Utiliser la série Black Mirror pour incrémenter la critique (et avoir une excuse pour regarder des séries)

Black Mirror, créée par Charlie Brooker est une série de (pour l’instant) deux saisons de  3 épisodes, diffusées sur Channel 4 de 2011 à 2014 – auxquels s’ajoute un épisode spécial Noël, et d’une troisième saison de 6 épisodes produite par Netflix en 2016. Plusieurs d’entre nous l’ont lorgnée à des fins didactiques. Que peut-on faire avec un tel matériel ?

Black Mirror ?

L’idée d’utiliser une série, en particulier de science-fiction (SF), dans un cadre académique pourrait en surprendre plus d’un.e (bien que nous l’ayons déjà fait ici, dans un atelier doctoral sur les neurosciences et la fiction, en 2013), l’une des principales raisons étant la mauvaise réputation dont jouit la science-fiction en France. Dernier exemple en date : l’émission du 2 décembre 2016 de France Culture consacrée à « L’héritage de Dune de Franck Herbert » lors de laquelle on a pu entendre, concernant le livre Dune de Franck Herbert : « ce n’est pas de la science-fiction, c’est un roman » (affirmation qui n’a été démentie ni par les autres intervenant.es, ni par le journaliste). Cette phrase qui peut paraître anodine est lourde de sens pour l’amateur/trice de science-fiction qui doit régulièrement justifier et défendre son intérêt pour ce (sous-)genre qui n’est pas considéré comme «  noble ». Toujours est-il qu’affirmer que Dune n’est pas de la SF est vraiment osé ! Assumons le fait d’apprécier des œuvres de SF pour ce qu’elles sont : à savoir des œuvres de SF, et laissons la notion de mauvais genre aux tristes figures.

Justifier le matériau : pourquoi la science-fiction ?

Contexte contemporain

Dans Species Technica, Gilbert Hottois écrivait que le « progrès techno-scientifique se fraye dans une atmosphère dense de phantasmes, de légendes, de fictions »1.


La sociologue Marina Maestrutti donne le constat suivant :

« dès que l’on veut rendre compte de la manière dont les faits et les discours s’entremêlent dans l’émergence de nouvelles configurations de la technoscience, on constate le rôle omniprésent de la métaphore : étudier de près les histoires ne signifie pas compromettre la réalité des faits mais plutôt montrer comment la mise en récit reflète le croisement des désir, raisons et mondes matériels qui forment la texture de la réalité même […] elle est constituée en partie de narrations littéraires, en premier lieu de la science-fiction, mais aussi dans des rapports officiels, les essais de divulgation ou les brochures publicitaires, où l’argumentation ne cesse de se faire narration, récit […] le répertoire des figures, images, personnages et symboles [est] continuellement réactualisé pour être adapté à de nouveaux contexte où émergent des concepts, des pratiques, des objets, des stratégies marketing »2.

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Le 12 mai 2014 le journal Le Monde publiait un article concernant les « robots tueurs » accompagné d’une image du célèbre Terminator, archétype du robot tueur dont le dessein est de réduire l’humanité à néant. Les récits de science-fiction constituent une trace écrite de l’imaginaire et des représentations d’une époque. En cette période de développement technoscientifique, ils constituent une ressource précieuse dans le cadre de l’analyse des débats contemporains (qui se situent souvent entre deux positions qui sont certes caricaturales, mais surtout symboliquement chargées : technophobie vs. technophilie).

Autre cas emblématique, celui d’Eric Drexler (l’auteur de Engins de Création) : de par ses travaux de prospectives, il participa à l’avènement et au développement des nanotechnologies. Son œuvre revêt encore aujourd’hui une importance cruciale dans l’imaginaire « technoscientifique »3. Il a créé une impulsion poussant les politiques et les acteurs économiques à se lancer dans une course aux nanotechnologies. Drexler a ensuite perdu le soutien (si ce n’est sa crédibilité) auprès des scientifiques. Il a par exemple été écarté de la National Science Fondation et du rapport NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives), commandité par cette dernière, qui vise à questionner l’accroissement des performances humaines. Ce rapport, sous-titré « convergence technologique pour l’amélioration des performances humaines »,  vise à dresser un panorama du développement à venir de ses quatre technologies. Sont évoqués notamment les technologies d’amélioration physique et cognitive, les implants bioniques, l’intelligence artificielle ou encore les nano-robots.

Autre exemple concernant l’influence de la SF sur nos représentations (et notre vocabulaire) : Le mot « robot » apparaît pour la première fois en 1921 dans la pièce de théâtre R.U.R. (Rossum’s Universal Robot) de l’écrivain tchèque Karel Čapek. Le terme « robotique » est quant à lui inventé par Isaac Asimov.

La SF comme laboratoire d’expérience de pensée

Travailler à partir de la SF n’est pas seulement ludique et divertissant, c’est surtout utiliser un laboratoire d’expériences de pensée qui permet notamment de tester des hypothèses qui servent de propédeutique aux questions philosophiques, éthiques, politiques. Les champs de l’éthique et de la philosophie de l’esprit ont une grande tradition d’expériences de pensée4.


En guise d’exemple de création de concept par la SF, on trouve entre autre dans l’ouvrage de Marina Maestrutti, l’expression « paradigme Gattaca » dérivée du film d’Andrew Niccol, Gattaca (Bienvenue à Gattaca), sorti en 1998. Ce paradigme évoque le thème du film qui montre la mise en place progressive d’une humanité à deux niveaux  : d’un côté les personnes dont les caractères génétiques ont été sélectionnés avant leur naissance ; de l’autre les « enfants de la providence » qui naissent sans que les parents n’aient même effectué un diagnostic prénatal. Ces derniers sont exclus de la société, du moins des postes à responsabilité : « la discrimination est devenue une science », et elle est génétique.

Black Mirror

La série Black Mirror dans ce contexte semble tout indiqué. Série d’actualité à succès, elle anticipe une société dystopique liée à un mauvais usage des nouvelles technologies et en particulier les usages des technologies de l’information et de la communication, le « miroir noir », auquel fait référence le titre de la série, étant celui des écrans de télévisions, ordinateurs, tablettes et autres smartphones. La série explore de multiples scénarios qui sont une bonne base pour introduire certaines questions d’esprit critique.

Saison 3

Cette troisième saison de 6 épisodes s’ouvre et se ferme sur deux scénarios parallèles qui extrapolent certaines pratiques actuelles liées aux réseaux sociaux. L’épisode 3 surfe également sur cette thématique.
On peut introduire ces épisodes de diverses façons : en évoquant les différents faits d’actualités sur les suicides liés aux réseaux sociaux, sur les informations « fakes« , sur la pression sociale et l’acceptation des normes.

Épisode 1 Chute libre (Nosedive)

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L’épisode est encombrant, car à notre avis insécable, mais c’est un excellent support de départ pour un débat sur la réputation comme monnaie d’échange, et sur les curseurs utilisés pour donner plus ou moins de droits aux gens – en quoi l’argent serait-il moins stupide que le critère de réputation sur 5 ? Il est tout indiqué pour travailler sur la théorie des jeux (Axelrod, Rapoport, etc.5)et la notoriété ou réputation, valeur d’échange dans les sociétés humaines6.
Reste un cliché camionneuse – réputation basse – alcool qui laisse un peu perplexe.

Épisode 2 Playtest (Playtest)

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Cet épisode est difficile à utiliser. Il extrapole le désir de frisson des afficionados de jeux d’horreur (on trouve de nombreuses vidéos sur Youtube de tests de jeux d’horreur avec casque réalité virtuelle). Il ne s’agit pas dans cet épisode d’une société dystopique, mais d’une phase test d’un jeu vidéo qui tourne mal, avec cette question lancinante : comment trancher entre ce qui est réel et ce qui est le produit d’une substance ou d’un souvenir recréé – thème qui est par exemple traité dans Inception, de Christopher Nollan (2010) ou dans Total Recall, tiré d’une nouvelle de Philipp K. Dick (We Can Remember It for You Wholesale) et adaptée en 1990, et possédant une sorte de suite,  Total Recall : Mémoires programmées de Len Wiseman (2012).

Épisode 3 Tais-toi et danse (Shut Up and Dance)

Cet épisode parle essentiellement de sécurité informatique, de négligence vis-à-vis de la technologie, de sadisme, de jeux vidéo poussé à l’extrême en mode réaliste avec absence d’intérêt des manipulateurs autre que le plaisir sadique. L’axe de traitement de cet épisode sera sûrement l’importance de la sécurité informatique, et son existence via les communautés de logiciel libre.

Dans cet épisode, le protagoniste principal se retrouve à céder au chantage de pirates informatiques qui l’ont filmé via sa webcam alors qu’il se masturbait devant des vidéos pornographiques. Le thème de cet épisode permet assez facilement d’aborder la question du revenge porn7 et dans la foulée celles de l’humiliation publique, du chantage et de l’escalade d’engagement. 

L’épisode permet également d’aborder la problématique d’une certaine justice populaire. Il est tout à fait possible de faire le lien avec, par exemple, le piratage du site de rencontres extraconjugales « Ashley Madison ». Il est également possible d’aborder la question de la pédophilie et de problèmes éthiques tels que : est-il moralement juste de révéler publiquement que x est pédophile/infidèle.

Toutefois, le côté chantage sans aucune raison peut-être très dilatoire. Il prend, en effet, toute la place de l’histoire. Il est toujours possible de couper l’épisode; au moins après l’homme noir à mobylette.

Épisode 4 San Junipero (San Junipero)

Nous sommes partagés : trop mou, trop long, trop poussif, selon les un.es, mais thème classique en SF pourtant, que celui de la réalité virtuelle (décliné avec les Matrix, par exemple).

Avec cet épisode, on peut néanmoins aborder :

  • l’une des ambitions des transhumanistes (à savoir vaincre la mort en uploadant son esprit dans un cyber-paradis) ;
  • à la rigueur la place sociale des personnes âgées (discrimination qu’on appelle l’âgisme) et des homosexuel.les. ;
  • les différentes théories de l’esprit : dualiste, matérialiste, physicaliste, computationaliste ….

Exemple : le computationalisme est une théorie en philosophie de l’esprit qui conçoit l’esprit l’humain de manière analogue à un programme informatique. Comme le hardware (« support dur ») pour l’informatique, le cerveau humain peut être pensé comme un wetware (« support humide »), c’est-à-dire comme un système de traitement de l’information reposant sur des opérations de calcul. Bien que l’analogie entre l’informatique et le cerveau humain soit essentiellement heuristique, cette perspective conduit certains transhumanistes à envisager l’idée de télécharger l’esprit humain sur un support numérique hardware.8

Épisode 5 Tuer sans état d’âme (Men Against Fire)

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Probablement le meilleur à notre avis : l’épisode soulève la dépersonnalisation, l’état agentique en psychologie sociale, la guerre, les mécanismes racialistes. L’analogie Roaches/cafards et  Inyenzi en langue kinyarwanda pour désigner les Tutis sur la Radio des 1000 collines au Rwanda est volontaire pensons-nous. Il reste incompréhensible que roaches ait été traduit par « déchets » (au moins dans les sous-titres) – ce qui permet, à tout le moins, de discuter des biais de traduction.

Ce thème de la déshumanisation de l’ennemi permet d’ouvrir le débat sur l’utilisation de drones de combats téléguidés et la guerre à distance. Plus éloigné, peut-être, on peut également envisager d’étendre l’épisode sur la thématique des jeux vidéo de guerre. Un bon exemple se trouve dans le jeu vidéo servant d’outil de recrutement à l’armée étasunienne America’s Army. L’US Army a investi près de 30 millions de dollars pour développer ce jeu qui a été distribué gratuitement sur PC. 

Épisode 6 Haine virtuelle (Hated in the Nation)

Sommes-nous influencé.es par l’actrice Kelly Macdonald et son épais accent écossais9.

En tout cas il y a du très bon, insécable là encore. La trame de l’épisode ne rend pas aisée l’utilisation. Pis, la fin louche, et le rôle de Shaun Li invraisemblable à son niveau de la NCA affaiblissent le tout. Mais l’idée de harcèlement, de vindicte populaire digne de Koh Lanta, et le jeu des Hashtags est vraiment utilisable. Cela pose l’impunité des appels à la haine/violence sur le web. Il est intéressant que la « geek » casse les codes patriarcaux et soit une femme, comme dans Millenium de Stieg Larsson (2005). La question du remplacement de pollinisateurs par des robots est un sujet à part entière, avec les moyens de contrôle associés. Ici, la solitude de Markus devant des dizaines de milliers de ruches électroniques à 4000 individus fait un peu « peine », et ils passent vite sur leur réplication type imprimante 3D qui est bien tirée par les cheveux et violentera un peu les féru.es d’apiculture.

Une analyse des autres saisons est à venir. Bon visionnage !

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Grande braderie de l'autodéfense intellectuelle

Les attentats qui ont agité la France et la médiatisation qui s’en est suivie ont crée un processus assez étonnant dont nous sommes un peu les victimes collatérales. La sphère intellectuelle médiatique et enseignante semble avoir trouvé son gadget : l’esprit critique. L’esprit critique redresse les délinquant.es, l’esprit critique ramène dans le droit chemin les complotistes, l’esprit critique calme les djihadistes, bientôt l’esprit critique redressera les sexes tordus et récurera même le linge. Il faut en mettre partout, même dans BFMTV ou dans Le Point, organes pourtant connus pour leur entreprise de décervelage des masses. Et nous dans tout ça ? [Mise à jour du 22 février : réaction de quelques penseurs/se critiques francophones et notre réponse.]

Notre point de vue

Notre point de vue est résumable en un point : l’esprit critique est en train d’être bradé. De trois façons différentes : médiatisation, appauvrissement et dépolitisation.

La médiatisation d’abord : si on enseigne l’autodéfense intellectuelle, on enseigne la critique des médias. Or les travaux bourdieusiens, parmi d’autres, illustrent le fait que le cadre télévisuel en particulier ne permet généralement pas de développer une argumentation complète et rigoureuse, et fait le jeu des slogans et des thèses simples. Donc un.e spécialiste devrait toujours se demander : est-il justifié que je parle dans telle ou telle émission ? Au prix de quelle déformation de mon propos, de quelle mise en scène scénaristique ? Car si nous acceptons de parler dans un média qui bourre le mou de son lecteur ou de son spectateur depuis des années, nous lui donnons une caution évidente, dont il saura se targuer quand des critiques fuseront. Si nous acceptons de ne parler qu’en borborygmes, en quolibet, de ne débattre qu’en se soumettant aux codes violents de la coupure de parole et du horion, que restera-t-il de constructif dans l’explosion de divertissement ? Si nous acceptions de parler dans Le Point, alors que nous faisons des cours critiques basés sur le décorticage des scénaristiques conservatrices, des mensonges chiffrés, des généralisations abusives, voire des fraudes (voir affaire Bintou) sur le même journal, quelle serait la cohérence ? Un.e penseur/se critique qui fait des piges dans des médias corrodés leur sert de danseuse, pour reprendre cette expression un tantinet sexiste. Mais il semble que cela ne leur pose pas trop de problème moral, ou que s’ils/elles en vivent un, les bouffées médiatiques régulières dont leur visage est baigné le leur font vite oublier. En effet, en vertu de l’effet Matthieu, « on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a » c’est-à-dire que plus ils/elles sont invité.es dans les médias, plus ils/elles sont invité.es dans les médias. Mais rappelons ces deux règles classiques : d’abord, si les médias les invitent, c’est qu’ils/elles ne sont pas trop critique pour eux. Ensuite, les médias se serviront d’eux/elles, les feront parler de tout et son contraire, feront d’eux/elles des fast thinker, et les jetteront lorsque la mode sera passée.

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Logo du site gouvernemental visant à lutter contre les « théories du complot » depuis 2016, en enseignant l’esprit critique

L’appauvrissement : les médias ne sciant pas leur branche, il ne faut pas s’attendre à de la pensée critique très élaborée de la part de ces sortes de « chiens de garde » de l’esprit critique. Foin de la critique des institutions, du système (éducatif, carcéral, etc.). Un exemple ? Nous avons entendu plein de gens « spécialistes » de l’esprit critique se congratuler à l’idée de faire des interventions en prison pour « guérir » les jeunes détenus du complotisme – l’un de nous a même rencontré une fonctionnaire pénitentiaire qui lui a dit récemment « moi je m’en fous, je me tire bientôt, il y a un créneau dans la déradicalisation, j’y connais rien mais on verra bien ». Mais nous n’avons entendu aucun de ces penseur/ses médiatiques « spontané.es » capables d’évoquer les critiques mettant en cause la capacité du système carcéral à endiguer le problème qu’il est censé traiter. Surtout, ne pas toucher aux médias dominants et ne pas toucher à la prison. En gros, ne toucher à rien.

Ce qui amène à la dépolitisation. La pensée critique est censée permettre de plein de façons différentes une seule chose : élargir le champ des possibles pour un individu. En lui expliquant les biais de son cerveau, les représentations sociales non conscientes, etc., on lui donne des leviers sur sa vie, intime et publique. Mais les « chiens de garde » de la pensée critique font le focus sur les biais cognitifs et rient de complotismes naïfs, sans jamais aborder les problèmes de fond comme « À quelle politique post-coloniale doit-on ces poches de descendants d’immigrés qui font le choix de la violence politique ? » ; ou encore « quand dans un programme scolaire est-il abordé le fait que des grandes puissances s’arrogent le droit de bombarder, de nos jours, des peuples civils ? » ou bien « quand, en éducation morale, aborde-t-on la question du nombre de conflits dans lesquelles la France est impliquée, et son statut officiel de 2e vendeur d’armes au monde en 2016 ? » Et quand discutera-t-on avec les élèves du statut du savoir, qu’il est des choses qu’il faut connaître avant d’arriver dans la vie adulte et que l’école est là pour ça, alors que pour eux, le plus souvent, l’école est une corvée, non négociée, non négociable, coercitive, infantilisante et élitiste ?

Nous ne nous reconnaissons pas dans cette autodéfense aseptisée, dans cet esprit critique circonscrit. Un peu comme certain.es rationalistes, prompts à s’acharner sur la mémoire de l’eau, les granules et les croyances du quidam qui passe, mais qui ne présentent pas la même heuristique de doute lorsqu’il s’agit de critiquer leurs propres système de croyances, ainsi que de questionner rationnellement la moralité des comportements qui en résultent. Nous n’avons pas envie de laisser l’autodéfense intellectuelle chomskienne bradée à des petites carrières de pédagogues à la mode, sans aucun mordant, sans aucune velléité de réformer ou modifier un tant soit peu les barreaux de la cage, qui conspuent l’anti-darwinisme chez les élèves musulmans, mais ne raillent pas l’iniquité du contrat didactique tissé à l’école, ni la reproduction des classes sociales que celle-ci proroge, et encore moins l’imposture de certains médias qui font appel à elles/eux, ni le détournement du problème politique soulevé par les « djihadistes » en pur problème cognitivo-mental.

Le CorteX

Des camarades sceptiques nous répondent

Quelques camarades sceptiques nous ont fait le plaisir de réagir à ce texte, et nous les en remercions. Ils nous ont autorisé à reproduire le courrier du 29 janvier 2017 contenant leurs remarques, et à rendre publics nos échanges ultérieurs éventuels. Puisse tout ceci te permettre, ami.e lecteur.rice, de te faire une opinion éclairée de divers points de vue. :

lire leur réaction

Cher CORTECS,

Votre article sur la grande braderie de « l’autodéfense intellectuelle » a heurté plusieurs acteurs des réseaux de l’esprit critique. Nous vous savons ouverts aux critiques, c’est pourquoi nous vous écrivons. Le but n’est pas de se lancer dans un débat, mais de vous fournir nos impressions pour que vous jugiez des suites à donner à votre publication.

Tout d’abord, le ciblage de cet article nous semble problématique, puisque nous avons été plusieurs à ne pas savoir qui était concerné par les accusations qu’il contient : la “cible” réelle n’est apparue aux lecteurs “éclairés” que nous croyons être qu’aux termes de longs échanges, et surtout d’un “décodage” sollicité auprès de Richard Monvoisin par Jérémy Royaux.

Le ton général du texte s’éloigne de la qualité habituelle des contributions du Cortecs par son ton moqueur, ton qui peut parfois même être perçu comme agressif par certains.

Le ressenti spontané de nombreux lecteurs a été celui d’un mépris de votre part envers les initiatives tournées vers les médias populaires. Nous respectons bien évidemment les choix du CORTECS d’agir en dehors de ces médias et de trouver des manières alternatives de transmettre l’esprit critique. Nous sommes néanmoins préoccupés par l’image que votre billet donne, volontairement ou involontairement, de ne pas respecter les autres choix. En effet, l’alternative est féconde, et nous pensons de notre côté qu’il faut encourager la diffusion des outils de la pensée critique, y compris auprès des médias qui font partie du problème. Sans complaisance, mais sans sembler condamner d’emblée les efforts de ceux qui s’impliquent sur ce terrain. Nous sommes beaucoup à avoir conclu, après de longs échanges, que telle n’était pas votre intention… mais ceci n’a semblé évident à personne. Nous comprenons que votre approche du scepticisme soit politisée, et nous respectons votre choix en la matière, mais nous pensons que vous devriez aussi respecter les autres démarches. Depuis l’origine du mouvement sceptique, certains ont principalement étudié le paranormal (Houdini par ex.), d’autres critiqués la religion (comme Richard Dawkins), d’autres encore se sont investis dans les débats politiques (à la Chomsky). Il n’y a pas là un bon choix versus des mauvais choix, uniquement des manières différentes de pratiquer la zététique.

Parallèlement à ces considérations de forme, qui ont nuit à l’intelligibilité des intentions, des débats sur le fond ont émergé. Cette seconde partie de notre lettre portera sur ces questionnements.

Tel que beaucoup ont pu comprendre (et ont compris) votre article, vous semblez rejeter toute participation sceptique aux médias que nous critiquons, en raison d’une supposée validation de ces médias que provoquerait la présence des sceptiques sur leurs ondes. (La présence de Mendax sur Meta TV vaut-elle validation de ce média par la Tronche en Biais ?) Si la question peut être posée, on ne peut y répondre aussi rapidement et encore moins avec une posture aussi marquée.

Cet argument nous paraît peu étayé. Les médias ne sont pas univoques, et des auteurs d’un même journal peuvent donner différents sons de cloche. On peut certes craindre un effet de halo, mais la remise en cause de la fiabilité des médias n’en est pas moins rendue visible par les productions critiques alors publiées. Savoir quel effet prédomine n’est pas clair.

Soulignons de plus que l’intrusion de l’esprit critique dans ces médias grand public (qui nous posent problème par ailleurs) permet de toucher une cible importante, souvent inaccessible autrement : le “grand public”, première victime des dérives de ces médias. Cette cible n’a pas forcément accès aux supports qui remettent en question la légitimité des discours diffusés, et peut ignorer jusqu’à l’existence même d’entités proposant une critique constructive des médias. N’oublions pas qu’il y a peu de temps encore les divers réseaux de l’esprit critique demeuraient relativement confidentiels. L’engouement actuel (par milliers) sur les réseaux du scepticisme est le résultat d’une forme de présence médiatique que nous jugeons bénéfique. Et cet engouement en lui-même nous semble tout à fait souhaitable.

Tel que d’autres lecteurs sont parvenus à le comprendre, votre texte est une récrimination à l’égard de figures médiatisées de façon récurrentes, et qui présenteraient une vision abâtardie, simplifiée, étriquée, de l’esprit critique. Cet esprit critique édulcoré, qui ne peut critiquer les médias car étant DANS les médias, pose très probablement problème. Mais votre texte ne semble offrir qu’une réaction possible : la déception, teintée d’une certaine hargne (ressentie sinon exprimée). Le texte ne semblant pas proposer d’alternative, nous nous demandons encore une fois : quel est son but ?

Enfin l’aspect politique est central dans ce texte et dans la démarche du CORTECS, mais il reste à prouver que cela doive être le cas du scepticisme en général. On pourrait arguer que la zététique en tant que didactique des sciences a pour noyau l’analyse du paranormal ou des pseudosciences. Cette discipline permet une évolution des représentations du champ social vers plus de rationalisme sans que tous les sceptiques se préoccupent forcément de cet objectif. Dans cette optique l’incursion d’un discours politique peut être jugée problématique car potentiellement contre-productive dans la diffusion de l’esprit critique vers des populations rétives à une approche politisée. Pourtant aucun d’entre nous n’imagine une seconde contester à quiconque la légitimité de porter ce combat. Nous sommes plus circonspects, encore une fois, quand votre collectif, figure importante et respectée, semble décréter que sa ligne est en quelque sorte « l’authentique scepticisme» et que les autres sont « aseptisés ».

Oui, en somme, et comme l’a confirmé la nécessité des éclaircissements transmis par Richard Monvoisin à Jérémy Royaux, aucun de nous n’a compris le but (ou les buts ?) de cet article. Nous craignons de ne pas être les seuls.

Et c’est bien cette crainte qui nous pousse à vous écrire aujourd’hui. Il est nécessaire que les sceptiques se critiquent. Ils doivent néanmoins s’assurer que leur critique est claire, et ne prête pas à des interprétations abusives. Les “sceptiques du scepticisme”, que beaucoup d’entre nous devons subir dans nos réseaux, vont très certainement instrumentaliser ce texte sans nuance pour nous jeter du “chien de garde du système” avec une délectation accrue par la possibilité de citer le CORTECS à l’appui de telles accusations. Il serait regrettable de ne pas tenir compte des écosystèmes dans lesquels d’autres que vous travaillent, et qui représentent leurs propres défis.

Votre intention n’était peut-être pas, nous en convenons, de critiquer les sceptiques qui ont une approche moins politisée que la vôtre, mais plutôt de cibler quelques figures médiatiques. Néanmoins vous savez aussi bien que nous qu’un article n’est pas qu’une affaire d’intention, mais également d’intelligibilité et de perception. Or cet article nous semble loin d’être transparent aux yeux des éventuels lecteurs potentiels.

Signatures : Jean-Michel Abrassart, Ariane Beldi, Sylvain Bissel des Chroniques Zététiques, Bunker D, Marc Doridant, Thomas Durand, Nichoax Pocus, Jérémy Royaux, Vled Tapas

Le pacte cérébelleux, réponse aux camarades

Nous avons pris bonne note, réfléchi, discuté, et co-écrit une réponse collégiale, postée le 19 février 2017 avec l’espoir qu’elle augure maintes réflexions critiques dans les chaumières – et nous gratifie d’autres courriers, d’accord avec nous ou non. Puisse tout ceci te permettre, ami.e lecteur.rice, d’usiner ta réflexion déjà bien aiguisée (méfie-toi, cette dernière phrase est une technique de flatterie). :

lire notre réponse

Bonjour à vous, consortium d’acteurs et d’actrices de l’esprit critique.

Merci de vos retours et de vos questionnements. Nous avons pris le temps pour répondre car notre collectif a pour fâcheuse habitude de travailler par consensus. Par conséquent, nous avons bossé à plus de 20 mains. C’est plus que Blanche-Neige, qui elle bossait seulement avec 7.

Nous ne voyons pas où serait le problème, comme vous dites, de se « lancer dans un débat », bien au contraire, surtout s’il est rationnel. Nous ne sommes par contre pas sûr.es de voir en quoi le fait de ne pas mentionner une cible réelle serait problématique en soi : ce que nous critiquons, c’est une certaine posture, une disposition vis-à-vis de la diffusion de l’esprit critique. Viser telle ou telle personne raterait doublement l’objectif : d’une part, cela confinerait à de l’ad hominem 1, or ce ne sont pas les personnes qui nous préoccupent, mais les comportements ; et d’autre part ces comportements ayant de réelles conséquences dans la vie publique et politique, il nous semble judicieux que toute la « communauté » sceptique, zététique, rationaliste, matérialiste, bright, peu importe l’épithète, s’empare de ces préoccupations. Nos critiques sont vectorielles, si vous nous passez l’expression, car étant toutes et tous à des implications diverses et au moyen de supports différents, elles visent un effet de direction. Pointer des gens en particulier, c’est possible – certains d’entre vous l’ont fait copieusement à propos d’Idriss Aberkane (épisode 362 du podcast Scepticisme scientifique, ou menace-théoriste en octobre 2016), ou dans un temps plus ancien sur Pierre Lagrange par exemple – mais malgré la justesse de ces critiques, cela nous a souvent laissé une impression de s’en prendre à la culotte du zouave, et non au colonialisme.

