Statut philosophique des arguments anti-avortement de la Fondation Jérôme-Lejeune et leur critique

Début 2017, Averil Huck est venue en stage au CorteX, dans les locaux de Grenoble, pour clore sa troisième année de licence de philosophie. Sous la poigne de fer (dans un gant de velours violet) de Richard Monvoisin, elle a effectué un magnifique travail critique sur les productions philosophiquement assez peu digestes de la Fondation Jérôme-Lejeune, réputée pour ses positions radicales anti-avortement. Le voici ci-dessous. En toute fin, on trouvera son rapport de stage, plutôt élogieux, ce qui s’explique de deux façons possibles : soit elle a aimé son séjour avec nous, soit elle a peur de son sadique directeur et de ses pouvoirs de vengeance à distance. En attendant, voici un magnifique travail qu’on attendrait plus volontiers au niveau Master 2.

Introduction

La Fondation Jérôme-Lejeune (FJL) est caractéristique du mélange fréquent, dans le marché cognitif de l’information, entre les croyances religieuses et l’usage d’arguments scientifiques censés appuyer celles-ci. Elle a attiré notre attention du fait de son soutien politique important lors de sa création en 1996, de sa reconnaissance d’utilité publique, et d’un combat idéologique très fort pour « défendre la vie et la dignité humaine »1 et contre l’avortement, combat nourri de la réputation scientifique de son fondateur.

La FJL se distingue aussi par une défense argumentative assez éclectique de son combat, ayant recours à des arguments aussi bien déontologiques que conséquentialistes. La façade destinée au public est moins explicitement religieuse que dans d’autres associations « pro-vie », comme chez SOS Tout-petits, par exemple, où la filiation au catholicisme, notamment aux trois figures de Joseph d’Arimathie2, de Jean-Paul II3 et de Mère Teresa4, est manifeste. Le mélange entre croyances et sciences y est néanmoins tortueux, et c’est pourquoi il va nous falloir étudier le rôle que la FJL donne aux sciences dans un combat qui relève de l’idéologie.

I. Les filiations de la FJL

1) Les prémisses de la FJL : Jérôme et Birthe Lejeune

Afin de comprendre la genèse de cette Fondation, il est nécessaire de présenter les personnes de Jérôme Lejeune, qui en a été la source d’inspiration et de sa femme, Birthe, actrice importante dans sa pérennisation.

Jérôme Lejeune est un médecin chercheur qui a travaillé sur les maladies génétiques avec déficience intellectuelle, dont la trisomie 21. Il a été l’un des trois co-auteur·e·s de la découverte du gène de la trisomie 21, avec Marthe Gauthier et Raymond Turpin en 1959, même s’il en est souvent présenté comme seul découvreur. La FJL a eu pour effet secondaire, volontaire ou non, de centrer cette découverte sur le personnage de Lejeune, au détriment des deux autres acteurs et actrices, alors même que la conduite de la recherche, de même que l’intuition dès les années 1930 de l’origine génétique de ce qu’on appelait alors le mongolisme5 reviennent à Raymond Turpin. Quant au rôle de Marthe Gauthier, il a été artificiellement minimisé. Gauthier est en effet à l’origine des cultures cellulaires in vitro d’un enfant trisomique et a pu observer au microscope le chromosome surnuméraire sur la 21ème paire en mai 19586. Seulement, le laboratoire ne disposant pas d’appareil photo efficace pour en prendre trace, Jérôme Lejeune, alors stagiaire au CNRS, s’est alors chargé de faire les photos dans un autre laboratoire7. L’avis du Comité d’éthique de l’Inserm relatif à la saisine d’un collectif de chercheurs concernant la contribution de Marthe Gautier dans la découverte de la trisomie 21 nous fait savoir que « ces photos lui [J. Lejeune] serviront de support dans les congrès et ses interventions médiatiques », participeront de cette façon à le mettre en avant sur le plan médiatique et à le mettre en premier signataire, en 1959, de Les chromosomes humains en culture de tissus, l’article scientifique rapportant la découverte8.

Jérôme Lejeune a très vite craint que cette découverte ne serve à autre chose qu’à une meilleure connaissance de la maladie et à sa prise en charge. En effet, on a pu rapidement développer des tests prénataux diagnostiquant le gène de la trisomie 21, comme le test de clarté nucale entre la 11ème et la 13ème semaine d’aménorrhée couplée à une prise de sang, qui laissent ainsi le choix aux parents de prendre une décision en connaissance de cause. Jérôme Lejeune s’est donc proclamé « défenseur de la vie », sous-entendant qu’en effectuant de tels diagnostics, on faisait non seulement mourir volontairement des êtres désirant vivre, mais en outre on pratiquait l’orthogénisme  : « je vais être obligé de prendre la parole publiquement pour défendre nos malades. On va utiliser notre découverte pour les supprimer. Si je ne les défends pas, je les trahis, je renonce à ce que je suis devenu de fait : leur avocat naturel. »9. Il s’est par la suite investi de manière très combative dans les débats sur l’avortement et les diagnostics prénataux.

Par ailleurs, en pleine période des discussions sur la loi Veil, Birthe Lejeune organise une pétition contre la légalisation de l’avortement, publiée le 5 juin 1971, et réclamant le respect du serment d’Hippocrate qu’elle interprète comme prescrivant de ne pas pratiquer les avortements. En 1974, Jérôme Lejeune a été conseiller scientifique pour l’association anti-avortement « Laissez-les vivre-SOS futures mères ». Fiammetta Venner explique dans son livre L’opposition à l’avortement, du lobby au commando que cette association est la plus vieille association anti-IVG française. Elle a été créée par la Cité catholique10, via l’Action familiale et scolaire11 et est connue pour avoir organisé un commando en 1990 pour bloquer l’accès à des femmes voulant avorter à l’hôpital de Tournon. Iels12 ont aussi organisé deux congrès anti-IVG à Paris les 24 et 25 mars 1991.

Par ailleurs, il a reçu le titre de « serviteur de Dieu » par l’Église Catholique pour sa « défense de la vie ». Jérôme Lejeune a été membre de l’Opus Dei où il a reçu le titre de « docteur honoris causa »13.

En 1996, deux ans après la mort de J. Lejeune, la FJL est cofondée entre autres par le magistrat Jean-Marie Le Méné, par la propre fille de Jérôme Lejeune Clara Gaymard, née Lejeune, et par son mari Hervé Gaymard, secrétaire d’État de la Santé et de la Sécurité sociale de 1995 à 1997 dans le Gouvernement Juppé. Iels ont demandé à ce que la Fondation soit reconnue d’utilité publique et elle le fut en moins d’un an. Nous savons, de surcroît, qu’au moment de la demande, C. Gaymard était directrice de cabinet de Colette Codaccioni, ministre de la Solidarité entre générations. Le Président de la République, Jacques Chirac, était membre du comité d’honneur de l’association Les amis du Professeur Lejeune (LAPL), association créée en 1994 « pour faire connaître son œuvre et ses découvertes, spécialement dans le domaine génétique, faire éditer et diffuser l’ensemble des textes, ouvrages et conférences qu’il a laissés, et poursuivre son action pour la défense de la vie humaine de son premier instant à son terme »14. Cette association finançait, par ailleurs, d’autres associations anti-IVG15. L’association LAPL se transformera ensuite en Fondation et sera réduite à un site biographique. Il faut admettre que ces liens entre certains membres du Gouvernement et la Fondation soulève le doute quant à l’impartialité dans la décision de reconnaître la Fondation d’utilité publique.

2) Etat des lieux actuel des filiations avec des associations chrétiennes de la FJL

La Fondation Jérôme-Lejeune reprend les combats fixés par son personnage éponyme. Il n’est pas évident, quand on ne connaît pas bien la Fondation de saisir d’emblée qu’elle est intimement liée et proche des valeurs chrétiennes catholiques et qu’elle prend une part importante à la défense des intérêts de l’Église catholique romaine. Ce n’est qu’en s’intéressant au personnage et à l’histoire de Jérôme Lejeune ou aux actions concrètes sur la « défense de la vie » de la Fondation qu’on voit ressortir les valeurs chrétiennes du « respect de la vie ». En consultant leur site internet et les manuels pédagogiques qu’iel ont produit, nous avons pu mettre en lumière certaines filiations.

Tout d’abord, sur le bulletin officiel16qui recense les fondations reconnues d’utilité publique, nous pouvons lire que les missions de la FJL sont au nombre de deux : « Poursuivre l’œuvre du Pr. J. Lejeune : recherche médicale sur les maladies de l’intelligence et génétiques; accueil et soins des personnes, atteintes de la trisomie 21 et autres anomalies génétiques. ». Il n’est pas question de leur troisième mission qui est « défendre le commencement de la vie », « défendre le plus petit d’entre-nous »ou encore « défendre le plus fragile d’entre-nous »17. Par conséquent, la Fondation utilise des dons et des legs pour d’autres actions non reconnues par l’État.

La Fondation fait partie du collectif En Marche Pour La Vie qui regroupe différentes associations : Choisir la vie, Les Survivants, Renaissance Catholique, les Éveilleurs d’Espérance, l’Avant-Garde. On peut donc se rendre compte de l’action militante politique de la FJL, liée à ces associations d’obédience chrétienne. Jean-Marie Le Méné, le président actuel de la FJL, fait de nombreuses apparitions et discours lors des « marches pour la vie » (dernier discours recensé le 22 janvier 2017, au moment de rédiger ces lignes18). Celui-ci a aussi a été auditionné en 2008 et en 2009 dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique par le Conseil d’État et l’Assemblée nationale, ainsi qu’en 2011 par le Sénat dans le cadre du projet de loi relatif à la bioéthique.

On peut trouver dans le Manuel Bioéthique des jeunes produit par la FJL des liens vers des sites renseignant les femmes enceintes sur les idées pro-vie en général, sur l’IVG et la parentalité en particulier. Iels citent notamment ivg.net avec le numéro gratuit et sosbebe.org (p. 14). Bien souvent, ce sont des sites qui ne se présentent pas comme pro-vie mais qui partagent ces idées et véhiculent de fausses informations. Ces sites sont considérés depuis la loi Vallaud-Belkacem du 4 août 201419 comme faisant entrave à l’information à l’IVG, et étaient au cœur de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’IVG promulguée le 20 mars 201720.

La Fondation a reçu un prix le 4 mai 2017 appelé le « prix evangelium vitae 2017 » remis par l’Université catholique Notre-Dame dans l’Indiana aux États-Unis pour leurs actions en faveur du « respect de la vie ».

La Fondation est aussi assez prolixe sur les médias. Sur leur site, nous pouvons lire et écouter les différentes tribunes et articles de Jean-Marie Le Méné dans lesquels il s’exprime régulièrement au nom de l’association : Radio Chrétiennes Francophones, Famille Chrétienne, Valeurs actuelles, L’Homme Nouveau, Radio Notre Dame, Le Figaro, La Croix, La Nef, l’agence de presse religieuse Zénit, Libertépolitique.com. Ces radios et journaux ont en commun leur ligne éditoriale de droite conservatrice et pour la plupart chrétienne catholique.

3) Filiations aux autorités catholiques

Certain·e·s adhérent·e·s de la FJL sont en lien étroit avec les institutions catholiques.
Jean-Marie Le Méné est depuis 2009 membre de l’Académie pontificale pour la vie, académie créée en 1994 par le Pape Jean-Paul II. C’est une « institution indépendante » siégeant au Vatican et qui a pour mission « d’étudier, d’informer et de former » au sujet des « principaux problèmes biomédicaux et juridiques relatifs à la promotion et à la défense de la vie, surtout dans le rapport qu’ils ont avec la morale chrétienne et les directives du magistère de l’Église ». Elle est financée en partie par une Fondation créée par le Vatican, la Fondation Vitae Mysterium. Nous savons, en outre, que le Pape François a soutenu le mouvement En Marche Pour La Vie21, tout comme un certain nombre d’évêques français (21 signataires sur environ 80 évêques métropolitains)22.

Intéressons-nous à présent aux positions de l’Église catholique romaine sur les questions de l’avortement. Le Pape Paul VI a rédigé la lettre encyclique Humanae Vitae en 1968 et elle porte « sur le mariage et la régulation des naissances ». Dans cette encyclique, Paul VI exprime les craintes de l’Église quant aux nouvelles questions qui se posent à l’époque. En effet, les débats sont intenses à propos de la liberté sexuelle des femmes, de la planification familiale et de la contraception, tout ceci émancipé de la tutelle patriarcale. Face à ces revendications, l’Église catholique vient renforcer ses valeurs et injonctions sur l’importance du mariage et de la régulation des naissances. Selon leur «  doctrine fondée sur la loi naturelle, éclairée et enrichie par la Révélation divine », un mariage, c’est l’union d’un homme et d’une femme pour toute leur vie et cette union a comme finalité la « génération et l’éducation de nouvelles vies ». Leurs positionnements sont clairs : utiliser la contraception ou avoir recours à l’IVG revient, à « contredire à la nature de l’homme comme à celle de la femme et de leur rapport le plus intime, c’est donc contredire aussi au plan de Dieu et à sa volonté »23. Ils interdisent donc le recours à l’IVG même thérapeutique, les contraceptions et les stérilisations définitives (vasectomie, ligature des trompes). Le seul moyen de réguler les naissances est de suivre le cycle naturel reproducteur qui est l’œuvre de Dieu. Par ailleurs, il faut, selon cette encyclique, éduquer à la chasteté et se dresser contre l’excitation des sens, le dérèglement des mœurs, la pornographie et autres spectacles licencieux.

On peut lire, en outre, dans la bibliographie du Manuel Bioéthique des jeunes l’utilisation de la lettre encyclique Evangelium vitae, écrite par Jean-Paul II, en 1995 et qui porte « sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine ». Cette encyclique est présentée comme plus moderne, plus adaptée aux mœurs d’aujourd’hui. Celle-ci est centrée sur le statut de la vie, et de l’embryon, ainsi que sur les atteintes à la vie humaine, à sa dignité, à son intégrité. L’avortement y est considéré comme une menace au même titre que le génocide, l’euthanasie ou le suicide. Le Pape Jean-Paul II y déclare que « l’avortement direct, c’est-à-dire voulu comme fin ou comme moyen, constitue toujours un désordre moral grave, en tant que meurtre délibéré d’un être humain innocent »24.

 

II. Les arguments anti-avortement de la FJL

Les philosophes tendent à distinguer deux grandes catégories d’arguments moraux dépendant de leurs fondements idéologiques. Nous distinguerons donc ici les arguments dits déontologiques, qui se basent sur le respect d’un ou de plusieurs devoirs fondamentaux, et les arguments conséquentialistes, qui tendent à jauger moralement les choix en fonction de leurs conséquences globales, positives ou négatives.

1) Arguments déontologiques qui découlent de la morale de Loi naturelle et des encycliques

Intéressons-nous à présent aux arguments développés par la Fondation Jérôme-Lejeune par rapport à l’avortement et essayons d’en évaluer la logique interne. Avant tout, précisons que tous ces arguments reposent sur une triple prémisse :

  • la vie est une notion claire et le fruit d’une volonté transcendante. Elle est présente dès la fécondation et est un don divin sur lequel l’humain·e n’a pas à agir.
  • Dieu a un plan et ses créatures, les humain·e·s, doivent le suivre sans y déroger.
  • La vie de l’embryon doit être comprise comme de valeur égale à toute autre vie humaine et est une vie en propre, séparée de celle de la mère.

Nous avons distingué quatre arguments majeurs. L’avortement est considéré

  • comme meurtre
  • comme dérogation au rôle dévolu à « la mère »
  • comme droit abusif de propriété (dérive du précédent)
  • comme instrument de politique eugéniste.

A) L’avortement comme meurtre

Nous comprenons, à partir des présupposés religieux que nous venons d’exposer, qu’à partir du moment où l’avortement est posé comme un acte allant à l’encontre du plan divin, il est donc par conséquent proscrit. Y recourir équivaut à un meurtre. En effet, avorter, c’est ôter la vie, c’est « un acte de mort » (p. 17). La FJL explique dans le Manuel Bioéthique des jeunes qu’« en avortant son enfant, on choisit pour lui la mort, comme si on avait le droit de tuer. La loi qui donne ce droit semble rendre ce choix acceptable. Et pourtant on commet un acte de mort. Si la justice française ne le reproche plus depuis 1975, la conscience rappelle ce principe fondateur : « tu ne tueras point ». Ce qui est légal n’est pas forcément moral. » (p. 17).

De la sorte, pour proscrire l’avortement et montrer que c’est un acte mauvais, la FJL fait appel au sixième commandement25, regrettant que ce commandement ne fasse pas office de loi, et jugeant l’actualité juridique comme en retard sur la morale : ce qui est moral découle de Dieu, de la Bible – définition archétypale d’une morale déontologique chrétienne – et ce qui est juridique, ce sont les lois humaines, imparfaites et parfois, selon eux, immorales.

À titre accessoire, on trouvera également dans leurs productions ce type de constatation : « tuer son enfant ne peut pas être source de liberté ni d’accomplissement personnel » (p. 16) sous-entendant ici en une forme rhétorique classique dite « de l’épouvantail » (ou strawman) que les femmes qui avortent le revendiquent avec pour seul argument une simple liberté, une simple commodité et que, de l’acte même d’avorter, les femmes en tirent un accomplissement personnel. C’est l’argument standard de « l’avortement de confort », qu’avait défendu Marine Le Pen le 8 mars 2012 sur France 2, déplorant que « [l]es avortements de confort sembl[ai]ent se multiplier ».

B) L’avortement comme dérogation au rôle fixé de femme-mère

L’avortement est considéré comme « une atteinte à la nature même de la femme qui est d’être mère ». La Fondation en donne pour preuve « [l]’immense souffrance de la stérilité [qui] montre combien la maternité est constitutive de l’identité féminine »26. La Fondation juge que « la capacité de l’homme et de la femme à être père pour le premier, et mère pour la seconde, est l’une des caractéristiques essentielles de l’identité sexuelle. La grossesse et la maternité sont une part importante de la féminité »27. Dans cette lecture des choses, n’existeraient que deux sexes bien délimités, avec deux « essences » distinctes auxquelles sont assignés des rôles genrés précis (ceux de l’homme et ceux de la femme). Ces deux catégories seraient irréductibles aussi bien sur le plan biologique que social. Le féminin serait per se toujours lié à la reproduction, la maternité, le care, à l’exclusion du masculin. Nous retrouvons dans la seconde citation le lien fait entre sexualité et procréation par l’Église catholique romaine. L’identité sexuelle y est exclusivement définie en rapport direct à la reproduction, évinçant de fait tout autre pratique sexuelle ne servant pas un dessein procréatif.

C) L’avortement comme droit abusif de propriété de la mère sur l’enfant

La FJL répond ici à un argument utilisé par les féministes, dans le cadre juridique de la dépénalisation de l’avortement, qui invoquait « le droit à disposer de son corps ». Elle y répond par l’argument biologique suivant : l’embryon n’est pas une partie de la mère, c’est un être humain à part entière, « le fait d’être abrité et nourri dans le corps de sa mère, ne fait pas de l’enfant in utero un élément du corps de la mère. Il en diffère par toutes ses cellules »28. De ce fait, la mère ne peut pas disposer de l’embryon ou du fœtus comme elle l’entend. Dans le dossier « IVG/IMG » créé par le site www.genethique.org29, l’argument est plus détaillé. « Pourtant, biologiquement, l’enfant n’est pas une partie du corps de sa mère : il en est l’hôte. La preuve en est : l’enfant a un patrimoine génétique distinct de celui de sa mère ; il peut même, en cas de dysfonctionnement du corps de sa mère, produire des anticorps ; il continue à se développer normalement même si la mère est dans le coma, comme le montre la première médicale de ce type répercutée par la presse en octobre 2009 (cf. Synthèse de presse Gènéthique du 12 octobre 2009) »30. Cet argument permet donc à la FJL de proscrire l’avortement, en répondant à un argument juridique par un argument biologique. Afin de cerner les droits des personnes, il est nécessaire de définir les bornes de ce qu’est une personne juridique, c’est-à-dire ayant des droits. Par conséquent, le Droit s’appuie sur la biologie et les avancées scientifiques pour définir la vie et la mort, une personne et une chose, soi et son corps, etc. Pour l’instant, dans le Droit français, un·e enfant obtient la personnalité physique (qui nous donne droits et devoirs) dès la naissance, s’iel est vivant·e et viable. La FJL s’insurge contre cela et voudrait placer le début de la vie à la fécondation afin de garantir des droits à des « personnes potentielles ».

Pour répondre à ce problème, la FJL présente deux solutions « morales », qui sont :

  • garder l’enfant,
  • ou le faire adopter.

Comme on le comprendra, avorter ne fait pas partie de ces solutions. Dans le Manuel Bioéthique des jeunes, la FJL explique à plusieurs reprises que « la meilleure façon d’aider une mère en difficulté n’est pas de l’aider à supprimer une vie mais à résoudre ses difficultés. Si la mère ne peut pas élever son enfant, l’adoption reste aussi un recours pour lui » (p. 17). Iels ajoutent à cela qu’ « [e]n France beaucoup de parents (28 000 en 2008) sont prêts à accueillir un enfant par adoption » (p. 17). Qu’en est-il des grossesses non-désirées suites à un viol ? « La mère doit être bien accompagnée après un tel traumatisme mais tuer l’enfant n’annule pas le drame » (p. 16). « Pourquoi l’enfant […] subirait-il la peine de mort que ne subira pas le criminel ? » (p. 16). Partant, même en cas de viol, les femmes doivent, soit décider de garder l’enfant, soit le·la faire adopter.

