est pas le problème qui nous intéresse ici). Autrement dit, la probabilité d’avoir consommé du tabac sachant qu’on est décédé d’un cancer des poumons est de 81%, CorteX_Slipet d’en déduire que la cause principale de ces cancers est le tabagisme. Attention, si vous en tirez cette conclusion, vous êtes en train de toucher du doigt le problème des probabilités inversées : ce n’est pas cette statistique seule qui permet d’inférer un lien de cause à effet entre tabagisme et cancer. Car on pourrait très bien trouver, en cherchant un peu, que 99% des personnes décédées portaient des sous-vêtements, sans pour autant en conclure à un lien causal direct entre porter un slip et mourir d’un cancer des poumons. Autrement dit, la probabilité de porter des sous-vêtements sachant que l’on est mort d’un cancer ne nous donne aucune information sur la dangerosité ou le risque de cette pratique.

Où se niche l’erreur subtile de raisonnement ? Dans le fait que la probabilité qu’on nous donne n’est pas la probabilité qui nous intéresse, même si elle lui ressemble à s’y méprendre. Ce qui nous intéresse n’est pas la probabilité d’avoir porté une culotte, d’avoir fumé ou de s’être curé le nez sachant qu’un cancer nous a fait passer de vie à trépas. Non, nous voulons savoir l’inverse : la probabilité de mourir d’un cancer sachant qu’on se gratte le nez.

Travailler chez McDo avec « des perspectives d’évolution rapide »

Reprenons le texte de l’affiche. En grand, on peut lire : « Plus de 70% de nos managers et directeurs adjoints ont débuté comme équipiers* ». L’enquête a été réalisée par un institut de sondage (Ipsos 2012, publiée par McDonald’s). Si l’affirmation est vraie, il nous faut nous méfier de la conclusion que nous allons en tirer. Effectivement, il est impossible d’en déduire que de nombreux équipiers deviendront managers un jour, ce que suggère pourtant la phrase « Chez McDonald’s, un emploi permet des perspectives d’évolution rapide. » Traduisons cette phrase dans les mêmes termes que pour l’exemple du cancer : nous savons à présent que la probabilité d’avoir été équipier sachant qu’on est manager est égale à 70% ou plus. Est-ce bien l’information dont nous avons besoin pour connaître les chances d’évolution dans le métier ?

Comme pour les risques sur les maladies, il nous est impossible de conclure à une évolution de poste grâce à cette seule statistique. Souvenons-nous en effet que la probabilité qui nous intéresse est celle donnant les chances d’accéder à un poste de manager sachant que l’on est équipier (et qu’on en fait la demande ou qu’on le désire). Or nous savons simplement l’inverse : la probabilité d’avoir été équipier sachant qu’on est manager, et celle-ci ne sert à rien quant aux possibilités d’évolution de carrière.

Un doute persiste : il se pourrait que cette statistique signifie vraiment quelque chose. Par exemple, que 70% des postes de managers sont réservés à des travailleurs internes à l’entreprise. Ceci est tout à fait exact : on peut devenir manager en étant équipier, la voie n’est pas fermée. Ce qui est fallacieux avec la publicité de cette affiche est de laisser croire à un lien de cause à effet entre ce pourcentage et l’affirmation que « Chez MacDonald’s, un emploi permet des perspectives d’évolution rapide » : l’un n’implique pas l’autre. Avec un calcul rapide à partir des chiffres donnés par MacDonald’s (site officiel, MacDonald’s France) on peut estimer le nombre d’équipiers et de managers. Ce faisant, nous avons trouvé une statistique encore plus intéressante : « 80% des directeurs** ont commencé leur carrière comme équipier ». Utilsons-là pour calculer le ratio directeurs/équipiers. Nous apprenons qu’en moyenne 54 personnes travaillent dans un restaurant, donc 53 ne sont pas directeurs. D’après une de nos sources internes, on peut estimer à 90% la part des équipiers dans le personnel (les cuisiniers sont des équipiers), c’est-à-dire 47 travailleurs environ, nous obtenons un ratio directeurs/équipiers = 1/47 = 0,021 soit 2,1%. Sachant que les managers peuvent être plus d’un par restaurant, le ratio est certainement plus élevé pour ceux-ci. Mais en admettant qu’on atteigne en moyenne le double, cela représente un ratio de 4%. La voie n’est donc pas fermée, mais elle reste très étroite.

Denis Caroti

Note : un autre exemple de probabilités inversées nous est donné par G. Reviron avec les propos d’Eric Zemmour sur la délinquance. De même, on pourra consulter les articles de R.Monvoisin sur le problème du Monty Hall, et de Nima Yeganefar sur la propagande.