Vous avez été « heurté.es », et déplorez un « ton moqueur », « pouvant être perçu comme agressif ».

Nous ne savons pas trop quoi faire avec ça. C’est plutôt paradoxal parce que les affects n’auraient dû justement s’ébouriffer que si nous avions ciblé des individus, ce que volontairement nous n’avons pas fait. Loin de nous toutefois l’intention de développer des ressentis de ce genre, mais, que le lecteur en palpe le caractère corrosif, et le prenne de plein fouet, oui, c’était notre but.

Il faut dire que l’enjeu est de taille. L’un.e d’entre vous a par exemple cité le passage suivant :

« […] des petites carrières de pédagogues à la mode, sans aucun mordant, sans aucune velléité de réformer ou modifier un tant soit peu les barreaux de la cage, qui conspuent l’anti-darwinisme chez les élèves musulmans, mais ne raillent pas l’iniquité du contrat didactique tissé à l’école, ni la reproduction des classes sociales que celle-ci proroge, et encore moins l’imposture de certains médias qui font appel à elles/eux, ni le détournement du problème politique soulevé par les « djihadistes » en pur problème cognitivo-mental. »

N’oubliez pas que ce passage est précédé de « Nous n’avons pas envie de laisser l’autodéfense intellectuelle [ADI] à » ces types de carrières. Il s’agit donc d’un souhait qui ne nous semble pas déraisonnable, et que vous partagez probablement : nous avons du mal à imaginer quelqu’un.e qui souhaiterait que l’ADI soit bradée à des petites carrières de pédagogue à la mode, etc.

Au sujet du ton peu orthodoxe de cet article, il est spécifié dans sa catégorisation qu’il s’agit pas d’un matériel didactique, mais d’un article d’opinion. Ce n’est d’ailleurs pas le premier. Il ne faut donc pas s’attendre à un « standard scientifique » – à moins que l’on y décèle la présence d’assertions fausses (le cas échéant, merci de nous le signaler).

Puisqu’il faut rentrer dans le détail de votre courrier, faisons-le précisément si le mode par incises ne vous gêne pas. Nous en profiterons pour aborder les trois ou quatre points-clés de la discussion.

Vous écrivez :

« Le ressenti spontané de nombreux lecteurs a été celui d’un mépris de votre part envers les initiatives tournées vers les médias populaires. »

Un sentiment étant subjectif, il nous sera difficile d’argumenter dessus. Vous serez d’accord qu’invoquer « de nombreux lecteurs », sans chiffres, fasse un peu flop. Et quand bien même ces lecteurs seraient légion, l’ad populum ne serait pas loin.

Quant aux deux seuls médias explicitement cités, il s’agit de BFMTV et Le Point. Pourvu que ça ne résume pas ce que vous appelez des médias « populaires », terme pour le moins impropre. BFMTV est une filiale du groupe NextRadioTV, elle-même possédée par le groupe News participation dont l’actionnaire principal est André Weill, une des plus grandes fortunes de France. Le Point est une filiale du groupe Sebdo Le Point, elle-même possédée par le groupe Artemis dont l’actionnaire principal est François Pinault, une autre des plus grandes fortunes de France (voir cette infographie). On fait plus « populaire » ! Ce sont des médias qui sont des rouages de propagande bien connus, décrits comme tels depuis longtemps, et coutumiers de toute la panoplie des biais que vous et nous critiquons et d’un certain nombre d’arrangements avec la réalité, confinant parfois à la fraude (voir l’affaire Décugis en 2010, par exemple).

Donc nous ne citons pas de médias « populaires », par conséquent il ne risque pas d’y avoir de « mépris » envers eux dans notre texte.

Peut-être entendez-vous « populaire » au sens de « beaucoup lus ou vus » ? Pas de « mépris » a priori non plus envers ce type de média, ou envers leur lectorat ! Bon, il y a bien deux bémols : pour les presses quotidiennes régionales, qui nous fournissent tant de matériel critique sans le vouloir qu’on a du mal à les prendre au sérieux ; et pour les presses gratuites qui ne sont plus vraiment des presses, mais des publicités.

Répétons-nous si besoin : nous remettons en question le fait de se tourner spontanément et sans hésitation vers ce type de média pour diffuser l’esprit critique. Pas de mépris, donc, mais des doutes rationnels, qui ne semblent pas être vôtres.

Vous dîtes :

« Nous respectons bien évidemment les choix du CORTECS d’agir en dehors de ces médias et de trouver des manières alternatives de transmettre l’esprit critique. Nous sommes néanmoins préoccupés par l’image que votre billet donne, volontairement ou involontairement, de ne pas respecter les autres choix.

En effet, l’alternative est féconde, et nous pensons de notre côté qu’il faut encourager la diffusion des outils de la pensée critique, y compris auprès des médias qui font partie du problème. »

L’alternative est féconde quand il s’agit d’imaginer plusieurs hypothèses pour expliquer un phénomène. En revanche, c’est franchement inadapté dans le cas présent, puisque l’enjeu n’est pas de proposer une théorie alternative, mais d’atteindre un objectif de transformation sociale ou politique – car que peut avoir, in fine, comme autre objectif valable la diffusion de la pensée critique, sinon une transformation sociale vers la fameuse et hypothétique connaissance de cause ?

Attardons-nous une seconde sur ce point : qu’est-ce qu’apprendre à détecter des sophismes, des corrélations hasardeuses, des concepts creux, des mensonges pseudoscientifiques, si ce n’est pour une vertu sociale, ou citoyenne ? Enseigner la zététique sans velléité de transformation sociale, c’est comme chanter en silence, comme danser sans bouger, comme croire sans Dieu ou l’un de ses avatars. Beaucoup d’associations sceptiques revendiquent ce principe plutôt déontologiste, « de ne pas faire de politique », mais elles optent toutes pour des conférences publiques et des apparitions médiatiques : pourquoi sinon pour changer des opinions et faire de l’éducation populaire ? Au sens grec ancien, ça s’appelle de la politique.

Afin d’éviter tout écueil type effet paillasson sur le mot « politique », disons en première approche que par « politisé » nous entendons au minimum :

− qui se questionne ou est disposé à se questionner sur la dimension morale de ses actions (de toutes ses actions) ;

− qui possède une volonté d’agir pour transformer nos systèmes sociaux et politiques ;

− qui croit que l’état actuel de ces systèmes ne résultent pas d’un processus inexorable, d’un deus ex machina, mais résultent en partie de choix, qu’il aurait pu en être autrement et qu’il peut en être autrement (évidemment ce point est lié au précédent). Le scepticisme raisonnable moderne s’inscrit exactement dans cette visée.

Aussi, faire une transmission apolitique de la zététique, c’est un oxymore, pour ne pas dire un non-sens. Que ferait une association zététique vraiment apolitique ? Elle ferait de la pantoufle dans un entre-soi de salon, et se garderait par-dessus tout d’aller dans les médias.

Un peu plus en aval dans votre lettre vous mentionnez que

« […] l’incursion d’un discours politique peut être jugée problématique car potentiellement contre-productive dans la diffusion de l’esprit critique vers des populations rétives à une approche politisée. »

On pourrait retourner cet argument comme une chaussette : une zététique qui se dit apolitique pourrait être contre-productive dans la diffusion de l’esprit critique vers des populations avides d’approches politisées – qui sont aussi très présentes dans les classes populaires.

Mais de manière plus vaste, nous ne sommes pas les seul.es à politiser la question. D’autres le font, avec des moyens autrement plus importants que les nôtres, en affichant en outre une prétendue « neutralité ». Or, vous connaissez l’aphorisme de Howard Zinn : « on ne peut pas être neutre dans un train en marche ». Centrer l’apprentissage de l’esprit critique sur certains sujets, en en évitant d’autres est un choix non neutre. Y a-t-il besoin d’exemples ?

Nous sommes sollicité.es pour promouvoir l’esprit critique dans des formations pour les enseignants sur la laïcité : au programme, questionner le port du voile ou faire accepter les fameuses « valeurs de la République »… sans aucune injonction à toucher aux grosses entorses à la laïcité faites par nos institutions, à commencer par la Loi o 59-1557 dite Loi Debré, instaurant un financement étatique des établissements d’enseignement privés et confessionnels. Ou encore, enseigner ce qu’est une propagande au sens donné par Edward Bernaÿs, et l’appliquer sur Daesch et la Corée du Nord plutôt que dans la communication militaire de l’état français. Ce sont des choix politiques implicites. Nous, à l’opposé, nous assumons notre politisation, la rendons explicite, l’exposons, et la soumettons à critique rationnelle.

Nous pensons qu’une approche apolitisée de la zététique est un non-sens. Donc diffuser un esprit critique apolitique, ça ressemble un peu à certaines positions d’associations anti-sectes qui ne souhaitent pas toucher à Freud de peur de perdre leur public. Transmettre la zététique sans un programme progressiste de transformation sociale, ce serait transformer la zététique en hobby de bourgeois, en scepticisme mondain.

Tant mieux, que l’esprit critique soit diffusé dans des populations apolitiques, mais si tant est que le but soit de les rendre plus politisées, en clair plus actrices de leur propre monde.

Revenons maintenant sur cette vertu d’utilité publique, ou de bien social, ou de transformation politique, comme vous voudrez. Dans cette direction, tout ne se vaut malheureusement pas. Le raisonnement n’est pas différent de celui applicable en santé : toutes les thérapies auto-proclamées ne se valent pas pour améliorer la souffrance d’un patient.
En matière d’intervention dans les médias, un certain nombre d’auteurs ont démontré, dans une filiation allant de Nizan à Bourdieu, de Hermann à Finkelstein, qu’ici non plus tout ne se vaut pas.

Fort heureusement, dans les médias tout n’est pas à jeter ! C’est pourquoi il nous arrive, au bout d’un processus algorithmique des plus tortueux et nécessitant moult palabres internes, qu’on cède de ci ou de là : France Inter, France Culture, RFI, ou le Monde comme c’était le cas il y a quelques jours… 2

Néanmoins, présenter qu’il est pertinent de diffuser les outils de la pensée critique tous azimuts sans regard sur le média, montre une ignorance assez forte, qui ne peut pas être vôtre, de la sphère médiatique, et surtout nécessite des preuves. Le problème, c’est qu’afin de constituer ces preuves, il va falloir s’entendre sur ce qu’il est entendu par « pertinent ». Or c’est là que le bât blesse : nous ne sommes, par exemple, pas du tout convaincu.es que le plus pertinent soit de « saupoudrer sur une masse de gens importante », qui plus est par le truchement d’un média corrodé, scénarisant les discours, faisant des coupes. À la rigueur pourriez-vous rétorquer que faire la prétention inverse (il n’est pas pertinent de…) requiert, elle aussi, des preuves, mais ce serait faire fi de la charge de la preuve, qui immanquablement revient à celui qui produit l’énoncé sur le monde, non pas à nous qui en doutons. Autrement dit, c’est aux sceptiques qui pensent qu’utiliser les médias sans distinction de Féminin Psycho au Dauphiné Libéré, d’On est pas couché au Figaro Magazine, est pertinente pour la diffusion de l’esprit critique (et donc la transformation sociale émancipatrice), d’en apporter la preuve. Et ils/elles partent avec un handicap : car écrire dans Le Point par exemple, sert d’abord Le Point avant de servir le propos. Un média a pour objectif de se vendre. Si on lui propose des informations qui scient la branche sur laquelle lui ou ses annonceurs reposent, il n’y a aucune chance qu’il les accepte (pensez à Lazarus sur France 2, ou les films de Pierre Carles, entre autres). Si Gérald Bronner mettait en danger Le Point avec ses chroniques, Le Point aurait tôt fait de mettre un terme à sa pige. Or Le Point vit très bien les chroniques de Gérald. Et toute la soupe économiquement orthodoxe au bouillon réactionnaire gorgé de valeurs conservatrices que déverse ce « journal de milliardaire » peut s’enorgueillir d’un petit croûton à l’ail d’esprit critique, aussi goûtu soit ce croûton. Il est même probable que les chroniques bien tournées de Gérald amènent du lectorat au Point, ce qui serait quand même un comble.

Vous écrivez que nous souhaitons « condamner d’emblée les efforts de ceux qui s’impliquent sur ce terrain » ? Que nenni ! Ça sent un peu l’épouvantail. Ce n’est ni une condamnation, ni « d’emblée », ni des gens.

Mais les implications en question témoignent soit d’une forte ignorance des processus médiatiques ; soit d’un idéalisme angélique que même les théologiens envieraient ; soit de la simple et compréhensible envie d’être reconnu par son boulanger et d’enorgueillir sa maman. Il ne s’agit pas d’un faux trilemme ! À moins que… à moins que la démonstration soit faite qu’une présence bien souvent cantonnée au « gadget » dans un média « populaire », comme vous dites, ait un effet pérenne en matière de pensée critique chez les récipiendaires. Là, c’est comme en santé :on ne peut pas se cantonner à mesurer l’effet satisfaisant d’une intervention. Il s’agit plutôt de mesurer le rapport bénéfice – risque. Et nous rencontrons des publics qui en ont ras la casquette de se faire expliquer qu’ils ne pensent pas comme il faut (conspirations, laïcité, « radicalisation », médecines dites alternatives) mais à qui on rétorque que leurs critiques – souvent rationnelles – envers un système qui les opprime, hé bien, c’est autre chose, voyons, allez circulez y a rien à voir. Ces gens risquent de jeter le bébé (la démarche sceptique en général) avec l’eau du bain (une démarche sceptique ciblée uniquement sur leurs croyances et leurs pratiques).

Merci en tout cas de nous préciser, malgré l’ad populum discret, que vous êtes

« beaucoup à avoir conclu, après de longs échanges, que telle n’était pas [n]otre intention »

C’est gentil, mais dites-nous : de quelle intention s’agissait-il ? S’il s’agit de jalouser des passages médiatiques, ça ne risque pas – on a déjà donné !

S’il s’agit de nuire à quelqu’un.e non plus. S’il s’agit de mettre la pression sur la communauté sceptique pour qu’elle hisse ses critères d’analyse médiatique, alors oui.

S’il s’agit de stresser un peu les candidat.es au rôle de fast thinker médiatique, alors deux fois youpi !

S’il s’agit de dire que le costume de sceptique revêtu en public implique un devoir de constance critique (constance au sens psychologique), alors trois fois hourra !

En attendant, vous « compren[ez] que [n]otre approche du scepticisme soit politisée, et nous respectons votre choix en la matière » : mais il ne s’agit pas d’un choix. La démarche de diffusion du scepticisme est politisée.

Le registre change un peu ici :

« […] nous pensons que vous devriez aussi respecter les autres démarches »

Il serait étonnant que notre billet nuise bien fort à d’autres démarches. Nous ne sabotons pas les passages médiatiques, ne polluons pas les Youtube, ne commentons rien sur Facebook et pour cause (voir à ce sujet Pour les facebookiens, youtubers, twittors et gmaileux – Entrevue avec Thomas vO) et n’empruntons pas à l’Internationale pâtissière ses tartes à la crème pour faire des entartages. Faut-il pour autant « respecter » une démarche qui semble aller à l’encontre du but escompté ? Cet argument du respect, bizarrement, est exactement homologue des arguments des médecines dites alternatives, des nouveaux mouvements religieux, etc. Nous respectons les acteurs et actrices qui se mouillent, mais déplorons le peu de regard sur une machinerie qui se joue souvent d’elles.eux. Comme aurait dit Bernard de Clairvaux un soir de déprime, l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Vous écrivez que

« depuis l’origine du mouvement sceptique, certains ont principalement étudié le paranormal (Houdini par ex.), d’autres critiqués la religion (comme Richard Dawkins), d’autres encore se sont investis dans les débats politiques (à la Chomsky). Il n’y a pas là un bon choix versus des mauvais choix, uniquement des manières différentes de pratiquer la zététique. »

Qu’il y ait différents objets sur lesquels appliquer l’esprit critique (paranormal, religion, pratiques sociales ou politiques, etc.) et qu’il y ait différentes manières de l’appliquer – on peut par exemple critiquer la religion sur ses assertions factuelles ou sur ses assertions morales – est quelque chose que personne chez nous ne songe à remettre en cause. C’est presque un truisme.

En revanche, nous pensons qu’une fois le pavois moral choisi (par exemple, diminuer la souffrance et maximiser le bien-être du plus grand nombre, option type conséquentialiste, dans le sillage ramifié d’un Bentham par exemple, comme certains d’entre vous l’ont traité dans de récents podcasts), tous les moyens utilisés pour diffuser l’esprit critique ne se valent pas – mais nous avons déjà traité ce point plus haut. De surcroît, on remarque que bien souvent les critiques épargnent des sujets avec lesquels les zététicien.nes ont des liens d’intérêt : pensez au peu de crédit qui est donné aux critiques des croyances sur les médias type Google, Facebook, Youtube et sur les questions de propriété intellectuelle ; pensez au peu de présence zététicienne sur les questions de genre, sur les questions de naturalisme/essentialisme, sur les questions d’éthique animale, sur les questions de propagande de guerre, sur le système carcéral, sur le concept de déradicalisation, sur les politiques de santé publique, sur l’indépendance des professionnels de santé vis-à-vis de l’industrie, sur l’économie orthodoxe, et tant d’autres.

Bien entendu, c’est là l’objet d’une discussion à part entière. Nous nous ferons un plaisir d’y revenir si besoin est.

Surtout, ceci : il n’y a pas différentes méthodes d’application de la zététique ! Il n’y a que des sujets différents. L’heuristique elle est la même, et la rigueur doit être maximale. Le tout est de reconnaître qu’on reste dans un champ et dire pourquoi on en sort, de peur d’être incompétent, et non de peur de mouiller la chemise ou de déplaire au public qui nous écoute. Mais, et c’est ce que font certain.es qui méritent bien nos critiques, si quelqu’un.e se présente nationalement comme zététicien.ne professionnel.le, ou comme champion.ne de la pensée critique, et sans le dire cantonne sa critique à des sujets particuliers en occultant sciemment des pans entiers de réflexion, il y a usurpation ! Nous préférons mille fois des membres d’associations qui disent « nous nous cantonnons au paranormal » en regrettant de ne pas se pencher plus avant sur d’autres sujets plus prégnants par manque de temps, d’énergie, etc. – et Broch en fait partie ! Bien qu’il n’ait par contre jamais nié son engagement de transformation sociale d’extrême-gauche – que des personnages qui font leur capital médiatique sur cette pensée critique, mais ne l’appliquent plus sur des énoncés plus graves, possiblement par incompétence (dans ce cas ils usurpent vraiment leur statut d’incarnation de l’esprit critique), plus probablement de peur de heurter de plein fouet les structures de domination dont ils profitent, ou afin de ne pas mordre la main qui les nourrit (ou les flatte) : dans ce cas, ils.elles sont consciemment ou non rouages du système, nervis.es du pouvoir.

Un exemple : nous savons au CorteX que la critique de l’économie orthodoxe est primordiale. Seulement, nous ne sommes pas expert.es. Aussi reconnaissons-nous que nous péchons par incompétence, et qu’il faudrait dans l’absolu y remédier vue la souffrance générale créée par le modèle économique actuel, qui dépasse largement la souffrance générée par l’ésotérisme ou les médecines dites alternatives.

« Tel que beaucoup ont pu comprendre (et ont compris) votre article, vous semblez rejeter toute participation sceptique aux médias que nous critiquons, en raison d’une supposée validation de ces médias que provoquerait la présence des sceptiques sur leurs ondes. (La présence de Mendax sur Meta TV vaut-elle validation de ce média par la Tronche en Biais ?) Si la question peut être posée, on ne peut y répondre aussi rapidement et encore moins avec une posture aussi marquée. »

Encore une fois, il serait profitable à tous de nous citer précisément. Ici, vous nous servez une généralisation abusive (« toute participation ») et un effet cigogne (« en raison d’une supposée ») alors que justement, nous ne rejetons aucune participation dans les médias a priori et nous soupesons chacun de nos choix, selon des critères que nous avons longuement discutés ensemble (et qu’on appelle entre nous notre « algorithme média »). Nous disons en substance : « Car si nous acceptons de parler dans un média qui bourre le mou de son lecteur ou de son spectateur depuis des années, nous lui donnons une caution évidente, dont il saura se targuer quand des critiques fuseront. » La participation d’un.e sceptique à un média constitue une caution, minime, mais réelle, à ce média. D’ailleurs, aucun média ne finance des piges ou des propos qui vont à l’encontre de leur ligne. Autrement dit, en tant que penseur.se critique, si nous acceptons de parler dans ce média-ci, c’est qu’il nous apparaît comme fréquentable, qu’il a suffisamment de bons côtés. Au moins pour des penseurs.ses critiques, la question qui gouverne ces choix doit être la suivante : « La caution que je vais apporter à ce média moisi va-t-elle être contrebalancée par l’effet de mon intervention ? ». Or comme nous l’avons exposé précédemment, la question de l’efficacité de l’intervention n’est pas du tout évidente… les aspects problématiques de bon nombre de médias, eux, par contre, sont évidents. Donc si vous êtes à tendance conséquentialiste, ce qui est assez probable, le choix est souvent assez vite fait.

Pour vous montrer à quel point il n’y a pas grand chose de postural dans notre position : même le média « enseignemental », central dans notre travail, est discuté chez nous. En prison par exemple, le leitmotiv est le suivant : dans quelle mesure faire des cours d’esprit critique en prison légitime une structure de purgation de peine qui est mortifère ? Durant six ans, nous avons pensé que cela valait la peine. En 2017, avec le nouveau plan de lutte anti-terrorisme, il nous est quasiment demandé de fliquer les détenu.es radicalisé.es. Le ratio n’est plus bon. Nous allons nous retirer, en expliquant publiquement pourquoi (voir note supra).

Alors, vous autres camarades et collègues : y a-t-il un comportement de Youtube qui vous ferait un jour quitter la plate-forme ?

Y a-t-il un point qui ferait que vous déclineriez un plateau télé ?

Sans critère de démarcation, une unilatéralisation médiatique est un scénario incontradictible. Comme dans une théorie auto-immune. Comme dans la tombe de Popper. Comme si « évangéliser le grand public » quelle que soit la forme était « bien » en soi. Auquel cas, cela ressemblerait aux postures humanitaristes classiques, fortement déontologistes.

En attendant, pour répondre prosaïquement, oui Mendax sur MétaTV est une caution (non pas dans le sens où Mendax doive cautionner tous ce qui est dit sur MétaTV en général, mais au sens où MétaTV peut se prévaloir de l’avoir invité), Jean-Michel Abrassart dans un magazine « féminin » aussi, Richard Monvoisin sur RFI aussi, Albin Guillaud sur Scepticisme scientifique également, mais bien moins à déplorer que, par exemple, un.e rationaliste qui irait écrire dans Valeurs actuelles ou Le Point : si vraiment la critique filtrait chez les lecteurs du Point, alors il y a fort à parier que les lecteurs… arrêteraient de lire le Point ! Donc si Le Point y trouve son compte, la démonstration est faite. Idem pour un.e sceptique qui irait sur BFMTV. D’ailleurs, regardons ensemble l’argument suivant : c’est probablement plus grave d’aller dans un média décérébrant que dans un média d’opinion assumée comme la presse d’extrême-droite National hebdo. Bizarrement, aucun.e des sceptiques au nom desquels vous parlez n’y va, à notre connaissance. Nous non plus d’ailleurs, à là différence près que nous avons questionné ce choix, de la même manière que celui d’aller dans les autres médias. Et maintenant vous connaissez notre algorithme 3. Mais le vôtre ne nous est pas connu.

Si « tout est bon », pourquoi n’allez-vous pas dans les médias nationalistes ? Et pourquoi, si « zététique apolitique » était vraie, certain.es d’entre vous en veulent à Bricmont de ne pas regarder dans quel média il s’exprime ? N’y-a-t-il pas là contradiction ?

« Les médias ne sont pas univoques, et des auteurs d’un même journal peuvent donner différents sons de cloche. On peut certes craindre un effet de halo, mais la remise en cause de la fiabilité des médias n’en est pas moins rendue visible par les productions critiques alors publiées. Savoir quel effet prédomine n’est pas clair. »

Nous sommes a priori d’accord avec le début (même si nous n’avons pas bien compris la fin de la deuxième phrase).

« Soulignons de plus que l’intrusion de l’esprit critique dans ces médias grand public (qui nous posent problème par ailleurs) permet de toucher une cible importante, souvent inaccessible autrement : le “grand public”, première victime des dérives de ces médias. »

C’est toujours la même antienne.

Notre problème réside dans « toucher une cible importante ». Une personne ayant à cœur la diffusion de l’esprit critique dans une perspective de transformation sociale doit-elle souhaiter qu’un maximum de monde soit « touché » par une intervention critique éructée par un.e sceptique qui doit crier plus fort que les autres ? « touché » par un « savant » qui se voit contraint de se mettre une plume dans un orifice en gloussant entre Miss France et un chroniqueur célèbre ? Ou « touché » par un discours tronqué, coupé quand trop technique, transformant l’outil très abrasif qu’est le rasoir d’Occam en un gadget incompréhensible du type « l’explication simple est toujours la bonne » ? Ou « touché » par une critique d’une thérapie alternative, mais en épargnant l’héritage freudien qui permettra telle une hydre de refaire renaître autant de nouvelles thérapies du même genre ?

Il y a une part d’angélisme dans cette posture qu’au fond, on envierait presque. À ce que nous voyons, les interventions média grand public des zététicien.nes dont vous portez la parole ne sont pas choisies sur un ratio morceaux-d’outils-critiques-transposables-à-telle-heure-devant-tel-public-mangeant-des-cacahuètes-après-le-boulot versus déformation-du-propos-occasionnée-par-le-montage, le cadre et la scénarisation entourant l’intervention, etc.

Baaah, nous ne faisons que radoter. Ces points ont déjà été abordés entre autres dans « Le débat immobile, ou L’argumentation dans le débat médiatique sur les « parasciences » » de Marianne Doury aux éditions Kimé. C’était il y a maintenant 20 ans. Sans doute est-ce trop peu lu.

« N’oublions pas qu’il y a peu de temps encore les divers réseaux de l’esprit critique demeuraient relativement confidentiels. L’engouement actuel (par milliers) sur les réseaux du scepticisme est le résultat d’une forme de présence médiatique que nous jugeons bénéfique. Et cet engouement en lui-même nous semble tout à fait souhaitable. »

Voilà factuellement l’angélisme, humanitariste. D’abord, votre effet cigogne : comment savoir si l’engouement est dû à un effet de seuil dans la population, aux interventions médiatiques, aux enseignements, etc. ? Car, pardon de le rappeler, il y a un faux dilemme à éventer : soit on va dans les médias, soit on prive le grand public de l’esprit critique. C’est le dilemme devant lequel nous avons été mis par la journaliste du Point, d’ailleurs. Il y a pourtant d’autres moyens de diffuser nos outils, dans des cadres qui permettent un meilleur rapport bénéfice risque, par exemple créer des enseignements au long cours.

D’ailleurs, n’êtes-vous pas étonnés de cet engouement ? N’êtes-vous pas étonnés de la prolifération de youtubers, à la qualité parfois vraiment discutable ? Quels sont les critères que vous transmettriez pour discriminer un.e bon.e youtubeu.r.euse zététicien.ne d’un.e mauvais.e ? S’il n’y en a pas, alors on rejoint les chasseurs du Bouchonnois.

Et cet engouement vous paraît souhaitable ? Quel type d’engouement ? Si c’est une pensée critique qui amène les citoyen.nes à trouver des sophismes chez leurs dirigeants, ou leur donne des degrés de libertés en plus, pas de problème. Si c’est une version critique édulcorée, sans dent, sans main, sans rien d’autre que le statut social que l’on peut prendre en discutant très tard de la mémoire de l’eau, mais en quittant la discussion par exemple quand il s’agit de discuter des plafonds de verre des femmes, et des rouages qui font que la majorité des gens se tournant vers la zététique semblent être des hommes, blancs, hétéro, CSP moyenne aisée… alors oui, cela revient à brader la démarche.