D) L’avortement comme instrument d’une forme d’eugénisme

Une autre inquiétude exprimée par la Fondation est celle de l’eugénisme. La FJL explique que 96% des cas de trisomie 21 diagnostiqués aboutissent à un avortement. Jean-Marie Le Méné, dans son livre Les premières victimes du transhumanisme considère que ce sont les personnes trisomiques qui sont victimes d’une sélection artificielle normative, définition même de l’eugénisme de Francis Galton (1822-1911). Jérôme Lejeune parlait de « racisme chromosomique »31. Par ailleurs, nous pouvons lire ceci : « Le diagnostic prénatal est trop souvent utilisé pour surveiller la « qualité » de l’enfant (voire l’éliminer s’il n’est pas conforme à l’attente des parents ou de la société) »32 et « notre société devient de plus en plus intolérante face au handicap et « le mythe de l’enfant parfait » avance… »33. En conséquence, la Fondation craint que les avancées scientifiques (DPN, DPNI, DPI, IVG…) ne fassent dériver notre société vers une société qui classe les humains en personnes acceptables et non-acceptables (les personnes handicapées moteurs et mentaux) et finissent par faire éliminer ces personnes non-acceptables au profit d’enfants « parfaits », sans « défauts ». Leur lutte se place sur la recherche scientifique afin de trouver une thérapie et guérir les personnes trisomiques. Une fois la guérison possible, le critère de la maladie trisomie 21 comme maladie incurable ne pourra plus être invoqué et aboutir à des avortements.

2) Nouveaux arguments de type conséquentialiste

Nous aurions pu faire l’hypothèse selon laquelle la grille de défense des thèses de la FJL était unilatéralement déontologique. Pourtant, en regardant en détail, il semble, sans que nous puissions le dater avec précision, qu’une autre stratégie morale se fasse jour, avec des arguments qui s’aventurent dans l’idéologie conséquentialiste.
Nous avons délimité deux d’entre eux, aussi caractéristiques que récurrents dans la prose de la FJL : l’invocation de la douleur du fœtus, et celle des risques auxquels s’exposent les femmes qui avortent.

A) Le fœtus ressent la douleur dès le deuxième trimestre

« Aujourd’hui on sait tous que le fœtus perçoit la douleur dès le second trimestre de grossesse et sans doute avant (Assises Fond. PremUp, juin 2010). »34. La Fondation nous donne explicitement la source de cette affirmation scientifique. Elle provient d’un colloque, les Assises de la fondation PremUp35, datant de juin 2010 et intitulée « La douleur du fœtus et du nouveau-né prématuré ». Il y est question de la douleur fœtale et des problématiques qui s’y rapportent : comment la mesurer ? Comment la prendre en compte ? Quel est le statut du fœtus et de l’embryon ? etc.
Précisons, néanmoins, que la citation n’est pas exacte. Ayant lu les actes du colloque en intégralité, nous n’avons pas été en mesure de retrouver la phrase telle quelle.

Cet argument implique donc que l’on ne doit pas avorter de peur de faire du mal au fœtus ou à l’embryon car il ressent la douleur. C’est un argument clairement conséquentialiste car ce sont les conséquences de l’acte d’avorter qui sont prises en compte. Nous pourrions aller plus loin encore en disant que c’est un argument utilitariste car il invoque la douleur. L’utilitarisme repose sur un double principe : la maximisation du bonheur et la minimisation de la peine pour l’ensemble des agents. Ici, la Fondation part du principe que la douleur du fœtus est plus importante que celle d’une mère dans l’évaluation de la minimisation de la peine pour l’ensemble des agents.

B) Il y a des risques pour les femmes qui avortent : le syndrome post-avortement (SPA)

Une autre manière de décourager les femmes d’avorter, c’est d’invoquer les risques qu’elles courent. L’argument qui revient le plus par rapport aux risques, c’est celui du syndrome post-avortement. « On observe chez beaucoup de femmes qui ont avorté un état dépressif et des désordres divers : culpabilité, perte de l’estime de soi, dépression, désir de suicide, anxiété, insomnies, colère, troubles sexuels, cauchemars sur son bébé qui la hait, qui l’appelle… Le lien avec l’avortement n’est pas toujours fait. Ces conséquences, qui peuvent apparaître tout de suite ou plus tard, sont aujourd’hui bien connues et identifiées sous le nom de « syndrome post-abortif ». Ces symptômes s’amplifient chaque fois que la mère rencontre une femme enceinte, voit un bébé dans un landau, passe près d’une clinique, pense à l’anniversaire de son enfant… Le syndrome « post-abortif » ne se limite pas à la mère. Il est possible qu’il s’étende aux proches : au père, aux frères et sœurs ».

Nous pensons que la FJL fait référence, à la fin de la citation, au « syndrome du survivant » invoqué par les jeunes de l’association les Survivants. Ces jeunes partagent leur choc devant l’affirmation suivante : « nés après [19]75, nous avions 1 chance sur 5 de ne pas voir le jour puisque l’on pratique en France 220 000 avortements pour 800 000 naissances »36. Iels se battent par conséquent contre l’IVG et témoignent du manque qu’iels ressentent : « Nous ne connaîtrons jamais notre sœur ou notre frère arrivé trop tôt ou trop tard ». En plus de cela, la Fondation fait des liens avec des associations et organisations à caractère religieux dans lesquelles les femmes s’expriment par rapport à leur avortement : www.sosbebe.org, www.ivg.net (et le numéro vert), http://www.silentnomoreawareness.org/ sur lequel on peut retrouver cette phrase : « Dans le monde les femmes commencent à témoigner : « si seulement nous avions su » ». Enfin, la Fondation donne des liens vers des maisons d’accueil, Tom Pouce et El Paso (p. 14), cette dernière étant sous l’égide de la Fondation Notre-Dame.

 

III. Analyse critique des arguments

Autant l’analyse des arguments déontologiques ne se fait qu’au prix du décentrage des valeurs fondamentales sur lesquels ils reposent – quels devoirs, envers quelle entité sur-naturelle, etc.– autant l’analyse des arguments conséquentialistes est en soi plus simple, car pour l’essentiel, les faits empiriques confrontent et jaugent les allégations de type scientifique produites par la FJL.
Nous allons donc d’abord faire une brève revue de la scientificité des prétentions, puis nous introduirons le problème central de l’épistémologie de la FJL : l’essentialisme.

1) Vérification des prétentions scientifiques

Une part de l’argumentaire de la Fondation Jérôme-Lejeune repose sur des arguments de type scientifique, c’est-à-dire, pour faire simple, qu’iels affirment des choses sur le monde et que ces affirmations sont testables. Nous avons relevé trois prétentions scientifiques :
a) la notion de « vie » est claire et ne fait plus débat ;
b) le fœtus ressent la douleur ;
c) les femmes courent des risques psycho-pathologiques dus à l’avortement (syndrome post-avortement).

Au vu du militantisme de la Fondation, il nous a paru nécessaire de vérifier si ces prétentions correspondaient réellement à l’état actuel des connaissances scientifiques.

A) Il n’y a plus de débat scientifique sur le statut de la vie

Nous l’avons abordé plus haut (partie II.1.A), la FJL part du principe qu’il n’y a plus de débat en ce qui concerne le statut du début de la vie de l’embryon. Ses représentant·e·s affirment qu’« accepter que la fécondation soit le départ d’un nouvel être humain n’est pas une question de goût ou d’opinion, c’est une réalité biologique. Toutes les preuves scientifiques vont dans ce sens et rien ne peut prouver le contraire. Personne n’en doute sincèrement »37. Or, c’est un débat qui est loin d’être clos. En effet, il existe encore des programmes de recherche, des colloques, des articles scientifiques publiés sur le sujet qui montrent la complexité de poser le point de départ de la vie, et à plus forte raison celle de définir la vie. Le projet de définir ne serait-ce que biologiquement la vie rencontre d’énormes écueils, comme l’a montré Claude Bernard (1878), de même que sur le plan physique (Schrödinger 1944), sans parler des plans axiologiques ou téléologiques qui malgré leur intérêt, ne se soumettent pas à la corroboration de la même façon.
Pour ne prendre que la biologie qui nous occupe ici, Tsokolov (2009), Mullen (2002), Strother (2010) McKay (2004) et tant d’autres ont du mal à s’entendre sur la définition de la vie, depuis les virus et viroïdes jusqu’aux coraux. Quant à dire quand exactement commence un processus qui est mal délimité, c’est une sacrée gageure.

La FJL ne se risque d’ailleurs pas à donner de source d’un quelconque consensus scientifique à ce propos. Ils·elles font le choix arbitraire de placer le début de la vie humaine au moment de la fécondation, c’est-à-dire, au moment où les gamètes fusionnent pour donner une cellule-œuf contenant l’ADN. Pourquoi faire commencer la vie à la fécondation ? Ce n’est pas une hypothèse idiote. Il faut cependant considérer que c’est une hypothèse parmi d’autres et, qu’à ce jour, la communauté scientifique n’a toujours pas tranché.

De cette sorte, la Fondation fait un choix théorique, parmi d’autres, lié à ses convictions chrétiennes où la vie humaine est un don de Dieu, une création faisant partie du plan divin. Avorter revient donc à déroger au plan divin et à pêcher. Chez les militant·e·s anti-avortement, nous assistons fréquemment à la volonté de prouver rationnellement un principe provenant d’une révélation divine, à l’instar de Thomas d’Aquin, au XIIIe s. qui a tenté de prouver rationnellement l’existence de Dieu. L’argument de la fécondation est du même acabit. Mais si l’on se détache de l’idée de création, de divinité, ou de son avatar politique l’intelligent design38, alors il n’y a pas lieu de choisir nécessairement l’hypothèse du début de la vie au moment de la fécondation.

B) La douleur fœtale

La douleur fœtale est un autre argument brandi par la Fondation (partie II.2.A). Est invoqué à l’appui de cette douleur un colloque scientifique, les Assises Prem.Up 2010 pour démontrer que la douleur apparaît « dès le (sic) 2nd trimestre de grossesse et sans doute avant ». Or, à l’évidence, personne n’a démontré quelque chose de ce type lors de ce colloque. Les personnalités présentes ne sont d’ailleurs pas tout à fait d’accord sur le moment où le phénomène de la douleur apparaît pour le fœtus mais il semblerait que « les voies de la nociception (terme qui désigne les voies nerveuses qui conduisent l’information douloureuse de l’organe cible jusqu’au cerveau) sont formées dès la fin du second trimestre de la grossesse. Dès ce terme, le fœtus est capable de percevoir ce type de stimulations. Il est impossible de savoir en revanche ce qu’il ressent exactement, mais il est essentiel de déterminer si ces stimulations peuvent avoir des conséquences immédiates ou à long terme sur le bébé à naître. » (troisième intervenante, Véronique Houfflin Debarge). On peut compléter ceci avec une étude multidisciplinaire : « Les fibres thalamo-corticales commencent à apparaître entre 23 et 30 semaines d’âge gestationnel; d’autre part, l’électroencéphalographie chez le prématuré suggère que les capacités de perception de la douleur ne sont probablement pas fonctionnelles avant 29 ou 30 semaines »39. Rappelons que les IVG sont autorisées en France jusqu’à 12 semaines de gestation, hormis pour les IMG (Interruptions Médicales de Grossesse) qui peuvent être autorisées à la toute fin de la grossesse – ce qui concerne un chiffre assez restreint des avortements. La FJL semble aussi omettre le fait qu’aujourd’hui, on propose aux femmes ayant recours à l’IMG des analgésiques pour fœtus, pour empêcher qu’ils souffrent pendant la procédure. « Lors des gestes fœticides par exemple, réalisés lors des interruptions médicales de grossesse au troisième trimestre de la grossesse, il est nécessaire d’assurer au préalable une anesthésie du fœtus avant d’injecter le produit qui va arrêter sa vie. » (Houfflin Debarge, déjà citée).

C) Le syndrome post-avortement

Plusieurs études40 montrent que le SPA est un mythe créé de toutes pièces, qui démarre en 1987 avec David C. Reardon et son livre, Aborted Women: Silent No More. Il y détaille une étude de psychologie qu’il a menée sur 252 femmes qui aurait prouvé la réalité de ce syndrome. Intéressons-nous à sa scientificité car cette étude présente des lacunes méthodologiques.

Reardon a fait son étude sur 252 femmes faisant toutes partie du groupe « Women exploited by abortion » (WEBA) qui est une association regroupant des femmes regrettant d’avoir avorté. Son échantillon d’étude est non-conforme et biaisé car il devrait impliquer des femmes ayant avorté venant de différents milieux sociaux, de différents avis sur l’avortement. En somme, son échantillon n’est pas représentatif de l’ensemble des femmes et est très orienté vers une souffrance subjective accrue. Ensuite, il n’y a pas de groupe témoin auquel comparer le mal-être ou le bien-être du groupe test. Il aurait fallu pouvoir comparer ce groupe de femmes, avec un autre groupe ayant poursuivi leur grossesse jusqu’au bout de même qu’avec un troisième groupe n’étant pas enceintes et nullipares par exemple. Dans une autre étude, une comparaison a été faite, à deux semaines et six mois après l’avortement (ou l’accouchement), de la santé mentale entre un groupe de femmes ayant avorté et un groupe de femmes ayant poursuivi leur grossesse41. Il n’y a pas eu de résultats prouvant un lien de causalité entre l’avortement et la santé mentale dégradé des sujets. Au contraire, on mesure plutôt du stress avant l’avortement et il peut y avoir plusieurs autres facteurs : « les impacts d’une grossesse non désirée ; l’oppression religieuse et patriarcale ; les facteurs socio-économiques ; les violences envers les femmes; et l’influence négative du mouvement pro-vie. »42. On note aussi un soulagement après l’avortement.

L’auteur utilise par ailleurs une échelle de mesure du bien-être et du mal-être non-officielle. Il semblerait qu’il en ait créé une pour son étude. On peut voir dans son « appendice 2 » le questionnaire qu’il a donné à ses sujets pour évaluer le mal-être qu’elles ont vécu dans la prise de décision d’avorter. Il utilise une échelle de 1 à 5, dans laquelle 1 équivaut à « not at all » et 5 à « very much ». Il y a une case en plus « N-A (non-applicable) et unsure (pas sûre) ». En psychologie positive, c’est-à-dire la psychologie qui s’intéresse à l’évaluation du bien-être, il existe une échelle, the Subjective Happiness Scale (SHS) ou Échelle de bonheur subjectif. Elle va de 1 à 7 et est l’une des plus utilisées.

Notons en outre que son étude n’est pas une publication scientifique mais un livre best-seller. C’est une étude isolée qui n’a pas été répliquée. Pour qu’une étude amène à un consensus, il faut qu’elle soit répliquée dans différents laboratoires afin de déterminer si le résultat est confirmé ou infirmé. Dans quel cas, elle ne peut être prise en compte. En l’occurrence, il y a eu d’autres études qui ont été revues par des pairs, c’est-à-dire que d’autres spécialistes ont lu et critiqué l’étude avant qu’elle ne soit publiée, et iels ne sont pas arrivé·e·s au même résultat que David C. Reardon (voir études déjà citées).

Enfin, il faut savoir que cette étude est en partie impossible à évaluer car on ne peut pas réfuter le pseudo mécanisme du « refoulement » hérité de la psychanalyse. Une étude scientifique incluse dans un corpus théorique irréfutable n’offre pas la possibilité d’être infirmée expérimentalement dans le cas où elle serait fausse. Ici, l’affirmation selon laquelle des femmes refoulent le traumatisme et qu’elles en souffrent sans le savoir n’est pas testable et, de fait, sort du champ des allégations scientifiques.

             Ainsi, nous avons mis au clair certaines prétentions scientifiques qu’a la FJL et avons pu montrer qu’aucune de ces prétentions ne résistait à la critique. La Fondation fait des recherches en génétique et c’est tout à son honneur. Cependant, elle a tendance à tordre certaines connaissances scientifiques afin de confirmer ses positions morales, positions morales qui ne sont en outre pas confortées par la scientificité des recherches effectuées. Il est notoire qu’un haut degré de scientificité n’augure pas d’un choix moral forcément positif, et le XXe siècle illustre bien cette corrélation illusoire. Nous pouvons en conclure que la rigueur scientifique prônée par la Fondation est une façade qui leur permet d’avoir plus d’autorité et d’audience.

2) Essentialisme

En imputant un rôle « naturel », celui d’être mère, à « la femme », la FJL parle bien d’une seule « nature » qui habite de la même manière chaque femme. « La femme » est vouée à la grossesse et à la maternité. Il en découle qu’avorter est contre-nature. Cette manière privilégiée d’être « femme » serait déterminée par l’appartenance au sexe femelle. La FJL s’inscrit dans une vision dichotomique essentialiste critiquable des êtres humains. En quoi exactement ? Premièrement, la FJL se place dans un cadre de pensée dans lequel il y a une distinction entre le domaine du naturel et le domaine du culturel. Deuxièmement, une causalité entre sexes et rôles sociaux, ou encore entre sexes et genres, est implicitement postulée. Troisièmement, ce cadre de pensée se base uniquement sur ce qu’il présente comme « la biologie ». Rappelons que la FJL est très proche des institutions catholiques chrétiennes, sans toutefois aller jusqu’à invoquer dans ses propres communiqués la Création biblique. Elle passe par la science afin de parler de ce qui est « naturel », sans d’ailleurs prendre le temps de questionner cette notion protéiforme de « nature ». Or, il se trouve que les trois aspects de cette vision essentialiste ont été largement remis en cause depuis la seconde moitié du XXe siècle. Nous allons tout d’abord voir en quoi penser les genres comme déterminés par les sexes est une erreur. Nous mettrons ensuite en évidence des limites en ce qui concerne l’utilisation de la biologie comme base théorique à la description des comportements sociaux du genre humain.

Tout d’abord, la FJL voit une séparation entre un sexe dit « biologique » et un sexe dit « social ». Chez l’humain·e, il y aurait une « partie naturelle » d’où découleraient, dans le « domaine culturel », des rôles sociaux, des comportements, des préférences, des ambitions, des envies, etc. Partant, du fait qu’une personne soit pourvue d’un appareil génital femelle (ou d’un génotype femme), il en découle qu’elle doive se reproduire et s’occuper de la progéniture. De nombreux·ses biologistes, psychologues d’obédience psychanalytique et anthropologues de la première moitié du XXe siècle pensaient décrire un état de fait en corroborant ce modèle, essentialiste et bicatégorisé, dans lequel un génotype / caryotype femme implique un « comportement » de femme (avec les rôles sociaux féminins et maternels coutumiers associés). La lecture qu’offre la FJL présente de multiples similitudes avec cette représentation, comme on peut le lire dans le manuel Théorie du genre : décryptage à l’intention des jeunes : « Le « sexe » désigne la réalité biologique – garçon ou fille – de l’être humain, tandis que le « genre » désigne la dimension sociale du sexe, c’est-à-dire le comportement social d’un homme ou d’une femme en lien avec son sexe biologique ». Cependant, les travaux de féministes de la première vague telles que Simone de Beauvoir ou Ann Oackley ont brisé cette implication. Des années 1950 à la fin des années 1970, elles se sont intéressées aux résultats des recherches en biologie et en sciences humaines et sociales pour entamer une première critique de l’approche causaliste entre sexes et genres et de la distinction entre sexes et genres. De plus, leur démarche avait explicitement des fins de changements politiques et sociaux (droit de vote, accès à la contraception, doit à l’avortement, meilleures conditions de vie, égalité en droits…). Ces auteur·e·s voient une plus grande influence du culturel que du biologique sur les comportements humains. Pour Ann Oackley, au niveau définitionnel, « le mot « sexe » se réfère aux différences biologiques entre entre mâles et femelles : à la différence visible entre leurs organes génitaux et à la différence corrélative entre leurs fonctions procréatives. Le « genre », lui, est une question de culture : il se réfère à la classification sociale en « masculin » et « féminin » »43. Le « sexe » est vu comme un invariant tandis que le « genre » est contingent, c’est-à-dire que l’on peut faire changer ces rôles sociaux par l’action politique.
Toutefois, pour certain·e·s féministes des années 1990, dont la sociologue et philosophe matérialiste Christine Delphy44, la critique n’est pas aboutie. En effet, penser un invariant (les sexes) et un variant (les genres) est insuffisant pour fonder un modèle satisfaisant, car cela implique que ce qui définit principalement les êtres humains est leur sexuation. Certain·e·s pourraient en effet penser que ce qui varie arbitrairement (les genres) ne peut définir de manière consistante un groupe d’individus, et donc qu’une catégorisation solide doit faire appel à un invariant, soit le sexe. C’est ce problème pour penser le genre qui amène Delphy à soutenir qu’il y a un impensé dans la plupart des travaux scientifiques et féministes qui est l’« antécédence du sexe sur le genre »45. Ce postulat implicite renvoie à la séparation (somme toute artificielle en bien des points) nature / culture. Notons que cet impensé conduit à ne plus pouvoir penser les genres que comme résultant des sexes. Or, nous ne pouvons pas penser en-dehors de concepts culturellement et historiquement construits. Les travaux d’anthropologues comme Lévi-Strauss ont été remis en cause sur ce point : il n’existe pas d’état naturel de l’humain où son « essence » se traduirait par son sexe. D’un point de vue simplement méthodologique, il est difficile d’affirmer l’existence d’ « essences ». Il faudrait en effet isoler les personnes de leur société afin d’évaluer ces « essences » séparément de l’influence de l’environnement et des interactions avec autrui. De plus, en ce qui concerne le développement cognitif humain, « établir qu’une différence cérébrale est purement biologique et non pas sociale est méthodologiquement impossible : la grande majorité des connexions neuronales se forment après la naissance et la différentiation sexuée du cerveau est donc un processus continu modulé par l’expérience et la société »46. C’est pourquoi nous jugeons à l’aide du rasoir d’Occam47, un principe méthodologique de parcimonie des hypothèses, qu’il est très coûteux de postuler deux essences complémentaires qui déterminent tous nos faits et geste. Nous n’en avons en fait pas l’utilité pour expliquer qu’il y ait des êtres différents les uns des autres et que, de fait, ils ont des rôles différents dans la société. Il est nécessaire de comprendre que les êtres humains sont des êtres sociaux complexes et qu’il faut de ce fait distinguer plusieurs niveaux de description irréductibles les uns aux autres, rendant par là douteux de tout réduire au déterminisme strictement biologique. Surtout, lorsque ce qu’on peut considérer comme étant « le biologique » est l’objet d’une discipline scientifique (la biologie), construite et en évolution, objet par ailleurs différent de ce que la FJL appelle du même nom. Les études de genre (et non pas « la théorie du genre », déformation de type strawman48 utilisée par la FJL) penchent aujourd’hui davantage pour une explication qui combine les interactions avec l’environnement, avec autrui et avec la société sans rejeter pour autant notre héritage biologique. Par conséquent, des auteur·e·s comme Delphy argumentent en faveur de l’utilisation du concept de « genre » au singulier. Il renvoie alors au système de domination qui produit ces catégories de pensée que sont « sexes » et « genres » et qui applique la division, la hiérarchisation et l’hétéro-normativité. C’est pourquoi Delphy soutient que le genre précède le sexe. Cette expression lapidaire veut dire que nous sommes toujours impliqué·e·s dans une culture et que tous les concepts que nous utilisons sont construits. La FJL emploie le terme « genre » au singulier comme indissociable de son « genre » opposé. Les « genres » sont donc toujours pluriels et, pour eux, au nombre de deux : le féminin et le masculin. Ni la bicatégorisation, ni le caractère mimétique du genre par rapport au sexe (c’est-à-dire où sexe mâle va avec masculin et sexe femelle va avec féminin et jamais autrement) ne sont remis·es en cause. On notera que ces postulats non questionnés impliquent une naturalisation de l’hétérosexualité qui participe à normer les comportements à travers les discours.