———————–

* Impossible de ne pas réagir à ce qualificatif. « Équipier », superbe mot à effet impact et qui enjolive ce qui n’est en réalité qu’un emploi souvent mal payé car à temps-partiel, pour des étudiants précaires qui doivent financer le coût exorbitant de certains cursus et le loyer d’une chambre hors de prix dans une agglomération où l’inflation des loyers oblige à vivre loin de leur faculté, augmentant de fait le temps passé dans les transports. Équipier sonne alors comme la gloire du travail partagé, de l’investissement pour une oeuvre supérieure qui nous dépasse mais pour laquelle nous donnons tout notre possible… Ce sont avant tout des travailleurs sous-payés.

** Les directeurs sont les supérieurs hiérarchiques des managers, il y en a un seul par restaurant, assisté par un directeur adjoint. On pourra consulter l’organigramme sur le site officiel de MacDonald’s.

Chaîne de Ponzi, affaire Maddoff et retraites

Si quelqu’un vous vend un tableau mille euros, en vous assurant qu’il le revendra le lendemain 2000 euros, mais ne revient pas ledit lendemain : avez-vous perdu 1000 euros ? Ou avez-vous perdu 2000 euros ? Combien vaut une promesse de 1000 euros ?
Voici un travail pratique qui n’a pas encore été développé en cours par l’un.e d’entre nous, mais qui mériterait d’être testé car il fait le pont entre un escroc de Boston, des systèmes économiques pyramidaux et un débat moral captivant pouvant déborder, comme le fait Delahaye ci-contre, sur le système français des retraites.


Imaginons que quelqu’un propose un investissement à 100 % d’intérêts : vous lui donnez 10 euros, il vous en rend 20 en utilisant l’argent déposé par les clients suivants (il lui suffit d’ailleurs de proposer un rendement double des rendements connus du marché pour s’attirer de la clientèle et pour durer). Le système est viable tant que la clientèle afflue, attirée en masse par les promesses financières (et d’autant plus tentantes que les premiers investisseurs sont satisfaits et font une formidable publicité au placement). Les premiers clients, trop heureux de ce placement mirifique, reviennent dans la chaîne eux aussi, s’ajoutant à tous ceux qu’ils ont réussi à convaincre.

Le phénomène fait alors boule de neige, entretenu tant que l’argent rentre et permet de payer à 100 % les nouveaux investisseurs. L’organisateur prend une commission, bien compréhensible lorsque l’on voit les promesses qu’il fait, et qu’il tient. La chaîne peut durer tant que la demande suit la croissance exponentielle imposée par ce système, les clients arrivant par 2, 4, 8, 16, 32, etc. Lorsque la chaîne se coupe, la bulle éclate : tous les derniers investisseurs sont spoliés. Les gagnants sont ceux qui ont quitté le navire à temps et, surtout, l’organisateur.

Un système de Ponzi (« Ponzi scheme » en anglais) est un montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Si l’escroquerie n’est pas découverte, elle apparaît au grand jour et s’écroule quand les sommes procurées par les nouveaux entrants ne suffisent plus à couvrir les rémunérations des clients1. Elle tient son nom de « Charles » Ponzi qui est devenu célèbre après avoir mis en place une opération basée sur ce principe à Boston dans les années 1920, même si le principe est bien plus vieux. Il est d’ailleurs narré dans une nouvelle de Charles Dickens de 1843 intitulée Vie et aventures de Martin Chuzzlewit.

Le mathématicien Marc Artzrouni modélise les chaînes de Ponzi en utilisant des équations différentielles linéaires du premier ordre.

Soit un fonds avec un dépôt initial K/>0″> au temps <img decoding=, un flux de capitaux entrant de s(t), un taux de rendement promis r_p et un taux de rendement effectif r_n. Si r_ngeq r_p alors le fonds est légal et possède un taux de profit de r_n-r_p. Si par contre r_n< r_p, alors le fonds promet plus d’argent qu’il ne peut en obtenir. Dans ce cas, r_p est appelé le taux de Ponzi.

Il faut aussi modéliser les retraits faits par les investisseurs. Pour ce faire, nous définissons un taux de retrait constant r_w, appliqué à tout temps t sur le capital accumulé promis. Le retrait au temps t vaut donc r_wKe^{(r_p-r_w)t}. Il faut aussi ajouter les retraits des investisseurs qui sont arrivés entre le temps 0 et le temps t, à savoir ceux qui ont investit s(u) au temps u. Le retrait pour ces investisseurs est donc de r_ws(u)e^{(r_p-r_w)(t-u)}. En intégrant ces retraits entre 0 et t et en ajoutant les retraits des investisseurs initiaux, nous obtenons: W(t)=r_w(Ke^{(r_p-r_w)t}+int_0^ts(u)e^{(r_p-r_w)(t-u)}du)

Si S(t) est la valeur du fonds au temps t, alors S(t+dt) est obtenu en ajoutant à S(t) l’intérêt nominal r_nS(t+dt), le flux de capitaux entrant s(t)dt et en soustrayant les retraits W(t)dt. Nous obtenons donc S(t+dt)=S(t)+(r_nS(t)+s(t)-W(t))dt, ce qui conduit à l’équation différentielle linéaire dS(t)/dt=r_nS(t)+s(t)-W(t)

    Voici un extrait de l’émission du 17 septembre 2012 de Continent Sciences, sur France Culture, avec Jean-Paul Delahaye, qui pose très bien la question suivante : dans quelle mesure le système de retraites françaises est-il une chaîne de Ponzi ?