On espère que vous ne revendiquez pas l’évangélisation d’une armée de zététicien.nes de surface, cantonné.es à des sujets précis et souvent inoffensifs, avec quelques héraults médiatiques épatant la galerie. Nous, nous voulons former des penseurs.ses critiques sans fard, sans œillères, sans limite sinon des limites assumées, en déclarant par ex. « oui, en tant que penseur critique, je devrais être pointu sur la science officielle qu’est devenue l’économie libérale / la psychanalyse / la pseudo-histoire, mais je n’ai pas eu le temps de m’y pencher. Cependant, c’est un défaut de mon organisation ou de mes goûts, et non une frontière légitime dans l’utilisation de mon cerveau critique qui se doit d’être constante ». Ce genre de réponse serait vraiment géniale. Nous en connaissons quelqu’un.es qui la font et l’assument. C’est une sorte de pacte cérébelleux.

« Tel que d’autres lecteurs sont parvenus à le comprendre, votre texte est une récrimination à l’égard de figures médiatisées de façon récurrentes, et qui présenteraient une vision abâtardie, simplifiée, étriquée, de l’esprit critique. Cet esprit critique édulcoré, qui ne peut critiquer les médias car étant DANS les médias, pose très probablement problème. Mais votre texte ne semble offrir qu’une réaction possible : la déception, teintée d’une certaine hargne (ressentie sinon exprimée). Le texte ne semblant pas proposer d’alternative, nous nous demandons encore une fois : quel est son but ? »

Si ce texte nous a permis de pointer cet embourgeoisement « topique », le premier but est atteint. Nous avons un certain nombre de courriers qui nous en remercient – mais le nombre n’est pas un argument.

S’il nous a permis également d’exprimer que le scepticisme scientifique est une posture qu’on ne peut revêtir facilement, le deuxième but est également atteint. Que le scepticisme et le matérialisme méthodologique soit une posture permanente et non un hobby « pépère » ; et que ceux qui s’octroient du pouvoir aient cette cohérence intellectuelle et la rigueur maximale. CorteX ou pas CorteX, peu importe, il s’agit de hisser le niveau général. De fournir un standard de rigueur et de cohérence intellectuelle. Nous faisons avec notre milieu sceptique la même chose que dans le monde des thérapies manuelles, par exemple : mettre un standard élevé, sous peine de voir la discipline galvaudée. Un certain nombre d’entre vous remplissent d’ailleurs en grande partie ces exigences. Et nous ne proposons pas d’alternatives ? Bien sûr que si : les cours, en amphi, en classe. Les conférences. Les formations pédagogiques de profs. L’auto-hébergement de ressources. La mise en ligne de séquences pédagogiques. La participation aux podcasts qui tiennent sévèrement la route comme Scepticisme scientifique ainsi que nos contributions financières pour soutenir nombre de projets sceptiques de tout type. La publication dans des revues scientifiques libres et dans des maisons d’édition qui ne soient pas des majors. Le financement participatif de films et de documentaires, de webradio, etc.

Il y en a un paquet.

Dans notre démarche, nous sommes loin d’être des modèles : Bertrand Russell est bien plus solide que nous, de même qu’en vrac à différents niveaux des Baillargeon, Lecointre, Bricmont, Chomsky, Zinn, Sand, Dawkins, Nasreen, Bourdieu, Accardo, Gardner, et plus anciens comme Fanon, Rostand, Diderot… et tellement d’autres ! Le bouquin de Charbonnat « Histoire des matérialismes » chez Matériologiques regorge de personnages de ce genre, bien plus proches de ce que nous appelons de nos vœux que nous-mêmes.

« Les “sceptiques du scepticisme”, que beaucoup d’entre nous devons subir dans nos réseaux, vont très certainement instrumentaliser ce texte sans nuance pour nous jeter du “chien de garde du système” avec une délectation accrue par la possibilité de citer le CORTECS à l’appui de telles accusations. Il serait regrettable de ne pas tenir compte des écosystèmes dans lesquels d’autres que vous travaillent, et qui représentent leurs propres défis. »

Les nuances, c’est comme le Dieu de Laplace : cela n’est pas nécessaire ici. L’argument des nuances est un grand classique, par exemple, des curés envers les athées, des Intelligent designers envers les évolutionnistes ! C’est une sorte de sous-ensemble de l’argument du pluralisme démocratique discuté plus haut.

Toute cette inquiétude est réflexive : sommes-nous des chiens de garde du système ? Sommes-nous des « danseuses », des « bouffons » à l’université ou dans l’éducation nationale ? Pour le savoir, il faut essayer de se doter de critères rationnels, et solliciter des regards extérieurs. Nous avons pensé réunir un panel de personnes peu complaisantes qui pourraient nous dire « stop, là, les couleuvres que vous avalez sont trop grosses pour laisser votre scepticisme indemne ». De votre côté, sans critère de ce genre, vous prenez le risque d’être confit.es dans une position relativiste, sans critère de réfutabilité à vos stratégies médiatiques. Et c’est là qu’on devient un.e chien.ne de garde. Alors partageons nos réflexions et nos critères, hissons-nous mutuellement vers le haut.

Quant au risque d’instrumentalisation de notre texte par les sceptiques du scepticisme dans les « écosystèmes » sceptiques francophones, il ne nous inquiète pas vraiment. Les sceptiques du scepticisme sont souvent soit des relativistes cognitifs, soit des croyant.es (avec acte de foi), donc leurs attaques sont fragiles et supportent mal la panoplie atropopaïque des rasoirs d’Occam, critère de Popper, etc. Et il est des « écosystèmes » bien plus difficiles. Car méditons quand même ceci : vous qui semblez défendre une zététique apolitique, comment expliquer qu’en se déplaçant dans des « écosystèmes » un peu plus lointains, chez Basava Premanand ou chez Narendra Dabolkar, ou quelques kilomètres plus loin, chez Avijit Roy, Washiqur Raman ou Ananta Bijoy Das, ou quelques kilomètres plus près comme Raïf Badawi, comment expliquer que le contenu « apolitique » que vous produisez ici vous vaudrait au mieux les fers, au pire l’éventration ailleurs ? Revendiquer une zététique non politisée, comment cela serait-il possible quand déjouer des illusions ou appliquer le pacte cérebelleux vous fait tuer à la machette à quelques milliers de kilomètres ? Si vous y croyez vraiment, alors par pitié ne faites plus de vidéos ou de podcasts ! Car il est des contrées où le simple fait de les utiliser fait prendre le risque d’une rafale de plomb.

Avec toute notre sympathie pour la plupart de vos initiatives, avec doute rationnel pour certaines, et avec l’espoir que toute la communauté sceptique reconnaisse et se saisisse des aspects politiques de la diffusion de la pensée critique.

L’équipe du CorteX


Pour compléter cette réponse, voici le lien vers l’interview de Richard Monvoisin réalisée en octobre 2015 par Jérémy Royaux et Jean-Michel Abrassart pour le balado Scepticisme Scientifique, interview dans laquelle sont abordés plusieurs sujets en rapport direct avec la discussion entamée ci-dessus :

(notamment à partir de 25′)

Rapport ostéopathie crânienne – réponses aux réactions

Voici une compilation des réactions au rapport produit pour le Conseil national des masso-kinésithérapeutes sur l’ostéopathie crânienne. Nous mettrons l’article à jour au fur et à mesure des réceptions ; la dernière mise à jour date du 19 février 2017 (voir en toute fin de page).

Il y a différents types de questions (ou d’invectives, mais nous les prenons pour des questions) et remarques.

1. Les questions épistémologiques

(…)  Lors des commissions ministérielles dès 2002, j’avais prôné le fait que l’osteo soit reconnue à l’identique des psychologues cliniciens ; c’est-à-dire que cela ne peut être du domaine des sciences dures, et la nécessité de créer nos propres outils. En effet si les uns travaillent avec le verbe, nous en plus, c’est avec le toucher et les mains qui « parlent et écoutent ». Difficile de l’évaluer ! (…)  J.L., février 2016

Que chaque discipline ait des outils d’évaluation un tantinet différents selon les objets étudiés est évident. Si on considère la science comme une activité de production de connaissances « communisables » sur le monde (cf. notre dialogue  La science (complet) – Base d’entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science) alors il n’existe plus de dichotomie sciences dures / sciences molles : il n’est que des champs de connaissances plus ou moins solides. Enfin, les méthodes de gynécologie par exemple sont des méthodes éprouvées, reposant sur le toucher, et faisant partie des méthodes reposant sur les faits. Si l’on récuse l’évaluation des méthodes ostéopathiques, cela signifie que le choix de chaque thérapeute sera subjectif – auquel cas, ce n’est plus un statut de scientificité qui est recherché, mais celui d’un art. Peu probable que quelqu’un cherchant un soin souhaite avoir affaire à (seulement) un artiste.

« C’est l’éternel débat entre empirisme et positivisme ,au demeurant fort intéressant car l’un contribue à faire progresser l’autre ». J.L., février 2016

Nous allons être pointilleux sur les termes philosophiques, puisqu’il s’agit de l’un de nos violons d’Ingres. Que l’empirisme nourrisse la connaissance, certes, moyennant recoupement et reproduction de cet empirisme. On « sent » que quelque chose marche, on n’est pas très sûr, alors on le soumet à ses pairs, qui valident objectivement ou récusent la méthode. Lorsque l’empirisme est répété sans examen collectif, on appelle ça une tradition, voire une superstition.

Quant au positivisme, ce mot est ambigu dans votre phrase. Si vous faites appel au programme positiviste d’Auguste Comte, il  n’est évidemment pas le nôtre. Sur ce que ce terme sous-tend, voici une excellente lecture de J. Bricmont dans la revue DOGMA, Comment peut-on être  » positiviste  » ?

(…)  et comment s’il vous plaît, pourrions-nous reproduire un acte qui par nature est relationnel c’est-à-dire qui engage l’entièreté de deux personnes (corps, mental et être) ? (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

La description du coït est très bien décrite scientifiquement, n’est-ce pas ? 🙂 Nous prenons cet exemple à dessein : on peut souhaiter une part de mystère dans l’acte charnel si on le veut, c’est un choix subjectif. Mais si quelqu’un souhaite une efficacité à l’acte (pour ce qui est du plaisir, ou de la fécondation, ou autre) la part de mystère n’a guère sa place.

Toute la psychologie sociale, les sciences politiques, s’élaborent sur des théories basées sur les faits. Si un acte ostéopathique a une validité en soi, une « efficacité propre » (à bien dissocier pour la discussion de l’efficacité globale qui comprend les effets contextuels ; voir sur ce point la conférence de N. Pinsault) alors elle doit pouvoir être reproduite. Ce débat a déjà eu lieu en sciences biologiques, et même en sciences médicales, il y a plus de cinq siècles, pourquoi le reprendre ici ?

Mais, s’il vous plaît, retournons les choses : ce travail montre effectivement que l’ostéopathie crânienne (mais aussi je pense, l’ostéopathie en général) ne parvient pas à s’inscrire dans le cadre scientifique que l’on voudrait lui imposer. Mais il montre surtout que le cadre scientifique qu’on voudrait lui imposer ne lui convient tout simplement pas ! Et du coup, ce travail considérable (merci de l’avoir fait à notre place) montre qu’utiliser un outil inadéquat pour analyser quelque chose donne des résultats fantaisistes. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Nous supposons, à tort peut être, que vous faites une erreur classique sur le plan épistémologique. De tout temps, lorsqu’une hypothèse n’était pas corroborée par les faits, les défenseurs de celle-ci ont toujours résolu leur dissonance cognitive en incriminant les critères de scientificité. Pourtant ces critères, qui s’agrémentent avec le temps, ne sont pas pris en défaut, tandis que le cimetière des hypothèses rejetées est lui plein à craquer. Si la science était un simple jeu, assisterions-nous stoïquement à la renégociation des règles du football par une équipe de 5ème division étrillée au dernier match ? Que nous nous fassions bien comprendre : que les ostéopathes crâniens viennent avec tout ce qu’ils ont comme prémisse de phénomène, tentent de caractériser celui-ci pour que de manière inter-subjective on en fasse l’étude, et là on verra s’il faut de nouveaux critères de scientificité. En attendant, sans plus d’éléments que ce que nous avons trouvé, il n’y a pas de raison de donner du crédit aux techniques (nous disons bien aux techniques, pas au soin global, plus complexe) ostéopathiques crâniennes. Si nous en donnions, il faudrait en donner aux magnétiseurs, aux révérends prédicateurs évangéliques, qui eux non plus n’ont pas de corpus de preuve – et eux aussi, contestent les critères de scientificité. De ce fait, votre profession deviendrait une pratique ésotérique, et vous n’auriez guère à y gagner.

« Et le grand tort des ostéopathes est d’avoir cherché (pour des raisons de reconnaissance) à s’inscrire dans un cadre ne leur convenant pas au lieu de faire le nécessaire pour se doter des outils épistémologiques adaptés à leur approche. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Nous sommes navrés de vous contredire. Tout notre rapport montre que justement, les ostéopathes crâniens n’ont semble-t-il pas souvent souhaité s’inscrire dans le cadre de la recherche scientifique, même à prémisse empirique (sur ce point voir plus haut, courrier de J.L). La preuve en est la somme d’études indigentes sur le plan méthodologique.

C’est que même si les preuves ne sont pas apportées à la satisfaction des critères « scientifiques » exigés, l’ostéopathie crânienne a, de toute évidence, aidé et continue d’aider des millions de personnes de par le monde. Cela est un fait. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Certes. Ne s’agit-il pas d’un sophisme du pragmatisme ?

En tous les cas la question change : que des personnes soient aidées par les soins de l’ostéopathie crânienne, c’est très probable. Il en est qui sont aidés par les religions, d’autres par la détestation d’une autre caste, race, culte, tribu, région, et tant d’autres versions de se faire du bien. La question est de savoir s’ils sont aidés :

1) parce que vous êtes très agréable humainement ?

2) parce qu’ils parlent d’eux pendant la consultation ?

3) parce que vous avez un fort argumentaire d’autorité ?

4) parce que la méthode est efficace en propre ? 

5) etc. ou la somme de tout cela ? Nous ne pouvons que vous renvoyer à la conférence de N. Pinsault sur le sujet, ou dans l’ouvrage « tout ce que… » sur la différence entre efficacité globale et efficacité propre.

Je ne vois pas pourquoi elle continuerait d’exister si elle n’était pas utile ! (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Sans vouloir vous déprimer, il est beaucoup de choses qui remplissent une fonction, sans pour autant avoir d’efficacité propre – la religiosité en est une (et on sait étude à l’appui que l’efficacité des prières d’intercession est nulle).

Le fait qu’elle ne puisse le « prouver » selon certains critères très précis ne suffit pas à prétendre qu’elle est inutile. Et je m’attriste toujours devant l’incapacité à accepter qu’une pratique puisse être efficace et utile bien qu’elle échappe aux moyens d’investigation d’un système. Et si c’étaient le moyen d’investigation et les critères retenus qui devaient être remis en cause, plutôt que la technique ? (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Une fois encore nous n’avons jamais prétendu l’inutilité de la discipline puisque l’utilité présente des caractères bien plus vaste que l’efficacité. L’utilité peut-être sociale par exemple, mais c’est un autre débat que nous n’auront pas ici.

Nous attendons toutes propositions, que ce soit sur un phénomène isolé, un « effet », une « efficacité », ou même sur de nouveaux critères d’évaluation. Nous saurons faire amende honorable le cas échéant.

L’absence de preuve scientifique concernant l’efficacité de la pratique n’est pas une nouveauté en soi. Ce fait est connu et c’est pourquoi des études sont toujours en cours pour essayer de démontrer un effet et une indication de ce type de thérapie (Raithet al, 2016, Haleret al, 2015, Elden et al, 2013) avec des protocoles plus ou moins bien bordés. Les résultats sont mitigés en fonction des études mais certains semblent montrer un effet intéressant ainsi qu’une absence d’effets secondaires gênants. Actuellement, il n’y a que 2 articles relevés par les auteurs qui montrent un résultat intéressant sur les cervicalgies et le syndrome douloureux pelvien gravidique. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Concernant les études de Haller et al et de Elden et al, comme vous l’avez lu dans notre rapport nous ne partageons pas votre interprétation. Nous écrivions :

« Les deux preuves méthodologiquement valables que nous avons trouvées présentent de modestes résultats qui, pour diverses raisons que nous avons évoquées, peuvent raisonnablement s’interpréter en terme d’efficacité non spécifique des traitements. »

Bien sûr, cette interprétation est longuement argumentée dans notre rapport et ne tombe pas du ciel.

Pour l’étude de Raith et al nous n’avons rien exprimé et pour cause ! Cette publication est postérieure à notre revue de littérature.

Ce rapport est référencé à partir d’articles pour leur grande majorité « vieux » de 20 et 100 ans (Seulement 14,5% des ouvrages cités et 23% des articles tirés de revues scientifiques ont moins de 5 ans) Comment déduire des conclusions scientifiques crédibles avec une telle bibliographie ? C’est vraiment dommage de ne pas considérer la littérature récente qui remet en cause le MRP pour se faire un avis au sujet de l’ostéopathie crânienne ! (Ostéopathes Plus)

Pour information, l’ancienneté d’un travail expérimental ne permet en rien de juger de sa valeur. Dans l’histoire de la médecine par exemple, il existe des essais cliniques anciens qui ont fait date. C’est par exemple le cas du tout premier essai contrôlé randomisé en double aveugle sur la streptomycine dans le cadre de la tuberculose à la fin des années 1940 [Streptomycin in Tuberculosis Trials Committee, « Streptomycin treatment of pulmonary tuberculosis. A Medical Research Council investigation, Br Med J,  v.2(4582),‎ pp. 769–82 ]. On trouve aussi moult études récentes à la méthodologie défaillante. C’est malheureusement la règle en ostéopathie crânienne. Mais s’il existe des études récentes et méthodologiquement rigoureuses qui nous ont échappé, rien ne vous empêche de nous les faire parvenir, bien au contraire ! Contrairement à beaucoup d’interlocuteurs plus ou moins amènes dans ce débat, nous ne serions pas gênés de changer d’avis. Si ces études n’existent pas, alors, vous ne pouvez en tenir rigueur qu’aux acteurs/actrices du champ de l’ostéopathie crânienne de ne pas avoir réalisé plus d’expérimentations rigoureuses ces dernières années. Pas à nous.

2. Les questions de procès d’intention

(…) C’est bien que ce rapport soit fait, il a aussi ses limites dans la mesure où il fait preuve de scientisme (…) J.L., février 2016

Le scientisme ne fait pas partie de notre programme intellectuel. Nous ne souhaitons pas, comme écrivait Renan, « organiser scientifiquement l’humanité », juste évaluer la validité, la reproductibilité et l’inter-subjectivité d’un corpus scientifique. Nous pourrions faire la même chose sur une théorie sociale, une théorie politique, une théorie physique ou mathématique (dans la limite de nos compétences additionnées).

[sur la biodynamie] (…) Là, on sent que les auteurs se sont vraiment fait plaisir ! On sent qu’ils font un très gros effort pour masquer leur bienveillance vis-à-vis du concept. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Nous avons une posture neutre sur le plan philosophique, c’est-à-dire une suspension de jugement, comme les sceptiques Grecs anciens, qui se résume ainsi : donnez-nous de bonne raison de penser ce que vous pensez, et on le pensera aussi. En attendant, les affirmations sans preuves peuvent être réfutées sans preuves (voir à ce sujet nos articles Rasoir d’Occam, etc).

Et pour conclure, la méthode ne présente finalement « aucune efficacité prouvée » (p. 244). Chapeau bas, Messieurs Dames, voilà du travail de pro ! Il a dû prendre beaucoup de temps, coûter beaucoup d’investissement personnel et sans doute financier.(…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

C’est effectivement du travail de pro. Il a pris de nombreux mois, à plusieurs (comptons entre 600 et 800 heures), il a effectivement coûté beaucoup d’investissement personnel, et sur le plan financier nous ne souhaitons pas nous substituer au CNOMK pour vous répondre : sachez seulement qu’on est bien loin d’un SMIC horaire.

« Je suppose que, sous couvert d’objectivité, le but était dès le départ de démontrer que l’ostéopathie crânienne, c’est de la foutaise. L’objectif est atteint. » (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Convenons que nous sortons là d’un débat scientifique. Il suffit juste de savoir que si l’ostéopathie crânienne avait des bribes de validité, nous l’aurions écrit de la même façon. Que le résultat vous déplaise, c’est en faire une affaire personnelle. Nous, nous faisons de ce rapport une chose publique, qu’il vous appartient de prendre en défaut.

« N’étant pas prescripteurs de recommandations, nous nous sommes limités à une analyse impartiale… » Impartiale ? Il semble que ce mot n’ai pas pour les rédacteurs le même sens que pour le dictionnaire… Ce qui est écrit ci-dessus à propos de la biodynamique est en contradiction flagrante avec une telle affirmation. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Dire que la Terre n’est pas plate, qu’il n’y a pas d’ether et que le complot Illuminati est une vue de l’esprit serait aussi partial ? Méfions-nous de l’effet bi-standard. Nous ne voyons pas où serait la partialité dans ce paragraphe cité.

Nous ne savons pas vraiment comment et pourquoi ça fonctionne, mais ça fonctionne !

Alors montrons-le. Montrez-le, c’est votre métier, cela devrait rendre les choses plus faciles.

Refuser cette évidence revient à se moquer des millions de gens qui ont été aidés par cette technique et qui, Dieu merci, le seront encore demain.

Vous usez ici d’une technique de l’épouvantail. C’est dommage.

Elle revient à prendre tous les patients pour des « gogos extatiques » pour reprendre les mots outrageants de J-M Abgrall dans son livre Les charlatans de la santé.

Même technique. Nous n’avions aucun lien avec J-M. Abgrall – non qu’on ne le souhaite pas. Nous connaissons ses livres. Le ton n’y est effectivement pas le nôtre.

Quel manque de respect pour les patients que de les considérer comme de gogos incapables de juger ce qui est bon pour eux ! (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

C’est de votre plume. Nous n’avons pas écrit ce genre de chose.

Quelle suffisance, quel mépris d’autrui de la part de gens se prétendant thérapeutes ! Cette incapacité à observer et à accepter l’évidence, même lorsqu’on ne peut pas l’expliquer est une maladie mentale grave et hélas, incurable.  (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Gagez que là, la teneur de la discussion ne permet plus le questionnement collectif. C’est dommage.

Ici, c’est Alain Andrieux sur www.enfantsdestill.com qui nous éreinte dans

Ceux qui se cachent derrière un tel acronyme, sans doute mûrement réfléchi,

Vous semblez prompt à juger nos intentions, nous ne nous risquerions pas à en faire de même pour les vôtres. Pourtant nous ne nous cachons de rien, l’ensemble du processus est transparent, nos écrits signés, nos liens d’intérêt déclarés, nos photos disponibles et nos contacts faciles d’accès.

[…]
ne pouvaient avoir qu’une seule intention : passer pour des gens
intelligents voire supérieurement intelligents. Des gens qui ne
plaisantent pas avec la science, enfin, leur façon d’envisager la
science. Des gens qui… chez ces gens-là Monsieur on ne sort pas de la
doxa même si celle-ci est extrêmement rhumatisante et en très mauvais
état pour défiler de façon convaincante au moins sur le fait qu’on sait
marcher. (Alain Andrieux)

Doxa, gens intelligents… Nous avons
fait le travail demandé, avec des canons scientifiques que nous n’avons
pas inventés, et qui ne tombent pas du ciel. Ce n’est pas parce que les
résultats qu’ils donnent ne vont pas dans le sens de ce que vous pensez
qu’il faut jeter la démarche scientifique critique.

Des gens qui ont consacré deux cent quatre-vingt-six pages
à la compilation de tous les textes possibles et imaginables pour
tenter de détruire un pan de la pratique ostéopathique auquel ils n’ont
pas accès, car vous pouvez en être certains aucun praticien digne de ce
nom n’a participé à ce travail de démolition, car chez ces gens là
Monsieur on bave, mais on ne pratique pas. (Alain Andrieux)

Heureusement que nous ne sommes pas faciles à vexer. Baver sur 286
pages, c’est long, il ne suffit à vous lire que de quelques lignes. Par
ailleurs vous faites erreur, il y a trois praticiens sur quatre qui ont
rédigé ce rapport. Ne faisons pas d’erreur d’attribution : ce n’est pas
nous qui détruisons un édifice, c’est plutôt vos collègues qui ne l’ont
pas construits. Alors construisez-le, et notre rapport sera changé. Et
comme vous semblez féru de citations de Jacques Brel, vous ne
découvrirez certainement pas celle-ci : dès qu’il y a des gens qui
bougent, les immobiles disent qu’ils fuient.

Et bien ce bref moment d’humeur ne m’entrainera pas vers
la rédaction d’une seule page pour dénoncer une telle médiocrité aussi
besogneuse soit-elle. Bon courage aux kinésithérapeutes qui vivent sous la protection
d’un tel ordre qui, comme d’autres ordres, montre à quel point la zone
des ouïes ( figurées parait-il par le sphénoïde ! ) a été terriblement
comprimée. – mais le choc vint de la contemplation d’un crâne de la
collection de Still et de l’analogie qu’il fît entre la forme de l’os
sphénoïde et celle des ouïes de poissons, «
indiquant une mobilité pour un mécanisme respiratoire- ».(cortes.org) (Alain Andrieux)

Pourriez-vous mettre la bonne adresse s’il vous plait ?

Pour ces gens-là, pour ce groupe-là, même pas capables de
reproduire une citation correctement, l’intention d’apparaître comme
une personnification de l’intelligence et de la raison est débusquée
mais pour ce qui est du but à atteindre, il est totalement raté. Nous
attendons avec impatience d’autres productions du Cortecs sûrement
toutes porteuses de cette ouverture d’esprit qui va jusqu’à créer des
courants d’air dans cette production mal cortiquée. (Alain Andrieux)

Là, nous ne savons pas quoi dire. Il n’y a rien d’autre dans l’article.

Le site Osteopathes Plus, quant à lui, tente de déverser du poison dans l’eau du puits à notre sujet :

Le rapport CORTECS n’a aucune légitimité et objectivité scientifique vu qu’il a été demandé par le CNOMK pour évaluer l’ostéopathie crânienne et réalisé sous la direction de son vice-président Mr Vaillant.
Mr Vaillant, personne très influente, est également directeur de L’IFMK
de Grenoble où il encadre une équipe pédagogique constituée entre autre
des auteurs du rapport CORTECS. Peut-on parler de conflit d’intérêts ?

Ostéopathes Plus adjoint à ces quelques lignes un schéma intitulé « Le rapport « indépendant » du CORTECS commandé par le CNOMK est-il réellement dénué de conflits d’intérêts ? ».

L’article et le schéma, malgré leur brièveté, regorgent d’erreurs que nous énumérons ci-dessous :

– le rapport n’a pas été réalisé sous la direction de M.Vaillant ;

– seul un des quatre auteur.e.s, Nicolas Pinsault, faisait partie de
l’équipe pédagogique de l’IFMK de Grenoble en tant que cadre de santé au
moment de la rédaction du rapport. Son traitement est administré par le
CHU Grenoble-Alpes et provenait d’une enveloppe du Conseil Régional
(comme pour toutes les formations sanitaires et sociales) ;

– Richard Monvoisin n’est actuellement pas chargé de cours à l’IFMK
de Grenoble (il a seulement fait quelques heures de cours entre 2009 et
2012) ;

– les deux autres auteur.e.s (Nelly Darbois et Albin Guillaud)
enseignent ponctuellement à l’IFMK de Grenoble en tant que vacataire
(moins de 10 heures par an) sur des thèmes sans lien avec l’ostéopathie ;

– les auteur.e.s n’ont reçu aucune rétribution financière à titre
individuel pour la rédaction du rapport par le CORTECS ou le CNOMK.
L’argent versé par le CNOMK au CORTECS permet à cette structure de
financer des bourses d’étudiant.e.s et du matériel pédagogique, en
l’occurrence des livres critiques, prêtés gratuitement à toute personne
qui en fait la demande.

Quant au qualificatif de « personne très influente » adossé à la
personne de M. Vaillant, nous ne comprenons pas à quoi il renvoie.