Il en découle que nous ne pouvons utiliser la biologie pour décrire les interactions humaines sans la replacer dans un contexte socio-historique et politique. Les travaux du philosophe étasunien Thomas Laqueur49 vont dans ce sens. Les sciences s’inscrivent dans le système de genre et participent à la pérennisation voire à la production de concepts, de schémas de pensée binaires et mimétiques. Le « sexe » est aujourd’hui souvent pensé en deux pôles distincts et complémentaires et réduit aux caractères anatomiques (avoir un pénis ou un vagin) ou chromosomiques (XY ou XX). Cette définition ne prend pas en compte les personnes qui ne sont ni mâles, ni femelles, que ce soit sur le plan phénotypique, hormonal, génétique. On range un peu artificiellement ces personnes dans la catégorie dite « intersexe », bien qu’il en existe plusieurs types. Ces personnes représentent environ 1,7% de la population humaine selon Anne Fausto-Sterling50, d’autres estiment qu’elles représentent 1 à 4% de la population humaine51. C’est toutefois un chiffre compliqué à déterminer car nombre de personnes intersexes se font opérer dans les premiers mois de leurs vies, certain·e·s ne s’en rendent même pas compte et d’autres le cachent. De plus, il existe plusieurs niveaux d’évaluation de la sexuation : anatomique, génétique, phénotypique, hormonal et aujourd’hui, on essaie de prendre en compte l’organisation du cerveau. Ces chiffres sont donc des approximations statistiques, et en raison de ces limites, la population intersexe est délicate à nombrer et pourrait de fait concerner encore plus d’individu·e·s. Mais peu importe : une seule personne dans ce cas de figure mériterait une place que la majorité des sociétés ne lui prépare pas. Toutes ces personnes sont marginalisées, entre autres par cette vision binaire encore très répandue et dont la FJL se fait la courroie : elles sont vues comme des « anomalies ». Enfin, dans le champ des études féministes des sciences, rien ne va dans le sens d’une « dichotomie naturelle entre les mâles et les femelles » en tant que « groupes humains biologiquement et clairement séparés »52 car il y a trop de « chevauchements entre les sexes et trop de variations des caractéristiques et capacités à l’intérieur de chaque sexe »53.
Ainsi, quand la FJL invoque des rôles naturels des femmes et invoque leur « sexe », elle tombe dans un essentialisme basé sur le présupposé non examiné que nous avons critiqué plus haut. Nous ne pouvons donc raisonnablement pas invoquer une quelconque « nature » de « la femme » pour interdire l’avortement.

 

Conclusion

En allant analyser en profondeur les prétentions scientifiques de la Fondation Jérôme-Lejeune, nous avons montré que la teneur scientifique de leur discours n’est qu’un paravent pour leur subjectivité morale. En grattant cette première couche, nous réalisons que le ciment de leurs allégations sur l’avortement est composé d’essentialisme, de réductionnisme génétique et de mélange entre prescriptions divines et appels à la nature. Leurs arguments contre l’avortement sont sexistes, mal fondés scientifiquement et imprégnés des recommandations de l’Église Catholique romaine. Ainsi, le rôle qu’était censé jouer la science dans leur discours était un rôle d’autorité, de scientificité, de vernis qui, quand on prend le temps de le gratter avec un ongle un peu dur, se fendille facilement.

Bibliographie

  • I. Côté, « Analyse féministe du syndrome postavortement : la déconstruction d’un mythe véhiculé par le mouvement provie », Reflets, no 191, p. 65‑84, 2013.
  • M. Gautier, « Cinquantenaire de la trisomie 21 : Retour sur une découverte », Med Sci, vol. 25, no 3, p. 311‑316, 2009.
  • Encyclopédie critique du genre, La Découverte. Paris, 2016.
  • C. Baudouin et O. Brosseau, Enquête sur les créationnismes, Réseaux, stratégies et objectifs politiques, Belin. 2013.
  • S. E. Preves, Intersex and Identity : The Contested Self, Rutgers University Press. USA, 2003.
  • L. Mouloud, « Jean-Marie Le Méné, le croisé embryonnaire », L’Humanité, 04-avr-2013.
  • « La douleur chez le foetus, Revue systématique multidisciplinaire des données existantes », JAMA, no 9, sept. 2005.
  • T. Laqueur, La fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident, Gallimard. Paris, 1990.
  • S. Huet, « L’affaire Marthe Gautier/trisomie 21 rebondit », Libération.fr, 30-sept-2014.
  • C. Delphy, L’ennemi principal 2. Penser le genre, Syllepse., vol. 2. Paris, 1998.
  • J. Lejeune, M. Gautier, et R. Turpin, « Les chromosomes humains en culture de tissus », Comptes rendus de l’Académie des sciences, p. 602‑603, janv. 1959.
  • D. Gardey, L’invention du naturel. Les sciences et la fabrication du féminin et du masculin, Editions des archives contemporaines. Paris, 2000.
  • F. Venner, L’opposition à l’avortement, du lobby au commando. Paris: Berg International Editeurs, 1995.
  • « Séquelles psychiques de l’interruption de grossesse », Bern, 2001.
  • A. Oackley, Sex, Gender and Society, Temple Smith. Londres, 1972.
  • A. Fausto-Sterling, Sexing the Body : Gender Politics and the Constrution of Sexuality, Basic Books. New-York, 2000.

Pour aller plus loin, voici une bibliographie complémentaire:

  • « 1974 : le débat de la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse », La marche de l’Histoire, France Inter, 14 mai-2014.
  • Major et Brenda, « APA Task Force Finds Single Abortion Not a Threat to Women’s Mental Health », American Psychological Association, 2008.
  • Collectif IVP, Avorter, Histoire des luttes et des conditions d’avortement des années 1960 à aujourd’hui, Tahin party. Grenoble, 2008.
  • L. Motet et S. Laurent, « Derrière IVG.net, des militants anti-avortement », Le Monde, Paris, p.13, 08-déc-2016.
  • V. Houfflin Debarge, « Douleur et analgésie foetale », Spirale, no 59, p. 69-78, 2011.
  • L. Bereni, S. Chauvin, A. Jaunait, et A. Revillard, Introduction aux études sur le genre, De boeck. Bruxelles, 2012.
  • A. Meffre, « Loi sur l’avortement de 1920 », Fabrique de l’histoire, France Culture, 28-nov-2014.

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La force vitale : un vieux concept aux multiples facettes (Vangelis Antzoulatos)

Énergie, onde, résonance, fréquence, magnétisme, quantique, etc. Nombreux sont les termes scientifiques utilisés de manière abusive, car détournés de leur sens précis qu’il recouvre habituellement. Cet effet paillasson est d’autant plus difficile à détecter qu’il n’y a pas de règle absolue nous permettant de le repérer, mais simplement une vigilance de tous les instants face à des mots « qui en jettent » et que l’on rencontre dans de nombreuses pratiques pseudoscientifiques, comme dans des champs plus conventionnels. Dans cet article, Vangelis Antzoulatos, enseignant de Physique-Chimie en BTS au lycée de l’Escaut de Valenciennes, docteur en histoire et épistémologie des sciences, et membre associé du laboratoire Savoirs, Textes, Langages à l’Université de Lille 1, analyse un concept bien connu dans le domaine des thérapies dites « alternatives », celui de « force vitale », lui-même rattaché à un ancien courant philosophique et scientifique : le vitalisme. En revenant sur ses origines historiques, il apporte un éclairage critique sur l’utilisation de ces termes à travers les époques et jusqu’à nos jours. Nous ne pouvons que remercier Vangelis de partager ce travail avec nous, travail lui ayant demandé une énergie vitale à toute épreuve…

Introduction

« Libérez l’énergie vitale qui voyage en vous ! » ; « Surveillez votre force vitale, car c’est le principe même de la vie et de l’énergie qui en découle » ; « Sans énergie vitale, le corps meurt, se décompose, se résout en ses éléments chimiques » ; « Cette énergie universelle désigne la force fondamentale du Cosmos qui anime, vitalise, stimule tout être vivant ». On trouve aujourd’hui sur Internet de nombreuses références aux concepts de force vitale ou d’énergie vitale. En quelques clics, on constate bien souvent que ces références sont utilisées à des fins commerciales. Il s’agit, pour celui qui les invoque, de légitimer une pratique en la revêtant d’un vernis « philosophico-scientifique ». Au final, le lecteur est invité à indiquer son numéro de carte bancaire afin d’avoir la chance de réveiller les capacités d’auto-guérison de son corps à l’aide de remèdes « 100 % naturels ».

Afin de mieux cerner ce concept de force vitale, nous proposons d’en faire une mise en perspective historique afin d’en proposer une critique d’un point de vue scientifique. Nous chercherons ainsi à répondre aux questions suivantes : comment les tenants du concept de force vitale l’ont-ils caractérisé dans l’histoire ? Quelles sont aujourd’hui la validité et l’utilité scientifique de ce concept ?

Le vitalisme : une théorie ancienne aux multiples visages

Le concept de force vitale peut être rattaché à un courant philosophique ancien, le vitalisme. Il est difficile de tracer nettement les contours de cette doctrine, mais on pourrait la faire remonter à Aristote. Ce dernier, en effet, imaginait un principe de changement travaillant les choses de l’intérieur pour les faire évoluer conformément à leur nature. C’est en vertu de ce principe vital, par exemple, qu’une chenille devient papillon, ou qu’une graine devient plante.

En tant que doctrine philosophique, le vitalisme postule la chose suivante : les organismes vivants et les choses inanimées sont gouvernés par des lois fondamentalement différentes. La vie ne peut s’expliquer que par l’existence d’une force vitale, non réductible aux lois de la physique et de la chimie. À la mort d’un être vivant, cette force s’échappe, la partie matérielle de cet être est alors soumise aux mêmes lois que les objets inertes : dégradation, pourrissement, disparition, … . Par conséquent, le vitalisme est une doctrine qui s’oppose fondamentalement au mécanisme (conception matérialiste) qui considèrent les êtres vivants comme de véritables automates, dont il est possible de comprendre les rouages à partir des lois de la physique et de la chimie. Le débat entre vitalistes et mécanistes est donc d’abord une affaire de physiologistes, dont on peut situer l’apogée vers la fin du XVIIIe siècle. Marie François Xavier Bichat (1771-1801) est l’un des plus fervents défenseurs du vitalisme, et parvient à l’imposer comme grille d’analyse et d’interprétation des phénomènes du vivant. Ses principaux opposants, Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829), puis François Magendie (1783-1855) cherchent au contraire à rendre compte de la vie à partir de phénomènes physico-chimiques.

Au début du XIXe siècle, le débat se déplace sur le terrain de la chimie lorsque l’on commence à entrevoir la possibilité de synthétiser des molécules « organiques1 », autrement dit de fabriquer des composés du vivant au laboratoire. Pour de nombreux chimistes, il s’agit là d’une véritable hérésie. Leur argument : il est impossible de « fabriquer » des composés organiques complexes à partir de composés plus simples (leurs éléments, ou encore des composés minéraux) sans l’intervention de la force vitale. Or celle-ci échappe au chimiste. Seule une Puissance étrangère, une cause première, peut contrôler cette force vitale afin d’organiser les êtres pour certaines finalités. Bref, la création du vivant appartient au domaine réservé de Dieu !

Le cas de Jacob Berzelius (1779-1848) illustre bien cette position. Chez ce chimiste suédois, le vitalisme trouve son origine dans la foi religieuse. Pour lui, le mécanisme s’apparente à une forme d’athéisme qu’il ne peut accepter. La connaissance humaine est limitée en ce qu’elle ne peut pénétrer les secrets de la création. Dès 1814, il inclut dans ses publications des réflexions théologiques, expliquant que les phénomènes de la vie ne peuvent être compris sans l’intervention d’une Puissance étrangère. En 1818, il en vient à l’idée que la chimie inorganique et la chimie organique ne peuvent obéir aux mêmes lois. Dans son Traité de Chimie, publié en 1827 et traduit en français en 1831, il mentionne explicitement le concept de force vitale « qui dispose les éléments inorganiques communs à tous les corps vivants, à coopérer à la production d’un résultat particulier déterminé et différent pour chaque espèce2 ». Bien entendu cette force, qui permet donc le passage de l’inorganique à l’organique, n’est pas accessible à l’homme. La force vitale chez Berzelius est donc un concept négatif, limitant les possibilités du chimiste : ce dernier ne pourra obtenir un composé organique que par dégradation d’un autre composé organique, plus complexe. Sous la pression des faits, Berzelius modifiera par la suite sa conception de la force vitale, et adoptera une attitude moins dogmatique.

Mais la religion n’explique sans doute pas complètement les positions vitalistes. Précisons qu’au début du XIXe siècle, les pays germaniques et le nord de l’Europe sont largement dominés par un courant de pensée, le dynamisme. Héritier de la philosophie d’Emmanuel Kant (1724-1804), puis du mouvement romantique, ce mouvement débouchera sur une nouvelle manière de pratiquer la science, la Naturphilosophie. De ce courant, nous nous contenterons de citer les idées principales. D’abord la matière est perçue par nos sens en tant que force ; cette dernière est donc l’entité ultime qui constitue notre monde. Il s’agit là d’un argument très fort contre le mécanisme qui affirme au contraire le primat de la matière sur la force. Ainsi, pour les dynamistes, la Nature ne peut pas être conçue comme un automate : il y a au contraire quelque chose de vital qui circule dans la matière, qui l’anime, et qui ne peut être réduit à de la mécanique. Ce n’est donc pas un hasard si le médecin allemand Samuel Hahneman (1755-1843), père de l’homéopathie, utilise le concept de force vitale. Un déclin de la Naturphilosophie s’opérera cependant à partir des années 1830 car cette approche sera jugée trop spéculative.

La réfutation du vitalisme scientifique

La synthèse organique, qui émerge dès la fin des années 1820, va progressivement contraindre les vitalistes à réviser leur position. En 1828, un jeune chimiste allemand élève de Berzelius, Friedrich Wöhler (1800-1882), réussit à synthétiser de l’urée, substance alors connue pour être seulement produite par les organismes biologiques. L’opération nécessite de porter à ébullition, pendant 15 minutes, une solution aqueuse de cyanate d’ammonium (composé considéré comme inorganique). Il faut ensuite la refroidir dans la glace puis lui ajouter de l’acide nitrique. Il se produit alors une isomérisation du cyanate d’ammonium en urée. Wöhler fait part de ce résultat à son maître : « Je peux faire de l’urée sans avoir besoin de reins ou même d’un animal, fût-il homme ou chien3 ». Pas de quoi, cependant, ébranler les convictions vitalistes de Berzelius. Selon lui, l’urée fait partie des substances « placées sur la limite extrême entre la composition organique et celle inorganique4». La production de ce type de composé à partir de corps inorganiques est donc un cas tout-à-fait particulier, une « imitation est trop incomplète et trop restreinte pour que nous puissions espérer de produire des corps organiques5». Pour sceller le sort de la force vitale, la synthèse de l’acide acétique par Hermann Kolbe (1818-1884), élève de Wöhler, sera bien plus décisive. Mise au point entre 1843 et 1845, cette synthèse permet de montrer sans contestation possible qu’un composé organique, l’acide acétique, a été obtenu en partant d’un composé minéral, le disulfure de carbone. A partir de ce moment, les chimistes vitalistes nuancent quelque peu leur position et l’idée de l’impossibilité de la synthèse organique commence à vaciller.

Le chimiste français Marcellin Berthelot (1827-1907) va porter au vitalisme l’estocade finale. Véritable « saint laïc », Berthelot atteint durant la 3e République une dimension de héros national et de symbole de la science triomphante. Pour beaucoup, il est celui qui, en réalisant la synthèse des corps organiques, a fait naître selon Poincaré « l’aube d’une lumière inconnue qui éclaire une partie des mystères de la création6». Zola s’en inspire pour créer, dans son roman Paris,  le personnage de Bertheroy, « une des gloires les plus hautes de la France, à qui la chimie devait les extraordinaires progrès qui en ont fait la science mère, en train de renouveler la face du monde7». Né au beau milieu du Paris révolutionnaire, Berthelot est élevé dans la tradition républicaine. Les idées socialistes lui sont sympathiques, ce qui le conduit à s’affranchir assez rapidement d’une éducation catholique rigoureuse. Au cours de sa scolarité au lycée Henri IV, il se lie d’amitié avec le philosophe Ernest Renan (1823-1892) qui finit de le convaincre que la religion n’a plus aucun rôle politique à jouer, seule la science pouvant prétendre servir de guide à l’humanité. L’univers est dès lors conçu par Berthelot comme entièrement rationnel : plus de forces occultes, comme la force vitale, plus d’Entendement suprême, extérieur au monde physique … « Le monde est aujourd’hui sans mystère8», nous assure le chimiste, grand prêtre de cette nouvelle religion scientiste!