Télécharger ou écouter :

Nonobstant deux imprécisions de Jean-Paul Delahaye :

– il confond Charles Dickens et Edgar Allan Poe dans ce passage

– il ne cite pas l’association philanthropique ayant déposé de l’argent chez B. Madoff. Et pour cause, il y en a plusieurs : les Fondations Carl et Ruth Shapiro, Jeffry et Barbara Picower, Sonja Kohn, The Mark and Stephanie Madoff Foundation, the Deborah and Andrew Madoff Foundation, America Israel Cultural Foundation, The American Committee for Shaare Zedek Medical Center, Hadassah, l’organisation des femmes sionistes et United Congregations Mesorah, une association religieuse qui est poursuivie pour 16 millions de dollars.

Mathématiques – Comment tromper avec des graphiques

Un graphique a généralement pour but d’illustrer un propos souvent trop complexe pour le lecteur ou le téléspectateur, et qui gagnerait en clarté en étant présenté de manière synthétique. Cette version « visuelle » est donc régulièrement choisie pour exposer des données de façon immédiate et avec le moins d’ambiguïté, que ce soit pour faire comprendre rapidement l’évolution du chômage, les résultats extraordinaires d’un dentifrice sur l’acidité de notre bouche ou la diminution de la dette du Lesotho.
Mais cette présentation ne va pas toujours de soi : les choix des axes, des origines, de la présentation, des données illustrées peuvent tout aussi bien tromper qu’éclairer et faire passer une augmentation significative pour stagnation évidente, une homogénéité de fait pour disparité flagrante, etc.
Si de très bons ouvrages existent et présentent quelques-uns de ces pièges (voir ci-dessous), voici quelques exemples à consulter directement.
N’hésitez pas à nous faire connaître les vôtres –> contact(at)cortecs.org
Denis Caroti

 
 

Graphiques, attention aux axes

Nicolas Gauvrit nous offre ici du matériel pédagogique « prêt-à-l’emploi » permettant de déconstruire quelques artifices graphiques, notamment sur le choix des axes.

[dailymotion id=xgylu8]

Pour voir les autres ressources pédagogiques de Nicolas Gauvrit, cliquez ici. 

Chiffres de la délinquance

Note de Guillemette Reviron : lorsque j’ai présenté le travail de Nicolas Gauvrit (ci-dessus) à un public de travailleurs sociaux, un membre de l’assemblée (merci à lui) m’a signalé cette séquence du Journal Télévisé de 20h (le 20 janvier 2011 sur TF1) : Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur à l’époque, venait présenter l’évolution des chiffres de la délinquance et avait préparé pour cela un beau graphique.

 

Après avoir vu la vidéo de Nicolas Gauvrit, cela saute aux yeux : il manque l’axe vertical, celui qui contient toute l’information, sans parler du titre, particulièrement vague. Le graphique du ministre ne veut tout simplement rien dire.

Cet extrait peut être utilisé de la manière suivante :
a. On peut commencer par projeter l’extrait du Journal Télévisé…
b. puis on montre la vidéo du cours de Nicolas Gauvrit…
c. Et enfin, nouvelle projection de l’extrait et analyse. 

Chiffres du chômage

Voici une autre illustration de l’impact que peut avoir le choix d’une échelle sur un graphique, tiré du Petit Journal du 29 novembre 2011 (Canal +). Merci à Frantz Diguelman de me l’avoir signalé.

Les graphiques :

CorteX_Chiffres_chomage_comparaison_graphique_Le_Petit_journal_29_11_2011_Image1 CorteX_Chiffre_chomage_comparaison_graphique_Le_Petit_journal_29_11_2011_image2 CorteX_Chiffre_chomage_comparaison_graphique_Le_Petit_journal_29_11_2011_image3
Journal Télévisé – 20h – TF1 Journal Télévisé – 20h – France 2 Journal Télévisé – 20h – France 2

Guillemette Reviron

Résultats scolaires : graphiques, méfions-nous(1) !

Comme chacun le sait, les diagrammes en « toile d’araignée » permettent, bien mieux qu’un histogramme ou un simple tableau, de repérer rapidement le « profil » des notes d’un élève lors d’un conseil de classe…

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Alain Le Métayer

(1) Ce titre est bien sûr un clin d’œil à Nicolas Gauvrit, l’auteur de Statistiques. Méfiez-vous ! Ellipses, 2007.