Le terme de conflit d’intérêt est utilisé à deux reprises par
Ostéopathes Plus. Il est utile de rappeler qu’une rétribution financière
pour un travail rendu n’entraîne pas nécessairement un conflit
d’intérêt, comme cela est questionné par Ostéopathes Plus. Dans le cas
qui nous intéresse, il pourrait y avoir conflit d’intérêt si les
conclusions du rapport allaient dans un sens qui servait les intérêts du
CNOMK, du CORTECS ou des auteur.e.s. Quels seraient donc ces intérêts ?
Dans l’article et d’Ostéopathes PLUS il n’est nullement expliqué en
quoi les liens d’intérêt des auteur.e.s, déclarés de manière
transparente à la fois sur le site du CORTECS et sur celui de l’ordre,
seraient sources de conflit d’intérêts.

En résumé, Ostéopathes Plus ne donne aucun argument pour justifier en
quoi le fait que le CNOMK soit le commanditaire de notre rapport
entraverait notre légitimité, et plus encore notre objectivité
scientifique à travailler sur l’ostéopathie crânienne.

Et pour la petite histoire, c’est parce que Vaillant, directeur,
connaît bien la qualité du travail du CORTECS qu’il a suggéré au CNOMK
de le contacter pour des rapports scientifiques. Il faut en outre savoir
que ce rapport a entraîné des débats au sein du CNOMK lui-même, de même
qu’au CORTECS quand le CNOMK a émis ses avis

Avec une phrase comme « Peut-on parler de conflit d’intérêts ? », il
est facile d’instiller du doute gratuit et fallacieux. Nous pourrions
répondre par « Peut-on diffamer tranquillement chez Ostéopathes
Plus ? », mais nous préférons renvoyer ses auteurs aux leçons des grands
classiques, comme Francis Bacon dansDe la dignité et de l’accroissement des sciences (1623), livre VIII, chapitre II  : « Va ! calomnie hardiment, il en reste toujours quelque chose (audacter calumniare, semper aliquid haeret).

À aucun moment les auteurs n’ont eu envie de remettre en cause leur jugement bien dommage pour des « scientifiques ». (Ostéopathes Plus)

Cette affirmation est assez gratuite. Ne serait-ce pas tout
simplement parce que la conclusion ne va pas dans le sens que vous
auriez souhaité ? Rappelez-vous : nous n’avons aucun problème à changer
d’avis preuves à l’appui. Et vous ? Changerez-vous d’avis en l’absence
de preuve ?

Le Cnomk se contente de l’avis de mk opposés à
l’ostéopathie (Richard Monvoisin, Nicolas Pinsault
« La kinésithérapie piégée par les mages »
http://www.monde-diplomatique.fr/2015/12/MONVOISIN/54379. (Ostéopathes Plus)

− Précisions d’abord que l’un des auteurs n’est pas kiné, ni même professionnel de santé ;

− il n’y est pas question de l’ostéopathie dans son ensemble ;

− s’il y a des raisons d’être rétifs à certaines de ses branches,
c’est que les professionnels de celles-ci n’ont pas fait le travail
requis ; ce n’est pas une critique a priori, et encore moins une
querelle de chapelle – même si c’est, cela se comprend, plus facile pour
vous de scénariser de cette façon.

− Vous conviendrez que l’article que vous citez est publié dans un
journal dont la portée est bien plus politique que scientifique ou
technique. Or si nous pensons qu’il n’y a pas de raisons a priori de
s’opposer à des pratiques thérapeutiques comme celles de l’ostéopathie,
nous sommes en revanche opposé à un modèle de politique de santé non
redistributif et au saccage permanent des acquis sociaux de 1946. Si
l’ostéopathie est mentionnée dans cet article, c’est parce qu’elle offre
un exemple de l’évolution des politiques que nous dénonçons.

Karine Krzeptowski est une des premières a avoir réagi à la sortie du rapport :

Ce rapport ne peut être considéré par l’Ordre et par les
pouvoirs publics car il y a faute grossière de procédure dans le choix
du profil de ses auteurs, (tous kinésithérapeutes connus pour leur
position négative à l’égard de l’ostéopathie). (Karine Krzeptowski sur
le Site de l’Ostéopathie)

Il y a là une erreur et une confusion. Tout d’abord, seulement 3 des 4
auteur.e.s sont diplômés en kinésithérapie. Il vous revient d’expliquer
en quoi la formation initiale de ces auteurs constitue un critère
douteux quant au choix de leur confier une tâche d’évaluation
scientifique de l’ostéopathie crânienne. Ensuite, vous confondez
« position négative » et scepticisme. Ce dernier est consubstantiel de
la démarche scientifique et implique un doute préalable à toute
investigation. Nous n’avions pas de position de départ morale ou
affective sur le sujet, et quand bien même, une démarche méthodique
s’abstrait des préalables subjectifs lorsqu’elle est bien menée. Ce
n’est pas parce que les conclusions ne vont pas dans le sens que vous
souhaitez qu’il faut déligitimer artificiellement les compétences des
auteurs.

Quand on est à la recherche de preuve d’efficacité ou de
justification d’un concept, il faut s’adresser aux personnes directement
concernées, ici les ostéopathes et non aux détracteurs. (Karine
Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

L’efficacité d’une technique ou la validité scientifique d’un concept
n’est pas une affaire de personnes mais de données expérimentales. Nous
nous sommes tournés vers les auteurs, ostéopathes ou non,
« détracteurs » ou non, qui ont contribué à la connaissance sur le
sujet.

De surcroît, le mot détracteur n’est pas très heureux : s’il y a des
détracteurs, c’est qu’il y a des promoteurs. Nous ne nous inscrivons pas
dans ce débat : que nous soyons détracteurs ou promoteurs de la
gravitation, elle fonctionne, quel que soit notre avis. Que nous soyons
détracteurs ou promoteurs des humeurs d’Hippocrate, elles n’existent
pas. La connaissance scientifique s’abstrait du point de vue personnel.

Ce rapport ne peut être retenu et présenté décemment aux
pouvoirs publics car il y a conflit d’intérêt dans le choix même des
auteurs. (Karine Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

Voir notre réponse aux rédacteurs du site Ostéopathe Plus dans la présente section, ci-dessus.

Les auteurs eux-mêmes auraient dû refuser cette mission
qui ne leur revenait pas, ils terminent la conclusion de leur rapport
CORTECS : « Avec le soutien du CNOMK, nous avons accepté de faire le
travail laborieux qui revenait logiquement aux prétendants. De fait,
alors que nous pensions qu’il n’y avait pas a priori de raison
scientifique de défendre cette discipline, désormais nous le savons. »
Cette
phrase dans les conclusions en dit long ! Ils partaient d’un a priori
négatif et ne trouvaient pas logique eux-mêmes que cette tâche leur fut
demandée à eux plutôt qu’aux ostéopathes ! (Karine Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

Peut-être devons-nous insister sur ce qui est pourtant une évidence :
le travail scientifique est une remise en question permanente de ce
qu’on croit acquis. La posture de départ est « méfiante », sceptique. Au
fond, vous faites la même chose : si nous affirmons guérir le cancer
par massage du cou, vous serez sceptique au premier abord. La charge de
la preuve incombe d’ailleurs à celui qui prétend. Donc en tout état de
cause, c’était aux ostéopathes de démontrer leur théorie, mais ils ne
l’ont pas fait. On a demandé à des sceptiques (non détracteurs, donc) de
regarder de près, pour voir si quelque chose tenait tout de même. Si la
conclusion vous déplaît, refaites nos recherches, ou produisez de
nouvelles données. Alors seulement, s’il y a lieu, nous changerons nos
conclusions.

Je pose la question au CORTECS : Pourquoi avoir accepté
cette mission si d’emblée elle n’était pas honnête sur le plan éthique ?
Ceci est une première erreur qui fausse votre approche et vous vous
targuez d’avoir l’esprit scientifique ! (Karine Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

Votre question est un plurium interrogationum. En nous
sollicitant pour y répondre, vous posez comme prémisse que la mission du
CORTECS concernant l’ostéopathie crânienne n’était pas « éthique » (ou
décente, comme vous l’avez glissé plus tôt) S’il vous plaît, essayez de
juger de notre esprit scientifique à la méthode que nous avons utilisée.
Ne laissez pas la colère de votre lien d’intérêt avec le sujet chercher
à s’évacuer par des vindictes gratuites.

L’Ordre finance des rapports mal ciblés dès le départ. De
manière pragmatique, Si l’Ordre des MKDE souhaite encore dans l’avenir
s’éclairer sur le thème de l’ostéopathie, ne serait-il pas plus sain
d’instauré au sein de l’Ordre un conseil représentant des MKDE-D.O. qui
pourrait dès lors œuvrer positivement lorsqu’il s’agit de faire
comprendre les spécificités et l’actualisation des compétences de leur
métier d’ostéopathe ? (Karine Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

Il ne faut pas confondre démarche de communication (« œuvrer
positivement ») et démarche d’évaluation scientifique. Mais si vous
substituez la communication à la science, ce seront les meilleurs
lobbies qui imposeront leurs vues, et c’en sera fini de la science. Un
lobby de la Société de la Terre Plate pourrait imposer ses vues à tous les géologues. Nous pensons que ce n’est pas souhaitable.

3. Les questions méthodologiques

Malheureusement, ce ne sont pas là les seules sources sur
le concept. Il manque l’ouvrage de Nicette Sergueef , sans parler de
celui d’A Croibier sur le diagnostic général ostéopathique (qui reste un
livre important pour étudier en partie le fonctionnement du
raisonnement ostéopathique) aux éditions Masson ou un ouvrage de
référence de T Liem aux éditions Maloine. Il faut noter que certains
ouvrages apparaissent sur le site de l’ostéopathie en fouillant les
articles sur les ouvrages ou avec des termes comme « crâne », « crânienne »,
« crânien ». (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Nous vous encourageons à lire ou relire en détail la méthodologie
suivie dans cette partie du rapport pour comprendre pourquoi ces
références n’apparaissent pas. En effet, nous avons relevé uniquement
les concepts élaborés par le fondateur et les continuateurs de
l’ostéopathie crânienne, identifiés dans la partie précédente du
rapport ; Nicette Sergueeg, A Croibier et T Lien ne font pas partie de
ces personnes. Ce choix méthodologique, qui a ses limites, permet de
rendre notre méthode reproductible et incrémentale. Nous ne travaillons
plus directement sur ce sujet, mais rien n’empêche qu’une autre équipe
aille plus loin en exploitant d’éventuels points aveugles de notre
méthodologie..

Je suis étonné que, les auteurs du rapport ayant
l’occasion d’échanger avec des ostéopathes (c’est noté dans les
remerciements), ces sources n’aient pas été évoquées. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Elles n’ont effectivement pas été suggérées par les différentes
personnes contactées – mais il est difficile de leur en tenir grief. Il
est probable qu’autant de contacts, autant de sources possibles. Cela
corrobore notre impression que si le « feuillage » de l’ostéopathie
crânienne est partout, il est assez difficile de bien distinguer un
tronc solide.

De même, puisqu’utilisant un moteur de recherche
généraliste qui est probablement google (on peut le supposer étant donné
que google scholar est cité plus tard dans le rapport), les auteurs
auraient pu utiliser google books où toutes les références citées plus
haut ressortaient.(Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Détrompez-vous : ces références ne ressortent pas si l’on suit de
manière précise la méthodologie décrite dans le rapport, qui cherchait à
identifier les sources bibliographiques du fondateur et des
continuateurs (voir supra). Maintenant, rien ne vous empêche de changer
de méthodologie et de refaire le travail.

Poussons un peu plus loin et soyons indulgents sur le
fait qu’ils ne connaissent pas les ouvrages d’ostéopathie en dehors des
éditions Sully (car n’étant pas du métier).(Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Merci de votre indulgence – au sens canonique, l’indulgence est une rémission de la peine encourue du fait d’un péché. Ouf !

Vous faites assurément un effet paillasson en mélangeant « ne connaissent pas » et « ne jugent pas majeurs selon la méthodologie employée »

Et comme vous pouvez le constater vous-même les ostéopathes avec
lesquels nous avons échangé semblent eux non plus soit ne pas connaître,
soit ne pas juger majeurs les ouvrages que vous évoquez. Pensez-vous
réellement qu’il suffit d’« être du métier » pour connaître tous les
ouvrages pertinents en rapport avec ce métier ? Appliquer cela à de
nombreux métiers, de boulanger à prêtre, de cordonnier à prostitué,
suffit à en douter.

Ils préviennent que ce sera succinct, sauf que même en
suivant leur méthode, il y a une part du concept plus récente (basée la
tenségrité) qui n’est pas prise en compte comme l’ouvrage de Gilles
Boudéhen qui fait partie du catalogue des éditions Sully. Alors comment
ont-ils vraiment fait leur recherche bibliographique?  (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Si vous lisez le rapport, vous saurez comment notre recherche
méthodologique a été faite. Il vous appartient de l’améliorer si vous le
jugez nécessaire. A toutes fins utiles, vous pouvez agglomérer toutes
les études qui vous paraissent manquer et contacter le Conseil national
de l’ordre ici
pour pousser plus loin notre rapport. Mais la question reste celle-ci :
ces « nouvelles » publications vont-elles infléchir les conclusions de
notre rapport ? Croyez bien que si nous le redoutons par pur péché
d’orgueil, nous le souhaitons à l’ostéopathie crânienne – et c’est ça
qui compte.

Celle-ci est vraiment limitée, comment juger
objectivement de l’aspect scientifique d’un concept en étudiant la
partie qui n’a pas été mise à jour au niveau des connaissances
scientifiques actuelles? (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

L’ostéopathie crânienne n’est pas un concept mais un champ (une
« sphère » disait Sutherland) recouvrant plusieurs concepts (MRP,
membrane de tension réciproque, etc.) S’il est toujours possible que
nous soyons passés à côté d’un concept particulier – encore faut-il nous
le montrer – en quoi cela remet-il en question le reste de notre
analyse ? Vous savez, la connaissance fonctionne par parcimonie des
hypothèses depuis Aristote, puis William d’Occam. Il s’agit d’essayer de
comprendre au moyen du moins grand nombre d’entités possibles une gamme
de faits. Le problème majeur de votre discipline, l’ostéopathie
crânienne, c’est qu’elle prend des concepts un peu flous, pour nimber de
mystère une gamme de faits que personne n’a réellement objectivé. Avant
de faire des châteaux de sable en Espagne, aurait dit R. Mianajbaro,
penseur du XIXe siècle, vérifions d’abord qu’il y a bien du sable. Et
Fontenelle l’a très bien décrit ici .

Au sujet de la tenségrité, non seulement ça n’est pas un concept
spécifique à l’ostéopathie crânienne mais encore moins à l’ostéopathie
tout court. C’est une notion d’abord architecturale (créée par
Buckminster Fuller), puis importée en biologie avec une définition
relativement précise puis, devenant concept nomade, a été adapté à de
nombreuses sauces (dont celles des héritiers du mystique Carlos
Castaneda, qui en firent un agglomérat de prétendus exercices
spiritualistes et magiques sinon toltèques, au moins venus des pratiques
des natives américains.). Encore une fois, si l’on suit notre méthode
scrupuleusement décrite, il est normal que ce concept n’apparaisse pas
puisqu’il n’a pas été émis par un des fondateur et continuateurs
identifiés.

D’autre part, nous nous interrogeons sur la pertinence d’évaluer a
posteriori ce concept puisque vous dites vous-même dans la conclusion de
votre article :

Le concept étudié est amputé de sa partie la plus récente
basée sur d’autres principes que le MRP. J’ai cependant quelques
réserves sur ce nouveau concept qui ne fait pas davantage preuve de sa
véracité dans le cadre de l’ostéopathie crânienne que l’ancien concept. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

(…) Cette erreur rédactionnelle met aussi en évidence
qu’il est sans arrêt question de manipulation crânienne sans jamais que
soit défini ce terme. C’est embêtant d’évaluer l’ostéopathie dans le
champ crânien sans définir le geste que ça implique. Si on fait une
recherche dans le document avec les termes « manipulation crânienne »,
jamais le terme n’est associé à une quelconque définition. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Le principe juridique de l’onus probandi s’applique
aussi et surtout en science : la charge de la preuve incombe à celui
qui prétend. Il est difficile de nous en vouloir de ne pas avoir défini
la « manipulation crânienne » alors que Sutherland lui-même n’a pas pris
soin de le faire de manière claire. Cela ressemble aux discussions
sceptiques vs. théologiens : des théologiens reprochent souvent aux
sceptiques de critiquer la notion de Dieu sans le définir. Mais
lorsqu’il s’agit de prendre l’avis des théologiens sur ce qu’est Dieu,
personne n’est d’accord. Finalement, de quoi parle-t-on ?
D’ailleurs,
dans les textes identifiés se rapportant à l’ostéopathie crânienne,
 « manipulation crânienne » n’est jamais présentée comme un concept
central. Il y a comme qui dirait un bug dans l’épistémologie de votre
discipline.

[Concernant la partie Fondement physiopathologique de l’ostéopathie crânienne]La
méthodologie est décrite et semble avoir essuyé quelques écueils. Il
semble que ces difficultés ne leur aient pas permis de faire une revue
de littérature dans les « règles de l’art ». (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Nous avons tenu précisément le propos suivant : « Nous avons
rencontré des difficultés pour mener, dans les « règles de l’art », une
revue de littérature systématique compte-tenu principalement : […] », et
les raisons sont listées pages 58 et 59. En fait, l’expression « règle
de l’art » est mal choisie car contrairement à d’autres disciplines, ,
il n’existe à notre connaissance pas de « règle de l’art » pour réaliser
une revue systématique de littérature sur des concepts
physiopathologiques, surtout issues d’une littérature essentiellement
non-indexée ! Ce qui montre que bien plus urgent que la critique de la
méthodologie que nous avons prise, serait de faire de la littérature
scientifique indexée ! En gros, faire de la recherche d’objectivation.
C’est ce qui aurait dû être fait depuis plus d’un siècle. Par
conséquent, vous pourriez tout aussi bien dire que ce que nous avons
réalisé est une première et ajouter « bravo au CORTECS d’avoir essayé de
démêler l’écheveau d’une discipline éparpillée et peu scrupuleuse sur
la méthode expérimentale, et d’avoir construit un bon socle
méthodologique (probablement améliorable) à quiconque souhaiterait
entreprendre un travail similaire » N’est-ce pas ?

Sachant qu’un certain nombre d’ouvrages de référence dont
nous avons parlés précédemment ne seront pas cités davantage dans cette
partie, il va donc manquer un pan entier des modèles
physiopathologiques. Néanmoins, concernant les modèles étudiés, il est
évident que leurs conclusions sont valides: (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Rappelons-nous : avant de multiplier les modèles, il faut des faits.
C’est un des critères de pseudoscientificité que de faire des modèles
sans fait caractérisé (il y a même des modèles de physiologie des
« vivants dans l’au-delà », à la suite des EVP de Konstantin Raudive).
Si malgré tout vous estimez qu’émerge ou ont émergé des concepts
spécifiques à la sphère crânienne que nous n’aurions pas traité,
n’hésitez pas à nous transmettre les références des études
expérimentales qui les soutiennent. Et si vraiment vous argumentez que
ces concepts ont leur place dans l’historique de l’ostéopathie
crânienne, vous pouvez en faire une synthèse et la rendre publique (car
un des critères scientifiques de la connaissance est la connaissance
partagée). Nous pourrions ainsi la publier dans un addendum du rapport
grâce à vous.

[Sur la fiabilité et la validité des tests ostéopathiques
employés dans le champ crânien] Cette analyse repose sur l’utilisation
d’une grille d’analyse QUAREL (qui en fait s’écrit correctement QAREL).
C’est un outil d’une bonne qualité (Lucas et al, 2013)pour évaluer la
reproductibilité de certains tests dans un contexte de revue
systématique. Il a cependant quelques limites surtout quand le test en
question n’a pas de moyen d’évaluation fiable disponible (une sorte de
gold standard). Les Items 9 et 10 sont notamment source de biais pour
cet outil où les questions sont subjectives. Ces limites sont soulevées
par les auteurs qui pointent notamment :

  • L’absence d’un gold standard,
  • Pour évaluer la constance de la mesure dans le temps, il manque la preuve du MRP et de mesures fiables.
  • L’absence d’interprétation des résultats par les évaluateurs (pour savoir si le test a été fait correctement).

En conséquence, les auteurs font un questionnaire simplifié
mélangé à celui du groupe Cochrane (risk of bias tool). Ils procèdent à
l’ajout d’un item crée pour l’occasion. Ce choix peut être discutable
dans le sens où le mélange et la modification de questionnaires valides
ne créent pas forcément un outil exempt de biais. Néanmoins, en
l’absence d’outils standardisés pour la situation en question, cet outil
permet une première approche.

Mais pour faire simple :

  • Un risque de biais est quasiment jugé élevé à chaque fois car le
    contenu d’un item est non décrit dans l’article (souvent les deux
    derniers items).
  • Les scores de corrélation ICC inter-observateurs sont en général
    assez faibles signant un manque de reproductibilité des tests
    ostéopathiques.
  • Les scores ICC intra-observateurs peuvent être parfois élevés en revanche avec un risque de biais non négligeable.

En résumé, l’analyse faite pour cette partie est intéressante
mais l’outil employé pour l’analyse des biais est discutable du fait de
ses modifications par rapport à l’outil validé et de l’attribution d’un
biais élevé systématique par manque de description du protocole. Les
scores ICC parlent d’eux-mêmes, et sans analyser le biais, la
reproductibilité est de toute façon faible. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Permettez-nous de récapituler le premier argument de ce paragraphe
(que nous étoffons d’une prémisse glanée dans le troisième paragraphe de
cette partie « La fiabilité et la validité des tests ostéopathiques
employés dans le champ crânien » ; nous intitulerons cette dernière
« prémisse (1) »). Si nous vous comprenons bien, cela donne la chaîne
logique suivante :

Prémisse (1) – « […] le mélange et la modification de questionnaires valides ne créent pas forcément un outil exempt de biais. »

Prémisse (2) – L’outil utilisé pour l’analyse des biais des études de
reproductibilité a été modifié par rapport à l’outil validé ; 

Prémisse (3) – Il a été attribué un risque de biais élevé systématique par manque de description du protocole ; 

DONC

Conclusion – L’outil pour l’analyse des biais des études de reproductibilité est discutable.

Discutons d’abord de la prémisse (1). Nous sommes d’accord avec vous.
Comme vous le faites vous-même remarquer dans le texte à la suite de
cette prémisse : « Néanmoins, en l’absence d’outils standardisés pour la
situation en question, cet outil permet une première approche. ». C’est
ce que nous nous sommes dit lors de la création de l’outil.

Abordons maintenant la prémisse (2). Comme vous l’avez vous-même
pointé (voir prémisse (1)), notre outil compile deux outils existants
(QAREL et Cochrane risk of bias tool). Ce n’est donc pas qu’une simple
modification d’un outil particulier comme vous le dites ici. Nous
fondrons donc cette prémisse avec la prémisse (1) dans la suite de
l’analyse.

Considérons enfin la prémisse (3). Cette prémisse n’est vrai que pour
un item sur sept (l’item n°6). Pour tous les autres items, quand le
protocole était insuffisamment décrit, nous avons attribué une
incertitude sur le risque de biais. Autrement dit, la prémisse (3) de
votre propos est fausse pour 6 items sur 7. Nous avons développé
largement l’argumentaire de la création de l’outil qui s’étale pour
mémoire de la page 155 à la page 159 du rapport.

Examinons enfin la conclusion de votre argument et tentons de voir
dans quelle mesure les prémisses la justifie. Vous dites que notre choix
méthodologique est discutable. Certes, mais tout choix méthodologique
étant discutable per se, donc ce propos est trivial et il vous
appartient d’en choisir un autre. Outre la trivialité de cette critique,
il pourrait y avoir quelque chose d’intéressant à en tirer tout de
même, moyennant de par exemple (a) pointer le type de biais émergeant de
l’application de l’outil ; (b) expliquer comment tel ou tel type de
biais influence ou modifie les résultats ; (c) faire des suggestions qui
permettraient soit d’améliorer l’outil en question pour éviter ou
diminuer ces biais, soit de le remplacer par un autre outil existant
plus adapté qui ne serait pas venu à notre connaissance. Sinon, cette
phrase ne sert à rien.

Quant à la prémisse 3, elle est fausse dans 6 cas sur 7. Pour l’item
6, nous avons justifié notre choix méthodologique page 159 du
rapport que nous citons à nouveau ici :

« À propos de l’item 6 « Est-il prévu un dispositif pour empêcher les
évaluateurs d’avoir accès à des indices additionnels sur les sujets
(tatouage, taille, genre, etc.) et qui ne faisaient pas partie du test ?
» : étant donnée l’importance que prend le dispositif nécessaire à sa
réalisation (voir par exemple l’étude d’Halma et al. de 2008) nous
considérerons qu’une absence d’information au sujet de cet item équivaut
à l’absence de dispositif, c’est-à-dire à un risque de biais élevé. En
toute honnêteté, ce choix pourrait être fait pour d’autres items.
Seulement celui-ci nous apparaît très particulier car le dispositif
nécessaire, sur le plan logistique, est tellement important que nous
pressentons peu crédible le fait qu’aucun mot n’en soit dit dans la
publication à cause de contraintes éditoriales ou par simple oubli. »

N’est-ce pas suffisant ?

C’est une chose assez facile de dire qu’une méthodologie est
discutable. C’est une autre paire de manche que de la discuter de
manière circonstanciée. Mais peut être le ferez-vous, à notre grand
plaisir.

Venons-en maintenant à votre dernier énoncé de cette partie : 

« Les scores ICC parlent d’eux-mêmes, et sans analyser le biais, la reproductibilité est de toute façon faible. »

Oui, vous avez raison. La volonté de procéder à une analyse des biais
relève de plusieurs motifs. Nous n’en évoquerons ici qu’un seul en
citant un passage de notre rapport : 

« La majorité des études existantes et disponibles échouent à mettre
en évidence ces reproductibilités pour tous les paramètres considérés,
cela malgré des risques de biais souvent favorables à l’émergence de
résultats positifs. » p. 195 (nous surlignons)

Autrement dit, ce que nous apprend l’analyse des biais, c’est que
même en utilisant des méthodologies biaisées favorables à l’obtention de
résultats reproductibles, les chercheurs échouent à mettre en évidence
la reproductibilité des techniques crâniennes utilisées par les
praticiens. Ceci est selon nous un indice majeur en faveur du fait que
même en améliorant la méthodologie, il est probable que les chercheurs
continuent malheureusement à échouer. Pour quiconque souhaiterait
entreprendre une étude de reproductibilité d’une technique d’évaluation
issue de l’ostéopathie dans le champ crânien, ce fait nous parait
essentiel à considérer. Avant l’élaboration de ce rapport, nous avons
rencontré des ostéopathes motivés pour faire ce type d’étude avec nous.
Dès lors, nous leur avions proposé de nous recontacter quand nous
aurions terminé le rapport, ceci pour que d’une part nous puissions
éventuellement saisir des contraintes méthodologiques inhérentes à la
pratique que nous aurions sous-estimées, et que d’autre part les
ostéopathes intéressés puissent aisément accéder aux travaux déjà
réalisés ainsi qu’aux difficultés s’y rattachant pour mesurer l’ampleur
de la tâche.

[Concernant l’efficacité thérapeutique]

Les auteurs ont mis en évidence 4 revues de littérature sur les sujets :

Nous
observerons que ces quatre revues convergent toutes vers un défaut de
preuve de l’efficacité des techniques et stratégies thérapeutiques
issues de l’ostéopathie crânienne.
Rapport CORTECS p204

Les
auteurs, devant le fait qu’il y ait eu depuis la dernière revue d’autres
publications, vont effectuer eux-mêmes leur propre revue de
littérature.

Ils relèvent qu’un protocole en triple aveugle
(patient, praticien, analyste) n’est pas applicable en thérapie manuelle
pour le praticien, mais que les protocoles qui tentent de le faire pour
les deux autres acteurs vont dans le bon sens.

Les auteurs vont utiliser l’outil de cochrane cité précédemment, mais seul (sans le QAREL, non adapté à l’analyse).

En
résumé, il y a en général un grand risque de biais du fait de l’absence
de données sur l’aspect aveuglement des trois acteurs de la recherche,
soit sur la randomisation dans le protocole, soit sur les données
manquantes. Les articles ne sont donc pas assez détaillés pour que les
résultats puissent être correctement analysés, et quand ils le sont, il y
a des manques qui portent préjudice aux résultats.

Seuls 2 études sortent du lot avec un risque de biais raisonnable (Elden et al., 2013, Haller et al., 2015).