De 1851 à 1860, Berthelot se consacre exclusivement à la synthèse organique. Son premier fait de gloire est certainement la synthèse de l’alcool ordinaire, réalisée en 1855. Constatant que cette substance, en réagissant avec l’acide sulfurique, se dédouble en eau et en éthylène, il tente de renverser cette réaction. Pour cela, il introduit de l’éthylène gazeux dans un ballon de 30 litres environ, puis le met en présence d’acide sulfurique bouilli et de quelques kilogrammes de mercure. L’ensemble est alors soumis à une « agitation violente et continue9 » … 53000 secousses, sur une durée de quatre jours, seront nécessaires pour finalement obtenir 45 g d’alcool ! La même année, Berthelot va encore marquer les esprits en réussissant la synthèse totale, c’est-à-dire à partir de ses éléments, de l’acide formique, substance naturelle jusqu’alors extraite par distillation à partir de cadavres de fourmis10. L’image de prodige de la science du personnage est renforcée en 1862 par la synthèse de l’acétylène dans l’œuf électrique11. Il s’agit cette fois d’une synthèse directe, à partir des éléments : l’acétylène est obtenu en faisant passer du dihydrogène dans un arc électrique, produit entre deux électrodes de carbone. Mais c’est deux ans plus tôt, en publiant son premier ouvrage, la Chimie organique fondée sur la synthèse12, que le savant commence à étendre sa popularité au-delà du milieu scientifique. Mieux que Wöhler et Kolbe, il sait présenter au public la synthèse comme une connaissance systématique plutôt qu’un ensemble de réussites isolées. Mieux, il la décrit comme la seconde révolution chimique. La première, celle de Lavoisier, avait redéfini la notion d’analyse chimique. Mais l’analyse est un mode de connaissance passif, elle permet uniquement de rendre intelligibles des substances déjà existantes en leur attribuant une formule chimique. La synthèse, au contraire, consiste en la matérialisation au laboratoire des idées du chimiste. Il est désormais possible non seulement de reproduire des substances pré-existantes à toute intervention humaine, mais aussi d’en créer de nouvelles, jamais observées jusqu’alors ! Un nouveau monde s’ouvre, et on comprend l’enthousiasme du public, ainsi que l’espoir qu’a dû susciter un tel ouvrage…

Le vitalisme, chassé de la chimie, revient alors à sa version physiologique. D’accord, la synthèse organique est possible, mais on peut toujours affirmer que les phénomènes de la vie dépendent de la force vitale. C’est par exemple la position de Louis Pasteur (1822-1895). Très croyant, Pasteur faisait partie des opposants au matérialisme, et s’est ainsi opposé à des savants tels que Berthelot ou le physiologiste Claude Bernard (1813-1878). Citons pour exemple la controverse à propos de la fermentation alcoolique. Depuis la fin du XVIIIe en effet, les savants sont divisés sur la nature de la levure de bière, responsable du phénomène : est-elle un être vivant, auquel cas la fermentation s’apparente à la nutrition d’un animal ? Ou bien doit-elle être envisagée comme un simple catalyseur, dont l’action est purement chimique ? On voit bien le rapport avec la question du vitalisme : soit le processus de la fermentation s’explique par les seules lois de la chimie, soit il faut invoquer l’action vitale d’un être vivant. On l’aura compris, Pasteur est plutôt partisan de ce second point de vue. Pour lui, la fermentation est un processus vital permettant à certains êtres de vivre en l’absence d’oxygène libre13 ; ces êtres, il les nomme anaérobies. Preuve de cette affirmation : il est possible d’inhiber le processus en mettant la levure en présence d’oxygène libre, ce que nous appelons aujourd’hui « l’effet Pasteur ». Mais en juillet 1877, Claude Bernard montre que le phénomène de fermentation est dû à un ferment soluble libéré par la levure, et non à son action vitale. Il constate également que l’action de ce ferment n’est pas entravée par la présence d’air, ce qui va naturellement à l’encontre de la conception de Pasteur. Ces résultats ne seront pas publiés du vivant de Claude Bernard, qui meurt le 6 février 1878. C’est son ami Berthelot, conscient de leur importance, qui les fait publier à titre posthume le 20 juillet 1878 dans la Revue Scientifique14. Mécontent, Pasteur s’en émeut devant l’Académie des sciences. Il en résultera une longue passe d’armes (8 mois) entre Berthelot et lui, sous forme de communications à l’Académie des Sciences, sans qu’aucun des deux protagonistes ne parvienne à obtenir gain de cause. Mais le temps jouera en défaveur de Pasteur. En 1897, en effet, Eduard Buchner (1860-1917) parvient à réaliser expérimentalement une fermentation alcoolique sans faire intervenir d’organismes vivants15
. Ses travaux établissent que le phénomène est dû à une substance, issue de la levure, qu’il nomme zymase.

Le vitalisme a-t-il perdu la partie ?

A la fin du XIXe siècle, la position vitaliste n’est plus tenable pour la majorité de la communauté scientifique. Bien entendu, le réductionnisme mécaniste n’a pas remporté l’adhésion de tout le monde : il en est toujours pour affirmer que le vivant ne se réduit pas aux lois de la physique et de la chimie, qu’« autre chose » est à l’œuvre. Mais cette « autre chose » ne joue plus aucun rôle dans les théories scientifiques. Aujourd’hui, les recherches scientifiques sur les origines du vivant fournissent des modèles permettant d’expliquer les phénomènes de la vie sans avoir à évoquer une mystérieuse force vitale. La biologie moléculaire, par exemple, rend compte des processus vitaux en termes de phénomènes physico-chimiques. Dans son ouvrage Le hasard et la nécessité, Jacques Monod affirme que les thèses vitalistes sont avant tout le fruit du scepticisme à l’égard de la science, et se sont toujours appuyées sur l’ignorance ou les zones d’ombres laissées par les explications scientifiques. Par conséquent, son pouvoir explicatif est appelé à diminuer drastiquement :

Les développements de ces vingt dernières années en biologie moléculaire ont singulièrement rétréci le domaine des mystères, ne laissant plus guère, grand ouvert aux spéculations vitalistes, que le champ de la subjectivité : celui de la conscience elle-même. On ne court pas grand risque à prévoir que, dans ce domaine pour l’instant encore « réservé », ces spéculations s’avéreront aussi stériles que dans tous ceux où elles se sont exercées jusqu’à présent16

Le point de vue de Monod n’est pas isolé mais au contraire représentatif de l’opinion des scientifiques à l’encontre du vitalisme à la fin du XXe siècle. Et pourtant, alors même que la force vitale et ses concepts dérivés (« énergie vitale », « fluide vital », « élan vital », etc.) ont été chassés du champ de la recherche scientifique, ceux-ci demeurent très présents dans les fondements théoriques de nombreuses pratiques thérapeutiques dites « alternatives » ou « non conventionnelles ». Rappelons que la très populaire homéopathie fait appel à cette notion depuis son origine : « [L’homéopathie] sait que la guérison ne peut avoir lieu qu’au moyen de la réaction de la force vitale contre un médicament approprié, et qu’elle s’opère d’autant plus surement et promptement que cette force vitale conserve encore davantage d’énergie chez le malade17

Vidéo – Conférence « Croyance et raison : le problème de la démarcation »

Vidéo de la conférence « Croyance et raison : le problème de la démarcation », donnée le 12 janvier 2017 par Albin Guillaud et Ismaël Benslimane pour des enseignant·es de philosophie, dans le cadre du Plan académique de formation (rectorat de Lyon). La première partie est une introduction générale au problème, la seconde partie concerne les outils pédagogiques qui nous semblent pertinents pour parler de ces sujets.

 Cette conférence avait pour but d’introduire les différents outils et méthodes utilisés par le CorteX pour parler de science, de croyance, de matérialisme, du vrai/du faux, etc. Si vous êtes amené·e·s à faire des enseignements autour de la pensée critique, ce genre d’introduction nous semble essentiel avec un public lycéen ou étudiant afin de poursuivre, sur des bases solides, une réflexion sur les mécanismes à l’œuvre derrière certaines croyances (telles que les complotismes, les intrusions spiritualistes ou les théories controversées).

Pour approfondir après la conférence, vous trouverez ici des conseils d’ouvrages sur le sujet.

Rapport ostéopathie crânienne – réponses aux réactions

Voici une compilation des réactions au rapport produit pour le Conseil national des masso-kinésithérapeutes sur l’ostéopathie crânienne. Nous mettrons l’article à jour au fur et à mesure des réceptions ; la dernière mise à jour date du 19 février 2017 (voir en toute fin de page).

Il y a différents types de questions (ou d’invectives, mais nous les prenons pour des questions) et remarques.

1. Les questions épistémologiques

(…)  Lors des commissions ministérielles dès 2002, j’avais prôné le fait que l’osteo soit reconnue à l’identique des psychologues cliniciens ; c’est-à-dire que cela ne peut être du domaine des sciences dures, et la nécessité de créer nos propres outils. En effet si les uns travaillent avec le verbe, nous en plus, c’est avec le toucher et les mains qui « parlent et écoutent ». Difficile de l’évaluer ! (…)  J.L., février 2016

Que chaque discipline ait des outils d’évaluation un tantinet différents selon les objets étudiés est évident. Si on considère la science comme une activité de production de connaissances « communisables » sur le monde (cf. notre dialogue  La science (complet) – Base d’entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science) alors il n’existe plus de dichotomie sciences dures / sciences molles : il n’est que des champs de connaissances plus ou moins solides. Enfin, les méthodes de gynécologie par exemple sont des méthodes éprouvées, reposant sur le toucher, et faisant partie des méthodes reposant sur les faits. Si l’on récuse l’évaluation des méthodes ostéopathiques, cela signifie que le choix de chaque thérapeute sera subjectif – auquel cas, ce n’est plus un statut de scientificité qui est recherché, mais celui d’un art. Peu probable que quelqu’un cherchant un soin souhaite avoir affaire à (seulement) un artiste.

« C’est l’éternel débat entre empirisme et positivisme ,au demeurant fort intéressant car l’un contribue à faire progresser l’autre ». J.L., février 2016

Nous allons être pointilleux sur les termes philosophiques, puisqu’il s’agit de l’un de nos violons d’Ingres. Que l’empirisme nourrisse la connaissance, certes, moyennant recoupement et reproduction de cet empirisme. On « sent » que quelque chose marche, on n’est pas très sûr, alors on le soumet à ses pairs, qui valident objectivement ou récusent la méthode. Lorsque l’empirisme est répété sans examen collectif, on appelle ça une tradition, voire une superstition.

Quant au positivisme, ce mot est ambigu dans votre phrase. Si vous faites appel au programme positiviste d’Auguste Comte, il  n’est évidemment pas le nôtre. Sur ce que ce terme sous-tend, voici une excellente lecture de J. Bricmont dans la revue DOGMA, Comment peut-on être  » positiviste  » ?

(…)  et comment s’il vous plaît, pourrions-nous reproduire un acte qui par nature est relationnel c’est-à-dire qui engage l’entièreté de deux personnes (corps, mental et être) ? (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

La description du coït est très bien décrite scientifiquement, n’est-ce pas ? 🙂 Nous prenons cet exemple à dessein : on peut souhaiter une part de mystère dans l’acte charnel si on le veut, c’est un choix subjectif. Mais si quelqu’un souhaite une efficacité à l’acte (pour ce qui est du plaisir, ou de la fécondation, ou autre) la part de mystère n’a guère sa place.

Toute la psychologie sociale, les sciences politiques, s’élaborent sur des théories basées sur les faits. Si un acte ostéopathique a une validité en soi, une « efficacité propre » (à bien dissocier pour la discussion de l’efficacité globale qui comprend les effets contextuels ; voir sur ce point la conférence de N. Pinsault) alors elle doit pouvoir être reproduite. Ce débat a déjà eu lieu en sciences biologiques, et même en sciences médicales, il y a plus de cinq siècles, pourquoi le reprendre ici ?

Mais, s’il vous plaît, retournons les choses : ce travail montre effectivement que l’ostéopathie crânienne (mais aussi je pense, l’ostéopathie en général) ne parvient pas à s’inscrire dans le cadre scientifique que l’on voudrait lui imposer. Mais il montre surtout que le cadre scientifique qu’on voudrait lui imposer ne lui convient tout simplement pas ! Et du coup, ce travail considérable (merci de l’avoir fait à notre place) montre qu’utiliser un outil inadéquat pour analyser quelque chose donne des résultats fantaisistes. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Nous supposons, à tort peut être, que vous faites une erreur classique sur le plan épistémologique. De tout temps, lorsqu’une hypothèse n’était pas corroborée par les faits, les défenseurs de celle-ci ont toujours résolu leur dissonance cognitive en incriminant les critères de scientificité. Pourtant ces critères, qui s’agrémentent avec le temps, ne sont pas pris en défaut, tandis que le cimetière des hypothèses rejetées est lui plein à craquer. Si la science était un simple jeu, assisterions-nous stoïquement à la renégociation des règles du football par une équipe de 5ème division étrillée au dernier match ? Que nous nous fassions bien comprendre : que les ostéopathes crâniens viennent avec tout ce qu’ils ont comme prémisse de phénomène, tentent de caractériser celui-ci pour que de manière inter-subjective on en fasse l’étude, et là on verra s’il faut de nouveaux critères de scientificité. En attendant, sans plus d’éléments que ce que nous avons trouvé, il n’y a pas de raison de donner du crédit aux techniques (nous disons bien aux techniques, pas au soin global, plus complexe) ostéopathiques crâniennes. Si nous en donnions, il faudrait en donner aux magnétiseurs, aux révérends prédicateurs évangéliques, qui eux non plus n’ont pas de corpus de preuve – et eux aussi, contestent les critères de scientificité. De ce fait, votre profession deviendrait une pratique ésotérique, et vous n’auriez guère à y gagner.

« Et le grand tort des ostéopathes est d’avoir cherché (pour des raisons de reconnaissance) à s’inscrire dans un cadre ne leur convenant pas au lieu de faire le nécessaire pour se doter des outils épistémologiques adaptés à leur approche. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Nous sommes navrés de vous contredire. Tout notre rapport montre que justement, les ostéopathes crâniens n’ont semble-t-il pas souvent souhaité s’inscrire dans le cadre de la recherche scientifique, même à prémisse empirique (sur ce point voir plus haut, courrier de J.L). La preuve en est la somme d’études indigentes sur le plan méthodologique.

C’est que même si les preuves ne sont pas apportées à la satisfaction des critères « scientifiques » exigés, l’ostéopathie crânienne a, de toute évidence, aidé et continue d’aider des millions de personnes de par le monde. Cela est un fait. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Certes. Ne s’agit-il pas d’un sophisme du pragmatisme ?

En tous les cas la question change : que des personnes soient aidées par les soins de l’ostéopathie crânienne, c’est très probable. Il en est qui sont aidés par les religions, d’autres par la détestation d’une autre caste, race, culte, tribu, région, et tant d’autres versions de se faire du bien. La question est de savoir s’ils sont aidés :

1) parce que vous êtes très agréable humainement ?

2) parce qu’ils parlent d’eux pendant la consultation ?

3) parce que vous avez un fort argumentaire d’autorité ?

4) parce que la méthode est efficace en propre ? 

5) etc. ou la somme de tout cela ? Nous ne pouvons que vous renvoyer à la conférence de N. Pinsault sur le sujet, ou dans l’ouvrage « tout ce que… » sur la différence entre efficacité globale et efficacité propre.

Je ne vois pas pourquoi elle continuerait d’exister si elle n’était pas utile ! (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Sans vouloir vous déprimer, il est beaucoup de choses qui remplissent une fonction, sans pour autant avoir d’efficacité propre – la religiosité en est une (et on sait étude à l’appui que l’efficacité des prières d’intercession est nulle).

Le fait qu’elle ne puisse le « prouver » selon certains critères très précis ne suffit pas à prétendre qu’elle est inutile. Et je m’attriste toujours devant l’incapacité à accepter qu’une pratique puisse être efficace et utile bien qu’elle échappe aux moyens d’investigation d’un système. Et si c’étaient le moyen d’investigation et les critères retenus qui devaient être remis en cause, plutôt que la technique ? (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Une fois encore nous n’avons jamais prétendu l’inutilité de la discipline puisque l’utilité présente des caractères bien plus vaste que l’efficacité. L’utilité peut-être sociale par exemple, mais c’est un autre débat que nous n’auront pas ici.

Nous attendons toutes propositions, que ce soit sur un phénomène isolé, un « effet », une « efficacité », ou même sur de nouveaux critères d’évaluation. Nous saurons faire amende honorable le cas échéant.

L’absence de preuve scientifique concernant l’efficacité de la pratique n’est pas une nouveauté en soi. Ce fait est connu et c’est pourquoi des études sont toujours en cours pour essayer de démontrer un effet et une indication de ce type de thérapie (Raithet al, 2016, Haleret al, 2015, Elden et al, 2013) avec des protocoles plus ou moins bien bordés. Les résultats sont mitigés en fonction des études mais certains semblent montrer un effet intéressant ainsi qu’une absence d’effets secondaires gênants. Actuellement, il n’y a que 2 articles relevés par les auteurs qui montrent un résultat intéressant sur les cervicalgies et le syndrome douloureux pelvien gravidique. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Concernant les études de Haller et al et de Elden et al, comme vous l’avez lu dans notre rapport nous ne partageons pas votre interprétation. Nous écrivions :

« Les deux preuves méthodologiquement valables que nous avons trouvées présentent de modestes résultats qui, pour diverses raisons que nous avons évoquées, peuvent raisonnablement s’interpréter en terme d’efficacité non spécifique des traitements. »

Bien sûr, cette interprétation est longuement argumentée dans notre rapport et ne tombe pas du ciel.

Pour l’étude de Raith et al nous n’avons rien exprimé et pour cause ! Cette publication est postérieure à notre revue de littérature.

Ce rapport est référencé à partir d’articles pour leur grande majorité « vieux » de 20 et 100 ans (Seulement 14,5% des ouvrages cités et 23% des articles tirés de revues scientifiques ont moins de 5 ans) Comment déduire des conclusions scientifiques crédibles avec une telle bibliographie ? C’est vraiment dommage de ne pas considérer la littérature récente qui remet en cause le MRP pour se faire un avis au sujet de l’ostéopathie crânienne ! (Ostéopathes Plus)

Pour information, l’ancienneté d’un travail expérimental ne permet en rien de juger de sa valeur. Dans l’histoire de la médecine par exemple, il existe des essais cliniques anciens qui ont fait date. C’est par exemple le cas du tout premier essai contrôlé randomisé en double aveugle sur la streptomycine dans le cadre de la tuberculose à la fin des années 1940 [Streptomycin in Tuberculosis Trials Committee, « Streptomycin treatment of pulmonary tuberculosis. A Medical Research Council investigation, Br Med J,  v.2(4582),‎ pp. 769–82 ]. On trouve aussi moult études récentes à la méthodologie défaillante. C’est malheureusement la règle en ostéopathie crânienne. Mais s’il existe des études récentes et méthodologiquement rigoureuses qui nous ont échappé, rien ne vous empêche de nous les faire parvenir, bien au contraire ! Contrairement à beaucoup d’interlocuteurs plus ou moins amènes dans ce débat, nous ne serions pas gênés de changer d’avis. Si ces études n’existent pas, alors, vous ne pouvez en tenir rigueur qu’aux acteurs/actrices du champ de l’ostéopathie crânienne de ne pas avoir réalisé plus d’expérimentations rigoureuses ces dernières années. Pas à nous.

2. Les questions de procès d’intention

(…) C’est bien que ce rapport soit fait, il a aussi ses limites dans la mesure où il fait preuve de scientisme (…) J.L., février 2016

Le scientisme ne fait pas partie de notre programme intellectuel. Nous ne souhaitons pas, comme écrivait Renan, « organiser scientifiquement l’humanité », juste évaluer la validité, la reproductibilité et l’inter-subjectivité d’un corpus scientifique. Nous pourrions faire la même chose sur une théorie sociale, une théorie politique, une théorie physique ou mathématique (dans la limite de nos compétences additionnées).

[sur la biodynamie] (…) Là, on sent que les auteurs se sont vraiment fait plaisir ! On sent qu’ils font un très gros effort pour masquer leur bienveillance vis-à-vis du concept. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Nous avons une posture neutre sur le plan philosophique, c’est-à-dire une suspension de jugement, comme les sceptiques Grecs anciens, qui se résume ainsi : donnez-nous de bonne raison de penser ce que vous pensez, et on le pensera aussi. En attendant, les affirmations sans preuves peuvent être réfutées sans preuves (voir à ce sujet nos articles Rasoir d’Occam, etc).

Et pour conclure, la méthode ne présente finalement « aucune efficacité prouvée » (p. 244). Chapeau bas, Messieurs Dames, voilà du travail de pro ! Il a dû prendre beaucoup de temps, coûter beaucoup d’investissement personnel et sans doute financier.(…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

C’est effectivement du travail de pro. Il a pris de nombreux mois, à plusieurs (comptons entre 600 et 800 heures), il a effectivement coûté beaucoup d’investissement personnel, et sur le plan financier nous ne souhaitons pas nous substituer au CNOMK pour vous répondre : sachez seulement qu’on est bien loin d’un SMIC horaire.

« Je suppose que, sous couvert d’objectivité, le but était dès le départ de démontrer que l’ostéopathie crânienne, c’est de la foutaise. L’objectif est atteint. » (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Convenons que nous sortons là d’un débat scientifique. Il suffit juste de savoir que si l’ostéopathie crânienne avait des bribes de validité, nous l’aurions écrit de la même façon. Que le résultat vous déplaise, c’est en faire une affaire personnelle. Nous, nous faisons de ce rapport une chose publique, qu’il vous appartient de prendre en défaut.

« N’étant pas prescripteurs de recommandations, nous nous sommes limités à une analyse impartiale… » Impartiale ? Il semble que ce mot n’ai pas pour les rédacteurs le même sens que pour le dictionnaire… Ce qui est écrit ci-dessus à propos de la biodynamique est en contradiction flagrante avec une telle affirmation. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Dire que la Terre n’est pas plate, qu’il n’y a pas d’ether et que le complot Illuminati est une vue de l’esprit serait aussi partial ? Méfions-nous de l’effet bi-standard. Nous ne voyons pas où serait la partialité dans ce paragraphe cité.

Nous ne savons pas vraiment comment et pourquoi ça fonctionne, mais ça fonctionne !

Alors montrons-le. Montrez-le, c’est votre métier, cela devrait rendre les choses plus faciles.

Refuser cette évidence revient à se moquer des millions de gens qui ont été aidés par cette technique et qui, Dieu merci, le seront encore demain.

Vous usez ici d’une technique de l’épouvantail. C’est dommage.

Elle revient à prendre tous les patients pour des « gogos extatiques » pour reprendre les mots outrageants de J-M Abgrall dans son livre Les charlatans de la santé.