Bibliographie

Trois ouvrages au moins nous ont convaincu de leur utilité pour tenter de déjouer les artifices qui peuvent être créés (volontairement ou non) à l’aide de ces « outils graphiques » :

  • Statistiques. Méfiez-vous ! Nicolas Gauvrit, Ellipses, 2007.
  • Petit cours d’autodéfense intellectuelle, Normand Baillargeon, Lux, 2006.
  • Déchiffrer le monde : contre-manuel des statistiques pour citoyens militants, Nico Hirtt, Aden Editions, 2007.

Solution – Le jeu des trois boîtes, ou problème de Monty Hall

Voici la solution au jeu des trois boîtes, ou problème de Monty Hall, donnée par Louis Dubé, et complétée par le CorteX.
Pour revenir à l’énoncé, voir ici.

Voici différentes approches de la version initiale

Explication de Louis Dubé

La bonne réponse est la 2 : je change mon premier choix

La meilleure stratégie est de TOUJOURS changer son premier choix. En conservant votre premier choix, vousCorteX_Choix_Monty_Hall ne changez pas de probabilité de succès, qui demeure un tiers. En changeant toujours de choix, vos chances de succès sont deux fois plus grandes. Car, en dévoilant l’une des boîtes qui n’a pas d’argent sous elle, le maître de cérémonie vous offre effectivement l’ensemble des deux choix qui restent, dont la probabilité égale deux tiers. La figure ci-contre illustre ce concept.

L’illusion est de penser que s’il reste deux choix et qu’on ignore lequel, notre premier choix est aussi bon que le deuxième offert (soit 50 %).

Tentez vous-mêmes l’expérience : un joueur cache l’argent sous l’une des trois boîtes à l’insu d’un deuxième joueur; le deuxième joueur tente de deviner où le premier joueur a caché l’argent en utilisant systématiquement – pendant disons 30 coups – l’une ou l’autre des stratégies proposées. Vous obtiendrez environ 20 succès sur 30, en suivant la stratégie de toujours changer de choix ; deux fois mieux que si vous gardiez toujours votre premier choix.

Une autre façon de saisir l’importance de changer son premier choix est de considérer un problème similaire : au lieu de trois boîtes, supposons que le choix original vous propose un millier de boîtes, dont une seule contient l’argent convoité. Vous choisissez au hasard la boîte N°527. Pour vous aider, le maître de cérémonie dévoile 998 boîtes qui ne contiennent pas d’argent, seule la boîte N°721 demeure, ainsi que votre choix original : la boîte N°527. Garderiez-vous votre choix original qui n’avait qu’une chance sur mille de contenir l’argent ? Croyez-vous vraiment que votre premier choix aurait maintenant une probabilité de 50 % ? Il apparaît évident que vous changeriez de choix en croyant (justement) qu’il y a beaucoup plus de chances (999 chances sur 1000) que l’argent se trouve sous la seule boîte (autre que votre choix original) qui n’a pas été dévoilée.

 Louis Dubé

Approche expérimentale

Louis Dubé suggère à tout élève de collège de rendre fous ses professeurs en leur faisant une simple démonstration sur 30 essais. Personnellement, je vais essayer de le faire aux étudiants de zététique avec des gobelets, un euro et deux chewing gum mâchés (je viendrai raconter l’expérience).

Explication de Guillemette Reviron

CorteX_Guillemette

À l’issue du premier tirage, la probabilité que je sois tombée sur la bonne boîte est de 1/3 et la probabilité que je me sois trompée, c’est-à-dire que la bonne boîte soit une des deux autres, est de 2/3. L’animateur ouvre ensuite une boîte vide. Cette petite manipulation ne change pas ces probabilités puisque le choix de la boîte a été fait avant :

– la probabilité d’être tombée sur la bonne boîte vaut toujours 1/3
– la probabilité que ce ne soit pas la bonne vaut toujours 2/3.

Ce qui a changé, c’est qu’à la première étape, si je me suis trompée, l’argent est sous l’une des deux autres boîtes alors qu’à présent, si je me suis trompée, l’argent est sous la seule autre boîte. J’avais 2 chances sur 3 qu’elle soit sous une des autres boîte, j’ai deux chances sur trois qu’elle soit sous l’autre boite.

Le tour est joué !

Regardez, j’ai parié, et j’ai gagné deux bouteilles de vin.

Explication grâce à l’arbre des possibles

Voici les versions (en anglais) de la version des tasses et (en français) de celle voiture/chèvres.

CorteX_tasses_Monty_HallCorteX_Arbre_des_possibilites_Monty_Hall

Démonstration à l’aide du théorème de Bayes

Pour des étudiants d’un certain niveau en mathématiques, on pourra résoudre le « paradoxe » avec le théorème du révérend Bayes, qui nous dit :CorteX_Thomas_Bayes

Soit un événement quelconque, et soit (Bi)i=1..n un ensemble d’événements à la fois exhaustifs et mutuellement exclusifs. Alors pour tout i, on a :

P(B_i|A) = frac{P(A | B_i) P(B_i)}{sum_{j = 1}^n P(A|B_j)P(B_j)}, ,

Supposons que je choisisse la boite n°3 – le raisonnement serait identique dans les deux autres cas – et notons :

– F1 (respectivement F2 et F3) : la voiture se trouve dans la boite n°1 (resp. 2 et 3)

– O1 (respectivement O2 et O3): l’animateur ouvre la boite vide n°1 (resp. 2 et 3)

Supposons alors que l’animateur ouvre la boite 1 – le raisonnement est le même s’il ouvre la boite 2.