(…)

L’utilité
même d’un tel rapport (dont la responsabilité incombait à ceux qui
pratiquent l’ostéopathie crânienne d’après les auteurs) est discutable
du fait que des travaux de revue de littérature sur le sujet ont déjà
été faits (Jackel & Von Hauenschild, 2012, Jackel & Von
Hauenschild, 2011, Green et al, 1999), de même que la remise en question
du concept existe depuis longtemps et a toujours cours (Gabutti &
Draper-Rodi, 2014,Tricot, 2000, Roger & Witt, 1997). Enfin, parfois
les outils d’évaluation choisis et modifiés peuvent être discutables. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Comme précédemment, il nous faut pour ne pas perdre l’éventuel lecteur, décortiquer l’argument de ce paragraphe.

Prémisse (1) – Des revues de littérature ont déjà été réalisées sur le sujet.

Prémisse (2) – « […] la remise en question du concept existe depuis longtemps et a toujours cours. »

Prémisse (3) – « […] parfois, les outils d’évaluation choisis et modifiés peuvent être discutables. »

DONC

Conclusion – L’utilité du rapport CORTECS sur l’analyse scientifique de l’ostéopathie crânienne est discutable.

Concernant la prémisse (1), nous n’y trouvons rien à redire puisque
effectivement, des revues de littérature ont déjà été réalisées sur le
sujet. Non seulement nous les mentionnons dans le rapport mais en plus
nous en faisons la synthèse.

Au sujet de la prémisse (2), nous sommes au courant qu’il existe des
divergences d’opinions chez les ostéopathes concernant les différents
concepts (voir par exemple la page 59 du rapport qui concerne le MRP).

Quant à la prémisse (3), nous en avons déjà discuté : propos trivial et sans fondement (voir ci-dessus).

Regardons maintenant la conclusion et observons dans quelle mesure les prémisses la justifie.

Prémisse (1) À propos des revues de littérature déjà réalisées sur le
sujet et sur l’intérêt d’en réaliser de nouvelles nous l’avons expliqué
dans le rapport en deux endroits. Pour la revue sur la reproductibilité
nous avons écrit ceci : 

« Nous constatons que ces trois revues convergent toutes sur le
défaut de preuve de la reproductibilité intra et inter-observateurs des
tests et procédures diagnostiques issus de l’ostéopathie crânienne.
Cependant, nous allons pousser plus loin notre enquête car :

1) de nouvelle études ont été publiées depuis les travaux de Green et al. et Hartman & Norton ;

2) nous avons recensé dans notre recherche systématique un document que le travail de Fadipe et al. n’incluait pas;

3) il n’existe pas de travail similaire au nôtre en français ;

4) enfin, il en va de notre légitimité que de réaliser sa propre analyse, la plus attentive possible. »

Pour la revue sur l’efficacité nous précisons : 

« Nous observons que ces quatre revues convergent toutes vers un
défaut de preuve de l’efficacité des techniques et stratégies
thérapeutiques issues de l’ostéopathie crânienne. En dépit de cette
convergence, nous avons tout de même fait notre propre investigation
pour des motifs similaires à ceux évoqués lors de notre revue sur la
reproductibilité des procédures diagnostiques. »

Nous constatons qu’il est nécessaire d’apporter quelques précisions supplémentaires pour la revue sur l’efficacité : 

(a) depuis la parution des revues les plus récentes en 2012 (les
revues de Jäkel et Von Hauenschild et celle de Ernst de 2012), il y a eu
5 nouvelles publications ; 

(b) ces revues n’ont pas les mêmes critères d’inclusion et de
non-inclusion que la nôtre. La conséquence est que notre revue ne
comporte en commun avec ces revues que 3, 3 et 4 publications
respectivement (sur les 8 publications que nous avons analysées hors
celles publiées après 2012).

Pour conclure sur cette articulation prémisse (1) / conclusion (B),
encore une fois ici vous faites une critique à laquelle nous avons déjà
donné des éléments de réponse . Nous faisons l’hypothèse que ces
passages vous ont échappés.

Prémisse (2) – « […] la remise en question du concept existe depuis longtemps et a toujours cours. »

D’expérience, nous savons malheureusement que même quand la critique
d’un concept est ancienne elle gagne toujours à être réactualisée et
maintenue (l’astrologie, la chiromancie pour ne prendre que des exemples
« faciles », la psychanalyse freudienne pour prendre un exemple plus
complexe, etc.).

Prémisse (3) – « […] parfois, les outils d’évaluation choisis et modifiés peuvent être discutables. »

Nous y sommes déjà venu. Dans votre commentaire, c’est un propos
trivial et sans fondement qui ne peut justifier en rien la conclusion de
votre argument.

En résumé, nous dirons encore une fois que c’est une chose de dire
que quelque chose est discutable mais que s’en est une autre de la
discuter sérieusement. L’analyse de vos arguments démontre que ceci
n’est, hélas, pas le cas.

3. Concernant la phrase « Les critères de qualité n’étant
pas mentionnés, nous ne pouvons exclure un tri sélectif, volontaire ou
non des données », nous avons écrit dans notre publication (page 166 du
JAOA) :
Descriptive statistics. Twelve subjects participated
in the study. Of these, 11 provided high-quality data for analysis. For
subject 12, the signal-to-noise ratio observed in the laser-Doppler
(time-domain) output was too low for precise quantitative measurement.
However, the Fourier transform (frequency-domain) record of subject 12
included all of the features observed for the other 11 subjects.
(Statistiques
descriptives. Douze sujets ont participé à l’étude. Parmi ceux-ci, 11
ont fourni des données exploitables pour l’analyse. Pour le douzième, le
rapport signal-bruit observé dans la production du laser-Doppler
(domaine-temps) était trop bas pour une mesure quantitative précise.
Pour autant, la transformation Fourier de l’enregistrement du sujet 12
contenait toutes les caractéristiques observées chez les autres onze
sujets
).
Les auteurs du rapport n’ont-ils pas compris cette partie ?
S’ils
ne comprennent pas le rapport signal-bruit, nous les renvoyons à notre
chapitre “Physiological Rhythms/Oscillations”, page 182, paragraphe
« additional observations » et fig 11-18. Ils y trouveront
l’interprétation du rapport signal-bruit dans nos travaux.
(“Physiological
Rhythms/Oscillations”, Glonek, Sergueef, Nelson. chapt. 11. In: Chila
A, ed., Foundations of Osteopathic Medicine. Baltimore, MD: Lippincott,
Williams & Wilkins; 2011;162-190.) (Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Merci de vous préoccuper de notre
compréhension du rapport signal-bruit. Cette publication devrait en tout
état de cause délivrer tous les éléments permettant de comprendre et
d’analyser la méthode suivie. Toutefois, notre remarque concernant
l’absence de mention des critères de qualité s’appliquait en cas
d’exclusion de sujets évalués, ce qui n’est pas le cas (voir infra).

Dans une seconde partie, les auteurs ont étudié les
articles parlant de la fréquence du rythme crânien et la restriction de
mobilité des os du crâne. Selon eux, on ne retrouve pas de
reproductibilité inter et intra observateur sur le plan scientifique à
ce sujet (exclusion des études ayant des résultats positifs pour un
risque de biais important). Dans une dernière partie, les scientifiques
ont évalué 12 études sur l’efficacité thérapeutique des techniques
crâniennes. Ils en ont exclu 10 présentant des résultats positifs pour
risques de biais élevé. 2 études sérieuses ont été conservés. Une
concerne les syndromes douloureux pelviens de la femme enceinte (Elden
et al 2013. Acta obstetricia et gynecologica Scandinavia). Les résultats
positifs de cette étude sont modérés par les auteurs qui encouragent la
poursuite des recherches en ce sens. (Ostéopathes Plus)

[Autre
citation] Les études référencées ayant un risque de biais élevé ont été
analysées de manière bien différentes tout au long de ce rapport. Elles
ont été qualifiées de non sérieuses et employées pour remettre en cause
l’ostéopathie crânienne (ex : concept de la mobilité suturale) Ou alors
elles ont été purement exclues des résultats lorsqu’elles étaient
favorables à l’ostéopathie crânienne. (ex: le chapitre sur l’efficacité
thérapeutique de l’ostéopathie crânienne). (Ostéopathes Plus)

Nous pensons que votre problème vient du terme « exclusion », nous
entendons « exclusion avec critères », en l’occurrence une méthodologie
bien construire. Par ailleurs, il est inexact de dire que les études
présentant un risque de biais élevé ont été exclues. Ceci n’est
méthodologiquement pas possible dans la mesure ou l’évaluation du risque
de biais des études survient après et non avant l’application des critères d’inclusion et de non-inclusion.

[…] MAIS… « en science on publie plus facilement les
résultats positifs que ceux négatifs » il s’agit d’un biais de
publication. « Il faut donc considérer la proportion des études
positives par rapport aux négatives » ils utilisent également le
principe de symétrie « si un très petit nombre d’études existe avec des
résultats positifs il existe également un petit nombre d’études avec
résultat négatif, cela doit nous encourager à ne rien conclure de
favorable à travers ces études. » (Ostéopathes Plus)

Cela fait plusieurs fois que vous faites de fausses citations de
nous. Nous vous serions reconnaissant d’utiliser des citations réelles
pour alimenter la discussion.

À aucun moment l’avis d’un organisme de formation en
ostéopathie agréé ou formateur écrivant des livres de références
actuelles en ostéopathie crânienne n’a été consulté (Tricot, Boudehen,
Gehin etc.). (Ostéopathes Plus)

La seule façon permettant à un organisme de formation ou une
quelconque personne de nous aider eut été de nous fournir des
comptes-rendus de travaux expérimentaux. Nous avons fait tout ce qui
était en notre pouvoir pour récolter un maximum de ces compte-rendus.
Pour mémoire, nous avons contacté :

  • L’Upledger Institute Belgium
  • L’Upledger Institute International
  • La Biodynamic Craniosacral Therapy Association of North America
  • La Sutherland Cranial Teaching Foundation
  • La Sutherland Cranial Academy of Belgium
  • La Société Française d’Ostéopathie
  • Association Française de Thérapie Cranio-Sacrale
  • La Société Suisse de Thérapie Cranio-sacrale
  • Le Collège d’Ostéopathie Sutherland Atlantique
  • La Société Européenne de Recherche en Ostéopathie Périnatale et Pédiatrique
  • Le Collectif de Développement de l’Ostéopathie Périnatale
  • L’Académie d’Ostéopathie de France
  • L’Académie Sutherland d’Ostéopathie du Québec
  • L’European Federation of Osteopaths
  • Le Forum for Osteopathic Regulation in Europe
  • L’Osteopathic Cranial Academy

Aucune de ces organisations ne nous a fourni de référence que nous
n’ayons pas trouvée par d’autres moyens. Il est certes toujours possible
que nous soyons passés à côté de travaux importants mais le problème
reste le même : où sont-ils ? Montrez-nous ces fameuses études
essentielles et fantomatiques à côté desquelles nous aurions pu passer.
La charge de la preuve incombant à celui qui prétend, ce n’est
théoriquement pas à nous, mais aux auteurs dont vous parler de fournir
matière à leur discipline, et cela ne devrait pas être à nous de
parcourir la Terre entière à la recherche de la potentielle publication
en wano ou en espéranto que nous aurions pu manquer.

4. Les questions sur nos sources

Ailleurs, il est fait référence à un projet de loi sur
l’ostéopathie initié par le professeur Debré, projet de loi
particulièrement contesté à l’époque et qui n’a jamais été discuté à
l’Assemblée nationale et encore moins en commission. Pourquoi les
auteurs font-ils référence à ce projet Debré, qui n’a ni queue ni tête ?
(6): « Pour un rappel historique de l’évolution du cadre législatif de
l’ostéopathie, nous renvoyons à la proposition de loi portant sur la
création d’un Haut Conseil de l’ostéopathie et de la chiropraxie
enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 septembre
2011 (dite proposition de loi Debré). Elle rappelle notamment que
jusqu’en 2002, « l’exercice de l’ostéopathie et de la chiropraxie
était réservé aux seuls médecins, toute autre personne pratiquant ces
disciplines relevait de l’exercice illégal de la médecine
» (p. 52-53 du Rapport). (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Il vous revient d’expliquer en quoi ce projet n’a « ni queue ni
tête ». Comme nous l’avons précisé dans le texte que vous citez, nous
avons fait référence à ce projet de loi car il décrit l’historique de
l’évolution du cadre législatif de l’ostéopathie. Sur ce point précis il
s’avère tout à fait pertinent.

Mais pourquoi n’ont-ils pas noté dans leur rapport que
les manipulations dites d’ostéopathie et de chiropraxie ne sont devenues
réservées qu’aux seuls médecins par un arrêté du 6 janvier 1962 :

«
Article 2 : Ne peuvent être pratiqués que par les docteurs en médecine,
conformément à l’article L. 372 (1°) du code de la santé publique, les
actes médicaux suivants : 1° Toute mobilisation forcée des articulations
et toute réduction de déplacement osseux, ainsi que toutes
manipulations vertébrales, et, d’une façon générale, tous les
traitements dits d’ostéopathie, de spondylothérapie (ou
vertébrothérapie) et de chiropraxie. Arrêté du 6 janvier 1962 fixant
liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins
ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par
des directeurs de laboratoires d’analyses médicales non médecins. »
(Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Nous vous remercions pour votre complément à la partie législative du
rapport. Nous n’avons effectivement pas été exhaustif sur la
législation au sujet de l’ostéopathie car cela nous éloignait de notre
sujet de départ, la validité scientifique et l’efficacité thérapeutique
de l’ostéopathie crânienne. Nous avons donc préféré renvoyer à un
document synthétique, cf. réponse ci-dessus.

5. Les (fausses) erreurs relevées

Un exemple : la critique des travaux de Jean-Claude
Herniou, du moins le résumé qui en est fait va totalement à l’encontre
de ce que j’ai lu de son article publié sur le Site de l’Ostéopathie
par mes soins : « Le mécanisme respiratoire primaire n’existe pas ».
Son étude sur le mouton cherchait : « à évaluer et à comparer la
mobilité de la suture et de l’os frontal du mouton soumis à faible
contrainte (p.99 du rapport). Or de cette étude, il en est ressorti pour
Herniou que le MRP n’existait pas ! En effet, dans l’interview qu’il
donne à la revue Æsculape (2)
Herniou précise parfaitement ceci: « Depuis 1987, j’ai la preuve que le
liquide céphalo-rachidien (LCR), très cher à mes confrères ostéopathes,
n’est pas le moteur de la mobilité crânienne. Le LCR n’est le moteur de
rien du tout. Et, plus important encore, j’ai la preuve que le
« mécanisme respiratoire primaire », tel qu’il est habituellement décrit
en Ostéopathie, n’existe pas. Quand je lis ce qui est écrit à ce niveau
je suis, pour le moins, perplexe !… Il me semble que de nombreux
auteurs, par culte de Sutherland, perpétuent une erreur grossière. Cette
idée bien explicable pour l’époque est aujourd’hui totalement obsolète.
À mon avis, elle décrédibilise l’ostéopathie. » Fallait-il donc tout
cela pour démontrer ce qui est déjà démontré ? (Jean-Louis Boutin sur le
Site de l’Ostéopathie)

Nous écrivons page 59 que « D’autres ostéopathes crâniens, certes
isolés comme l’ostéopathe français Jean Claude Herniou, contestent
l’existence-même du MRP. ». Le résumé et l’analyse de son étude sont
insérés dans la partie relative à la mobilité des os du crâne et non à
l’existence du MRP. Donc il n’y a pas de contradiction entre ce que vous
dites et ce que nous avons rédigé.

En ce qui concerne votre question : « Fallait-il donc tout cela pour
démontrer ce qui est déjà démontré ? », nous ne prétendons pas avoir
démontré que le MRP n’existait pas (On ne peut pas démontrer
l’inexistence d’un phénomène, grande injustice épistémologique), mais
démontré qu’il n’y a aucune preuve de l’existence du MRP, ce
qui est différent. Ensuite, rappelons-le, nous n’avons pas fait cela
uniquement pour le présumé phénomène « MRP » mais aussi pour la mobilité
des os du crâne, la mobilité involontaire des articulations
sacro-iliaques, le rôle des membranes de tension réciproque, le souffle
de vie et enfin la reproductibilité des procédures diagnostiques de
l’ostéopathie crânienne ainsi que l’efficacité de ses techniques
thérapeutiques. En outre, vous conviendrez que d’un point de vue
scientifique, si nous nous étions contentés au sujet du MRP de renvoyer
aux travaux de Herniou, il est assuré que certains de vos
confrères-sœurs auraient trouvé cela quelque peu insatisfaisant, et
entre nous ils ou elles auraient eu raison.

Bien que le concept d’ostéopathie crânienne soit fort
bien exposé dans ces pages, les auteurs ont du mal – il faut les
comprendre – pour bien analyser ce qu’est le MRP et ce qu’est l’IRC ou
l’impulsion rythmique crânienne (4) au point, semble-t-il, parfois de
les confondre : « Le fait de percevoir un phénomène rythmique et de
pouvoir caractériser sa fréquence ne permet pas de conclure quant à
l’existence du phénomène rythmique, encore moins quant à l’existence
d’un MRP ou IRC. » (p.73 du Rapport).(Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Effectivement, il est difficile de s’y retrouver dans ces
dénominations tant elles varient selon les auteur.e.s et les époques.
Cependant, nous avions bien précisé page 59 du rapport les liens et
confusions possibles entre MRP et IRC : « Lorsqu’il s’agit de quantifier
ce qui s’apparente au MRP, une majorité d’ostéopathes emploient le
terme d’impulsion rythmique crânienne (IRC). En fait, la nomenclature
employée est très diverse pour qualifier ce mouvement qui en théorie
parcourt le crâne et probablement le corps. Pour certains ostéopathes,
IRC et MRP sont sensiblement la même chose, l’IRC étant la manifestation
du MRP, mais il existe des voix divergentes. »

S’il existe des certitudes en ostéopathie crânienne,
c’est celle du sens que les ostéopathes donnent à l’abréviation MRP et
notamment au « M » : c’est un mécanisme et non un mouvement. Même
si cela est faux, au sens où le mécanisme n’est pas démontré
scientifiquement, le MRP est et reste un mécanisme et en tant que tel il
est impossible de soutenir que c’est un phénomène rythmique que l’on
pourrait palper… (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Certes, nous lisons et entendons souvent « mécanisme » plutôt que
« mouvement » pour le M du MRP, mais les deux appellations co-existent.
Une recherche avec Google books l’illustre : « mouvement
respiratoire primaire » donne 90 occurrences contre 194 pour « mécanisme
respiratoire primaire ». La certitude du sens du « M » de « MRP » pour
les ostéopathes n’en est donc pas une. Comme nous l’avons rappelé plus
haut, il est très difficile de s’y retrouver dans le fouillis des
nomenclatures ostéopathiques, entretenu par les ostéopathes eux et
elles-mêmes. Quant au fait que : « il est impossible de soutenir que
c’est un phénomène rythmique que l’on pourrait palper… », c’est pourtant
ce que font de nombreux et nombreuses ostéopathes, à l’image de celles
et ceux que nous citons dans la partie relatant les études ayant essayé
de mettre en évidence ce phénomène rythmique supposé.

Et plus loin encore : « Il est important de préciser que
dans cette étude [Frymann 1971] n’est pas évoqué un mouvement des os du
crâne entre eux, mais un mouvement crânien global, de type MRP ou IRC »
(p.93 du Rapport). Le MRP pas plus que l’IRC ne sont des mouvements
globaux. Le MRP est un essai d’explication donné par Sutherland, une
sorte de formalisation explicative, d’hypothèse liée à la palpation
qu’avait Sutherland, mais n’a jamais été donné par son créateur comme
une vérité scientifique absolue. (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Il s’agit de votre interprétation des écrits de Sutherland. D’autres
explicitent les choses autrement. Nous avons préféré ne pas qualifier le
MRP de « vérité scientifique absolue », pas plus que de « formalisation
explicative ».

Ce sont ses élèves qui en ont fait une théorie qui se
voudrait scientifique pour essayer d’expliquer ce que ressent un
ostéopathe quand il met les mains sur le crâne. Le Dr Dominique Bonneau a
essayé d’éclairer ce phénomène de palpation dans un article publié dans
la revue de Médecine Manuelle Ostéopathie (5). Mais le fait
d’avoir voulu en faire une théorie scientifique pure et dure a amené les
ostéopathes crâniens à s’enfermer dans une conception qui ne devrait
plus avoir cours, même si leur palpation pourrait avoir un sens…
(Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Là encore, il s’agit de votre interprétation et de votre
compréhension de l’histoire de l’ostéopathie. Peut-être est-ce une
discussion qu’il faudrait avoir entre ostéopathes pour fixer clairement
les terminologies employées ? Les choses en seraient grandement
facilitées.

Une autre imprécision surprenante pour des scientifiques, c’est d’associer le new âge avec la Société de théosophie :
« … Passé par la Société théosophique de Helena Blavatsky, association
ésotérico new-ageuse empruntant nombre de ses concepts à l’Hindouisme, à
l’occultisme et à l’astrologie, Steiner fonda ensuite la Société
anthroposophique… » (p.136 du Rapport). Je reste confondu devant cette
assimilation, non pas que je sois un adepte de la Société théosophique,
mais parce que je me suis posé la question de la date de création de
cette société. Si on en croit Wikipédia, la Société théosophique a été
« fondée à New York le 17 novembre 1875, par Helena Petrovna Blavatsky,
ainsi que par le Colonel Henry Steel Olcott et William Quan Judge ».
Mais qu’allait donc faire le new âge en cette affaire même si ses
adeptes ont cherché dans les écrits anciens des références et des
appuis ? (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Nous nous faisons fort de ne pas vous laisser trop longtemps
confondu : le New Age, avec un petit R marque déposée, comme courant
étiqueté comme tel, n’existe pas vraiment : il est généralement présenté
comme le fuit des « travaux » de Ferguson, années 1970, sur l’aquarian conspiracy,
on est d’accord., mais ses racines, ainsi que le concept d’un nouvel
âge à venir, viennent du XIXe, de la convergence entre la société
anthroposophique, les courants type Lebensreform, retour à la Nature avec des gens comme Adolf Just, la Naturphilosophie
dans ses différentes formes, etc. avec des soupçons de millénarisme, de
maîtres ascensionnés pris à l’hindouisme et de retour du Christ-roi
d’Alice Bailey – on est dans les années 20 à ce moment-là. Mais le New
Age est tellement éclectique qu’on pourrait -certains auteurs le font –
remonter à Swedenborg. Donc nous sommes raccord avec un bon nombre
d’historiens en faisant naître la mouvance New Age dans le brouet
spiritualiste de la fin du XIXe. En 1864 par exemple, le très
swedenborgien Warren Felt Evans publia The New Age and its Message, ;
en 1907 Alfred Orage and Holbrook Jackson firent paraître un hebdo
mélange de socialisme et de libéralisme chrétien intitulé The New Age. Ensuite, il y aura Disciplineship in the New Age (1944) and Education in the New Age (1954), d’Alice Bailey.

Donc oui, le New age a des racines très profondes, et
l’anthroposophie n’en fut pas l’une des moindres.. Pour cette filiation,
vous pouvez lire en anglais Sarah M. Pike, New Age and Neopagan
Religions in America. Columbia University Press, ou Sutcliffe, Steven J.
Children of the New Age: A History of Spiritual Practices. London and
New York: Routledge (2003) ainsi qu’en français Marhic et Besnier, le
New age, son histoire ses pratiques ses arnaques, Castor Astral 1998.

6. Les (vraies) erreurs relevées

Concernant le côté du résumé du cadre législatif, il y a un petit problème avec ce paragraphe
C.3 Pratique

Les ostéopathes n’ont pas le droit de pratiquer un certain nombre
d’actes s’ils ne sont pas « soumis à diagnostic médical préalable de non
contre-indication ». Parmi ces actes, on note les « manipulations du
crâne ».

Rapport CORTECS, p53
Or, dans les décrets
qui auraient pu être cités en entier, il était fait mention d’un élément
supplémentaire qui change le champ d’application de la restriction de
prise en charge. Premièrement ça ne rajoutait pas beaucoup plus de
lignes et surtout, deuxièmement, ça évitait une erreur factuelle:

Article 3
(…)
Décrets du 27 mars 2007
On voit que cette restriction concerne la prise en charge des nourrissons. Il existe donc un risque de confusion. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Vous avez raison, il aurait fallu préciser que cette
contre-indication s’appliquait uniquement pour la prise en charge des
nourrissons. Nous nous sommes nous aussi rendus compte de cette
imprécision hélas peu de temps après le rendu du rapport. Nous sommes
ravis que vous l’ayez pointé du doigt. Même si cette erreur ne change
rien aux conclusions, nous ferons un addendum au rapport en vous
remerciant.

« Cette analyse repose sur l’utilisation d’une grille
d’analyse QUAREL (qui en fait s’écrit correctement QAREL). » (nous
surlignons). (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Exact ! Coquille qui s’est subrepticement insinuée puis répliquée dans l’intégralité du document. Nous avons probablement fondu QUAREL, quarrel en anglais (la querelle ou dispute oratoire), et peut être même squirrel, l’écureuil. Merci pour cette remarque.

Suite à la lecture du rapport sur l’ostéopathie crânienne
rédigé par le Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique
et sciences (Cortecs), en date du 26 janvier 2016, à la demande du
Conseil National de l’Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes, nous
voudrions apporter quelques remarques.

Dans ce rapport, nous nous
sommes particulièrement intéressés à la revue des publications que nous
avons réalisées au Chicago College of Osteopathic Medicine, Midwestern
University, Downers Grove, Il, USA. (Nelson KE, Sergueef N, Glonek T).

1.
Page 69 du rapport du Cortecs, les auteurs évaluent notre étude :
« Cranial rhythmic impulse related to the Traube-Hering-Mayer
oscillation: Comparing laser-Doppler flowmetry and palpation”. Nelson,
Sergueef, Lipinski, Chapman, Glonek. JAOA March 2001:163-73.
Ils
écrivent : « Pour se faire, l’oscillation de THM était mesurée chez 20
sujets en bonne santé par le biais d’une sonde Doppler positionnée sur
le lobe de l’oreille gauche de chaque sujet ».
Page 70 : « En analysant
cette publication, on sera étonné que seulement 12 sujets sur les 20
initiaux font l’objet d’un traitement statistique, du fait de la
mauvaise qualité d’acquisition des autres enregistrements, selon les
auteurs. Les critères de qualité n’étant pas mentionnés, nous ne pouvons
exclure un tri sélectif, volontaire ou non des données ».

2. En
fait, dans cette étude, nous avons mesuré l’oscillation de THM chez 12
sujets, et non 20 comme l’auteur de ce rapport le mentionne. Il est donc
évident que nous ne pouvions traiter les données statistiques de 20
personnes. On peut lire dans notre publication (page 163 du JAOA) :
« Twelve healthy subjects over 18 years of age (6 males; 6 females, none
pregnant) were recruited from the faculty and students of the Chicago
College of Osteopathic Medicine ».
(Douze sujets en bonne santé, de
plus de 18 ans (6 hommes, 6 femmes, aucune enceinte)ont été recrutés
parmi les professeurs et les étudiants du Collège de Médecine
Ostéopathique Chicago)
(Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Nous vous remercions d’avoir relevé cette coquille qui s’est
subrepticement glissée dans le rapport et a ensuite échappé à notre
vigilance lors des relectures. Effectivement, il s’agit d’une erreur
factuelle importante de notre part – probablement une confusion twelve / twenty.
Nous vous remercions de nous l’indiquer, et déplorons vivement notre
erreur. Les données ont pu être recueillies de manière satisfaisante
pour 11 sujets sur les 12 inclus dans l’étude, et non 20.
Précisons
cependant que, vous en conviendrez que, cela ne remet pas en cause nos
remarques ultérieures concernant les limites intrinsèques de l’étude.
Nous écrivions :

« En outre, compte tenu du faible nombre de sujets analysés l’analyse
statistique se révèle insuffisamment détaillée pour conclure à sa
validité. Enfin, notons que quand bien même il y eut coïncidence entre
les deux ondes, il faudrait plus de contrôles dans la méthodologie
utilisée pour que l’onde palpée puisse effectivement être reliée au MRP.
»

4. Les auteurs du rapport décrivent ainsi la prise
utilisée par le praticien … »L’examinateur presse légèrement de dehors
en dedans, de manière à provoquer une rotation externe des deux os
pariétaux ». Il s’agit d’une extrapolation, car nous avons écrit : « the
examiner, at the head of the table, palpated the CRI using light touch
with the hands in a biparietal-hold position » (le praticien à la tête de la table, palpait l’IRC avec un toucher léger et une prise bipariétale). La prise bipariétale n’implique pas une induction de mouvement. (Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Merci d’apporter plus de précisions concernant les modalités des techniques appliquées qui ont pu nous échapper.