Même technique. Nous n’avions aucun lien avec J-M. Abgrall – non qu’on ne le souhaite pas. Nous connaissons ses livres. Le ton n’y est effectivement pas le nôtre.

Quel manque de respect pour les patients que de les considérer comme de gogos incapables de juger ce qui est bon pour eux ! (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

C’est de votre plume. Nous n’avons pas écrit ce genre de chose.

Quelle suffisance, quel mépris d’autrui de la part de gens se prétendant thérapeutes ! Cette incapacité à observer et à accepter l’évidence, même lorsqu’on ne peut pas l’expliquer est une maladie mentale grave et hélas, incurable.  (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Gagez que là, la teneur de la discussion ne permet plus le questionnement collectif. C’est dommage.

Ici, c’est Alain Andrieux sur www.enfantsdestill.com qui nous éreinte dans

Ceux qui se cachent derrière un tel acronyme, sans doute mûrement réfléchi,

Vous semblez prompt à juger nos intentions, nous ne nous risquerions pas à en faire de même pour les vôtres. Pourtant nous ne nous cachons de rien, l’ensemble du processus est transparent, nos écrits signés, nos liens d’intérêt déclarés, nos photos disponibles et nos contacts faciles d’accès.

[…]
ne pouvaient avoir qu’une seule intention : passer pour des gens
intelligents voire supérieurement intelligents. Des gens qui ne
plaisantent pas avec la science, enfin, leur façon d’envisager la
science. Des gens qui… chez ces gens-là Monsieur on ne sort pas de la
doxa même si celle-ci est extrêmement rhumatisante et en très mauvais
état pour défiler de façon convaincante au moins sur le fait qu’on sait
marcher. (Alain Andrieux)

Doxa, gens intelligents… Nous avons
fait le travail demandé, avec des canons scientifiques que nous n’avons
pas inventés, et qui ne tombent pas du ciel. Ce n’est pas parce que les
résultats qu’ils donnent ne vont pas dans le sens de ce que vous pensez
qu’il faut jeter la démarche scientifique critique.

Des gens qui ont consacré deux cent quatre-vingt-six pages
à la compilation de tous les textes possibles et imaginables pour
tenter de détruire un pan de la pratique ostéopathique auquel ils n’ont
pas accès, car vous pouvez en être certains aucun praticien digne de ce
nom n’a participé à ce travail de démolition, car chez ces gens là
Monsieur on bave, mais on ne pratique pas. (Alain Andrieux)

Heureusement que nous ne sommes pas faciles à vexer. Baver sur 286
pages, c’est long, il ne suffit à vous lire que de quelques lignes. Par
ailleurs vous faites erreur, il y a trois praticiens sur quatre qui ont
rédigé ce rapport. Ne faisons pas d’erreur d’attribution : ce n’est pas
nous qui détruisons un édifice, c’est plutôt vos collègues qui ne l’ont
pas construits. Alors construisez-le, et notre rapport sera changé. Et
comme vous semblez féru de citations de Jacques Brel, vous ne
découvrirez certainement pas celle-ci : dès qu’il y a des gens qui
bougent, les immobiles disent qu’ils fuient.

Et bien ce bref moment d’humeur ne m’entrainera pas vers
la rédaction d’une seule page pour dénoncer une telle médiocrité aussi
besogneuse soit-elle. Bon courage aux kinésithérapeutes qui vivent sous la protection
d’un tel ordre qui, comme d’autres ordres, montre à quel point la zone
des ouïes ( figurées parait-il par le sphénoïde ! ) a été terriblement
comprimée. – mais le choc vint de la contemplation d’un crâne de la
collection de Still et de l’analogie qu’il fît entre la forme de l’os
sphénoïde et celle des ouïes de poissons, «
indiquant une mobilité pour un mécanisme respiratoire- ».(cortes.org) (Alain Andrieux)

Pourriez-vous mettre la bonne adresse s’il vous plait ?

Pour ces gens-là, pour ce groupe-là, même pas capables de
reproduire une citation correctement, l’intention d’apparaître comme
une personnification de l’intelligence et de la raison est débusquée
mais pour ce qui est du but à atteindre, il est totalement raté. Nous
attendons avec impatience d’autres productions du Cortecs sûrement
toutes porteuses de cette ouverture d’esprit qui va jusqu’à créer des
courants d’air dans cette production mal cortiquée. (Alain Andrieux)

Là, nous ne savons pas quoi dire. Il n’y a rien d’autre dans l’article.

Le site Osteopathes Plus, quant à lui, tente de déverser du poison dans l’eau du puits à notre sujet :

Le rapport CORTECS n’a aucune légitimité et objectivité scientifique vu qu’il a été demandé par le CNOMK pour évaluer l’ostéopathie crânienne et réalisé sous la direction de son vice-président Mr Vaillant.
Mr Vaillant, personne très influente, est également directeur de L’IFMK
de Grenoble où il encadre une équipe pédagogique constituée entre autre
des auteurs du rapport CORTECS. Peut-on parler de conflit d’intérêts ?

Ostéopathes Plus adjoint à ces quelques lignes un schéma intitulé « Le rapport « indépendant » du CORTECS commandé par le CNOMK est-il réellement dénué de conflits d’intérêts ? ».

L’article et le schéma, malgré leur brièveté, regorgent d’erreurs que nous énumérons ci-dessous :

– le rapport n’a pas été réalisé sous la direction de M.Vaillant ;

– seul un des quatre auteur.e.s, Nicolas Pinsault, faisait partie de
l’équipe pédagogique de l’IFMK de Grenoble en tant que cadre de santé au
moment de la rédaction du rapport. Son traitement est administré par le
CHU Grenoble-Alpes et provenait d’une enveloppe du Conseil Régional
(comme pour toutes les formations sanitaires et sociales) ;

– Richard Monvoisin n’est actuellement pas chargé de cours à l’IFMK
de Grenoble (il a seulement fait quelques heures de cours entre 2009 et
2012) ;

– les deux autres auteur.e.s (Nelly Darbois et Albin Guillaud)
enseignent ponctuellement à l’IFMK de Grenoble en tant que vacataire
(moins de 10 heures par an) sur des thèmes sans lien avec l’ostéopathie ;

– les auteur.e.s n’ont reçu aucune rétribution financière à titre
individuel pour la rédaction du rapport par le CORTECS ou le CNOMK.
L’argent versé par le CNOMK au CORTECS permet à cette structure de
financer des bourses d’étudiant.e.s et du matériel pédagogique, en
l’occurrence des livres critiques, prêtés gratuitement à toute personne
qui en fait la demande.

Quant au qualificatif de « personne très influente » adossé à la
personne de M. Vaillant, nous ne comprenons pas à quoi il renvoie.

Le terme de conflit d’intérêt est utilisé à deux reprises par
Ostéopathes Plus. Il est utile de rappeler qu’une rétribution financière
pour un travail rendu n’entraîne pas nécessairement un conflit
d’intérêt, comme cela est questionné par Ostéopathes Plus. Dans le cas
qui nous intéresse, il pourrait y avoir conflit d’intérêt si les
conclusions du rapport allaient dans un sens qui servait les intérêts du
CNOMK, du CORTECS ou des auteur.e.s. Quels seraient donc ces intérêts ?
Dans l’article et d’Ostéopathes PLUS il n’est nullement expliqué en
quoi les liens d’intérêt des auteur.e.s, déclarés de manière
transparente à la fois sur le site du CORTECS et sur celui de l’ordre,
seraient sources de conflit d’intérêts.

En résumé, Ostéopathes Plus ne donne aucun argument pour justifier en
quoi le fait que le CNOMK soit le commanditaire de notre rapport
entraverait notre légitimité, et plus encore notre objectivité
scientifique à travailler sur l’ostéopathie crânienne.

Et pour la petite histoire, c’est parce que Vaillant, directeur,
connaît bien la qualité du travail du CORTECS qu’il a suggéré au CNOMK
de le contacter pour des rapports scientifiques. Il faut en outre savoir
que ce rapport a entraîné des débats au sein du CNOMK lui-même, de même
qu’au CORTECS quand le CNOMK a émis ses avis

Avec une phrase comme « Peut-on parler de conflit d’intérêts ? », il
est facile d’instiller du doute gratuit et fallacieux. Nous pourrions
répondre par « Peut-on diffamer tranquillement chez Ostéopathes
Plus ? », mais nous préférons renvoyer ses auteurs aux leçons des grands
classiques, comme Francis Bacon dansDe la dignité et de l’accroissement des sciences (1623), livre VIII, chapitre II  : « Va ! calomnie hardiment, il en reste toujours quelque chose (audacter calumniare, semper aliquid haeret).

À aucun moment les auteurs n’ont eu envie de remettre en cause leur jugement bien dommage pour des « scientifiques ». (Ostéopathes Plus)

Cette affirmation est assez gratuite. Ne serait-ce pas tout
simplement parce que la conclusion ne va pas dans le sens que vous
auriez souhaité ? Rappelez-vous : nous n’avons aucun problème à changer
d’avis preuves à l’appui. Et vous ? Changerez-vous d’avis en l’absence
de preuve ?

Le Cnomk se contente de l’avis de mk opposés à
l’ostéopathie (Richard Monvoisin, Nicolas Pinsault
« La kinésithérapie piégée par les mages »
http://www.monde-diplomatique.fr/2015/12/MONVOISIN/54379. (Ostéopathes Plus)

− Précisions d’abord que l’un des auteurs n’est pas kiné, ni même professionnel de santé ;

− il n’y est pas question de l’ostéopathie dans son ensemble ;

− s’il y a des raisons d’être rétifs à certaines de ses branches,
c’est que les professionnels de celles-ci n’ont pas fait le travail
requis ; ce n’est pas une critique a priori, et encore moins une
querelle de chapelle – même si c’est, cela se comprend, plus facile pour
vous de scénariser de cette façon.

− Vous conviendrez que l’article que vous citez est publié dans un
journal dont la portée est bien plus politique que scientifique ou
technique. Or si nous pensons qu’il n’y a pas de raisons a priori de
s’opposer à des pratiques thérapeutiques comme celles de l’ostéopathie,
nous sommes en revanche opposé à un modèle de politique de santé non
redistributif et au saccage permanent des acquis sociaux de 1946. Si
l’ostéopathie est mentionnée dans cet article, c’est parce qu’elle offre
un exemple de l’évolution des politiques que nous dénonçons.

Karine Krzeptowski est une des premières a avoir réagi à la sortie du rapport :

Ce rapport ne peut être considéré par l’Ordre et par les
pouvoirs publics car il y a faute grossière de procédure dans le choix
du profil de ses auteurs, (tous kinésithérapeutes connus pour leur
position négative à l’égard de l’ostéopathie). (Karine Krzeptowski sur
le Site de l’Ostéopathie)

Il y a là une erreur et une confusion. Tout d’abord, seulement 3 des 4
auteur.e.s sont diplômés en kinésithérapie. Il vous revient d’expliquer
en quoi la formation initiale de ces auteurs constitue un critère
douteux quant au choix de leur confier une tâche d’évaluation
scientifique de l’ostéopathie crânienne. Ensuite, vous confondez
« position négative » et scepticisme. Ce dernier est consubstantiel de
la démarche scientifique et implique un doute préalable à toute
investigation. Nous n’avions pas de position de départ morale ou
affective sur le sujet, et quand bien même, une démarche méthodique
s’abstrait des préalables subjectifs lorsqu’elle est bien menée. Ce
n’est pas parce que les conclusions ne vont pas dans le sens que vous
souhaitez qu’il faut déligitimer artificiellement les compétences des
auteurs.

Quand on est à la recherche de preuve d’efficacité ou de
justification d’un concept, il faut s’adresser aux personnes directement
concernées, ici les ostéopathes et non aux détracteurs. (Karine
Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

L’efficacité d’une technique ou la validité scientifique d’un concept
n’est pas une affaire de personnes mais de données expérimentales. Nous
nous sommes tournés vers les auteurs, ostéopathes ou non,
« détracteurs » ou non, qui ont contribué à la connaissance sur le
sujet.

De surcroît, le mot détracteur n’est pas très heureux : s’il y a des
détracteurs, c’est qu’il y a des promoteurs. Nous ne nous inscrivons pas
dans ce débat : que nous soyons détracteurs ou promoteurs de la
gravitation, elle fonctionne, quel que soit notre avis. Que nous soyons
détracteurs ou promoteurs des humeurs d’Hippocrate, elles n’existent
pas. La connaissance scientifique s’abstrait du point de vue personnel.

Ce rapport ne peut être retenu et présenté décemment aux
pouvoirs publics car il y a conflit d’intérêt dans le choix même des
auteurs. (Karine Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

Voir notre réponse aux rédacteurs du site Ostéopathe Plus dans la présente section, ci-dessus.

Les auteurs eux-mêmes auraient dû refuser cette mission
qui ne leur revenait pas, ils terminent la conclusion de leur rapport
CORTECS : « Avec le soutien du CNOMK, nous avons accepté de faire le
travail laborieux qui revenait logiquement aux prétendants. De fait,
alors que nous pensions qu’il n’y avait pas a priori de raison
scientifique de défendre cette discipline, désormais nous le savons. »
Cette
phrase dans les conclusions en dit long ! Ils partaient d’un a priori
négatif et ne trouvaient pas logique eux-mêmes que cette tâche leur fut
demandée à eux plutôt qu’aux ostéopathes ! (Karine Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

Peut-être devons-nous insister sur ce qui est pourtant une évidence :
le travail scientifique est une remise en question permanente de ce
qu’on croit acquis. La posture de départ est « méfiante », sceptique. Au
fond, vous faites la même chose : si nous affirmons guérir le cancer
par massage du cou, vous serez sceptique au premier abord. La charge de
la preuve incombe d’ailleurs à celui qui prétend. Donc en tout état de
cause, c’était aux ostéopathes de démontrer leur théorie, mais ils ne
l’ont pas fait. On a demandé à des sceptiques (non détracteurs, donc) de
regarder de près, pour voir si quelque chose tenait tout de même. Si la
conclusion vous déplaît, refaites nos recherches, ou produisez de
nouvelles données. Alors seulement, s’il y a lieu, nous changerons nos
conclusions.

Je pose la question au CORTECS : Pourquoi avoir accepté
cette mission si d’emblée elle n’était pas honnête sur le plan éthique ?
Ceci est une première erreur qui fausse votre approche et vous vous
targuez d’avoir l’esprit scientifique ! (Karine Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

Votre question est un plurium interrogationum. En nous
sollicitant pour y répondre, vous posez comme prémisse que la mission du
CORTECS concernant l’ostéopathie crânienne n’était pas « éthique » (ou
décente, comme vous l’avez glissé plus tôt) S’il vous plaît, essayez de
juger de notre esprit scientifique à la méthode que nous avons utilisée.
Ne laissez pas la colère de votre lien d’intérêt avec le sujet chercher
à s’évacuer par des vindictes gratuites.

L’Ordre finance des rapports mal ciblés dès le départ. De
manière pragmatique, Si l’Ordre des MKDE souhaite encore dans l’avenir
s’éclairer sur le thème de l’ostéopathie, ne serait-il pas plus sain
d’instauré au sein de l’Ordre un conseil représentant des MKDE-D.O. qui
pourrait dès lors œuvrer positivement lorsqu’il s’agit de faire
comprendre les spécificités et l’actualisation des compétences de leur
métier d’ostéopathe ? (Karine Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

Il ne faut pas confondre démarche de communication (« œuvrer
positivement ») et démarche d’évaluation scientifique. Mais si vous
substituez la communication à la science, ce seront les meilleurs
lobbies qui imposeront leurs vues, et c’en sera fini de la science. Un
lobby de la Société de la Terre Plate pourrait imposer ses vues à tous les géologues. Nous pensons que ce n’est pas souhaitable.

3. Les questions méthodologiques

Malheureusement, ce ne sont pas là les seules sources sur
le concept. Il manque l’ouvrage de Nicette Sergueef , sans parler de
celui d’A Croibier sur le diagnostic général ostéopathique (qui reste un
livre important pour étudier en partie le fonctionnement du
raisonnement ostéopathique) aux éditions Masson ou un ouvrage de
référence de T Liem aux éditions Maloine. Il faut noter que certains
ouvrages apparaissent sur le site de l’ostéopathie en fouillant les
articles sur les ouvrages ou avec des termes comme « crâne », « crânienne »,
« crânien ». (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Nous vous encourageons à lire ou relire en détail la méthodologie
suivie dans cette partie du rapport pour comprendre pourquoi ces
références n’apparaissent pas. En effet, nous avons relevé uniquement
les concepts élaborés par le fondateur et les continuateurs de
l’ostéopathie crânienne, identifiés dans la partie précédente du
rapport ; Nicette Sergueeg, A Croibier et T Lien ne font pas partie de
ces personnes. Ce choix méthodologique, qui a ses limites, permet de
rendre notre méthode reproductible et incrémentale. Nous ne travaillons
plus directement sur ce sujet, mais rien n’empêche qu’une autre équipe
aille plus loin en exploitant d’éventuels points aveugles de notre
méthodologie..

Je suis étonné que, les auteurs du rapport ayant
l’occasion d’échanger avec des ostéopathes (c’est noté dans les
remerciements), ces sources n’aient pas été évoquées. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Elles n’ont effectivement pas été suggérées par les différentes
personnes contactées – mais il est difficile de leur en tenir grief. Il
est probable qu’autant de contacts, autant de sources possibles. Cela
corrobore notre impression que si le « feuillage » de l’ostéopathie
crânienne est partout, il est assez difficile de bien distinguer un
tronc solide.

De même, puisqu’utilisant un moteur de recherche
généraliste qui est probablement google (on peut le supposer étant donné
que google scholar est cité plus tard dans le rapport), les auteurs
auraient pu utiliser google books où toutes les références citées plus
haut ressortaient.(Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Détrompez-vous : ces références ne ressortent pas si l’on suit de
manière précise la méthodologie décrite dans le rapport, qui cherchait à
identifier les sources bibliographiques du fondateur et des
continuateurs (voir supra). Maintenant, rien ne vous empêche de changer
de méthodologie et de refaire le travail.

Poussons un peu plus loin et soyons indulgents sur le
fait qu’ils ne connaissent pas les ouvrages d’ostéopathie en dehors des
éditions Sully (car n’étant pas du métier).(Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Merci de votre indulgence – au sens canonique, l’indulgence est une rémission de la peine encourue du fait d’un péché. Ouf !

Vous faites assurément un effet paillasson en mélangeant « ne connaissent pas » et « ne jugent pas majeurs selon la méthodologie employée »

Et comme vous pouvez le constater vous-même les ostéopathes avec
lesquels nous avons échangé semblent eux non plus soit ne pas connaître,
soit ne pas juger majeurs les ouvrages que vous évoquez. Pensez-vous
réellement qu’il suffit d’« être du métier » pour connaître tous les
ouvrages pertinents en rapport avec ce métier ? Appliquer cela à de
nombreux métiers, de boulanger à prêtre, de cordonnier à prostitué,
suffit à en douter.

Ils préviennent que ce sera succinct, sauf que même en
suivant leur méthode, il y a une part du concept plus récente (basée la
tenségrité) qui n’est pas prise en compte comme l’ouvrage de Gilles
Boudéhen qui fait partie du catalogue des éditions Sully. Alors comment
ont-ils vraiment fait leur recherche bibliographique?  (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Si vous lisez le rapport, vous saurez comment notre recherche
méthodologique a été faite. Il vous appartient de l’améliorer si vous le
jugez nécessaire. A toutes fins utiles, vous pouvez agglomérer toutes
les études qui vous paraissent manquer et contacter le Conseil national
de l’ordre ici
pour pousser plus loin notre rapport. Mais la question reste celle-ci :
ces « nouvelles » publications vont-elles infléchir les conclusions de
notre rapport ? Croyez bien que si nous le redoutons par pur péché
d’orgueil, nous le souhaitons à l’ostéopathie crânienne – et c’est ça
qui compte.

Celle-ci est vraiment limitée, comment juger
objectivement de l’aspect scientifique d’un concept en étudiant la
partie qui n’a pas été mise à jour au niveau des connaissances
scientifiques actuelles? (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

L’ostéopathie crânienne n’est pas un concept mais un champ (une
« sphère » disait Sutherland) recouvrant plusieurs concepts (MRP,
membrane de tension réciproque, etc.) S’il est toujours possible que
nous soyons passés à côté d’un concept particulier – encore faut-il nous
le montrer – en quoi cela remet-il en question le reste de notre
analyse ? Vous savez, la connaissance fonctionne par parcimonie des
hypothèses depuis Aristote, puis William d’Occam. Il s’agit d’essayer de
comprendre au moyen du moins grand nombre d’entités possibles une gamme
de faits. Le problème majeur de votre discipline, l’ostéopathie
crânienne, c’est qu’elle prend des concepts un peu flous, pour nimber de
mystère une gamme de faits que personne n’a réellement objectivé. Avant
de faire des châteaux de sable en Espagne, aurait dit R. Mianajbaro,
penseur du XIXe siècle, vérifions d’abord qu’il y a bien du sable. Et
Fontenelle l’a très bien décrit ici .