La probabilité de gagner en changeant mon choix est alors la probabilité que la voiture soit dans la boite 2 sachant que l’animateur a ouvert la boite n°1, c’est-à-dire P(F2/01). Or, d’après la formule de Bayes.
 

 P(F2|O1) = frac{P(O1|F2) P(F2)}{sum_{i=1}^{3} P(O1|Fi) P(Fi)}  = frac{1 times frac{1}{3}}{0 times frac{1}{3} + 1 times frac{1}{3} + frac{1}{2} times frac{1}{3}}  = frac{2}{3}


En effet, si la voiture est dans la boite 2 et que j’ai choisi la boite 3 au premier tirage, la seule boite que peut ouvrir l’animateur est la boite n°1 donc P(01/F2) = 1.
De la même manière, si la voiture est dans la boite 1, l’animateur ne peut pas l’ouvrir donc P(O1/F1)=0 et si la voiture est dans la boite 3, l’animateur a deux choix équiprobables (la boite 1 ou la boite 2) donc P(O1/F3) = 1/2.

Pour aller plus loin

  • On retrouvera également une simulation avec chèvres et voiture sur le site du Laboratoire de Mathématiques Raphaël Salem de l’Université de Rouen (ici).
  • Pour les fans de l’utilisation des sciences dans les fictions, voici un extrait de Las Vegas 21, de Robert Luketic (2008) lors duquel l’enseignant (Kevin Spacey) pose la question à ses étudiants – dont le jeune héros (Jim Sturgess) qui répond bien (extrait en anglais – je cherche une version originale sous-titrée, en attendant contentons-nous du doublage français)

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=huLoJcTppXk]

  • Pour l’histoire, il semble que la paternité de ce dilemme revienne à Joseph Bertrand (ci-contre) en 1889, sous le nom de « Paradoxe de la boîte de Bertrand ». CorteX_Joseph_BertrandPuis c’est le regretté Martin Gardner, incontournable pionnier de la pensée critique décédé en 2010, qui l’exhuma en 1959 dans sa rubrique Mathematical Games du Scientific American sous le nom de « problème des trois prisonniers » (« Mathematical Games » column, Scientific American, October 1959, pp. 180–182). Enfin, c’est Steve Selvin qui rouvrit la question dans « A problem in probability (letter to the editor)« , American Statistician 29 (1): 67 (February 1975) et « On the Monty Hall problem (letter to the editor) », American Statistician 29 (3): 134 (August 1975).
  • Un site est entièrement consacré au problème, ainsi qu’un livre : Jason Rosenhouse, The Monty Hall problem – The Remarkable Story of Math’s Most Contentious Brain Teaser (Oxford University Press 2009).

 

  • CorteX_Louis_DubeLouis Dubé nous offre en prime un court programme commenté en langage Basic qui simule ce problème avec « N » boîtes (donc aussi avec 3 boîtes).

Voici :

  1. le code du programme avec commentaires.
  2. Le code source en fichier texte (qui peut facilement être copié)
  3. Les résultats pour 9 essais (chaque étape en détail pour bien saisir le processus) et les résultats cumulatifs pour 9 essais et pour 1000 essais.
Richard Monvoisin
Merci à Louis Dubé & Guillemette Reviron
 

Le jeu des trois boîtes, ou problème de Monty Hall

Connaissez-vous Monty Hall ? C’est le nom d’un présentateur télé états-unien qui a présenté pendant près de treize ans le redoutable jeu Let’s make a deal mettant en scène un casse-tête probabiliste tout à fait contre-intuitif, et par là même, stimulant la pensée critique. Ce « faux paradoxe » dont la première forme connue a plus d’un siècle est également connu sous le nom du « jeu des deux chèvres et de la voiture ».
Une première version de ce casse-tête nous a été envoyée par Louis Dubé, des Sceptiques du Québec. Suite à sa publication sur cette page, un enseignant de mathématiques en classe préparatoire, Judicael Courant, nous a soumis une version pleine de variantes, ludique, élaborée à quatre mains avec son collègue Walter Appel, qui ne postule plus la bienveillance de l’animateur. De quoi faire chauffer nos neurones.


Version initiale 

CorteX_Monty-Hall

  • 100 $ sont cachés sous l’une de trois boîtes, identifiées : A, B et C.
  • On vous demande de choisir sous laquelle des trois boîtes se trouve l’argent.
  • Ignorant sous laquelle des boîtes se trouve l’argent, vous choisissez au hasard la boîte A.
  • Pour vous aider, on dévoile qu’il n’y a pas d’argent sous la boîte B.