5. L’étude référencée en bas de la page 72, n’a rien à voir avec les remarques qui sont faites dans ce paragraphe. (Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Vous relevez aussi une erreur de notre part de référencement. L’étude
correspondant à l’analyse figurant en p72 est celle-ci : Sergueff N.,
Nelson K. E., Glonek T., The effect of cranial manipulation upon the Traube-Hering-Mayer oscillation as measured by Laser-Doppler flowmetry, Alternative Therapies. (2002) Nov/Dec ; 8(6) que l’on retrouve citée en page 267 et 285.

Nous sommes heureux que les auteurs aient
pris le temps d’examiner notre travail, mais déçus par la fausse
représentation qu’ils en ont faite. Les auteurs n’ont manifestement pas
lu notre étude attentivement, et leurs conclusions ne peuvent être
validées par le fait des erreurs d’interprétation qu’ils ont faites. (Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Nous partageons sincèrement votre déception
concernant les erreurs que nous avons commises concernant cette
publication. Cependant, nos conclusions ne nous semblent pas affectées
par ces erreurs, comme nous l’avons précisé précédemment lorsque nous
avons rappelé les autres limites intrinsèques de cette dernière.

Il reste à dire quelques mots de l’orthographe. Je
suppose que le clavier n’avait pas toujours les accents français car de
très nombreuses fois nous trouvons ou au lieu de
ce qui perturbe momentanément la lecture. Et que dire alors de cette
confusion de verbe : « Nous considérons que l’expérience minimale est le
fait d’avoir terminé une formation spécifique à la pratique. Il nous
semble en effet indispensable, en tant que patients, de ne pas devoir
attendre qu’un praticien est (sic au lieu de ait)
plusieurs années d’expérience pour pouvoir fonder ces choix
thérapeutiques sur des examens reproductibles » (p.158 du Rapport).
Finalement c’est bien peu de choses, et je me suis même posé la question
de savoir : fallait-il le signaler ? (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Question qui ressemble à une prétérition, puisque finalement vous
avez choisi de le faire. On pourrait dire trois choses sur ce point :
primo, c’est un angle de critique assez pauvre, vous en conviendrez.
Secundo, sans relecteur professionnel à rémunérer, c’est impossible sur
un aussi long travail de relever toutes les coquilles. Enfin, dernier
point, il y a une façon plus élégante de nous aider : au lieu d’exposer
en public en les citant nos fautes d’orthographe, ce qui manque un peu
de… style… Vous auriez pu les noter, nous les envoyer, et nous permettre
de remettre en ligne une version expurgée, avec nos remerciements et
l’impression d’une collaboration, pas d’un tir au pigeon.

7. Les extrapolations

A l’aide de la littérature, ils concluent : […] – la
circulation du LCR est admise mais il n’existe aucune preuve de lien de
cause à effet entre fluctuation du LCR et mobilité du crâne ; […] (Ostéopathes Plus)

Vous nous amenez ici hors de notre sujet. La question d’un lien entre
fluctuation du LCR et mobilité du crâne n’est abordée nulle part dans
notre travail et pour cause : aucune donnée expérimentale consistante
pour soutenir l’hypothèse d’une mobilité des os du crâne entre eux n’a
été découverte.

[…] – aucune étude au sujet des membranes de tensions
réciproques et toujours ce même raisonnement « vu qu’on a montré que le
MRP n’est pas démontrable, il n’est pas soutenable de lier les membranes
de tensions réciproques à la mobilité crânienne ». (Ostéopathes Plus)

Notre citation exacte est substantiellement différente de celle que vous rapportez. La voici :

« Le concept de MRP n’étant pas lui non plus démontré, il n’est pas
soutenable de penser que les membranes de tension réciproque jouent un
rôle dans la mobilité des os du crâne et de la face (elle non plus
infondée scientifiquement) ou dans la mobilité involontaire du sacrum (idem). » (page 132)

En fait, l’imbroglio est un peu de notre faute car faire apparaître
le MRP ici était dilatoire. S’il nous appartenait de changer notre
phrase, nous mettrions : « Il n’est pas soutenable de penser que les
membranes de tension réciproque jouent un rôle dans la mobilité des os
du crâne ou dans la mobilité involontaire du sacrum dans la mesure où
ces deux types de mobilité ne sont pas démontrées. »

Le dernier article étudie les techniques crâniennes sur
les cervicalgies chroniques. Les auteurs reconnaissent l’efficacité de
l’ostéopathie crânienne dans ce cadre […] (Ostéopathes Plus)

Vous allez vite en besogne ! Nous vous encourageons à nous relire :
ce que nous reconnaissons, c’est la valeur de l’étude de Haller et al.
en tant que données expérimentales pour soutenir l’efficacité de
l’ostéopathie crânienne dans le cadre des cervicalgies chroniques. Ceci
n’est pas la même chose que de dire que nous reconnaissons l’efficacité
de l’ostéopathie crânienne dans ce cadre. Pour cela, il nous faudrait
plusieurs études épurées des biais méthodologiques présents dans l’étude
de Haller et al. En gros, ostéopathes, retroussez vos manches !

8. Les redites

Rappelons également que Sutherland s’est largement servi
des écrits de Swedenborg (1688-1772) pour inventer son MRP. Et quitte à
être iconoclaste, Sutherland a simplement rajouté le mouvement des os du
crâne et celui du sacrum entre les iliaques à la théorie de Swedenborg
exposé dans son livre « The Brain ». (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Oui, nous évoquons cela page 17 du rapport : « Swedenborg est un
philosophe et théologien suédois du XVIIIe siècle. Deux travaux
d’ostéopathes ont suggéré que Sutherland connaissait les idées de
Swedenborg concernant la physiologie et l’anatomie cérébrale et
crânienne et s’en est inspiré pour élaborer son modèle du mécanisme
respiratoire primaire. Jordan T., Swedenborg’s influence on Sutherland’s
‘Primary Respiratory Mechanism’ model in cranial osteopathy,
International Journal of Osteopathic Medicine.(2009) Sept ;
12(3):100–105, et Fuller D.D., A Comparison of Swedenborg’s and
Sutherland’s Descriptions of Brain, Dural Membrane and Cranial Bone
Motion, The new philosophy. (2008) Oct–Dec ; 619-650. » Swedenborg
apparaît même dans notre tableau page 46 où nous faisons la synthèse des
principaux concepts et pratiques associées, développés par Sutherland
et ses continuateurs.

9. Les questions concernant l’intérêt du rapport

D’où ma question sur ce rapport, où est la surprise? Il
n’y a rien d’étonnant sur les résultats, il y a seulement 79
publications sur pubmed dont la majorité date d’avant 2000. Comment le
niveau de preuve aurait pu changer du tout au tout avec si peu d’études
récentes? Y avait-il vraiment besoin d’un rapport pour nous faire
l’historique incomplet du concept et nous livrer des conclusions que des
revues de littérature datant de 2012 et 1999 nous avait déjà apprises
(quasi-absence de preuves, manque de reproductibilité de tests, besoin
de recherche)? (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Votre dernier paragraphe nécessite quelques réponses.

1) Personne (et certainement pas le CorteX) n’avait promis de
surprise ou quelque chose d’étonnant. Nous ne sommes pas des producteurs
de sensationnel.

2) Vous dites :

« […] seulement 79 publications sur pubmed dont la
majorité date d’avant 2000. Comment le niveau de preuve aurait pu
changer du tout au tout avec si peu d’études récentes? »

Cinq nouvelles publications sont parues depuis les dernières revues
de 2012. Libre à vous de juger que cela fait peu. En attendant, pour des
raisons redondantes, nous ne pouvions pas nous contenter de citer les
revues existantes en ignorant les publications récentes sous prétexte
qu’il y en avait peu. Et bien nous en a pris car les études présentant
les plus faibles risques de biais font partie des études récentes.

3) Concernant les revues de littérature, nous en avons déjà discuté.

4) Vous jugez l’historique incomplet ? Voir nos réponses précédentes.
Nous estimons qu’aucun des auteurs et concept que vous avez évoqués ne
peuvent être cités (aujourd’hui en tout cas) dans un historique
spécifique de l’ostéopathie crânienne. Et il est très probable qu’ad nauseam,
quand bien même nous aurions eu la chance de citer vos auteurs,
seraient venus d’autres professionnels nous notifiant d’avoir manqué tel
ou tel nom. Sans vouloir être cinglant : peut être n’y avait-il pas
besoin d’un rapport comme le nôtre, certes. Mais posons le problème
autrement : comment se fait-il que sans réelle avancée majeure de la
discipline en dépit des rapports précédents, les ostéopathes crâniens
dans leur majorité ont continué à professer, sans tressaillir, sans
faire des « assises » urgentes de leur discipline ? Comment se fait-il
qu’il n’y ait pas eu urgence dans votre profession, devant un « bazar »
épistémologique et scientifique pareil ? C’est cette question à laquelle
il faudrait répondre.

L’équipe du rapport

Plus d’un an après la mise en ligne de
notre rapport, des réactions nouvelles surviennent encore. Voici la
dernière en date d’Eric Goyenvalle : ici et notre réponse ici.
Cette réponse sera la dernière de notre part, notre temps étant hélas
limité. Dorénavant, nous répondrons uniquement aux critiques qui, en
apportant des éléments nouveaux (nouvelles études expérimentales ou
études que nous aurions pu manquer) mettraient en cause nos conclusions
concernant l’efficacité ou la validité de l’ostéopathie crânienne.

Le CorteX dans Le Monde – Repeindre les barreaux, plus pour nous

(Cet article a été diffusé sur lemonde.fr le 14 février 2017 – ici)

CorteX_Le_Monde_Prison
Avec « le plan d’action Sécurité pénitentiaire et action contre la radicalisation violente, paru en octobre 2016, tout intervenant se voit devenir un détecteur, voire un délateur de radicaux » (Photo: le centre pénitentiaire D’Alençon-Condé accueille 68 détenus condamnés à des peines longues et réputés, pour certains, difficiles). PHILIPPE BRAULT / AGENCE VU POUR « LE MONDE »

Nous, collectif CORTECS, avons à contrecoeur décidé de suspendre nos enseignements d’autodéfense intellectuelle et d’éducation à l’esprit critique (par exemple la critique des médias) dans les trois institutions pénitentiaires dans lesquelles nous intervenions.

Cette décision est douloureuse, mais rationnelle. Le plan d’action Sécurité pénitentiaire et action contre la radicalisation violente, paru en octobre 2016, prend de trop nombreuses mesures rédhibitoires, en vue de la détection des détenus radicalisés ou en voie de radicalisation. Il prévoit de mettre en place un réseau de renseignement sur les détenus, d’armer certains surveillants et de développer des quartiers d’évaluation de la radicalisation où les conditions seront encore plus sévères. Dans ce contexte sécuritaire, tout intervenant se voit devenir un détecteur, voire un délateur de « radicaux ». Or, non seulement nous n’en avons pas envie, et nous n’avons aucune compétence pour mesurer un quelconque degré de radicalisation, mais le simple fait de nous associer à une telle démarche rend tout simplement impossible la poursuite de nos enseignements : comment passer au crible de l’analyse critique une idée « radicale » qui, exprimée par un détenu, conduirait à son signalement ?

Pourtant, nos enseignements de l’analyse critique en détention fonctionnaient à merveille, depuis 2011, bien avant que le concept de radicalisation ne rentre dans toutes les têtes. Cela avait toujours été un questionnement éthique de taille entre nous : est-il moralement juste d’aller développer l’esprit critique dans un contexte carcéral mortifère et déshumanisant ? Autrement dit, allions-nous en acceptant, contribuer à mettre des cotillons sur les barbelés ? À l’époque, nous pensions que le jeu de l’instruction en valait la chandelle, malgré les mille embûches systémiques et insolubles du cadre : il était impossible d’avoir des groupes stables ; les rendez-vous médicaux ou les parloirs tombaient sur les créneaux de l’atelier ; certains détenus étaient transférés ou se voyaient refuser l’accès aux activités par mesure de répression, d’autres étaient recrutés pour travailler ou préféraient se tourner vers des formations diplômantes, par intérêt ou pour maximiser les chances d’obtenir des remises de peine supplémentaires ; les convocations n’étaient pas reçues, pas comprises, ou encore perdues… Mais nous avons tenu la barre, et enseigné les bases de l’autodéfense intellectuelle à un public volontaire et pertinent. Nous avons construit ensemble un cadre de parole sécurisé et bienveillant, réchauffé petit à petit les murs blafards, fourbi nos outils sur des sujets « légers » avant d’aborder les plus  « brûlants », sans complaisance. Car nos cours et ateliers ont pour finalité d’objectiver des concepts, d’en évaluer la consistance, la vraisemblance… ou la fausseté. La radicalisation fait justement partie de ces pseudo-concepts flous. Décrivant tantôt l’adhésion à une idée dite « radicale », tantôt la marginalisation sociale, l’endoctrinement ou encore le choix de perpétrer des actes violents, elle sait aussi faire office d’étendard pour légitimer la répression de toute forme de contestation.

Or, le problème est « scientifique » : si nous voulons éviter des drames « terroristes » violents, il faut en comprendre la genèse (sans l’excuser pour autant). Ni la folie, comme on voudrait nous le faire croire, ni l’action sectaire, ni la bêtise, ni la monstruosité ne sont des explications satisfaisantes. C’est essentiellement, comme dans tous les « terrorismes », du FLN algérien des années 60 à Anders Breivik en 2011, la conjonction de la souffrance et de la colère, une colère politique, souvent mal dégrossie, parfois sans verbe. L’État a beau jeu de cibler le symptôme, afin d’éviter de rechercher les causes. Rien n’est envisagé pour revenir à la racine du problème : se « radicalise »-t-on en détention et si oui, pourquoi ? Et si la prison est un facteur aggravant, alors peut-être faudrait-il tout simplement commencer par enfermer moins de gens, et développer des alternatives comme il en existe ailleurs. On demande aux détenus, par notre intermédiaire, une remise en question que l’institution qui nous mandate ne pratique pas elle-même.

Nous n’avons aucune certitude sur l'(in)efficacité des mesures préconisées dans ce plan d’action – mais qui en a ? Où sont les études ? –, cependant nous avons de sérieuses raisons de penser que ces mesures vont amplifier le problème qu’elles prétendent contrer et qu’en tout état de cause, elles vont durcir les conditions de vie en détention.

Nous sentions venir le problème depuis deux ans. Nous n’avons pas voulu renoncer, par engagement sûrement, par gloire personnelle peut-être – il fait bon dire qu’on enseigne en prison -, par peur aussi de laisser en plan les personnes qui participaient régulièrement à nos ateliers, qui ne disposent de quasiment aucune alternative pour prolonger la réflexion entamée ensemble et qui, statistiquement, ont bien peu de chances de se retrouver sur les bancs de nos amphis. Mais arrive un moment où il n’est plus possible de consentir. Nous ne voulons plus prendre part à un processus qui d’un côté fait appel à nous pour diffuser de la pensée critique, à grand renfort de récupération démagogique des pouvoirs publics et avec finalement peu de moyens, et qui de l’autre met en œuvre une politique qui détruit en un tournemain le peu que nous arrivons à construire en plusieurs mois. Nous ne repeindrons plus les barreaux. Notre démission ne pèsera pas très lourd, c’est vrai. Qui écoute encore les doléances des détenus ?

Caroline Roullier, Clara Egger, Richard Monvoisin, Guillemette Reviron, Groupe Prison,

Collectif de Recherche Transdisciplinaire Esprit critique & Sciences

Petit historique

L’an passé, devant la dégradation lente de la situation, nous avions contacté Le Monde pour faire paraître une tribune sur le sujet. Il s’agissait pour nous de nous servir du Monde et de son lectorat pour que notre dénonciation ne tombe pas seulement dans l’oreille pleine de cérumen de l’administration pénitentiaire. Or finalement, ce texte n’a pas été publié au motif qu’il n’était pas assez dans l’actualité. Aujourd’hui, dans la même démarche, nous souhaitions rendre public notre refus, d’une part pour que d’autres éventuellement s’en emparent, d’autre part pour qu’on ne puisse pas transformer les raisons de notre départ, à contrecoeur.

Liens d'intérêts – Données sur l'indépendance des facultés de médecine vis-à-vis des industries

Notre camarade Paul Scheffer (doctorant en sciences de l’éducation, laboratoire Experice, Université Paris 8 – Vincennes Saint-Denis) et ses comparses font passer un article dans PLOS One, sur l’indépendance des facs de médecines françaises vis-à-vis des industries. Nous en reproduisons le résumé plus bas, avec un article de The conversation.com en introduction. La question des liens d’intérêt nous intéresse particulièrement au CorteX dans la mesure où de nombreux travaux expérimentaux montrent depuis plus de 30 ans à quel point notre jugement et nos actions peuvent être influencés par eux, alors même que nous pensons agir et raisonner en tout indépendance.

Les facs de médecine les plus indépendantes vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique

publié ici.

C’est une première en France. Les facultés de médecine viennent d’être classées sur l’indépendance qu’elles garantissent à leurs étudiants vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques. Ce travail inédit, inspiré d’un palmarès établi chaque année par l’Association américaine des étudiants en médecine, vient d’être publié, le 9 janvier, par la revue scientifique de référence en accès libre PLOS ONE, sous le titre « Conflict-of-Interest Policies at French Medical Schools : Starting from the Bottom » (NdCorteX : voir plus bas).

La faculté de Lyon Est arrive en tête, avec un score de 5 points, sur un maximum possible de 26. Celle d’Angers arrive en deuxième position, avec 4 points. Suivent sept établissements ex aequo, avec chacun 1 point : Aix-Marseille, Lyon Sud, Paris Descartes, Paris Diderot, Rennes 1, Strasbourg et Toulouse Purpan.

Ainsi, notre étude montre que seules 9 facultés sur 37, en France ont pris des initiatives pour se prémunir contre les conflits d’intérêts qui surgissent en cas de liens de l’établissement ou de ses enseignants avec l’industrie du médicament. Les 28 autres, n’ayant adopté à ce jour aucune mesure en ce sens, n’obtiennent aucun point.

Des prescriptions moins orientées par le marketing des firmes

Ces résultats montrent, sans surprise, que la situation française n’est pas brillante. Mais celle des États-Unis, lors du premier classement réalisé en 2007, ne l’était pas beaucoup plus. Or des changements significatifs se sont produits outre-Atlantique en moins d’une décennie. La majorité des universités américaines se sont hissées en haut du tableau. Et selon plusieurs études, les étudiants qui en sortent prescrivent différemment, d’une façon moins orientée par le marketing des firmes et plus favorable aux patients.

Doctorant en sciences de l’éducation, j’ai proposé l’idée de ce classement au sein du Formindep, association qui milite pour une formation et une information indépendantes dans le domaine de la santé, à laquelle j’appartiens. Nous avons constitué fin 2014 un groupe de travail composé de 2 médecins, 3 étudiants en médecine et 2 chercheurs. Nous espérons fournir un levier dont pourront s’emparer les enseignants et les étudiants décidés à changer la situation. Nous puisons notre motivation dans les formidables avancées constatées dans les universités américaines.

Pour ma part, j’ai été convaincu de l’importance de la formation initiale dans les pratiques de toutes les professions en lisant un témoignage à charge contre une école de journalisme prestigieuse, Les petits soldats du journalisme (Les Arènes), publié en 2003 par François Ruffin. C’est en effet durant les études que se forgent les valeurs, les normes, les habitudes et le réseau amical, que certains plis plus ou moins heureux se prennent, parfois pour la carrière entière.

La défense de l’esprit critique dans l’éducation

Plus tard, j’ai rejoint le Formindep. J’y ai trouvé une convergence avec mes propres points de vue et des encouragements à défendre l’esprit critique dans l’éducation. Des membres m’ont fait découvrir l’existence du « Tableau de bord des politiques de conflits d’intérêts dans les universités de médecine » réalisé par l’Association américaine des étudiants en médecine (AMSA).

Gradué de A à F, à l’anglo-saxonne, ce classement utilisant des pictogrammes très simples est fondé sur des critères d’indépendance dont la validité est établie par la littérature scientifique. Il indique par exemple s’il existe ou non dans l’université une politique pour encadrer les cadeaux offerts aux étudiants par les firmes pharmaceutiques ou leurs invitations à déjeuner, l’organisation d’événements par les industriels sur le campus, les déclarations des liens d’intérêts par les enseignants au début de leurs cours. Aujourd’hui, les deux-tiers des établissements sont classés A ou B alors qu’en 2007, la plupart avaient écopé d’un F…

Notre travail sur les universités françaises s’inspire de ce tableau de bord – qui a également fait des émules au Canada, avec un classement publié en 2013. En plus de l’article publié dans la revue scientifique internationale PLOS ONE, nous avons mis en ligne sur le site du Formindep le « Classement des facultés françaises en matière d’indépendance », fondé sur 13 critères. Les 9 établissements ayant démontré une politique dans ce domaine sont gratifiées d’un D, les autres d’un I pour « incomplet ». Précisons qu’à ce jour, aucune n’a rédigé de document pour définir sa politique officielle en matière de conflit d’intérêts, comme cela existe dans les universités américaines, par exemple à Stanford.

Seuls trois doyens nous ont répondu

Notre méthode d’évaluation et de recueil des données reprend les principes américains, adapté aux spécificités françaises. Nous avons combiné plusieurs sources sur une période s’étalant de juin 2015 à début 2016 : les sites Internet des facultés, les informations de terrain dont nous disposions notamment par le biais d’enseignants, et des demandes d’information envoyées aux bureaux des doyens de chaque faculté. Seuls 3 doyens nous ont répondu, en dépit de nombreuses relances de notre part, suggérant que la coopération sur ce sujet ne va pas de soi pour les équipes dirigeantes des facultés.

Pourtant, davantage de transparence sur cette question ne ferait que répondre aux souhaits de nombreuses institutions à travers le monde. L’Académie de médecine américaine, le Collège des facultés de médecine aux États-Unis et son équivalent au Canada, le Conseil de l’Europe, le parlement français, tous ont publié des rapports concluant à cette nécessité. Il existe d’ailleurs déjà un manuel pratique d’enseignement, Comprendre et répondre à la promotion pharmaceutique, édité par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’ONG Health Action International. Il est disponible en français sur le site de la Haute autorité de santé.

Mais pour faire bouger les lignes, rien ne remplace l’engagement des étudiants sur les bancs même des facultés. Le cas d’Harvard est devenu emblématique suite à un article du New York Times. Celui-ci relatait comment les étudiants de cette université américaine de premier plan avaient interpellé leurs enseignants après l’attribution d’un F à l’établissement. Ils avaient également découvert qu’un des professeurs présentait de façon avantageuse les médicaments anticholestérol dans ses cours et minimisait leurs effets secondaires, alors qu’il était par ailleurs consultant salarié de dix firmes pharmaceutiques, dont cinq commercialisaient ces médicaments. Ces liens n’étaient pas déclarés. Aujourd’hui, Harvard est gratifiée d’un A.

Une tribune d’Irène Frachon

En France, la principale association étudiante, l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), s’est emparée de la question dès 2014. Le médecin qui révéla le scandale du Mediator, Irène Frachon, rend d’ailleurs hommage à son implication dans une tribune publiée sur The Conversation. À la rentrée 2016-2017, l’ANEMF a imprimé et distribué aux étudiants 8 000 livrets sur le thème « Pourquoi garder son indépendance face aux labos pharmaceutiques ? » (NdCorteX : dont le CorteX s’est fait l’écho et le soutien en son temps, ici). L’organisation a réussi à se passer complètement des financements des firmes pharmaceutiques.

L’ISNAR-IMG, le syndicat des internes en médecine générale (étudiants ayant au moins 6 ans d’études), qui regroupe 6 000 adhérents, est également en bonne voie d’y parvenir. Le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG), qui regroupe des internes et des jeunes médecins, a quant à lui fait le choix de l’indépendance financière dès sa création.

Ils se croient immunisés contre l’influence des firmes

Cependant, bon nombre d’étudiants estiment aujourd’hui que l’industrie pharmaceutique est un partenaire tout à fait légitime ne posant pas de problème particulier, comme on l’entend de la bouche de médecins et enseignants. Ils se croient souvent immunisés contre l’influence des firmes, en dépit d’études concordantes montrant le contraire, comme celle du chercheur Inserm Bruno Etain portant sur plus de 2000 étudiants.

La réflexion sur l’indépendance vis-à-vis des firmes peut se heurter à des résistances, voire de l’hostilité. Ainsi 14 facultés ont déjà projeté dans leurs murs le film La fille de Brest, qui raconte le combat d’Irène Frachon. Mais 3 s’y sont opposées – sans toutefois en donner officiellement les raisons.

Pour notre part, nous retenons surtout le message adressé par le président de la Conférence des doyens, le professeur Jean-Luc Dubois-Randé. Une journée sur la formation à l’indépendance dans les études médicales dont les vidéos sont disponibles ici s’est tenue le 30 avril 2016 à Paris, dans des locaux de la revue Prescrire. Le doyen de médecine de l’université Paris-Est Créteil y a déclaré :

« L’actualité nous rappelle que le temps des collusions entre le monde médical et l’industrie pharmaceutique n’est plus soutenable. Nul n’a sa liberté dès l’instant où il est juge et partie. L’expertise devient-elle difficile ? On est un très bon expert lorsqu’on est le professionnel de telle ou telle discipline, ou champ scientifique. Nul ne le conteste, mais il faut alors que la communauté soit informée de la façon la plus transparente des conflits d’intérêts […]. Les règles sont en train de changer, l’ignorer est s’exposer à des réveils judiciaires difficiles. La Conférence des doyens a maintenant homogénéisé les formulaires de cumul d’intérêts et sera très vigilante pour qu’ils soient remplis et signés. »

L’année 2017 débute, et avec elle l’espoir que la formation médicale devienne, dès les premières années, plus indépendante vis-à-vis des firmes. La faculté pourra ainsi donner davantage les moyens aux futurs médecins de déjouer les multiples stratégies d’influence les visant avec, pour cible ultime, leurs patients. Gageons que les résultats de la deuxième édition de ce classement, prévue fin 2017, seront meilleurs et le nombre de facultés volontaires pour partager leurs informations, plus élevé.

Conflict of Interest Policies at French Medical Schools: Starting from the Bottom

Paul Scheffer, Christian Guy-Coichard, David Outh-Gauer, Zoéline Calet-Froissart, Mathilde Boursier, Barbara Mintzes, Jean-Sébastien Borde

PLOS One, January 9, 2017

Abstract

Background

Medical faculties have a role in ensuring that their students are protected from undue commercial influence during their training, and are educated about professional-industry interactions. In North America, many medical faculties have introduced more stringent conflict of interest (COI) policies during the last decade. We asked whether similar steps had been taken in France. We hypothesized that such policies may have been introduced following a 2009–2010 drug safety scandal (benfluorex, Mediator) in which COIs in medicine received prominent press attention.

Methods

We searched the websites of all 37 French Faculties of Medicine in May 2015 for COI policies and curriculum, using standardized keyword searches. We also surveyed all deans of medicine on institutional COI policies and curriculum, based on criteria developed in similar US and Canadian surveys. Personal contacts were also consulted. We calculated a summary score per faculty based on 13 criteria. [range 0–26; higher scores denoting stronger policies]

Results

In total, we found that 9/37 (24%) of French medical schools had either introduced related curriculum or implemented a COI-related policy. Of these, only 1 (2.5%) had restrictive policies for any category. No official COI policies were found at any of the schools. However, at 2 (5%), informal policies were reported. The maximum score per faculty was 5/26, with 28 (76%) scoring 0.

Conclusion

This is the first survey in France to examine COI policies at medical faculties. We found little evidence that protection of medical students from undue commercial influence is a priority, either through institutional policies or education. This is despite national transparency legislation on industry financing of health professionals and limits on gifts. The French National Medical Students Association (ANEMF) has called for more attention to COI in medical education; our results strongly support such a call.