Au sujet de la tenségrité, non seulement ça n’est pas un concept
spécifique à l’ostéopathie crânienne mais encore moins à l’ostéopathie
tout court. C’est une notion d’abord architecturale (créée par
Buckminster Fuller), puis importée en biologie avec une définition
relativement précise puis, devenant concept nomade, a été adapté à de
nombreuses sauces (dont celles des héritiers du mystique Carlos
Castaneda, qui en firent un agglomérat de prétendus exercices
spiritualistes et magiques sinon toltèques, au moins venus des pratiques
des natives américains.). Encore une fois, si l’on suit notre méthode
scrupuleusement décrite, il est normal que ce concept n’apparaisse pas
puisqu’il n’a pas été émis par un des fondateur et continuateurs
identifiés.

D’autre part, nous nous interrogeons sur la pertinence d’évaluer a
posteriori ce concept puisque vous dites vous-même dans la conclusion de
votre article :

Le concept étudié est amputé de sa partie la plus récente
basée sur d’autres principes que le MRP. J’ai cependant quelques
réserves sur ce nouveau concept qui ne fait pas davantage preuve de sa
véracité dans le cadre de l’ostéopathie crânienne que l’ancien concept. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

(…) Cette erreur rédactionnelle met aussi en évidence
qu’il est sans arrêt question de manipulation crânienne sans jamais que
soit défini ce terme. C’est embêtant d’évaluer l’ostéopathie dans le
champ crânien sans définir le geste que ça implique. Si on fait une
recherche dans le document avec les termes « manipulation crânienne »,
jamais le terme n’est associé à une quelconque définition. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Le principe juridique de l’onus probandi s’applique
aussi et surtout en science : la charge de la preuve incombe à celui
qui prétend. Il est difficile de nous en vouloir de ne pas avoir défini
la « manipulation crânienne » alors que Sutherland lui-même n’a pas pris
soin de le faire de manière claire. Cela ressemble aux discussions
sceptiques vs. théologiens : des théologiens reprochent souvent aux
sceptiques de critiquer la notion de Dieu sans le définir. Mais
lorsqu’il s’agit de prendre l’avis des théologiens sur ce qu’est Dieu,
personne n’est d’accord. Finalement, de quoi parle-t-on ?
D’ailleurs,
dans les textes identifiés se rapportant à l’ostéopathie crânienne,
 « manipulation crânienne » n’est jamais présentée comme un concept
central. Il y a comme qui dirait un bug dans l’épistémologie de votre
discipline.

[Concernant la partie Fondement physiopathologique de l’ostéopathie crânienne]La
méthodologie est décrite et semble avoir essuyé quelques écueils. Il
semble que ces difficultés ne leur aient pas permis de faire une revue
de littérature dans les « règles de l’art ». (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Nous avons tenu précisément le propos suivant : « Nous avons
rencontré des difficultés pour mener, dans les « règles de l’art », une
revue de littérature systématique compte-tenu principalement : […] », et
les raisons sont listées pages 58 et 59. En fait, l’expression « règle
de l’art » est mal choisie car contrairement à d’autres disciplines, ,
il n’existe à notre connaissance pas de « règle de l’art » pour réaliser
une revue systématique de littérature sur des concepts
physiopathologiques, surtout issues d’une littérature essentiellement
non-indexée ! Ce qui montre que bien plus urgent que la critique de la
méthodologie que nous avons prise, serait de faire de la littérature
scientifique indexée ! En gros, faire de la recherche d’objectivation.
C’est ce qui aurait dû être fait depuis plus d’un siècle. Par
conséquent, vous pourriez tout aussi bien dire que ce que nous avons
réalisé est une première et ajouter « bravo au CORTECS d’avoir essayé de
démêler l’écheveau d’une discipline éparpillée et peu scrupuleuse sur
la méthode expérimentale, et d’avoir construit un bon socle
méthodologique (probablement améliorable) à quiconque souhaiterait
entreprendre un travail similaire » N’est-ce pas ?

Sachant qu’un certain nombre d’ouvrages de référence dont
nous avons parlés précédemment ne seront pas cités davantage dans cette
partie, il va donc manquer un pan entier des modèles
physiopathologiques. Néanmoins, concernant les modèles étudiés, il est
évident que leurs conclusions sont valides: (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Rappelons-nous : avant de multiplier les modèles, il faut des faits.
C’est un des critères de pseudoscientificité que de faire des modèles
sans fait caractérisé (il y a même des modèles de physiologie des
« vivants dans l’au-delà », à la suite des EVP de Konstantin Raudive).
Si malgré tout vous estimez qu’émerge ou ont émergé des concepts
spécifiques à la sphère crânienne que nous n’aurions pas traité,
n’hésitez pas à nous transmettre les références des études
expérimentales qui les soutiennent. Et si vraiment vous argumentez que
ces concepts ont leur place dans l’historique de l’ostéopathie
crânienne, vous pouvez en faire une synthèse et la rendre publique (car
un des critères scientifiques de la connaissance est la connaissance
partagée). Nous pourrions ainsi la publier dans un addendum du rapport
grâce à vous.

[Sur la fiabilité et la validité des tests ostéopathiques
employés dans le champ crânien] Cette analyse repose sur l’utilisation
d’une grille d’analyse QUAREL (qui en fait s’écrit correctement QAREL).
C’est un outil d’une bonne qualité (Lucas et al, 2013)pour évaluer la
reproductibilité de certains tests dans un contexte de revue
systématique. Il a cependant quelques limites surtout quand le test en
question n’a pas de moyen d’évaluation fiable disponible (une sorte de
gold standard). Les Items 9 et 10 sont notamment source de biais pour
cet outil où les questions sont subjectives. Ces limites sont soulevées
par les auteurs qui pointent notamment :

  • L’absence d’un gold standard,
  • Pour évaluer la constance de la mesure dans le temps, il manque la preuve du MRP et de mesures fiables.
  • L’absence d’interprétation des résultats par les évaluateurs (pour savoir si le test a été fait correctement).

En conséquence, les auteurs font un questionnaire simplifié
mélangé à celui du groupe Cochrane (risk of bias tool). Ils procèdent à
l’ajout d’un item crée pour l’occasion. Ce choix peut être discutable
dans le sens où le mélange et la modification de questionnaires valides
ne créent pas forcément un outil exempt de biais. Néanmoins, en
l’absence d’outils standardisés pour la situation en question, cet outil
permet une première approche.

Mais pour faire simple :

  • Un risque de biais est quasiment jugé élevé à chaque fois car le
    contenu d’un item est non décrit dans l’article (souvent les deux
    derniers items).
  • Les scores de corrélation ICC inter-observateurs sont en général
    assez faibles signant un manque de reproductibilité des tests
    ostéopathiques.
  • Les scores ICC intra-observateurs peuvent être parfois élevés en revanche avec un risque de biais non négligeable.

En résumé, l’analyse faite pour cette partie est intéressante
mais l’outil employé pour l’analyse des biais est discutable du fait de
ses modifications par rapport à l’outil validé et de l’attribution d’un
biais élevé systématique par manque de description du protocole. Les
scores ICC parlent d’eux-mêmes, et sans analyser le biais, la
reproductibilité est de toute façon faible. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Permettez-nous de récapituler le premier argument de ce paragraphe
(que nous étoffons d’une prémisse glanée dans le troisième paragraphe de
cette partie « La fiabilité et la validité des tests ostéopathiques
employés dans le champ crânien » ; nous intitulerons cette dernière
« prémisse (1) »). Si nous vous comprenons bien, cela donne la chaîne
logique suivante :

Prémisse (1) – « […] le mélange et la modification de questionnaires valides ne créent pas forcément un outil exempt de biais. »

Prémisse (2) – L’outil utilisé pour l’analyse des biais des études de
reproductibilité a été modifié par rapport à l’outil validé ; 

Prémisse (3) – Il a été attribué un risque de biais élevé systématique par manque de description du protocole ; 

DONC

Conclusion – L’outil pour l’analyse des biais des études de reproductibilité est discutable.

Discutons d’abord de la prémisse (1). Nous sommes d’accord avec vous.
Comme vous le faites vous-même remarquer dans le texte à la suite de
cette prémisse : « Néanmoins, en l’absence d’outils standardisés pour la
situation en question, cet outil permet une première approche. ». C’est
ce que nous nous sommes dit lors de la création de l’outil.

Abordons maintenant la prémisse (2). Comme vous l’avez vous-même
pointé (voir prémisse (1)), notre outil compile deux outils existants
(QAREL et Cochrane risk of bias tool). Ce n’est donc pas qu’une simple
modification d’un outil particulier comme vous le dites ici. Nous
fondrons donc cette prémisse avec la prémisse (1) dans la suite de
l’analyse.

Considérons enfin la prémisse (3). Cette prémisse n’est vrai que pour
un item sur sept (l’item n°6). Pour tous les autres items, quand le
protocole était insuffisamment décrit, nous avons attribué une
incertitude sur le risque de biais. Autrement dit, la prémisse (3) de
votre propos est fausse pour 6 items sur 7. Nous avons développé
largement l’argumentaire de la création de l’outil qui s’étale pour
mémoire de la page 155 à la page 159 du rapport.

Examinons enfin la conclusion de votre argument et tentons de voir
dans quelle mesure les prémisses la justifie. Vous dites que notre choix
méthodologique est discutable. Certes, mais tout choix méthodologique
étant discutable per se, donc ce propos est trivial et il vous
appartient d’en choisir un autre. Outre la trivialité de cette critique,
il pourrait y avoir quelque chose d’intéressant à en tirer tout de
même, moyennant de par exemple (a) pointer le type de biais émergeant de
l’application de l’outil ; (b) expliquer comment tel ou tel type de
biais influence ou modifie les résultats ; (c) faire des suggestions qui
permettraient soit d’améliorer l’outil en question pour éviter ou
diminuer ces biais, soit de le remplacer par un autre outil existant
plus adapté qui ne serait pas venu à notre connaissance. Sinon, cette
phrase ne sert à rien.

Quant à la prémisse 3, elle est fausse dans 6 cas sur 7. Pour l’item
6, nous avons justifié notre choix méthodologique page 159 du
rapport que nous citons à nouveau ici :

« À propos de l’item 6 « Est-il prévu un dispositif pour empêcher les
évaluateurs d’avoir accès à des indices additionnels sur les sujets
(tatouage, taille, genre, etc.) et qui ne faisaient pas partie du test ?
» : étant donnée l’importance que prend le dispositif nécessaire à sa
réalisation (voir par exemple l’étude d’Halma et al. de 2008) nous
considérerons qu’une absence d’information au sujet de cet item équivaut
à l’absence de dispositif, c’est-à-dire à un risque de biais élevé. En
toute honnêteté, ce choix pourrait être fait pour d’autres items.
Seulement celui-ci nous apparaît très particulier car le dispositif
nécessaire, sur le plan logistique, est tellement important que nous
pressentons peu crédible le fait qu’aucun mot n’en soit dit dans la
publication à cause de contraintes éditoriales ou par simple oubli. »

N’est-ce pas suffisant ?

C’est une chose assez facile de dire qu’une méthodologie est
discutable. C’est une autre paire de manche que de la discuter de
manière circonstanciée. Mais peut être le ferez-vous, à notre grand
plaisir.

Venons-en maintenant à votre dernier énoncé de cette partie : 

« Les scores ICC parlent d’eux-mêmes, et sans analyser le biais, la reproductibilité est de toute façon faible. »

Oui, vous avez raison. La volonté de procéder à une analyse des biais
relève de plusieurs motifs. Nous n’en évoquerons ici qu’un seul en
citant un passage de notre rapport : 

« La majorité des études existantes et disponibles échouent à mettre
en évidence ces reproductibilités pour tous les paramètres considérés,
cela malgré des risques de biais souvent favorables à l’émergence de
résultats positifs. » p. 195 (nous surlignons)

Autrement dit, ce que nous apprend l’analyse des biais, c’est que
même en utilisant des méthodologies biaisées favorables à l’obtention de
résultats reproductibles, les chercheurs échouent à mettre en évidence
la reproductibilité des techniques crâniennes utilisées par les
praticiens. Ceci est selon nous un indice majeur en faveur du fait que
même en améliorant la méthodologie, il est probable que les chercheurs
continuent malheureusement à échouer. Pour quiconque souhaiterait
entreprendre une étude de reproductibilité d’une technique d’évaluation
issue de l’ostéopathie dans le champ crânien, ce fait nous parait
essentiel à considérer. Avant l’élaboration de ce rapport, nous avons
rencontré des ostéopathes motivés pour faire ce type d’étude avec nous.
Dès lors, nous leur avions proposé de nous recontacter quand nous
aurions terminé le rapport, ceci pour que d’une part nous puissions
éventuellement saisir des contraintes méthodologiques inhérentes à la
pratique que nous aurions sous-estimées, et que d’autre part les
ostéopathes intéressés puissent aisément accéder aux travaux déjà
réalisés ainsi qu’aux difficultés s’y rattachant pour mesurer l’ampleur
de la tâche.

[Concernant l’efficacité thérapeutique]

Les auteurs ont mis en évidence 4 revues de littérature sur les sujets :

Nous
observerons que ces quatre revues convergent toutes vers un défaut de
preuve de l’efficacité des techniques et stratégies thérapeutiques
issues de l’ostéopathie crânienne.
Rapport CORTECS p204

Les
auteurs, devant le fait qu’il y ait eu depuis la dernière revue d’autres
publications, vont effectuer eux-mêmes leur propre revue de
littérature.

Ils relèvent qu’un protocole en triple aveugle
(patient, praticien, analyste) n’est pas applicable en thérapie manuelle
pour le praticien, mais que les protocoles qui tentent de le faire pour
les deux autres acteurs vont dans le bon sens.

Les auteurs vont utiliser l’outil de cochrane cité précédemment, mais seul (sans le QAREL, non adapté à l’analyse).

En
résumé, il y a en général un grand risque de biais du fait de l’absence
de données sur l’aspect aveuglement des trois acteurs de la recherche,
soit sur la randomisation dans le protocole, soit sur les données
manquantes. Les articles ne sont donc pas assez détaillés pour que les
résultats puissent être correctement analysés, et quand ils le sont, il y
a des manques qui portent préjudice aux résultats.

Seuls 2 études sortent du lot avec un risque de biais raisonnable (Elden et al., 2013, Haller et al., 2015).

(…)

L’utilité
même d’un tel rapport (dont la responsabilité incombait à ceux qui
pratiquent l’ostéopathie crânienne d’après les auteurs) est discutable
du fait que des travaux de revue de littérature sur le sujet ont déjà
été faits (Jackel & Von Hauenschild, 2012, Jackel & Von
Hauenschild, 2011, Green et al, 1999), de même que la remise en question
du concept existe depuis longtemps et a toujours cours (Gabutti &
Draper-Rodi, 2014,Tricot, 2000, Roger & Witt, 1997). Enfin, parfois
les outils d’évaluation choisis et modifiés peuvent être discutables. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Comme précédemment, il nous faut pour ne pas perdre l’éventuel lecteur, décortiquer l’argument de ce paragraphe.

Prémisse (1) – Des revues de littérature ont déjà été réalisées sur le sujet.

Prémisse (2) – « […] la remise en question du concept existe depuis longtemps et a toujours cours. »

Prémisse (3) – « […] parfois, les outils d’évaluation choisis et modifiés peuvent être discutables. »

DONC

Conclusion – L’utilité du rapport CORTECS sur l’analyse scientifique de l’ostéopathie crânienne est discutable.

Concernant la prémisse (1), nous n’y trouvons rien à redire puisque
effectivement, des revues de littérature ont déjà été réalisées sur le
sujet. Non seulement nous les mentionnons dans le rapport mais en plus
nous en faisons la synthèse.

Au sujet de la prémisse (2), nous sommes au courant qu’il existe des
divergences d’opinions chez les ostéopathes concernant les différents
concepts (voir par exemple la page 59 du rapport qui concerne le MRP).

Quant à la prémisse (3), nous en avons déjà discuté : propos trivial et sans fondement (voir ci-dessus).

Regardons maintenant la conclusion et observons dans quelle mesure les prémisses la justifie.

Prémisse (1) À propos des revues de littérature déjà réalisées sur le
sujet et sur l’intérêt d’en réaliser de nouvelles nous l’avons expliqué
dans le rapport en deux endroits. Pour la revue sur la reproductibilité
nous avons écrit ceci : 

« Nous constatons que ces trois revues convergent toutes sur le
défaut de preuve de la reproductibilité intra et inter-observateurs des
tests et procédures diagnostiques issus de l’ostéopathie crânienne.
Cependant, nous allons pousser plus loin notre enquête car :

1) de nouvelle études ont été publiées depuis les travaux de Green et al. et Hartman & Norton ;

2) nous avons recensé dans notre recherche systématique un document que le travail de Fadipe et al. n’incluait pas;

3) il n’existe pas de travail similaire au nôtre en français ;

4) enfin, il en va de notre légitimité que de réaliser sa propre analyse, la plus attentive possible. »

Pour la revue sur l’efficacité nous précisons : 

« Nous observons que ces quatre revues convergent toutes vers un
défaut de preuve de l’efficacité des techniques et stratégies
thérapeutiques issues de l’ostéopathie crânienne. En dépit de cette
convergence, nous avons tout de même fait notre propre investigation
pour des motifs similaires à ceux évoqués lors de notre revue sur la
reproductibilité des procédures diagnostiques. »

Nous constatons qu’il est nécessaire d’apporter quelques précisions supplémentaires pour la revue sur l’efficacité : 

(a) depuis la parution des revues les plus récentes en 2012 (les
revues de Jäkel et Von Hauenschild et celle de Ernst de 2012), il y a eu
5 nouvelles publications ; 

(b) ces revues n’ont pas les mêmes critères d’inclusion et de
non-inclusion que la nôtre. La conséquence est que notre revue ne
comporte en commun avec ces revues que 3, 3 et 4 publications
respectivement (sur les 8 publications que nous avons analysées hors
celles publiées après 2012).

Pour conclure sur cette articulation prémisse (1) / conclusion (B),
encore une fois ici vous faites une critique à laquelle nous avons déjà
donné des éléments de réponse . Nous faisons l’hypothèse que ces
passages vous ont échappés.

Prémisse (2) – « […] la remise en question du concept existe depuis longtemps et a toujours cours. »

D’expérience, nous savons malheureusement que même quand la critique
d’un concept est ancienne elle gagne toujours à être réactualisée et
maintenue (l’astrologie, la chiromancie pour ne prendre que des exemples
« faciles », la psychanalyse freudienne pour prendre un exemple plus
complexe, etc.).

Prémisse (3) – « […] parfois, les outils d’évaluation choisis et modifiés peuvent être discutables. »

Nous y sommes déjà venu. Dans votre commentaire, c’est un propos
trivial et sans fondement qui ne peut justifier en rien la conclusion de
votre argument.

En résumé, nous dirons encore une fois que c’est une chose de dire
que quelque chose est discutable mais que s’en est une autre de la
discuter sérieusement. L’analyse de vos arguments démontre que ceci
n’est, hélas, pas le cas.

3. Concernant la phrase « Les critères de qualité n’étant
pas mentionnés, nous ne pouvons exclure un tri sélectif, volontaire ou
non des données », nous avons écrit dans notre publication (page 166 du
JAOA) :
Descriptive statistics. Twelve subjects participated
in the study. Of these, 11 provided high-quality data for analysis. For
subject 12, the signal-to-noise ratio observed in the laser-Doppler
(time-domain) output was too low for precise quantitative measurement.
However, the Fourier transform (frequency-domain) record of subject 12
included all of the features observed for the other 11 subjects.
(Statistiques
descriptives. Douze sujets ont participé à l’étude. Parmi ceux-ci, 11
ont fourni des données exploitables pour l’analyse. Pour le douzième, le
rapport signal-bruit observé dans la production du laser-Doppler
(domaine-temps) était trop bas pour une mesure quantitative précise.
Pour autant, la transformation Fourier de l’enregistrement du sujet 12
contenait toutes les caractéristiques observées chez les autres onze
sujets
).
Les auteurs du rapport n’ont-ils pas compris cette partie ?
S’ils
ne comprennent pas le rapport signal-bruit, nous les renvoyons à notre
chapitre “Physiological Rhythms/Oscillations”, page 182, paragraphe
« additional observations » et fig 11-18. Ils y trouveront
l’interprétation du rapport signal-bruit dans nos travaux.
(“Physiological
Rhythms/Oscillations”, Glonek, Sergueef, Nelson. chapt. 11. In: Chila
A, ed., Foundations of Osteopathic Medicine. Baltimore, MD: Lippincott,
Williams & Wilkins; 2011;162-190.) (Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Merci de vous préoccuper de notre
compréhension du rapport signal-bruit. Cette publication devrait en tout
état de cause délivrer tous les éléments permettant de comprendre et
d’analyser la méthode suivie. Toutefois, notre remarque concernant
l’absence de mention des critères de qualité s’appliquait en cas
d’exclusion de sujets évalués, ce qui n’est pas le cas (voir infra).