QUESTION : Conservez-vous votre choix : A ?

1. Oui, je garde mon premier choix
2. Non, je change mon premier choix
3. Aucune importance (soit toujours garder, soit toujours changer)
4. Au hasard (l’un ou l’autre à « pile ou face » à chaque coup)

Pour la solution , cliquez sur ce lien : Louis Dubé, des Sceptiques du Québec, le partage avec nous sous une forme simple ; les plus férus de mathématiques pourront le résoudre avec le théorème de Bayes.

 

Variantes

Nous relayons ici les remarques de Judicael Courant sur le jeu des trois boîtes, envoyées au Cortecs en décembre 2014, ainsi qu’une version complètement démoniaque de ce  casse-tête.

Bonjour,
Enseignant de mathématiques et d’informatique en classe prépas, […] je suis cependant déçu par votre page sur le problème des trois boîtes car vous faites l’impasse sur une question qui me semble essentielle pour la résolution du problème : est-on sûr que, lorsqu’on nous dévoile qu’il n’y a pas d’argent sous la boîte B, c’est bien pour nous aider ?
Si on a des raisons d’en douter, la solution peut devenir très différente : par exemple dans le cas extrême ou celui qui a caché l’argent a un côté pervers, on peut penser qu’il ne nous propose de modifier notre choix que parce nous avons trouvé la bonne boîte. On pourrait aussi se demander si, lorsque nous avons choisi la bonne boîte, la personne qui nous aide choisit de façon équiprobable entre les deux boîtes restantes, ou si elle a une préférence (par exemple, elle prend la première dans l’ordre alphabétique).
Je soumets à votre sagacité l’exercice ci-joint que j’ai donné à mes étudiants de MPSI l’an dernier. C’est un énoncé repris sur un collègue, Walter Appel, que j’ai volontairement rendu un peu plus complexe […]. Il me semble en effet qu’il y a un point important à débusquer derrière les études de ce genre : elles partent d’hypothèses a priori, très souvent implicites et non remises en question.

Version initiale

En 1761, Thomas Bayes, théologien protestant, quitte pour toujours cette vallée de larmes. Il arrive aux portes du Paradis et, comme il n’y a plus beaucoup de places et que Bayes a parfois eu des opinions assez peu orthodoxes en manière de théologie, Saint Pierre lui propose le test suivant. T. Bayes est placé devant trois portes identiques, dont deux mènent à l’enfer et une au paradis, et il est sommé de choisir. N’ayant aucune information a priori, Bayes choisit une des portes au hasard. Avant qu’il ait le temps de l’ouvrir, Saint Pierre — qui est bon — lui dit : « Attends, je te donne encore un renseignement… » et lui ouvre une des deux autres portes (menant bien entendu à l’enfer). Que doit faire Bayes ? Garder sa porte, ou changer d’avis et prendre l’autre porte non ouverte ?

Variante 1

Reprendre l’exercice dans le cas où Saint Pierre a passé la soirée précédente à faire la fête, il ne sait plus du tout où mènent les portes et en ouvre une au hasard et se rend compte qu’elle mène à l’enfer.

Variante 2

Vous arrivez vous-même devant Saint Pierre mais vous remarquez qu’il a un pied de bouc : Saint Pierre a tellement fait la fête qu’il n’est plus en mesure de s’occuper des entrées et Satan en a profité pour le remplacer (en se déguisant). Vous imaginez assez vite ce que fait Satan : lorsqu’un candidat a choisi une porte,

  • si elle conduit vers l’enfer, il le laisse prendre la porte choisie 
  • si elle conduit vers le paradis, il lui montre une porte conduisant vers l’enfer et lui propose de changer.

Vous choisissez une porte, Satan vous propose de changer. Que devez-vous faire?

Variante 3

En fait, vous réalisez que Satan est bien plus pervers que cela:

  • si le candidat choisit une porte conduisant vers l’enfer, il lui propose quand même de changer avec la probabilité p1
  • si le candidat choisit la porte conduisant vers le paradis, il lui propose de changer avec la probabilité p2.

Que devez-vous faire?

Atelier Esprit critique & Travail – la Fabrique du futur

J’ai co-animé avec notre compère Philippe Rennard un atelier sur le sujet du travail dans le cadre du cycle de coformation de la Fabrique du futur, à Grenoble. Voici le déroulé de cet atelier et le matériel utilisé pour aborder des notions d’esprit critique dans le vaste domaine du travail, que ce soit dans la présentation de chiffres ou de graphiques ou dans les discours politiques.


Cet atelier avait pour objectif de décortiquer des discours politiques et médiatiques autour du monde du travail afin de mettre en lumière des techniques de manipulations langagières, de raisonnements fallacieux, et l’utilisation abusive de chiffres et de données scientifiques.

Après le décorticage d’exemples, le groupe était ensuite invité à échanger sur les enjeux et les implications de ces petites et grandes manipulations.