Ressources critiques pour aborder les politiques linguistiques

Depuis quelques mois, on peut lire un peu d’espéranto sur le site du Cortecs, et c’est en partie grâce à André Hoarau. André est espérantiste et actif au sein de l’Association mondiale anationale (SAT) qui « a pour but, par l’utilisation constante de l’espéranto et son application à l’échelle mondiale, de contribuer à la formation d’individus dotés d’esprit critique (…) »1. André a bien voulu, avec tact et patience, répondre aux questions curieuses et critiques de quelques membres du Cortecs à l’égard de l’espéranto l’été dernier, et nous avons jugé utile de les retranscrire.

Table des matières

Ouvrages et document

  • Claude Hagège, Contre la pensée unique, Odile Jacob, 2012.
CorteX_Contre la pensee unique

Claude Hagège est linguiste de formation, professeur à l’Université de Poitiers, et a détenu la chaire de théorie linguistique au Collège de France de 1988 à 2006. La thèse développée dans cet ouvrage est que les langues ne sont pas seulement des moyens de communication, mais aussi des vecteurs de diversité, et que le recours avéré à un nombre de moins en moins important de langues, à différentes échelles, concourt à l’uniformisation des idées politiques, des goûts, des conceptions de l’existence, etc. Le chapitre 4 constate l’emprise croissante de la langue anglaise dans le milieu scientifique (publication, formation) et l’impact délétère que cela peut avoir, en conduisant notamment à une sélection des chercheur.e.s s’appuyant plus sur leurs compétences linguistiques que sur leurs compétences scientifiques.  Quelques passages cependant sont à regarder d’un œil plus circonspect par leur tendance à essentialiser et vanter la « culture française » et les « traits de caractères du Français ».

  •  Louis-Jean Calvet, Linguistique et impérialisme, petit traité de glottophagie, Payot, 1974.
CorteX_Linguistique et colonialisme

Louis-Jean Calvet a été professeur en linguistique dans différentes universités françaises. Dans cet ouvrage, il décrit dans quelle mesure les discours et les décisions politiques et législatives sur les langues ont participé à la légitimation de l’entreprise coloniale et/ou impérialiste de certains États, ce à différentes époques : au XVIème siècle, sous la révolution française, sous la troisième république etc. Il développe particulièrement « l’impérialisme culturel » de l’État français, dont il subsiste encore des traces aujourd’hui au travers notamment de structures impliquées dans la défense et la promotion de la francophonie, et montre en quoi les langues sont tout autant des moyens de communication que d’oppression.

  • Claude Piron, Le défi des langues, L’Harmattan, 1994.
CorteX_Le defi des langues

Claude Piron a été entre autres interprète et traducteur dans différentes institutions internationales. Dans ce livre, Claude Piron fait d’abord le constat des modalités et conséquences en terme d’efficience et d’égalité de la communication internationale à la fin du XXème siècle, en s’appuyant notamment sur des données économiques et sociologiques. Il présente ensuite des pistes d’amélioration comme l’adoption à grande échelle par des mesures politiques adéquates d’une langue internationale telle que l’espéranto, dont il dresse les avantages.    

  •  François Grin, L’enseignement des langues comme politique publique, Haut conseil à l’évaluation de l’école, 2005. (Télécharger en PDF).
CorteX_François Grin

François Grin est actuellement directeur de l’Observatoire Économie, langues, formation et professeur d’économie à l’Université de Genève. En 2005, il tente de répondre de manière argumentée dans ce rapport aux questions suivantes : «  quelles langues étrangères enseigner, pour quelles raisons, et compte tenu de quel contexte ? » à l’échelle de l’Union européenne, en se positionnant du point de vue du coût économique, ainsi que des implications politiques et culturelles. Trois scénarios sont étudiés : le choix d’une seule langue nationale, le choix d’un trio de langues nationale et le choix d’une langue non nationale (l’espéranto). Ce rapport a été cité dans un article du Monde diplomatique du mois de mai 2015 intitulé Le coût du monolinguisme auquel nous avions réagit, notre réaction ayant été par la suite relayée dans le courrier des lecteurs.

Vidéos

  • Claude Piron, Les langues : un défi, vidéos enregistrées en 2007.

Dans ce cycle de 10 vidéos d’une dizaine de minutes chacune, Claude Piron reprend le contenu de son livre présenté ci-dessus.

  • Claude Hagège, L’anglais: support de la pensée unique, conférence enregistrée en 2013.

Claude Hagège présente le contenu de son ouvrage mentionné ci-dessus sous forme d’une conférence d’environ 1h suivie de questions-réponses, dans une école de commerce de Rouen.

Audio

CorteX_Jacques_Bouveresse

Jacques Bouveresse, Le langage, la logique et la philosophie, conférence lors du colloque du collège de France « Autour de 1914, nouvelles figures de la pensée : sciences, arts, lettres » le 16 octobre 2014.

Télécharger

L’année 1914 est marquée par deux événements se rapportant à la thématique des langues internationales : l’annulation du congrès international de l’Association universelle d’espéranto (UEA) auquel devait participer Ludwik Lejzer Zamenhof, le fondateur de l’espéranto, ainsi que le décès de Louis Couturat, fervent initiateur et promoteur de l’ido, langue dérivée de l’espéranto. Jacques Bouveresse décrit le sentiment d’urgence que rencontraient de nombreuses personnes, issues de milieux scientifiques comme populaires, à trouver une solution équitable et accessible aux problèmes de communication entre des individus et des états de langue nationale divergente, de la fin du XIXème siècle jusqu’au début du XXème siècle. Cette recherche s’accompagnait souvent d’une attitude anti-impérialiste, anti-nationaliste et pacifiste, le fait de ne pas pouvoir communiquer étant perçu comme une des causes de division entre les peuples. Le conférencier commente notamment les arguments que l’on opposait aux langues dites « artificielles » relativement à celles dites « naturelles », et qui restent récurrents de nos jours.

Brochure

Noé Gasparini, linguiste (Lyon, France)
Noé Gasparini, linguiste (Lyon, France)

Noé Gasparini est doctorant en sciences du langage à Lyon. Il nous a fait parvenir son travail intitulé Politiques linguistiques et idéal égalitaire – 12 stratégies pour communiquer quand on ne parle pas tous la même langue, fruit de quelques discussions collectives. Voici le résumé de la brochure.

Cette brochure propose une réflexion sur les problèmes de communication induits par la diversité linguistique et sur les stratégies politiques qui peuvent être mises en place pour favoriser l’entente et la discussion.

Télécharger la brochure.

Nelly Darbois

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Effet Panurge, argumentum ad populum, ou principe de la preuve sociale

Le principe de la preuve sociale désigne cette tendance à croire que si la plupart des gens croient en quelque chose ou agissent d’une certaine manière, alors mieux vaut se conformer.


Une chose devient acceptable parce qu’elle est supposée vraie/crue par un certain nombre de gens. Plus formellement, le fait qu’une masse de gens nourrissent un sentiment favorable à l’égard d’une proposition ou d’une action se substitue à la preuve étayant cette proposition.

Dans le cadre de la didactique zététique, nous employons le terme d’effet Panurge, en souvenir du personnage de François Rabelais, compagnon de Pantagruel pendant leur voyage au « Pays des Lanternes » (Quart Livre, ch. VIII) :

« Malfaisant, pipeur, buveur, Panurge sait et entend tout faire, notamment des farces ; par exemple il fait plonger les moutons de Dindonneau dans la mer en y jetant le premier, que les autres suivent bêtement. »

CorteX_Monvoisin_effet Panurge
Cialdini (2004, voir Pour démarrer) présente l’ambivalence de cet effet en utilisant une métaphore de chemin vicinal :

« Habituellement, quand un grand nombre de gens fait quelque chose, c’est que c’est la meilleure chose à faire. Cette vérification par les faits est à la fois la force et la faiblesse du principe de la preuve sociale. (…) La preuve sociale représente un raccourci commode, mais elle rend en même temps celui qui l’emprunte vulnérable aux assauts des profiteurs embusqués sur le chemin. » (pp. 127-180)

Ce sophisme est très commun et extrêmement puissant. Puisqu’une majorité de gens sont enclins à se conformer avec les vues de la majorité, convaincre une personne en lui disant que la majorité approuve l’assertion en question est un excellent moyen de le lui faire accepter, soit par mimétisme, soit par peur de l’ostracisme.

Dans la ligne directe des rires pré-enregistrés qui accompagnent les séries télévisées afin de provoquer l’hilarité des téléspectateurs au moment voulu, le comportement individuel a une forte propension à se calquer sur celui de la société. Et de la même façon que l’introduction des rires pré-enregistrés dans un programme qui plus est médiocre n’est pas laissée au hasard et s’appuie sur une connaissance scientifique de leur influence sur la réception du public (Nosanchuk & Lightstone, Canned laughter and public and private conformity, Journal of Personality and Social Psychology, Vol 29(1), Jan 1974, pp. 153-156), les stimulations marketing sont elles aussi étudiées de près et jouent sur l’étude des mouvements de troupeau : arguments de grande vente, 100 000 exemplaires vendus, hits des meilleurs ventes de disques, etc. sont passés au peigne fin par des professionnels de l’un des rares débouchés des études françaises de sociologie. On a pu montrer très récemment, comme Salganik et ses collègues, que les gens achètent la musique qu’ils savent ou croient savoir que les autres apprécient1. « Ainsi, cette tendance à l’uniformisation musicale s’opère principalement grâce aux (ou à cause de) radios/télévision qui, les unes après les autres, reprennent souvent les mêmes morceaux favorisant, par effet de mimétisme, leurs ventes au détriment d’autres morceaux ignorés. », ajoute F. Grandemange, auteur du site Charlatans.

De là à la fabrication du consentement politique, il n’y a qu’un pas, qui a été formalisé depuis sous le nom de Bandwagon effect — en souvenir du clown Dan Rice qui contribua à la propagande politique de Zachary Taylor en faisant processionner sa carriole chargée de monde. La technique fut reprise bien des fois, avec le slogan « jump on the bandwagon« .
Les études les plus récentes montrent ce comportement de troupeau (herd behaviour) lors des choix politiques, notamment Nadeau & al. sur l’avortement et sur la constitution québécoise2, Goidel & al.3, Mehrabian sur l’influence des sondages sur les votants4, amenant même Morwitz & al. à se demander si les sondages reflètent l’opinion ou si l’opinion reflète les sondages5).

Effet Panurge

  • Un grand nombre de gens pensent que X=b
  • Donc X=b

Ce sophisme est très commun et extrêmement puissant. Puisqu’une majorité de gens sont enclins à se conformer avec les vues de la majorité, convCorteX_Panurge_assiette_au_beurreaincre une personne en lui disant que la majorité approuve l’assertion en question est un excellent moyen de le lui faire accepter, soit par mimétisme, soit par peur de l’ostracisme.

Illustrer l’effet Panurge au moyen de supports tirés des médias est chose facile :

  • les classements de meilleures ventes de livres/disques/logiciels, avec parfois la mention « x clients satisfaits » – occasion de montrer un effet cigogne retors que celui consistant à faire croire qu’un produit acheté non rapporté a satisfait son acheteur ;
  • les classements des meilleures fréquentations ;
  • les labels sur certains produits ;
  • les « avis de consommateurs » et les slogans type « élu produit/voiture/saveur de l’année » ;
C’est également l’occasion de glisser quelques exemples tirés du vécu, que les étudiants ont certainement déjà rencontré. En voici trois que nous utilisons en cours.
 
  • L’exemple des boîtes de nuit laissant s’entasser devant la porte les clients même lorsque la boîte est vide juste pour créer l’illusion d’une demande accrue mise sur l’effet Panurge (Cialdini ouv.cité, p. 131).
  • L’exemple du dilemme des restaurants, ou à deux restaurants équivalents dont l’un contient déjà un client, l’autre non, le passant sera attiré par le premier (Cialdini ouv.cité, p. 131).
  • L’exemple plus dramatique : lors d’un événement grave, les individus vont d’abord chercher des signes, des indications dans l’attitude de leurs semblables afin de choisir l’action appropriée – ce qui expliquerait cette fameuse « dilution de responsabilité » appelée « effet spectateur » ou « bystander apathy » lors des agressions devant témoins : l’impassibilité se transmettant et se rationalisant peut amener un individu à ne plus réagir à un danger là où seul il aurait réagi6.

  Cet effet se situe à la convergence de plusieurs autres outils zététiques, notamment :

  • le scénario appel à l’émotion, et la peur de cet ostracisme qu’encourt qui ne se plie pas à la peer pressure, le conformisme de groupe tel qu’on a pu l’appréhender depuis les études célèbres de Solomon Ash.
  • le faisceau de preuve, par le fait qu’il se base sur la réunion de nombreuses « mauvaises preuves » :
 
Labossière le décrit ainsi dans son Fallacy Tutorial :

« The fact that most people have favorable emotions associated with the claim is substituted in place of actual evidence for the claim. A person falls prey to this fallacy if he accepts a claim as being true simply because most other people approve of the claim ».

Des séquences pédagogiques simples peuvent être réalisées sur ce thème, en demandant aux élèves d’aller relever des arguments ad populum dans la vie de tous les jours. 

Exemples du quotidien :

  • Arguments de grande vente, 100 000 exemplaires vendus, hits des meilleures ventes, x clients satisfaits ;
  • Les avis de consommateurs et les slogans type élu produit/voiture/saveur de l’année, vu à la T.V. , etc.alt

On peut également collectionner les exemples un peu plus complexes, comme l’appel au peuple lié au courrier ou aux appels au standard d’une émission. Il y a appel au peuple quand l’intervenant.e change son propos du fait d’une avalanche de plaintes arrivant au standard – avalanche qui est probablement un double biais d’échantillonnage, entre le tri  effectué par la radio ou la chaîne, et le tri « naturel » à voir une surreprésentation des mécontents téléphoner, là où les satisfaits sont plus discrets.

Le meilleur exemple que nous ayons pour l’instant est celui de Didier Sicard, sur France Inter, en 2011, à propos de l’ostéopathie.

 

Pour aller un peu plus loin : Principe de la preuve sociale, effet Panurge ou argumentum ad populum dans la thèse de didactique de Richard Monvoisin Pour une didactique de l’esprit critique – Zététique & utilisation des interstices pseudoscientifiques dans les médias, 4.3.2.14 pp. 233-236).

 

Manifeste des 100 intellos à lunettes qui ont besoin du Postillon pour travailler

Ce manifeste a été produit en soutien à la seule presse alternative du bassin grenoblois. C’est une tribune, et à ce titre, elle déroge un peu à la charte de publication du CorteX. Mais il s’agit ici de mettre un peu les mains dans le cambouis. Les intellectuel.les ont le devoir accru de descendre de leurs hautes sphères et de se concerner pour la vie publique et le paysage médiatique, un devoir plus grand que pour quelque autre profession car leur métier est de penser, de réfléchir, et s’ils/elles ont appris à faire ça par les services et les deniers publics, il est légitime qu’ils/elles rendent au public un peu la monnaie de leur pièce. Comme l’écrivait Michel Audiard, deux intellectuels assis vont moins loin qu’une brute qui marche.

Lettre ouverte à Christophe Ferrari, président de la Métro, et Yveline Denat, directrice de cabinet de la Mairie de Pont-de-Claix

Monsieur Ferrari, Madame Denat,

Nous sommes enseignant.e.s, chercheur.euses, journalistes, éducateurs et éducatrices, maniant plus facilement la cervelle que la truelle. De fait, nous sommes des intellectuel.les. Par conséquent les faits scientifiques, les études, les livres et le journalisme d’investigation sont nos nourritures, notre matière première de travail, notre glaise. Vous ne pouvez pas l’ignorer, en particulier vous Monsieur Ferrari, scientifique universitaire que vous êtes.

Le contexte actuel ne vous est pas étranger : la presse caustique a les dents limées, la presse satirique se prend du plomb dans la tête, la presse d’investigation n’existe presque plus, et l’aide à la presse, censée « contribuer au pluralisme du paysage médiatique et offrir un choix réel au lecteur », subventionne plus volontiers les mastodontes et les programmes télévisés que les petites feuilles de chou locales1.

Une presse alternative décapante est essentielle à l’alimentation de la réflexion des citoyens de la métropole, réflexion qui avait tendance à s’habituer au ronron anxiolytique du Dauphiné Libéré, pourtant subventionné à près de 5 millions d’euros par an.

Tuer cette presse, c’est enlever le ciment au maçon, c’est acidifier la terre de l’agriculteur. C’est pisser dans le seau à champagne. Tuer cette presse, c’est retirer le matériel de réflexion dont nous nous servons pour former à la réflexion critique nos chères têtes blondes, bouclées et crépues.

Et il s’agit bien ici de non-assistance à presse en danger. En laissant le Postillon et son directeur de publication être déclarés « coupables » et condamnés à verser « 2 000 euros d’amende, dont 1 000 avec sursis »,puis « 2 000 euros de dommages-intérêts à Yveline Denat », plus « 1 500 euros de dommages-intérêts à Christophe Ferrari », plus « 1 200 euros chacun pour le remboursement de leurs frais de justice », vous savez bien, Monsieur Ferrari, Madame Denat que vous faites couler la barque, fabriquée par des personnes précaires qui ne proposent ce canard que par conviction.

Le caractère diffamatoire ou non est de notre point de vue très secondaire dans cette affaire.

Entendez notre appel : retirez votre plainte !

D’abord par calcul personnel : car cette plainte vous rend antipathiques, comme Goliath, comme Polyphème. Elle fait de vous une botte militaire qui écrase la seule fleur d’un bocage. Elle signifie flinguer la seule presse alternative grenobloise existante, pour simplement laver votre plumage. Vous allez torpiller un enjeu d’utilité publique pour un petit honneur confit dans une surestime de soi.

Surtout, pour l’Histoire. Vous n’êtes pas dupes : cela relève de notre boulot de documenter, de garder trace, de consigner. Les encyclopédies du présent et du futur sauront garder votre fait d’armes, et il est assez probable que nos descendants auront grand mal à revendiquer votre héritage. Il est prévisible que votre action en justice fasse pouffer nos petits-enfants, comme nous pouffons devant les censures de l’ORTF ou de l’abbé Béthléem.

Nous faisons le pari que vous n’aviez pas vu les choses sous cet angle, et que comprenant tout l’enjeu qu’il y a rapporté à ce que vous essayez de sauver, vous allez annoncer le retrait de votre plainte. Les enjeux collectifs, nous en sommes sûr.es, dépassent et subsument nos égos, n’est-ce pas ?

Bien cordialement

Les signataires

Alban BOURGE, nanotechnologies

Albin DE MUER, physique

Albin GUILLAUD, épidémiologie

Anaïs GOFFRE, agriculture

Anne DIDELOT, anglais, français langue étrangère

Anne VILAIN, sciences du langage

Anne-Laure DAUB, santé

Aurélien BARRAU, astrophysique

Aurore AUDRAIN, informatique

Aymeric SOLERTI, agriculture

Bastien LETOWSKI, génie électrique

Benjamin VIAL, sciences sociales

Brunelle DALBAVIE, construction

Caroline BORDIN-GOFFIN, santé

Caroline ROSSI, anglais

Cécilia DUPRÉ, nanotechnologies

Cédric TAILLANDIER, science des matériaux

Célia GUILLAUD, ressources humaines

Céline DALLA COSTA, mesures physiques

Claire MARYNOWER, histoire

Clara EGGER, science politique

Clément DEBIN, mathématiques

Cyril TRIMAILLE, sociolinguistique

Cyrille DESMOULINS, énergies alternatives

Denis CAROTI, sciences physiques

Dominique BOCHER, sciences physiques

Edwin HATTON, politique

Elise BOURGES, musique

Élodie BIDAL, biophysique

Elora MOURGUES, technologie

Eric DUMAS, mathématiques

Euxane ESPIAU, géotechnique

Fanny BASTIEN, audiovisuel et multimédia

Fanny VUAILLAT, urbanisme

Félix SIPMA, agriculture

Francis LAZARUS, informatique

Francis TROULLIER, sciences physiques

François BLAIRE, graphisme

François BOUX, informatique

Gaëtan BOUILLARD, médecine

Gilbert MARMEY, électrotechnique

Grégoire CHARLOT, mathématiques

Grégory HERBINSKI, médecine

Guillaume ALLÈGRE, informatique

Guillaume LAGET, mathématiques

Guillemette REVIRON, mathématiques

Haithem GUIZANI, sciences de gestion

Héléna REVIL, sciences sociales

Hélène PINSON, médecine

Irène FAVIER, histoire

Isabelle KRZYWKOWSKI, littérature générale et comparée

Ismaël BENSLIMANE, philosophie

Jean RESSIOT, informatique

Jean-Yves TIZOT, histoire et civilisation britannique

Jennifer BUYCK, urbanisme

Jérémy GARDEN, ethnomusicologie

Josua GRÄBENER, sciences politiques

Julien LÉVY, sciences sociales

Julien PECCOUD, sciences de la vie et de la Terre

Laure SAMBOURG, mathématiques

Laurence BUSON, sciences du langage

Laurent HUSSON, géologie

Lucas FLORIN, éducation populaire

Madeleine MIALOCQ, sciences humaines

Manon ÉLIE,ingénierie

Marie GARDENT, géomorphologie

Marine PONTHIEU, sciences de la matière

Marinette MATTHEY, sciences du langage

Marlène JOUAN, philosophie

Murielle FRANVILLE, sciences de la communication

Nelly DARBOIS, santé

Nicolas PINSAULT, santé, neurosciences

Nicolas VIVANT, indépendant

Olivier KRAIF, informatique pédagogique

Olivier RAZAC, philosophie

Olivier TOSONI, technologies industrielles

Pascale LAZARUS, musique

Pascale GUIRIMAND, éducation populaire

Pierre BADIN, parole et cognition

Pierre GENEVOIS, mécanique

Pierre LABREUCHE, physique

Pierre MAZET, sciences sociales

Pierrick BONNASSIEUX, ingénierie

Raul MAGNI BERTON, science politique

Rémi CLOT-GOUDARD, philosophie

Richard MONVOISIN, didactique des sciences

Robin ROLLAND, électronicien

Romain VANEL, mathématiques

Sarah MEKDJIAN, géographie

Sébastien BERGER, pollution

Serge BONDIL, informatique

Simon PONTIÉ, électronique

Simon VARAINE, science politique

Stéphanie GUINARD, agriculture

Thierry SOUBRIÉ, sciences du langage

Thomas BASILE, santé

Thomas VAN OUDENHOVE, informatique

Vincent BOURY, ressources humaines

Yves BONNARDEL, indépendant

Pour en savoir plus : Condamné, Le Postillon fait appel

Extrait de « un taxi pour Tobrouk« , de Denys de La Patellière (1961).

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Barreaux en fer et verrous mentaux – Tribune

Ce texte a été écrit à six mains en janvier 2016, puis, malgré notre réticence médiatique, a été proposé comme tribune au Monde afin de donner un écho à la cause qui y est défendue. Las ! Le journal a demandé à ce qu’on formate le texte en 5000 signes, puis, une fois le travail effectué, a refusé, invoquant l’actualité débordante. Quant à nous, nous invoquons Charles-Guillaume Étienne, dramaturge français oublié, qui par sa pièce Bruis et Palaprat (1807), a rendu proverbiale cette expression : « on n’est jamais mieux servi que par soi-même ». Voici la version de notre tribune, non raccourcie. Rappelons qu’en tant que tel, une tribune est une expression plus qu’un article de fond, avec sources, références, etc. Alors ce texte est dédié à tous.tes cell.eux qui se plaignent qu’il y a trop de notes de bas de page dans nos articles. Cette fois, zéro.

C’est un secret de polichinelle que de révéler l’inefficacité du système carcéral en terme de réinsertion sociale. En voici un autre bien plus volontiers gardé : les quelques stratégies pédagogiques plébiscitées par les détenus vont probablement être sacrifiées à l’urgence d’État.

Donnons de la chair à notre inquiétude.

Depuis 2011, le collectif CORTECS déroule avec succès à Montpellier et à Grenoble, des enseignements de critique des médias au sein de quelques maisons d’arrêt.
Le pari effectué par les enseignants est celui-ci : partir du matériel accessible, en l’occurrence les médias, pour en faire l’analyse, la dissection et la déconstruction éventuelle. Sous forme de cours formels et d’ateliers, la méthode consiste à illustrer quelques aspects essentiels de la pensée critique, aussi bien sur des falsifications d’images, que sur des mésusages de chiffres, ou des discours publicitaires, propagandistes, racistes, sexistes, complotistes, sectaires, etc. Cet outillage est exactement le même que celui délivré dans des cours spécifiques de pensée critique et d’autodéfense intellectuelle sur certains campus. L’ambition des enseignants est simple : détourner leurs étudiants des manières de douter stériles, souvent conspirationnistes, parfois sectaires très en vogue – à plus forte raison dans un contexte aussi confiné que la prison – pour élaborer un art du doute méthodique, rationnel et se donnant les moyens de ses critiques. À moyen terme, ce matériel intellectuel tend à former des citoyens qui ont une meilleure prise sur leur environnement, donc en sont moins des victimes passives. Il n’a jamais eu prétention à remettre les personnes détenues dans la « moralité », dans le rang, sur la route des braves gens qui n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux. Il s’agit de transmettre l’outillage critique nécessaire pour faire des choix en connaissance de cause – autant que faire se peut.

Avant les attentats ayant ensanglanté la France métropolitaine en 2015, l’action de nos enseignements était lente, mais pérenne, mobilisant des énergies individuelles au sein du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) ou chez d’autres enseignants, générant parfois quelques soubresauts de l’institution, mais sur un fond d’indifférence courtoise : la pensée critique était logée à l’enseigne par exemple du théâtre d’impro, ou du macramé. Les détenus étaient contents, il n’y avait pas de problème majeur. Pour enseigner heureux, enseignons cachés.

Dès le 7 janvier, le regard a changé, et s’est mis à doublement loucher. D’une part, en tant que spécialistes des dérives sectaires, nous avons vu pleuvoir sur nous des sollicitations sur le thème « djihadisme, la nouvelle forme de secte ».

D’autre part, nous avons vu les institutions carcérales lorgner sur nos formations, laissant entendre qu’il fallait « rééduquer » le moudjahidin en devenir, l’ayatollah en chemise de bure, le salafiste larvé.

Alors profitons-en pour éventer quelques idées reçues car, si l’on veut réellement éviter des drames comme ceux que nous avons vécus, il faut regarder la réalité, et non une réalité fantasmée.

D’abord, si mécanique sectaire il peut y avoir dans certains cas, elle ne se met en branle que dans un deuxième temps. Le moteur principal du ralliement à des méthodes combatives type djihad valorisant la lutte armée est principalement politique : oui, ces jeunes sont fâchés.

Cela n’excuse pas leurs actes, comprenons-nous : ça les explique, ça donne les racines du problème. Et le problème est sous nos yeux : le sort réservé aux différentes vagues d’immigration, l’urbanisme post-colonial, le racisme ordinaire est l’un des aspects ; la France en conflit armé par ingérence, bien plus au nom d’enjeux économiques que de causes humanistes, en est un second. Il suffit, lorsque le système scolaire signe sa faillite, de saupoudrer sur ces jeunes têtes des grilles de lectures religieuses au lieu de grilles politico-économiques, et le tour est joué : un peu comme voir des banquiers juifs partout au lieu de décortiquer les inégalités économiques qui ne cessent de s’accroître.

Au lieu de critiquer la politique coloniale d’Israël, ou la violence du régime syrien, et forger une solidarité humaniste avec les peuples désespérés, fabriquons une solidarité religieuse. Renonçons à la lecture profane des conflits , la lecture binaire est si facile, la tripe religieuse si simple à activer. Troquons Lumumba contre Ben Laden, Franz Fanon contre Abd al-Aziz Ibn Baz, Kwame Nkrumah le pacifiste panafricaniste contre Abo Bakr al-Baghdadi. Que le recrutement « djihadiste » soit ensuite à l’image des structures sectaires, soit : mais que ce soit chez Aum vérité suprême, l’Ordre du temple solaire ou chez les Raëliens, la source de recrutement n’était pas un mécontentement généralisé par une classe opprimée.