Dans une seconde partie, les auteurs ont étudié les
articles parlant de la fréquence du rythme crânien et la restriction de
mobilité des os du crâne. Selon eux, on ne retrouve pas de
reproductibilité inter et intra observateur sur le plan scientifique à
ce sujet (exclusion des études ayant des résultats positifs pour un
risque de biais important). Dans une dernière partie, les scientifiques
ont évalué 12 études sur l’efficacité thérapeutique des techniques
crâniennes. Ils en ont exclu 10 présentant des résultats positifs pour
risques de biais élevé. 2 études sérieuses ont été conservés. Une
concerne les syndromes douloureux pelviens de la femme enceinte (Elden
et al 2013. Acta obstetricia et gynecologica Scandinavia). Les résultats
positifs de cette étude sont modérés par les auteurs qui encouragent la
poursuite des recherches en ce sens. (Ostéopathes Plus)

[Autre
citation] Les études référencées ayant un risque de biais élevé ont été
analysées de manière bien différentes tout au long de ce rapport. Elles
ont été qualifiées de non sérieuses et employées pour remettre en cause
l’ostéopathie crânienne (ex : concept de la mobilité suturale) Ou alors
elles ont été purement exclues des résultats lorsqu’elles étaient
favorables à l’ostéopathie crânienne. (ex: le chapitre sur l’efficacité
thérapeutique de l’ostéopathie crânienne). (Ostéopathes Plus)

Nous pensons que votre problème vient du terme « exclusion », nous
entendons « exclusion avec critères », en l’occurrence une méthodologie
bien construire. Par ailleurs, il est inexact de dire que les études
présentant un risque de biais élevé ont été exclues. Ceci n’est
méthodologiquement pas possible dans la mesure ou l’évaluation du risque
de biais des études survient après et non avant l’application des critères d’inclusion et de non-inclusion.

[…] MAIS… « en science on publie plus facilement les
résultats positifs que ceux négatifs » il s’agit d’un biais de
publication. « Il faut donc considérer la proportion des études
positives par rapport aux négatives » ils utilisent également le
principe de symétrie « si un très petit nombre d’études existe avec des
résultats positifs il existe également un petit nombre d’études avec
résultat négatif, cela doit nous encourager à ne rien conclure de
favorable à travers ces études. » (Ostéopathes Plus)

Cela fait plusieurs fois que vous faites de fausses citations de
nous. Nous vous serions reconnaissant d’utiliser des citations réelles
pour alimenter la discussion.

À aucun moment l’avis d’un organisme de formation en
ostéopathie agréé ou formateur écrivant des livres de références
actuelles en ostéopathie crânienne n’a été consulté (Tricot, Boudehen,
Gehin etc.). (Ostéopathes Plus)

La seule façon permettant à un organisme de formation ou une
quelconque personne de nous aider eut été de nous fournir des
comptes-rendus de travaux expérimentaux. Nous avons fait tout ce qui
était en notre pouvoir pour récolter un maximum de ces compte-rendus.
Pour mémoire, nous avons contacté :

  • L’Upledger Institute Belgium
  • L’Upledger Institute International
  • La Biodynamic Craniosacral Therapy Association of North America
  • La Sutherland Cranial Teaching Foundation
  • La Sutherland Cranial Academy of Belgium
  • La Société Française d’Ostéopathie
  • Association Française de Thérapie Cranio-Sacrale
  • La Société Suisse de Thérapie Cranio-sacrale
  • Le Collège d’Ostéopathie Sutherland Atlantique
  • La Société Européenne de Recherche en Ostéopathie Périnatale et Pédiatrique
  • Le Collectif de Développement de l’Ostéopathie Périnatale
  • L’Académie d’Ostéopathie de France
  • L’Académie Sutherland d’Ostéopathie du Québec
  • L’European Federation of Osteopaths
  • Le Forum for Osteopathic Regulation in Europe
  • L’Osteopathic Cranial Academy

Aucune de ces organisations ne nous a fourni de référence que nous
n’ayons pas trouvée par d’autres moyens. Il est certes toujours possible
que nous soyons passés à côté de travaux importants mais le problème
reste le même : où sont-ils ? Montrez-nous ces fameuses études
essentielles et fantomatiques à côté desquelles nous aurions pu passer.
La charge de la preuve incombant à celui qui prétend, ce n’est
théoriquement pas à nous, mais aux auteurs dont vous parler de fournir
matière à leur discipline, et cela ne devrait pas être à nous de
parcourir la Terre entière à la recherche de la potentielle publication
en wano ou en espéranto que nous aurions pu manquer.

4. Les questions sur nos sources

Ailleurs, il est fait référence à un projet de loi sur
l’ostéopathie initié par le professeur Debré, projet de loi
particulièrement contesté à l’époque et qui n’a jamais été discuté à
l’Assemblée nationale et encore moins en commission. Pourquoi les
auteurs font-ils référence à ce projet Debré, qui n’a ni queue ni tête ?
(6): « Pour un rappel historique de l’évolution du cadre législatif de
l’ostéopathie, nous renvoyons à la proposition de loi portant sur la
création d’un Haut Conseil de l’ostéopathie et de la chiropraxie
enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 septembre
2011 (dite proposition de loi Debré). Elle rappelle notamment que
jusqu’en 2002, « l’exercice de l’ostéopathie et de la chiropraxie
était réservé aux seuls médecins, toute autre personne pratiquant ces
disciplines relevait de l’exercice illégal de la médecine
» (p. 52-53 du Rapport). (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Il vous revient d’expliquer en quoi ce projet n’a « ni queue ni
tête ». Comme nous l’avons précisé dans le texte que vous citez, nous
avons fait référence à ce projet de loi car il décrit l’historique de
l’évolution du cadre législatif de l’ostéopathie. Sur ce point précis il
s’avère tout à fait pertinent.

Mais pourquoi n’ont-ils pas noté dans leur rapport que
les manipulations dites d’ostéopathie et de chiropraxie ne sont devenues
réservées qu’aux seuls médecins par un arrêté du 6 janvier 1962 :

«
Article 2 : Ne peuvent être pratiqués que par les docteurs en médecine,
conformément à l’article L. 372 (1°) du code de la santé publique, les
actes médicaux suivants : 1° Toute mobilisation forcée des articulations
et toute réduction de déplacement osseux, ainsi que toutes
manipulations vertébrales, et, d’une façon générale, tous les
traitements dits d’ostéopathie, de spondylothérapie (ou
vertébrothérapie) et de chiropraxie. Arrêté du 6 janvier 1962 fixant
liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins
ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par
des directeurs de laboratoires d’analyses médicales non médecins. »
(Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Nous vous remercions pour votre complément à la partie législative du
rapport. Nous n’avons effectivement pas été exhaustif sur la
législation au sujet de l’ostéopathie car cela nous éloignait de notre
sujet de départ, la validité scientifique et l’efficacité thérapeutique
de l’ostéopathie crânienne. Nous avons donc préféré renvoyer à un
document synthétique, cf. réponse ci-dessus.

5. Les (fausses) erreurs relevées

Un exemple : la critique des travaux de Jean-Claude
Herniou, du moins le résumé qui en est fait va totalement à l’encontre
de ce que j’ai lu de son article publié sur le Site de l’Ostéopathie
par mes soins : « Le mécanisme respiratoire primaire n’existe pas ».
Son étude sur le mouton cherchait : « à évaluer et à comparer la
mobilité de la suture et de l’os frontal du mouton soumis à faible
contrainte (p.99 du rapport). Or de cette étude, il en est ressorti pour
Herniou que le MRP n’existait pas ! En effet, dans l’interview qu’il
donne à la revue Æsculape (2)
Herniou précise parfaitement ceci: « Depuis 1987, j’ai la preuve que le
liquide céphalo-rachidien (LCR), très cher à mes confrères ostéopathes,
n’est pas le moteur de la mobilité crânienne. Le LCR n’est le moteur de
rien du tout. Et, plus important encore, j’ai la preuve que le
« mécanisme respiratoire primaire », tel qu’il est habituellement décrit
en Ostéopathie, n’existe pas. Quand je lis ce qui est écrit à ce niveau
je suis, pour le moins, perplexe !… Il me semble que de nombreux
auteurs, par culte de Sutherland, perpétuent une erreur grossière. Cette
idée bien explicable pour l’époque est aujourd’hui totalement obsolète.
À mon avis, elle décrédibilise l’ostéopathie. » Fallait-il donc tout
cela pour démontrer ce qui est déjà démontré ? (Jean-Louis Boutin sur le
Site de l’Ostéopathie)

Nous écrivons page 59 que « D’autres ostéopathes crâniens, certes
isolés comme l’ostéopathe français Jean Claude Herniou, contestent
l’existence-même du MRP. ». Le résumé et l’analyse de son étude sont
insérés dans la partie relative à la mobilité des os du crâne et non à
l’existence du MRP. Donc il n’y a pas de contradiction entre ce que vous
dites et ce que nous avons rédigé.

En ce qui concerne votre question : « Fallait-il donc tout cela pour
démontrer ce qui est déjà démontré ? », nous ne prétendons pas avoir
démontré que le MRP n’existait pas (On ne peut pas démontrer
l’inexistence d’un phénomène, grande injustice épistémologique), mais
démontré qu’il n’y a aucune preuve de l’existence du MRP, ce
qui est différent. Ensuite, rappelons-le, nous n’avons pas fait cela
uniquement pour le présumé phénomène « MRP » mais aussi pour la mobilité
des os du crâne, la mobilité involontaire des articulations
sacro-iliaques, le rôle des membranes de tension réciproque, le souffle
de vie et enfin la reproductibilité des procédures diagnostiques de
l’ostéopathie crânienne ainsi que l’efficacité de ses techniques
thérapeutiques. En outre, vous conviendrez que d’un point de vue
scientifique, si nous nous étions contentés au sujet du MRP de renvoyer
aux travaux de Herniou, il est assuré que certains de vos
confrères-sœurs auraient trouvé cela quelque peu insatisfaisant, et
entre nous ils ou elles auraient eu raison.

Bien que le concept d’ostéopathie crânienne soit fort
bien exposé dans ces pages, les auteurs ont du mal – il faut les
comprendre – pour bien analyser ce qu’est le MRP et ce qu’est l’IRC ou
l’impulsion rythmique crânienne (4) au point, semble-t-il, parfois de
les confondre : « Le fait de percevoir un phénomène rythmique et de
pouvoir caractériser sa fréquence ne permet pas de conclure quant à
l’existence du phénomène rythmique, encore moins quant à l’existence
d’un MRP ou IRC. » (p.73 du Rapport).(Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Effectivement, il est difficile de s’y retrouver dans ces
dénominations tant elles varient selon les auteur.e.s et les époques.
Cependant, nous avions bien précisé page 59 du rapport les liens et
confusions possibles entre MRP et IRC : « Lorsqu’il s’agit de quantifier
ce qui s’apparente au MRP, une majorité d’ostéopathes emploient le
terme d’impulsion rythmique crânienne (IRC). En fait, la nomenclature
employée est très diverse pour qualifier ce mouvement qui en théorie
parcourt le crâne et probablement le corps. Pour certains ostéopathes,
IRC et MRP sont sensiblement la même chose, l’IRC étant la manifestation
du MRP, mais il existe des voix divergentes. »

S’il existe des certitudes en ostéopathie crânienne,
c’est celle du sens que les ostéopathes donnent à l’abréviation MRP et
notamment au « M » : c’est un mécanisme et non un mouvement. Même
si cela est faux, au sens où le mécanisme n’est pas démontré
scientifiquement, le MRP est et reste un mécanisme et en tant que tel il
est impossible de soutenir que c’est un phénomène rythmique que l’on
pourrait palper… (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Certes, nous lisons et entendons souvent « mécanisme » plutôt que
« mouvement » pour le M du MRP, mais les deux appellations co-existent.
Une recherche avec Google books l’illustre : « mouvement
respiratoire primaire » donne 90 occurrences contre 194 pour « mécanisme
respiratoire primaire ». La certitude du sens du « M » de « MRP » pour
les ostéopathes n’en est donc pas une. Comme nous l’avons rappelé plus
haut, il est très difficile de s’y retrouver dans le fouillis des
nomenclatures ostéopathiques, entretenu par les ostéopathes eux et
elles-mêmes. Quant au fait que : « il est impossible de soutenir que
c’est un phénomène rythmique que l’on pourrait palper… », c’est pourtant
ce que font de nombreux et nombreuses ostéopathes, à l’image de celles
et ceux que nous citons dans la partie relatant les études ayant essayé
de mettre en évidence ce phénomène rythmique supposé.

Et plus loin encore : « Il est important de préciser que
dans cette étude [Frymann 1971] n’est pas évoqué un mouvement des os du
crâne entre eux, mais un mouvement crânien global, de type MRP ou IRC »
(p.93 du Rapport). Le MRP pas plus que l’IRC ne sont des mouvements
globaux. Le MRP est un essai d’explication donné par Sutherland, une
sorte de formalisation explicative, d’hypothèse liée à la palpation
qu’avait Sutherland, mais n’a jamais été donné par son créateur comme
une vérité scientifique absolue. (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Il s’agit de votre interprétation des écrits de Sutherland. D’autres
explicitent les choses autrement. Nous avons préféré ne pas qualifier le
MRP de « vérité scientifique absolue », pas plus que de « formalisation
explicative ».

Ce sont ses élèves qui en ont fait une théorie qui se
voudrait scientifique pour essayer d’expliquer ce que ressent un
ostéopathe quand il met les mains sur le crâne. Le Dr Dominique Bonneau a
essayé d’éclairer ce phénomène de palpation dans un article publié dans
la revue de Médecine Manuelle Ostéopathie (5). Mais le fait
d’avoir voulu en faire une théorie scientifique pure et dure a amené les
ostéopathes crâniens à s’enfermer dans une conception qui ne devrait
plus avoir cours, même si leur palpation pourrait avoir un sens…
(Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Là encore, il s’agit de votre interprétation et de votre
compréhension de l’histoire de l’ostéopathie. Peut-être est-ce une
discussion qu’il faudrait avoir entre ostéopathes pour fixer clairement
les terminologies employées ? Les choses en seraient grandement
facilitées.

Une autre imprécision surprenante pour des scientifiques, c’est d’associer le new âge avec la Société de théosophie :
« … Passé par la Société théosophique de Helena Blavatsky, association
ésotérico new-ageuse empruntant nombre de ses concepts à l’Hindouisme, à
l’occultisme et à l’astrologie, Steiner fonda ensuite la Société
anthroposophique… » (p.136 du Rapport). Je reste confondu devant cette
assimilation, non pas que je sois un adepte de la Société théosophique,
mais parce que je me suis posé la question de la date de création de
cette société. Si on en croit Wikipédia, la Société théosophique a été
« fondée à New York le 17 novembre 1875, par Helena Petrovna Blavatsky,
ainsi que par le Colonel Henry Steel Olcott et William Quan Judge ».
Mais qu’allait donc faire le new âge en cette affaire même si ses
adeptes ont cherché dans les écrits anciens des références et des
appuis ? (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Nous nous faisons fort de ne pas vous laisser trop longtemps
confondu : le New Age, avec un petit R marque déposée, comme courant
étiqueté comme tel, n’existe pas vraiment : il est généralement présenté
comme le fuit des « travaux » de Ferguson, années 1970, sur l’aquarian conspiracy,
on est d’accord., mais ses racines, ainsi que le concept d’un nouvel
âge à venir, viennent du XIXe, de la convergence entre la société
anthroposophique, les courants type Lebensreform, retour à la Nature avec des gens comme Adolf Just, la Naturphilosophie
dans ses différentes formes, etc. avec des soupçons de millénarisme, de
maîtres ascensionnés pris à l’hindouisme et de retour du Christ-roi
d’Alice Bailey – on est dans les années 20 à ce moment-là. Mais le New
Age est tellement éclectique qu’on pourrait -certains auteurs le font –
remonter à Swedenborg. Donc nous sommes raccord avec un bon nombre
d’historiens en faisant naître la mouvance New Age dans le brouet
spiritualiste de la fin du XIXe. En 1864 par exemple, le très
swedenborgien Warren Felt Evans publia The New Age and its Message, ;
en 1907 Alfred Orage and Holbrook Jackson firent paraître un hebdo
mélange de socialisme et de libéralisme chrétien intitulé The New Age. Ensuite, il y aura Disciplineship in the New Age (1944) and Education in the New Age (1954), d’Alice Bailey.

Donc oui, le New age a des racines très profondes, et
l’anthroposophie n’en fut pas l’une des moindres.. Pour cette filiation,
vous pouvez lire en anglais Sarah M. Pike, New Age and Neopagan
Religions in America. Columbia University Press, ou Sutcliffe, Steven J.
Children of the New Age: A History of Spiritual Practices. London and
New York: Routledge (2003) ainsi qu’en français Marhic et Besnier, le
New age, son histoire ses pratiques ses arnaques, Castor Astral 1998.

6. Les (vraies) erreurs relevées

Concernant le côté du résumé du cadre législatif, il y a un petit problème avec ce paragraphe
C.3 Pratique

Les ostéopathes n’ont pas le droit de pratiquer un certain nombre
d’actes s’ils ne sont pas « soumis à diagnostic médical préalable de non
contre-indication ». Parmi ces actes, on note les « manipulations du
crâne ».

Rapport CORTECS, p53
Or, dans les décrets
qui auraient pu être cités en entier, il était fait mention d’un élément
supplémentaire qui change le champ d’application de la restriction de
prise en charge. Premièrement ça ne rajoutait pas beaucoup plus de
lignes et surtout, deuxièmement, ça évitait une erreur factuelle:

Article 3
(…)
Décrets du 27 mars 2007
On voit que cette restriction concerne la prise en charge des nourrissons. Il existe donc un risque de confusion. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Vous avez raison, il aurait fallu préciser que cette
contre-indication s’appliquait uniquement pour la prise en charge des
nourrissons. Nous nous sommes nous aussi rendus compte de cette
imprécision hélas peu de temps après le rendu du rapport. Nous sommes
ravis que vous l’ayez pointé du doigt. Même si cette erreur ne change
rien aux conclusions, nous ferons un addendum au rapport en vous
remerciant.

« Cette analyse repose sur l’utilisation d’une grille
d’analyse QUAREL (qui en fait s’écrit correctement QAREL). » (nous
surlignons). (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Exact ! Coquille qui s’est subrepticement insinuée puis répliquée dans l’intégralité du document. Nous avons probablement fondu QUAREL, quarrel en anglais (la querelle ou dispute oratoire), et peut être même squirrel, l’écureuil. Merci pour cette remarque.

Suite à la lecture du rapport sur l’ostéopathie crânienne
rédigé par le Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique
et sciences (Cortecs), en date du 26 janvier 2016, à la demande du
Conseil National de l’Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes, nous
voudrions apporter quelques remarques.

Dans ce rapport, nous nous
sommes particulièrement intéressés à la revue des publications que nous
avons réalisées au Chicago College of Osteopathic Medicine, Midwestern
University, Downers Grove, Il, USA. (Nelson KE, Sergueef N, Glonek T).

1.
Page 69 du rapport du Cortecs, les auteurs évaluent notre étude :
« Cranial rhythmic impulse related to the Traube-Hering-Mayer
oscillation: Comparing laser-Doppler flowmetry and palpation”. Nelson,
Sergueef, Lipinski, Chapman, Glonek. JAOA March 2001:163-73.
Ils
écrivent : « Pour se faire, l’oscillation de THM était mesurée chez 20
sujets en bonne santé par le biais d’une sonde Doppler positionnée sur
le lobe de l’oreille gauche de chaque sujet ».
Page 70 : « En analysant
cette publication, on sera étonné que seulement 12 sujets sur les 20
initiaux font l’objet d’un traitement statistique, du fait de la
mauvaise qualité d’acquisition des autres enregistrements, selon les
auteurs. Les critères de qualité n’étant pas mentionnés, nous ne pouvons
exclure un tri sélectif, volontaire ou non des données ».

2. En
fait, dans cette étude, nous avons mesuré l’oscillation de THM chez 12
sujets, et non 20 comme l’auteur de ce rapport le mentionne. Il est donc
évident que nous ne pouvions traiter les données statistiques de 20
personnes. On peut lire dans notre publication (page 163 du JAOA) :
« Twelve healthy subjects over 18 years of age (6 males; 6 females, none
pregnant) were recruited from the faculty and students of the Chicago
College of Osteopathic Medicine ».
(Douze sujets en bonne santé, de
plus de 18 ans (6 hommes, 6 femmes, aucune enceinte)ont été recrutés
parmi les professeurs et les étudiants du Collège de Médecine
Ostéopathique Chicago)
(Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Nous vous remercions d’avoir relevé cette coquille qui s’est
subrepticement glissée dans le rapport et a ensuite échappé à notre
vigilance lors des relectures. Effectivement, il s’agit d’une erreur
factuelle importante de notre part – probablement une confusion twelve / twenty.
Nous vous remercions de nous l’indiquer, et déplorons vivement notre
erreur. Les données ont pu être recueillies de manière satisfaisante
pour 11 sujets sur les 12 inclus dans l’étude, et non 20.
Précisons
cependant que, vous en conviendrez que, cela ne remet pas en cause nos
remarques ultérieures concernant les limites intrinsèques de l’étude.
Nous écrivions :

« En outre, compte tenu du faible nombre de sujets analysés l’analyse
statistique se révèle insuffisamment détaillée pour conclure à sa
validité. Enfin, notons que quand bien même il y eut coïncidence entre
les deux ondes, il faudrait plus de contrôles dans la méthodologie
utilisée pour que l’onde palpée puisse effectivement être reliée au MRP.
»

4. Les auteurs du rapport décrivent ainsi la prise
utilisée par le praticien … »L’examinateur presse légèrement de dehors
en dedans, de manière à provoquer une rotation externe des deux os
pariétaux ». Il s’agit d’une extrapolation, car nous avons écrit : « the
examiner, at the head of the table, palpated the CRI using light touch
with the hands in a biparietal-hold position » (le praticien à la tête de la table, palpait l’IRC avec un toucher léger et une prise bipariétale). La prise bipariétale n’implique pas une induction de mouvement. (Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Merci d’apporter plus de précisions concernant les modalités des techniques appliquées qui ont pu nous échapper.