1ère étape : un peu d’outillage critique

Avant de partir sur le terrain il est nécessaire de s’équiper.CorteX_Chiffre_chomage_comparaison_graphique_Le_Petit_journal_29_11_2011_image2 J’ai donc présenté une partie des techniques de manipulation des chiffres, de leur présentation fallacieuse et des moyens de s’en prémunir en utilisant essentiellement du matériel tiré de l’article de Nicolas Gauvrit et du matériel de Guillemette Reviron : Mathématiques et statistiques – Graphiques, attention aux axes ! .
Cet outillage est important car il permet de tordre le cou à l’idée d’une objectivité totale dans la présentation de résultats scientifiques, qui bloque le débat et empêche toute contestation sous le prétexte que « c’est arithmétique ! on ne peut donc rien y faire ». Comme le dit Franck Lepage « On ne va pas descendre dans la rue en disant : non à l’arithmétique, non à l’arithmétique ! ».
Comprenons bien que si les données de bases sont objectives, la manière dont on en rend compte ne l’est pas forcément.

2ème étape : utilisation de données scientifiques

Des chiffres du chômage jusqu’aux sondages d’opinion, les discours politiques et médiatiques à propos du travail sont régulièrement étayés par des données de type scientifique. Pourtant ces données apparemment objectives peuvent être largement dévoyées, que ce soit pour mieux coller à la ligne éditoriale d’un journal, à celle d’un courant politique. J’ai présenté deux exemples.

1er exemple : le Journal du dimanche du 12 octobre 2008 affiche en couverture « Sondage : les Français veulent travailler le dimanche. »

L’article s’appuie sur un sondage Ifop-Publicis et indique que 67% des français veulent travailler le dimanche. Pourtant, quand on prend le temps d’éplucher ledit sondage, on se rend compte que la question était posée d’une bien curieuse façon.
Question : « travailler le dimanche est payé davantage qu’en semaine. Si votre employeur vous proposait de travailler le dimanche, accepteriez-vous ? ».
CorteX_travai_Titre choc2Réponses possibles :
– non jamais (33%)
– de temps en temps  (50 %)
– toujours  (17 %)
 
On note que la question n’est pas « voulez-vous travailler le dimanche ? » ou « êtes-vous favorable au travail le dimanche ? » comme le titre de l’article semble l’affirmer.
La question est construite d’abord sur une prémisse (travailler le dimanche est payé davantage qu’en semaine) puis une hypothèse (si votre employeur vous proposait de travailler le dimanche, accepteriez-vous ?). Cette construction oriente particulièrement les réponses des sondés, qui n’ont que le choix d’accepter la prémisse de départ qui ne va pourtant pas de soi (travailler le dimanche n’est pas forcement payé plus) et qui se centre sur l’aspect pécuniaire.
Enfin, les réponses possibles sont restreintes : – non jamais – de temps en temps  – toujours. La proposition de réponse à 3 entrées induit presque automatiquement un effet Bof en offrant une réponse moyenne, consensuelle : « de temps en temps », ce qui expliquerait peut-être les 50% pour cette réponse.
Les 3 entrées offrent, en outre, la possibilité de présenter les résultats à la guise du commentateur : « Travail le dimanche : 67% des français y seraient favorables », c’est-à-dire, 50 % « de temps en temps » + 17 % « toujours ».  Mais on pourrait commenter également : « Travail le dimanche : 83 % des français n’y seraient pas vraiment favorable » : c’est-à-dire 50 % « de temps en temps » + 33% « non jamais ».
Cette présentation joue sur un effet Bi-standard, qui consiste à raisonner selon deux standards différents selon les circonstances, en gros changer les règles en cours du jeu.
Article lié, sur Agoravox

2ème exemple : Le Figaro.fr du 12 Octobre 2010 titre « Partir plus tôt en retraite peut nuire à la santé »

CorteX_travai_Le figaro_travail et sante« Partir plus tôt en retraite ne permet pas forcément aux ouvriers d’en profiter plus longtemps. Au contraire, un rapport publié par l’Institut allemand pour l’étude du travail, montre que cela augmente les chances de mourir prématurément », annonce l’article du Figaro en octobre 2010, étude scientifique à la clé.
Fatal Attraction ? Access to Early Retirement and Mortality”, Andreas Kuhn Jean-Philippe Wuellrich, Josef Zweimüller, Institute for the Study of Labor, August 2010.

Là encore, la lecture de l’étude nous apprend beaucoup de choses, entre autres ces conclusions des chercheurs  : « Pour les hommes, partir à la retraite un an plus tôt augmente de 13,4% les chances de mourir avant 67 ans. Pour les femmes, en revanche, un départ à la retraite anticipé n’a aucun effet sur l’âge du décès » est interprété par le Figaro comme « Partir plus tôt en retraite peut nuire à la santé » C’est une simplification pour le moins radicale.