La question qu’il faut accepter de se poser est : de quoi les attentats signent-ils la faillite ? Assurément la nôtre, collective : sinon comment comprendre que des individus, sains d’esprit, ni brillants ni fous, qui grandissent adossés à nos institutions trouvent enthousiasmant, plus enthousiasmant que tout, de tuer des personnes inconnues ?

Notre travail est d’enseigner, de forger une pensée, d’encourager, comme disait Montaigne à « frotter et limer nostre cervelle contre celle d’autruy« . Or nous voyons les gros sabots carcéraux arriver : même si nos interlocuteurs directs ont bien tenté de nous rassurer sur ces points, le discours ambiant nous laisse craindre fortement qu’il s’agisse, dans le cadre du plan de lutte anti-terroriste (PLAT), non plus de former, mais de détecter des détenus dangereux, de collaborer avec l’institution, de les faire rentrer dans le droit chemin.

Oublieux de la substantifique moelle de nos cours, des élus et des administratifs pensent que nous pouvons « déradicaliser » : or, non seulement nous n’avons aucune compétence pour mesurer un quelconque degré de radicalisation, mais le simple fait de nous associer à une telle démarche rendrait tout simplement impossible la poursuite de nos enseignements : comment, en effet, passer au crible de l’analyse critique une idée ou une représentation du monde dite radicale qui, exprimée par un détenu, conduirait à son signalement ?

D’ailleurs, nos enseignements sont radicaux : d’une analyse lucide, et la plus objective possible, nous faisons en sorte que la colère sourde des détenus s’oriente dans le maelström de notre monde complexe plutôt que prétendre éteindre les flammes de cette colère politique. On entend sans cesse le discours alarmiste : « la jeunesse n’est plus politisée ». Mais si, justement. Or, pour critiquer ce programme théocratique totalisant, il faut d’abord reconnaître la nature fondamentalement politique des revendications portées par ces jeunes.

Tout pompier dira d’ailleurs qu’à part poser pour la photo et donner l’illusion de faire quelque chose, il n’y a guère de sens à arroser le haut des flammes d’un incendie. Donc non, contrairement à ce que nous demandent les DCRI, nous ne simplifierons pas artificiellement le problème. Voir un mécanisme sectaire dans le djihadisme revient à voir une folie collective ou un empoisonnement à l’ergot de seigle dans la montée du national-socialisme allemand. C’est pathologiser le problème artificiellement, en faire un furoncle à extraire à la pince. Envisager de réquisitionner nos cours à succès pour en faire un appareil de redressement mental ? Sans façon merci.

Ils se disent radicaux ? Soyons nous-mêmes radicaux, étymologiquement parlant, allons intellectuellement à la recherche des racines. Nous verrons que la menace qui rôde se repaît de notre politique extérieure plus que de l’âme de gens sous emprise. Et nous aurons enfin de vrais leviers pour l’affamer.

Guillemette Reviron, Clara Egger, Richard Monvoisin.

Le dépistage organisé du cancer du sein : outils d'autodéfense intellectuelle

L’augmentation de la participation au dépistage organisé (DO) du cancer du sein fait partie en France des objectifs de santé publique. Toutes les femmes de 50 à 74 ans sont invitées (parfois même incitées) à recourir à une mammographie tous les 2 ans afin de potentiellement détecter un cancer du sein. Des organismes départementaux comme nationaux sont chargés de veiller au bon déroulement de ce dépistage, mais doivent aussi s’assurer que le taux de participation corresponde à celui recommandé au niveau national et européen. Cette thématique fait l’objet d’interventions du CorteX en 2016 (à l’UIAD et lors des stages de formation doctorale Science sans conscience et Auto-défense mathématique pour non mathématicien) car elle permet d’aborder de nombreuses facettes de l’autodéfense intellectuelle. Alors que l’efficacité propre de cette pratique est aujourd’hui au cœur du débat scientifique, toutes sortes d’arguments plus fallacieux les uns que les autres sont utilisés pour convaincre les femmes de participer à ce dépistage, leur ôtant par là même la possibilité de faire un choix éclairé. Voici un aperçu des arguments trompeurs que nous avons relevés suivi de ressources bibliographiques pour explorer à sa guise le sujet. Précisons que tout ce qui suit ne concerne que le DO (dépistage généralisé,  systématique) par mammographie et non le suivi individualisé réalisé par les gynécologues, conduisant parfois à la réalisation de mammographies selon les symptômes et les facteurs de risque des patientes. Enfin, prenons encore une fois la précaution de préciser qu’il ne s’agit pas pour nous de dicter ou d’imposer une bonne conduite individuelle ou collective, mais bien de poser des bases rationnelles d’un débat. Ajout d’octobre 2016 : le rapport final d’une concertation citoyenne initiée par l’INCa recommande deux scénarios : un où le dépistage organisé est totalement supprimé, l’autre où son organisation est profondément modifiée 1.   

Décryptage de quelques arguments

Toutes les résidentes françaises âgées de 50 à 74 ans
reçoivent tous les deux ans à leur domicile une lettre d’invitation les
enjoignant à réaliser une mammographie. Cette lettre est parfois
accompagnée de brochures informatives. Des documents du même type sont
également diffusés massivement dans de nombreux établissements publics
(mairies, hôpitaux etc.) et privés (centres d’imagerie médicale,
cabinets de médecins généralistes, magasins, pharmacies etc.) ainsi que
dans les médias (chaînes télévisuelles, radio, journaux, sites internet
etc.). Afin d’avoir une idée du contenu de ces documents, nous avons
visité en janvier 2016 le site de l’Institut national du cancer (INCa)
et ses pages dédiées au sujet et nous avons mené des recherches à partir de Google
avec les mots clés « dépistage organisé du cancer du sein » et
« mammographie cancer du sein ». Dans les paragraphes suivants, nous
faisons une sélection non exhaustive des arguments rhétoriques
fallacieux détectés les plus redondants.

Appel au témoignage

CorteX_inca_roman_photo

En 2009, l’INCa a conçu un roman-photo pour « sensibiliser au dépistage ». Il relate l’histoire d’une esthéticienne d’une cinquantaine d’année, Véronique, qui prend conscience de l’importance du dépistage suite au témoignage d’une de ses clientes, traitée pour un cancer, qui témoigne « heureusement, mon médecin traitant m’a rappelé de faire ma mammographie de dépistage et, du coup, on a détecté mon cancer très tôt« . 

CorteX_inca_roman_photo2

Relevons au passage que le livret entretient des clichés1 très genrés2

Nous avons déjà évoqué les limites liées à l’appel au témoignage notamment pour orienter ses choix de santé (voir ici ou ). L’appel au témoignage est un procédé courant dans les campagnes publiques ou privées de sensibilisation au dépistage (voir par exemple ci-dessous la campagne 2009 de l’association Le cancer du sein, parlons-en ! ) :

CorteX_cancer_sein_faites_comme_moi

Pire, on fait parfois appel au témoignage de patientes de moins de 50 ans pour inciter les femmes plus jeunes à effectuer également des mammographies. C’est le cas par exemple dans ce reportage de la chaîne BFM TV en 2010, qui interroge une patiente de 48 ans qui a contracté un cancer alors que rien ne le laissait présager, ainsi qu’un radiologue encourageant cette pratique (s’étoffant au passage d’un argument d’autorité).

Dans le court-métrage ci-dessous réalisé à l’initiative de l’Institut Curie et l’association NRB Vaincre le cancer, diffusé à la télévision et dans les cinémas en 2010, c’est une femme dont le physique ne laisse en rien présager un âge de plus de 50 ans qui nous suggère « d’aller montrer nos seins ».

CorteX_brochure2015_cancer-du-sein-parlons-en

Dans la brochure 2015 de l’association Le cancer du sein, parlons-en, la quasi-totalité des photos illustratives présentent des femmes d’apparence jeunes au regard de l’âge ciblé par le DO. Voici par exemple une photo d’une femme réalisant une mammographie. Relevons au passage la posture décontractée, le sourire bienheureux qui ne laisse pas imaginer que le passage d’une mammographie est un acte douloureux et non anodin. Cette photo est un effet impact.

Or, les études de bonne facture menées les dernières décennies convergent toutes vers une absence d’efficacité sur la diminution de la mortalité par cancer du sein du dépistage par mammographie chez les femmes de moins de 50 ans non à risque3.

Appel aux célébrités

L’impact du récit des expériences individuelles des patientes atteintes de cancer du sein sur le choix pour des femmes de recourir au dépistage est non négligeable, qui plus est si la patiente est une célébrité. En mai 2005, les médias annoncèrent le diagnostic de cancer du sein de la chanteuse australienne Kylie Minogue. Dans les dix jours qui suivirent, les médias nationaux reprirent l’information et parlèrent vingt fois plus que de coutume du cancer du sein. En parallèle, les réservations pour des mammographies de dépistage augmentèrent de 40% en Australie durant ces deux semaines par rapport aux semaines précédents l’annonce, particulièrement pour la tranche d’âge des 40-49 ans alors que le dépistage n’est pas recommandé à ces âges4.

En France en 2011, France Télévisions en partenariat avec l’INCa mobilise certains de ses animateurs « célèbres » (Nagui, Sophie Davant, Élise Lucet etc.) pour promouvoir le dépistage dans des campagnes télévisuelles.

CorteX_mammo_sophie_davant

La marque de café Carte Noire a elle aussi fait appel à des femmes médiatisées (styliste, chanteuses, mannequin, actrice, animatrice, blogueuse… ) pour promouvoir le dépistage dans un clip qui rappelle les stéréotypes de genre du roman-photo de l’INCa.

https://www.youtube.com/watch?v=XLLDNikq2gg

Le message final du clip est « au nom de vos seins, faites-vous dépister » ; ainsi, les femmes ne devraient pas recourir au dépistage au nom de leur santé, mais au nom de leurs « seins », ce qui fait leur essence si on en croit ce film. La femme ne se conçoit pas autrement qu’à travers ses seins durant toute la durée de la vidéo, ce qui donne à penser que les seins sont le siège de la féminité – ce qui non seulement entretient les poncifs genrés classiques, mais est normatif pour les femmes, surtout pour celles qui n’ont pas de poitrine5. Le même glissement a lieu lorsque par exemple on avance que la féminité réside dans la maternité (ce qui exclut derechef les nullipares, les stériles, les intersexes, etc).

Ad populum

CorteX_mammo_roman_photo_ad_populum
Roman-photo de l’INCa, 2009

Parfois, le fait qu’un nombre X de femmes ait déjà eu recours au dépistage est apporté pour suggérer à celles qui ne font pas partie de ce groupe de le rejoindre. C’est le cas par exemple sur cette affiche réalisée par l’INCa en 20076. Le texte de l’affiche laisse penser qu’un nombre important de femmes s’étant déjà fait dépister (bien que le chiffre manque de précision ; s’agit-il de 3 millions de femmes en France ? Sur l’année encourue ou depuis que le DO est en place ? ), celles qui n’ont pas encore saisi l’occasion devraient s’empresser de le faire. C’est un argument ad populum. L’affiche est d’ailleurs de nouveau utilisée et mise à jour dans le roman-photo de l’INCa évoqué précédemment.

Affiche de l'INCA de 2007
Affiche de l’INCa de 2007

 

Une version un peu différente proposée par l’Agence sanitaire et sociale de Nouvelle-Calédonie qui s’appuie sur le fait qu’aujourd’hui, plus de la moitié des femmes concernées l’ont fait [le dépistage] »7.

Effet paillasson

C’est le fait de qualifier un objet, une chose (ici un acte) par un mot qui renvoie à autre chose (cf. article). Le dépistage est souvent associé à la prévention ou à la protection de la santé.  Or, passer une mammographie est un acte de prévention secondaire : cela ne permet pas d’éviter d’être atteint d’un cancer (prévention primaire) mais de potentiellement diminuer le risque de mourir de ce cancer, une fois qu’on est déjà atteint (prévention secondaire).

Affiche de la campagneOctobre rose 2012 de l'organisme de Dépistage organisé du cancer (DO) de Haute-Garonne
Affiche de la campagne Octobre rose 2012 de l’organisme de Dépistage organisé du cancer (DO) de Haute-Garonne ; la prévention est associée au dépistage.

« Dans le cadre de la prévention du cancer du sein, il est conseillé de faire cet examen [une mammographie](…) »8

« pour vous protéger (…) il faut se faire dépister » 9

« La meilleure protection : la mammographie de dépistage » 10

 Sur site de l’Assurance maladie (Ameli), le dépistage est classé dans la rubrique « Prévention santé : protection, prévention« .

Ce type de message peut conduire les femmes à penser que le dépistage réduit le risque d’avoir un cancer du sein. Une étude11 réalisée à partir d’interrogatoires de femmes à la fin des années 1990 constate que sur un échantillon de plus de 6000 femmes de plus de 15 ans habitant dans cinq pays dont la Suisse et l’Italie, 68 % pensent que le dépistage réduit ce risque. Cela revient à croire que le port de la ceinture de sécurité diminue le risque d’accident de la route !12

Effets impact et appel à la peur

L’usage de mots (ou images) à effet impact est un procédé récurrent : on emploie des mots fortement connotés, générant un impact affectif, pour qualifier le cancer du sein ou « l’urgence » nécessaire du dépistage. La vidéo ci-dessous, proposée par la chaîne TEVA et réalisée par l’association Le cancer du sein, parlons-en ! en 2015 en déploie une belle brochette centrée sur l’appel à la peur :  elle nous parle du cancer du sein, « le plus meurtrier », qui « frappe à toutes les portes », pour lequel « chaque jour compte », en concluant « faites-vous dépister ». Notons également la typographie utilisée qui fait ressortir ces expressions.

Spot 2015 de la chaîne TEVA et de l'association Le cancer du sein parlons-en
CorteX_cancer_sein_teva_2015

On peut penser que ce type d’arrangements syntaxiques et typographiques participe à la surestimation du risque de développer un cancer du sein constatée chez les femmes. Dans une étude réalisée à partir d’interrogatoires de femmes en 2001 et 2002, on constate que sur un échantillon de 500 femmes états-uniennes entre 40 et 50 ans n’ayant jamais contracté de cancer, 15 % pensent que le risque d’avoir un cancer du sein au cours de la vie est de plus de 50 % (surestimation de 5 fois par rapport aux données de l’époque)13.

Mésusage des chiffres

Détecté tôt, le cancer du sein peut être guéri dans 9 cas sur 1014

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Brochure de l’INCa, 2015

C’est sans doute l’affirmation la plus fréquemment retrouvée dans tous les documents d’information et de promotion du dépistage que nous avons eu sous les yeux. Elle se décline sous différentes formes, par exemple : « Détectés à temps, 90% des cancers du sein se soignent. »15, « Un traitement précoce permet une rémission dans 95% des cas »16, « Parce que dans 9 cas sur 10, s’il est détecté à temps, un cancer du sein peut être guéri »17. Ces phrases sont trop imprécises pour délivrer un message véritablement informatif :

  • il n’y a pas d’élément de comparaison avec le nombre de cancers détectés « tard » mais guéris. Si le nombre de cancers guéris considérés comme détectés tard est aussi de 9/10, alors il n’y a pas d’intérêt à détecter « tôt » ;
  • lorsqu’une détection précoce ou un traitement précoce sont mentionnés, aucune précision n’est donnée sur ce qui permet cette détection ou ce traitement précoce. Comme la phrase apparaît sur un document encourageant à la réalisation d’une mammographie dans le cadre du DO, il peut être cohérent de croire que c’est le passage d’une mammographie tous les deux ans qui permet cela. Or, la mammographie dans le cadre du DO est loin d’être le seul outil diagnostique, y compris en première intention. Les 9 femmes sur 10 qui guérissent d’un cancer n’ont pas forcément eu recours à une mammographie dans le cadre du DO ;
  • on nous délivre une valeur relative sans la raccrocher à une valeur absolue, ce qui peut influencer notre perception de la situation. En effet, on oublie parfois que 90% d’une petite quantité reste une petite quantité. Il serait donc préférable de préciser systématiquement le nombre de femmes atteintes du cancer du sein18 si l’on souhaite décrire la situation au plus près ; contrairement à ce qui est suggéré, « 90% de femmes sauvées » n’est pas pas, en soi, un argument indiscutable pour justifier l’intérêt collectif du DO.
  • cette affirmation masque deux biais potentiels : un biais statistique appelé Phénomène de Rogers19 ainsi que le surdiagnostic20 Plus précisément, le principe du DO est de détecter des cellules pathologiques par mammographie. Une première difficulté réside dans le fait qu’il s’avère parfois très difficile de distinguer, à partir des images produites, des cellules pathologiques de cellules saines,  ce qui peut conduire à un mauvais diagnostic dans un sens ou dans l’autre. Le deuxième problème est que, contrairement à une idée très répandue, chez certaines patientes, les cellules dites pathologiques détectées n’évolueront pas en cancer invasif et se « résorberont » spontanément ; il n’y a par ailleurs, à l’heure actuelle, aucun moyen de savoir si les cellules dites pathologiques vont évoluer en une tumeur ou non : le DO diagnostique donc comme porteuses de cancer des femmes qui, même sans traitement, n’auraient pas été malades. Si le DO tend ainsi à diminuer le taux de létalité des patientes dépistées21, encore faut-il s’assurer que cette baisse n’est pas seulement due à une augmentation du nombre de diagnostics : il est alors nécessaire de connaître la mortalité par cancer du sein22 pour se faire une idée de la pertinence du DO. Dans les brochures à destination du grand public, ce chiffre n’est jamais (rarement ?) avancé.

Diminution de la mortalité de 15% à 21%, voire 30%

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Philips (quatrième marque de mammographe la plus utilisée en France en 2012 et 2013 (INCa, 2015)) participe à la « sensibilisation au cancer du sein » et au dépistage en évoquant une diminution de la mortalité par cancer du sein de 25% à 30% chez les femmes ayant recours régulièrement à des mammographies. Un autre aspect qui mériterait attention est l’acoquinement entre certaines de ces campagnes et les industries qui en tirent bénéfice, comme Philips ou General Electric. Puissent des spécialistes du lien d’intérêt s’y pencher

Le dépistage permettrait de réduire la mortalité liée au cancer du sein de 15% à 21% pour les femmes de 50 à 74 ans selon la plupart des documents informatifs officiels français23. D’où proviennent ces chiffres ? Que signifient-t-ils concrètement ? Sont-ils fiables ?

  • Remonter à la source (primaire)

L‘Institut Curie renvoie et s’appuie sur un article réalisé en 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). En lisant l’article, on réalise qu’il n’y est pas fait mention d’une diminution de 15% à 21% comme rapportée par l’Institut : « Les femmes de 50 à 69 ans invitées à se rendre à un dépistage par mammographie avaient, en moyenne, une réduction de 23 % du risque de décès par cancer du sein ; les femmes ayant participé à un dépistage par mammographie présentaient une réduction plus importante du risque, estimée à environ 40 % »24.

  • Analyser le chiffre

Petit test 1 : lorsqu’on parle de réduction de mortalité de 25% grâce au dépistage, sur 100 femmes participant au DO, combien de femmes, selon vous, seront sauvées ?

Il est fort à parier que beaucoup répondront 25 femmes. Cette réponse, bien que fausse, est tout-à-fait compréhensible puisque c’est la présentation habituelle des chiffres de la mortalité qui l’induit. Ce chiffre de 25% ne signifie pourtant pas cela. Avant d’expliquer pourquoi, voici une autre question :

Petit test 2 : entre un test de dépistage qui réduit la mortalité de 25% et un test de dépistage qui réduit la mortalité de 0,1%, lequel choisissez-vous ?

Il est tentant de répondre que le premier est « évidemment » « bien plus » efficace que l’autre, mais les évidences sont parfois trompeuses, et le test du DO réduit le risque de mortalité de 25%, mais réduit aussi le risque de mortalité de 0,1%. Vous avez bien lu, ces deux affirmations très différentes sont possibles en même temps. Comment cela est-il possible ?
Dans les deux questions, on joue sur l’ambiguïté entre risque absolu et risque relatif. Il faudrait en fait formuler les choses comme cela : le test du DO réduit le risque de mortalité relatif de 25% (régulièrement présenté dans les brochures informatives), mais réduit le risque de mortalité absolu de 0,1% (jamais évoqué)25. Comment est-il possible d’obtenir des chiffres apparemment si différents pour décrire une même situation ? Explicitons ces chiffres en nous appuyant sur les données d’une étude réalisée en Suède en 199326 :

 

Nombre de décès (sur 1000 femmes) au bout de 10 ans

Sans mammographie

4

Avec mammographie (tous les 1 à 2 ans)

3

La réduction du risque relatif consiste à faire 1 – le quotient (taux de mortalité avec DO)/(taux de mortalité sans DO), c’est-à-dire 1-(0,003/0,004) = 0,25 = 25%.
La réduction du risque absolu consiste à faire le quotient (nombre de personnes sauvées)/(population totale) = 1/1000 = 0,001 = 0,1%. Et le tour est joué.

En pratique, un chiffre indiquant la diminution du risque de mortalité, pour être véritablement exploité, devrait être accompagné de précisions concernant :

  • le type de mortalité (mortalité toute cause confondue ? mortalité par cancer ? par cancer du sein ?) ;
  • les groupes comparés (ensemble des femmes se faisant dépister tous les deux ans comparé à l’ensemble des femmes qui ne se font jamais dépisté) ;
  • la durée cumulée (la réduction est-elle calculée au bout de deux ans ? cinq ans ? dix ans ?) ;
  • le nombre de femmes décédées dans chaque groupe comparé ;
  • idéalement, le nombre nécessaire à traiter (NNT), c’est-à-dire le nombre de femmes qu’il faut traiter pour qu’une seule soit sauvée (1 sur 1000, 1 sur 2000 etc.).

Notons à propos de ce dernier point que l’hypothèse la plus optimiste actuellement concernant le dépistage est qu’il permet de sauver du cancer du sein 1 femme sur 2000 (pour 2000 femmes invitées à participer au dépistage pendant 10 ans).27

Éthique, choix individuels et choix collectifs

Aujourd’hui, le débat sur nos choix individuels et collectifs est complètement enseveli sous la culpabilisation des femmes et de leur entourage et sous les appels à la peur. Pourtant, les enjeux sont de taille et mériteraient vraiment qu’on regarde la situation en face, sans faux semblants. Discuter et soupeser les chiffres en matière de santé est parfois difficile : on est vite soupçonné de vouloir faire des économies sur la santé des individus. Pourtant, refuser de questionner nos choix moraux, refuser de se demander où et comment il est le plus utile de dépenser l’argent public a justement pour conséquence de laisser d’autres personnes faire ces choix à notre place, qui plus est sans avoir à les expliciter. Par exemple, on peut se demander qui a décidé, et sur quels critères, que les hommes ne seraient pas invités à participer au DO, alors qu’ils peuvent être touchés – même si c’est très rare – par le cancer du sein ? Qu’en est-il pour les personnes intersexes ? En ce qui concerne le DO, on met les projecteurs (souvent grossissants) sur les guérisons gagnées grâce à cette pratique (de l’ordre de 1 sur 2000), mais on ne met jamais en balance les conséquences du surdiagnostic, c’est-à-dire toutes les conséquences subies par les femmes qui ont un test positif malgré le fait qu’elles ne sont pas et ne seront pas atteintes d’un cancer : stress, biopsie, voire chimiothérapie ou mastectomie, interruption professionnelle etc. Sur 2000 femmes mammographiées tous les 2 ans pendant 10 ans, 10 femmes en bonne santé recevront un diagnostic de cancer qu’elles n’auraient pas eu si elles n’avaient pas été dépistées et seront traitées inutilement tandis que 200 femmes en bonne santé seront victimes d’une fausse alerte.28. Une technique n’est jamais « bonne » en soi : au mieux présente-t-elle un excellent rapport bénéfice-risque et s’avère-t-elle préférable à une autre technique à une époque donnée. L’enjeu est donc de commencer par expliciter et clarifier les critères choisis pour évaluer ce rapport bénéfice/risque puis de comparer les différentes techniques suivant ces critères. La question n’est alors plus de savoir s’il faut promouvoir le DO, mais bien de savoir s’il faut promouvoir le DO plutôt qu’autre chose : ces moyens financiers pourraient-ils être investis pour développer des traitements plus efficaces ? Ou pour traiter éventuellement d’autres pathologies ? Ou encore pour améliorer les conditions d’accueil de nos systèmes de soins ? Ou choisissons-nous, avec toutes ce informations, de continuer à financer de dépistage ? Que préférons-nous ?
Nous sommes conscients que ces choix collectifs doivent également tenir compte du choix individuel des patientes et des patients qui, en connaissance de cause, choisiront ou non de participer au dépistage organisé. Nous déplorons cependant que les informations nécessaires à ce choix soient confisquées.

Ressources documentaires

Ouvrages

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Rachel Campergue, No mammo ? – enquête sur le dépistage du cancer du sein, Max Milo, 2011.

Rachel Campergue a également publié plus récemment Octobre rose – mot à maux, qui s’attache plus à décortiquer les messages délivrés par les différentes campagnes visant à promouvoir le dépistage. Nous regrettons beaucoup que ce livre ne soit disponible que par l’intermédiaire d’Amazon et au format Kindle qui oblige les potentiel.le.s lecteurs et lectrices à recourir à une liseuse commercialisée uniquement par cette enseigne aux pratiques moralement condamnables (lire par exemple En Amazonie : infiltré dans le « meilleur des mondes » de Jean-Baptiste Malet, Fayard, 2013 ).

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H. Gilbert Welch, Dois-je me faire tester pour le cancer ? Peut-être pas et voici pourquoi, PUL, 2005

Ce livre délivre des outils et connaissances en épidémiologie et en physiopathologie pour faciliter un choix éclairé concernant le recours ou non à titre individuel au dépistage des différents cancers.

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Gerd Gigerenzer, Penser le risque – apprendre à vivre dans l’incertitude, Markus Haller, 2009

L’auteur réalise une synthèse et une analyse de la façon dont les médecins, les instituts sanitaires et les médias comprennent et présentent les chiffres et statistiques, en s’appuyant particulièrement sur le cas du DO du cancer du sein. Il montre qu’une présentation plus compréhensible pour tou.te.s, avec ou sans connaissance en mathématiques, est possible.

Films

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Le film L’industrie du ruban rose, 2012 développe particulièrement le pinkwashing29 autour du cancer du sein (l’utilisation de la cause du cancer du sein par des grandes entreprises pour améliorer leur image ou leurs bénéfices), est téléchargeable en ligne ou achetable en DVD à cette adresse.

Arte a diffusé pour la première fois en 2011 le reportage ci-dessous consacré aux différents dépistages organisés (ou non) des cancers. La partie consacrée au cas du cancer du sein s’étend des minutes 0 à 22 et concerne la situation allemande.

Plus récemment, en janvier 2016, France 5 a diffusé une nouvelle émission consacrée au sujet. La première partie consiste en un reportage présentant les parcours de dépistage de quatre femmes ainsi que les entrevues avec les chercheurs ayant mené les principales études consacrées à l’efficacité du dépistage, qui apportent des éléments en sa défaveur. La seconde partie (non disponible en ligne) est présentée comme un « débat » sur l’efficacité du dépistage. On remarque cependant que sont présentes pour ces échanges uniquement des personnes promouvant le dépistage et ayant des liens d’intérêt à le promouvoir, comme l’ont très justement relevé ici deux médecins du collectif Cancer Rose.

L’association Cancer Rose a réalisé un court métrage expliquant de manière simple les données disponibles dans la littérature concernant les bénéfices et les risques associés au dépistage organisé du cancer du sein.

Audio

Entretien avec Rachel Campergue, auteur de No mammo ?, sur Radio Enghien le 20 octobre 2014. Télécharger.

Brochure

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Brochure d’information s’appuyant sur les études scientifiques les plus récentes (en 2012) à destination des patient.e.s, réalisée par les auteurs des méta-analyses de la collaboration Cochrane (organisation internationale indépendante). Cette brochure a été traduite en français par Thierry Gourgues , membre du Formindep et est téléchargeable à cette adresse.

Sites internet

Ces différents sites rassemblent depuis plusieurs années des informations à destination des patient.e.s et des professionnels de santé sur le DO du cancer du sein, en s’appuyant sur les données scientifiques les plus récentes et en étant vigilant concernant les liens d’intérêts pouvant impacter ces dernières. Il est possible d’utiliser leur barre de recherche avec des mots-clés adaptés pour trouver la documentation correspondante.

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