Ensuite l’article du Figaro ne mentionne pas une donnée importante. En effet, les chercheurs parlent de retraites volontaires et de retraites non volontaires (licenciements par exemple) : « La retraite précoce concernant les départs volontaires ne semble pas liée à la mortalité, alors que la retraite précoce causée par des licenciements involontaires l’est ». Cela change la conclusion de cette étude par rapport à la présentation qu’en fait l’article.

Enfin, l’article du Figaro ne mentionne pas les hypothèses d’explication des chercheurs, conclusion de l’étude : « Finalement, nous apportons des éléments prouvant que la retraite précoce involontaire a un effet négatif sur la santé, mais pas nécessairement la retraite précoce volontaire »

Ce sont bien les départs en retraite « involontaires » qui auraient un impact significatif sur la mortalité, et non le fait – en lui-même – de partir à la retraite plus jeune. Nous avons donc affaire à un effet Cigogne.
On peut se demander si l’article du Figaro n’a pas été construit d’abord sur une conception idéologique – qui serait : « partir en retraite plus tôt n’est pas forcément une bonne chose » – puis étayé ensuite par les données de l’étude scientifique, non sans de petits oublis et de grandes simplifications. Cela s’apparente à un effet petit ruisseaux : si les petits ruisseaux font les grandes rivières, les petits oublis (ou erreurs) permettent les grandioses théories. Pour éviter cet effet, on peut se poser la question suivante : tous les paramètres sont-ils donnés et donnés correctement ?

Article lié, sur Acrimed


3ème étape : supports vidéo

Désormais lourdement armé contre les manipulations, mon co-animateur Philippe Rennard a pris le flambeau pour présenter une série de documents vidéos comme supports de discussion. Il présente, quatre exemples de vidéos et résume les réactions qu’elles ont pu susciter.
Ces commentaires s’inscrivent dans le travail de réflexion de la fabrique du Futur : « Un autre monde du travail est possible… oui, mais lequel ? » 

1/ Serge Dassault et la valeur « travail »

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=cCnEYdhtqJM]

Dans cet exemple Serge Dassault oriente la pression sur les salariés :

  • en comparant l’incomparable, à savoir (bons) travailleurs chinois et (mauvais) français, sans même évoquer les différences abyssales entre les standards socio-productifs des pays respectifs ;
  • en nivelant par le bas : nous devrions culpabiliser de ne pas travailler assez, au lieu de nous mobiliser contre l’exploitation des travailleurs chinois.
C’est un discours qui fait fi des contraintes concurrentielles et des injonctions productivistes
 
 

2/ UMP : la République du travail et du mérite

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=PfnXQixZXvg]Dans cet exemple, Camille Bedin tente de masquer la répartition arbitraire des richesses :

  • sous couvert de l’idée reçue « la réussite ne pourrait s’accomplir en dehors du travail ». C’est la représentation d’un travail qui (par la magie du mérite) engendrerait la réussite sociale qui est inlassablement répétée ici ;
  • sous le concept « d’égalité des chances », cache-sexe des inégalités auxquelles aboutit une économie basée sur le capitalisme. Les déclinaisons récentes de ce concept vont de la Bourse au mérite aux internats d’excellence, structures sujettes aux discriminations positives qui permettront d’entretenir le mythe de l’ascension sociale ;
  • sous la gabegie de « l’assistanat » désignée comme cause de tous les maux économiques et sociaux. Cela résulte pourtant des impasses de l’idéologie du mérite dont le seul partage des richesses n’assurerait certainement pas la paix sociale.

3/ Wauquiez et les contreparties au RSA

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=hp0hX7XMdMs]

Laurent Wauquiez tente dans cet exemple de rendre évident des conditions à l’octroi de minima sociaux :

  • en manipulant les chiffres. Selon lui, un couple au RSA gagnerait plus qu’un couple au SMIC. C’est faux ;
  • en substituant à l’emploi salarié un service bénévole de travail obligatoire ;
  • en plafonnant, c’est-à-dire en réduisant les aides de l’État.

Autant de stratégies qui s’effondreraient avec par exemple un revenu de base inconditionnel.


4/ Un jour sur quatre, un Québécois perd la vie au travail

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=9jwNUlbYIYU]

Dans cet exemple le message tente de concilier santé et travail au sein d’une économie qui les rend profondément incompatibles :

  • on travaille pour gagner notre vie, pas pour la perdre. Difficile de ne pas déceler ici un détournement du slogan « soixante-huitard » « on ne veut pas perdre notre vie à la gagner« . Augmenter la sécurité sur un lieu de travail risqué préserve moins de vies que refuser tout travail dans des conditions hasardeuses.
  • la touche patriotique finale et anthropomorphique (le Québec a besoin de tous ses travailleurs) arrive comme pour convaincre de l’intérêt supérieur de la mobilisation dans l’intérêt du « travail » mais pas forcément des salariés.

Philippe Rennard et Nicolas Gaillard