5. L’étude référencée en bas de la page 72, n’a rien à voir avec les remarques qui sont faites dans ce paragraphe. (Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Vous relevez aussi une erreur de notre part de référencement. L’étude
correspondant à l’analyse figurant en p72 est celle-ci : Sergueff N.,
Nelson K. E., Glonek T., The effect of cranial manipulation upon the Traube-Hering-Mayer oscillation as measured by Laser-Doppler flowmetry, Alternative Therapies. (2002) Nov/Dec ; 8(6) que l’on retrouve citée en page 267 et 285.

Nous sommes heureux que les auteurs aient
pris le temps d’examiner notre travail, mais déçus par la fausse
représentation qu’ils en ont faite. Les auteurs n’ont manifestement pas
lu notre étude attentivement, et leurs conclusions ne peuvent être
validées par le fait des erreurs d’interprétation qu’ils ont faites. (Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Nous partageons sincèrement votre déception
concernant les erreurs que nous avons commises concernant cette
publication. Cependant, nos conclusions ne nous semblent pas affectées
par ces erreurs, comme nous l’avons précisé précédemment lorsque nous
avons rappelé les autres limites intrinsèques de cette dernière.

Il reste à dire quelques mots de l’orthographe. Je
suppose que le clavier n’avait pas toujours les accents français car de
très nombreuses fois nous trouvons ou au lieu de
ce qui perturbe momentanément la lecture. Et que dire alors de cette
confusion de verbe : « Nous considérons que l’expérience minimale est le
fait d’avoir terminé une formation spécifique à la pratique. Il nous
semble en effet indispensable, en tant que patients, de ne pas devoir
attendre qu’un praticien est (sic au lieu de ait)
plusieurs années d’expérience pour pouvoir fonder ces choix
thérapeutiques sur des examens reproductibles » (p.158 du Rapport).
Finalement c’est bien peu de choses, et je me suis même posé la question
de savoir : fallait-il le signaler ? (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Question qui ressemble à une prétérition, puisque finalement vous
avez choisi de le faire. On pourrait dire trois choses sur ce point :
primo, c’est un angle de critique assez pauvre, vous en conviendrez.
Secundo, sans relecteur professionnel à rémunérer, c’est impossible sur
un aussi long travail de relever toutes les coquilles. Enfin, dernier
point, il y a une façon plus élégante de nous aider : au lieu d’exposer
en public en les citant nos fautes d’orthographe, ce qui manque un peu
de… style… Vous auriez pu les noter, nous les envoyer, et nous permettre
de remettre en ligne une version expurgée, avec nos remerciements et
l’impression d’une collaboration, pas d’un tir au pigeon.

7. Les extrapolations

A l’aide de la littérature, ils concluent : […] – la
circulation du LCR est admise mais il n’existe aucune preuve de lien de
cause à effet entre fluctuation du LCR et mobilité du crâne ; […] (Ostéopathes Plus)

Vous nous amenez ici hors de notre sujet. La question d’un lien entre
fluctuation du LCR et mobilité du crâne n’est abordée nulle part dans
notre travail et pour cause : aucune donnée expérimentale consistante
pour soutenir l’hypothèse d’une mobilité des os du crâne entre eux n’a
été découverte.

[…] – aucune étude au sujet des membranes de tensions
réciproques et toujours ce même raisonnement « vu qu’on a montré que le
MRP n’est pas démontrable, il n’est pas soutenable de lier les membranes
de tensions réciproques à la mobilité crânienne ». (Ostéopathes Plus)

Notre citation exacte est substantiellement différente de celle que vous rapportez. La voici :

« Le concept de MRP n’étant pas lui non plus démontré, il n’est pas
soutenable de penser que les membranes de tension réciproque jouent un
rôle dans la mobilité des os du crâne et de la face (elle non plus
infondée scientifiquement) ou dans la mobilité involontaire du sacrum (idem). » (page 132)

En fait, l’imbroglio est un peu de notre faute car faire apparaître
le MRP ici était dilatoire. S’il nous appartenait de changer notre
phrase, nous mettrions : « Il n’est pas soutenable de penser que les
membranes de tension réciproque jouent un rôle dans la mobilité des os
du crâne ou dans la mobilité involontaire du sacrum dans la mesure où
ces deux types de mobilité ne sont pas démontrées. »

Le dernier article étudie les techniques crâniennes sur
les cervicalgies chroniques. Les auteurs reconnaissent l’efficacité de
l’ostéopathie crânienne dans ce cadre […] (Ostéopathes Plus)

Vous allez vite en besogne ! Nous vous encourageons à nous relire :
ce que nous reconnaissons, c’est la valeur de l’étude de Haller et al.
en tant que données expérimentales pour soutenir l’efficacité de
l’ostéopathie crânienne dans le cadre des cervicalgies chroniques. Ceci
n’est pas la même chose que de dire que nous reconnaissons l’efficacité
de l’ostéopathie crânienne dans ce cadre. Pour cela, il nous faudrait
plusieurs études épurées des biais méthodologiques présents dans l’étude
de Haller et al. En gros, ostéopathes, retroussez vos manches !

8. Les redites

Rappelons également que Sutherland s’est largement servi
des écrits de Swedenborg (1688-1772) pour inventer son MRP. Et quitte à
être iconoclaste, Sutherland a simplement rajouté le mouvement des os du
crâne et celui du sacrum entre les iliaques à la théorie de Swedenborg
exposé dans son livre « The Brain ». (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Oui, nous évoquons cela page 17 du rapport : « Swedenborg est un
philosophe et théologien suédois du XVIIIe siècle. Deux travaux
d’ostéopathes ont suggéré que Sutherland connaissait les idées de
Swedenborg concernant la physiologie et l’anatomie cérébrale et
crânienne et s’en est inspiré pour élaborer son modèle du mécanisme
respiratoire primaire. Jordan T., Swedenborg’s influence on Sutherland’s
‘Primary Respiratory Mechanism’ model in cranial osteopathy,
International Journal of Osteopathic Medicine.(2009) Sept ;
12(3):100–105, et Fuller D.D., A Comparison of Swedenborg’s and
Sutherland’s Descriptions of Brain, Dural Membrane and Cranial Bone
Motion, The new philosophy. (2008) Oct–Dec ; 619-650. » Swedenborg
apparaît même dans notre tableau page 46 où nous faisons la synthèse des
principaux concepts et pratiques associées, développés par Sutherland
et ses continuateurs.

9. Les questions concernant l’intérêt du rapport

D’où ma question sur ce rapport, où est la surprise? Il
n’y a rien d’étonnant sur les résultats, il y a seulement 79
publications sur pubmed dont la majorité date d’avant 2000. Comment le
niveau de preuve aurait pu changer du tout au tout avec si peu d’études
récentes? Y avait-il vraiment besoin d’un rapport pour nous faire
l’historique incomplet du concept et nous livrer des conclusions que des
revues de littérature datant de 2012 et 1999 nous avait déjà apprises
(quasi-absence de preuves, manque de reproductibilité de tests, besoin
de recherche)? (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Votre dernier paragraphe nécessite quelques réponses.

1) Personne (et certainement pas le CorteX) n’avait promis de
surprise ou quelque chose d’étonnant. Nous ne sommes pas des producteurs
de sensationnel.

2) Vous dites :

« […] seulement 79 publications sur pubmed dont la
majorité date d’avant 2000. Comment le niveau de preuve aurait pu
changer du tout au tout avec si peu d’études récentes? »

Cinq nouvelles publications sont parues depuis les dernières revues
de 2012. Libre à vous de juger que cela fait peu. En attendant, pour des
raisons redondantes, nous ne pouvions pas nous contenter de citer les
revues existantes en ignorant les publications récentes sous prétexte
qu’il y en avait peu. Et bien nous en a pris car les études présentant
les plus faibles risques de biais font partie des études récentes.

3) Concernant les revues de littérature, nous en avons déjà discuté.

4) Vous jugez l’historique incomplet ? Voir nos réponses précédentes.
Nous estimons qu’aucun des auteurs et concept que vous avez évoqués ne
peuvent être cités (aujourd’hui en tout cas) dans un historique
spécifique de l’ostéopathie crânienne. Et il est très probable qu’ad nauseam,
quand bien même nous aurions eu la chance de citer vos auteurs,
seraient venus d’autres professionnels nous notifiant d’avoir manqué tel
ou tel nom. Sans vouloir être cinglant : peut être n’y avait-il pas
besoin d’un rapport comme le nôtre, certes. Mais posons le problème
autrement : comment se fait-il que sans réelle avancée majeure de la
discipline en dépit des rapports précédents, les ostéopathes crâniens
dans leur majorité ont continué à professer, sans tressaillir, sans
faire des « assises » urgentes de leur discipline ? Comment se fait-il
qu’il n’y ait pas eu urgence dans votre profession, devant un « bazar »
épistémologique et scientifique pareil ? C’est cette question à laquelle
il faudrait répondre.

L’équipe du rapport

Plus d’un an après la mise en ligne de
notre rapport, des réactions nouvelles surviennent encore. Voici la
dernière en date d’Eric Goyenvalle : ici et notre réponse ici.
Cette réponse sera la dernière de notre part, notre temps étant hélas
limité. Dorénavant, nous répondrons uniquement aux critiques qui, en
apportant des éléments nouveaux (nouvelles études expérimentales ou
études que nous aurions pu manquer) mettraient en cause nos conclusions
concernant l’efficacité ou la validité de l’ostéopathie crânienne.

L'ostéopathie crânienne chez Scepticisme scientifique

Notre rapport sur l’ostéopathie crânienne comprend presque 300 pages et sa lecture n’est pas des plus aisée. Aussi avons-nous jugé pertinent de répondre à l’invitation de Jérémy Royaux de Scepticisme Scientifique, le balado de la science et de la raison. Albin Guillaud et Nelly Darbois discutent des motifs qui ont conduit à la réalisation de ce rapport, de son contenu et des critiques qui ont été faites. Bonne écoute !

Pour télécharger le balado, visiter cette page.

Pour consulter l’article qui présente le rapport voir ici.

Pour lire les critiques qui nous ont été faites et nos réponses voir .

Pour l’article sur notre publication scientifique, se rendre sur cette page.

Retour d'expérience : enseignement de l'esprit critique en école de kiné

Matthieu Loubiere est kinésithérapeute à Troyes et enseigne en école de kiné entre autres matières la recherche bibliographique, la pratique basée sur les preuves (ou EBP en anglo-américain) et l’esprit critique. Il prend le temps ici de nous relater un de ses enseignements. Il y a là de quoi donner de l’inspiration à tou.te.s les enseignant.e.s du champ de la santé !

Objectif

Dans le cadre de la nouvelle réforme des études de kinésithérapie, j’ai proposé de réaliser un cours sur l’esprit critique dans un nouvel Institut de formation en masso-kinésithérapie (IFMK). J’avais déjà réalisé cette expérience dans un IFMK parisien et cette année, j’ai voulu aller un peu plus loin. J’avais à ma disposition 3h de cours ainsi que 2h de TD pour amener quelques notions d’esprit critique et instiller la curiosité des étudiant.es.

Je me suis donc attelé à écrire un cours en m’inspirant grandement du matériel disponible sur le site du CorteX et en allant piocher dans quelques bouquins dont les excellents Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles de Nicolas Pinsault et Richard Monvoisin (ici) et Petit cours d’auto-défense intellectuelle de Normand Baillargeon (ici). 

Mon objectif était de montrer aux étudiant.e.s kinés qu’en matière de santé et de rééducation, la dérive pseudo-scientifique est possible. Après avoir longuement réfléchi, j’ai choisi l’option de réaliser un faux cours dans lequel j’ai utilisé un maximum d’éléments retrouvés dans les thérapies alternatives (sophismes, arguments fallacieux, etc.). J’ai ensuite réalisé un cours sur la science et l’esprit critique. Enfin, lors des Travaux Dirigés, nous avons analysé des textes présentant quelques pépites.

Faux cours – Le drainage lymphatique énergétique

Tout commence par la présentation : je demande à un responsable de l’IFMK (le mieux étant le directeur) de m’introduire en annonçant mon expertise, les nombreuses publications réalisées et ma position d’expert dans le domaine (vous aurez compris que je suis tout sauf expert de ce domaine). S’établit un petit jeu de scène dans lequel le directeur m’encense, en réponse à quoi je joue le faussement humble.

Extrait du site de l'Institut de formations en applications corporelles et énergétiques
Extrait du site de l’Institut de formations en applications corporelles et énergétiques

Je démarre mon cours sur le drainage lymphatique énergétique. J’ai construit un cours de 10 minutes autour des sources suivantes : https://sites.google.com/site/ifacejmb/home et http://www.syndicat-ondobiologues.com/

J’ai cherché à monter crescendo dans la présentation en liant des concepts scientifiques et pseudo-scientifiques, des glissements lexicaux (paillasson, impact) et des arguments d’autorités.

  • Présentation du concept de drainage
  • Anatomie, physiologie du système lymphatique
  • Énergie : explication physique, Einstein, filières énergétiques, présentation du Pr Rocard (celui qui aurait travaillé, entre autre, sur les « fameux » cristaux de magnétite et les sourciers), de la physique quantique
  • Présentation de Jean-Marie Bataille (créateur de la biochirurgie immatérielle et de l’ondobiologie)
  • Ses concepts, les indications et contre-indications.

Je termine par la phrase suivante : « grâce à cette méthode, pas plus tard qu’hier, j’ai fait remarcher un tétraplégique ».

Je marque une pause et demande s’il y a des questions. En général, les étudiant.e.s relèvent juste le fait que j’ai exagéré sur la fin, ce dont je conviens volontiers. Étant donné que nous sommes au début d’un cycle pour eux, qu’ils ne se connaissent pas encore forcément et que je suis formateur (statut d’autorité), je peux comprendre qu’ils ne m’interpellent pas forcément même s’ils sont choqués. De plus, la posture choisie lors de cette partie de l’enseignement a volontairement été très directive laissant peu de place aux questions et aux doutes (j’aurais bien été embêté.)1

Mea Culpa j’ai menti

J’arrive alors à la partie confession (qui soulage bien finalement). Les étudiants rient pour certains, d’autres se sentent abusés et choqués. Je passe à la diapo suivante en leur expliquant qu’il s’agissait d’un cours en esprit critique. Je sens que j’ai capté leur attention et je déroule la suite du cours. C’est à ce moment là que je parle de mes conflits d’intérêts (je n’en ai pas en ce qui concerne l’esprit critique)

Science, non science, pseudo-science

Je change la façon de faire maintenant.. Je stimule l’étudiant par des questions, des histoires. Je tente d’établir des interactions entre eux.

Je commence à leur montrer ce reportage de France 2 (avril 2013) sur la biochirurgie immatérielle.

Cela leur parle un peu puisque je viens de réaliser un faux cours sur une partie de la question. À la fin de la vidéo, les étudiants manifestent leur incompréhension quant à la possibilité qu’une mère puisse avoir été convaincue de recourir à une telle solution.

Nous discutons alors un peu de la dérive sectaire et du comment, tout un chacun, nous pourrions un jour tomber dedans. Cela me permet d’aborder la notion de dissonance cognitive en rappelant l’expérience de Festinger, Schachter et Riecken avec Mme Keech2.

Vient l’introduction, où j’évoque que l’adhésion à des thèses pseudo-scientifiques n’est pas une histoire de diplôme ni d’âge (voir ici).

Extrait du site du syndicat des ondobiologues
Extrait du site du syndicat des ondobiologues

Nous discutons ensuite de la science et je leur pose la question suivante : à quoi sert la science ? Les débats sont animés puis je donne les différents sens du mot « science » (démarche, connaissance, technopolitique, communauté vue de l’intérieur et de l’extérieur). S’ensuivent les définitions de non-science et pseudo-science (quelques critères de Bunge dans Demarcating Science from Pseudoscience. Fundamenta Scientiae 3: 369-388, 1983). Une fois les bases posées, je leur passe quelques images sous la forme de jeu et je leur demande de trancher entre science et pseudo-science. En vrac : reiki, biochirurgie Immaterielle, psychanalyse, radiesthésie, ventouse, réflexothérapie, homéopathie, astrologie, mathématique, acupuncture, barreurs de feu, morphopsychologie… Nous discutons de chaque approche ce qui me permet d’ébaucher quelques outils.

Autodéfense intellectuelle

Arrive la dernière partie du cours magistral. Après avoir défini la pensée critique et la zététique, je me suis demandé comment aborder cette vaste question. J’ai décidé de la présenter en deux parties. Une première dans laquelle j’ai défini quelques outils puis la seconde où j’ai repris le kit de détection très pratique de Richard Monvoisin et Nicolas Pinsault dans Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles.

Photo et citation de Karl Popper
Photo et citation de Karl Popper

Les outils présentés en vrac.

  • Rasoir d’Ockham et la fameuse publicité de Canal+.

  • La maxime de Hume
  • La réfutabilité popperienne qui me pose en général quelques problèmes lors de l’explication. J’ai trouvé cette petite vidéo parfaite : je l’ai même passé en premier (Vidéoscop, Université Nancy 2, Universcience.tv, 2011).

  • La commensurabilité des théories
  • Quelques facettes zététiques de Henri Broch (retrouvées ici)

Pour finir sur quelque chose de dynamique, nous avons évoqué la subjectivité et la perception et son rapport avec le savoir en utilisant comme exemple des paréidolies, l’échiquier d’Adelson ou encore deux vidéos sur la Monkey Illusion (voir ici l’atelier 12).

J’ai pu terminer mon cours théorique à ce moment-là.

Pour ce qui est du TD qui a suivi, je suis revenu sur le cours théorique et j’ai développé la définition de la pratique basée sur les preuves (EBP). Puis nous avons travaillé par petit groupe sur trois textes de thérapies pseudo-scientifiques. J’ai demandé aux étudiants de noter les éléments qui les interpellaient, puis nous avons repris en groupe l’ensemble des informations. Ils se sont vite rendus compte de la similitude des méthodes entre les trois textes : arguments d’autorité, prétentions floues ou extraordinaires et tout un jargon générant effets paillasson et effets impact.

Conclusion

J’ai pu avoir à distance un retour de certains étudiants pour ce cours. Ils ont trouvé cela instructif ; certains se sont sentis trahis par le faux cours mais ont bien compris la démarche. J’espère avoir eu un impact positif sur leur posture critique. En tout cas, le plaisir d’enseigner était là.

Région PACA : cycle de conférences Science Culture en lycées

Depuis 2012, le Cortecs, en collaboration avec l’association ASTS-PACA, gère et organise des conférences à destination des lycées de la région Provence Alpes Côte d’Azur. Dans le cadre du dispositif Science Culture, ces conférences sont proposées aux établissements qui en font la demande. Deux interventions, au choix parmi les sujets ci-dessous, entièrement financées, sont préparées en concertation avec les enseignants et personnels de direction des lycées retenus. Cette page est notamment à destination des collègues souhaitant trouver des informations concernant chaque thématique : description, public visé, ressources. Denis Caroti et Cyrille Baudouin répondent à vos questions si besoin (contacts : carotiatcortecs.org et baudouinatcortecs.org)

Manipulation et influence : du quotidien aux dérives sectaires

Présentation

CorteX_Manipulation1

L’objectif est de montrer que les techniques d’embrigadement sectaires et les aliénations en temps de guerre n’ont rien de très différent des techniques de manipulation classiques dans la vie de tous les jours, que ce soit dans la publicité, les relations au travail ou dans nos interactions quotidiennes personnelles. Pourquoi et comment sommes-nous amenés à faire des choses contre notre gré ? Comment éviter de tomber dans les pièges abscons, effet de gel ou autres tentatives de manipulation ? Comment pouvons-nous comprendre les comportements d’engagement de type sectaire ? Nous aborderons quelques outils d’autodéfense intellectuelle utiles pour maintenir notre vigilance critique dans ce domaine.

Public concerné

De la seconde à la terminale, toutes sections, que ce soit en voie professionnelle ou générale et technologique. La pertinence étant maximale avec les élèves sensibilisés à la philosophie.

Préparation

– On peut commencer par questionner les élèves sur le sens des mots mais également : comment peut-on accepter de faire certaines choses qui semblent, de l’extérieur, totalement irrationnelles et incompréhensibles ? Est-on réellement libre de faire ce que l’on veut ? N’y a-t-il pas des contraintes sociales, culturelles ou génétiques qui pèsent sur nos choix et influences nos décisions ? Proposer aux élèves de définir les termes manipulation, influence, dérive sectaire.

– Préparer une « banque de questions » : de façon anonyme, chaque élève écrit une question en rapport avec ce qu’il comprend du thème et la remet aux enseignants. Le-la conférencier-ère pourra alors puiser dans cette ressource pour alimenter la discussion et le débat.

Vidéos et articles

Un article sur l’utilisation de célèbres expériences de psychologie sociale

– Une vidéo de Lazarus sur la manipulation des images

Sciences, esprit critique et autodéfense intellectuelle

Présentation

boite outils

Les connaissances scientifiques garantissent-elles un esprit critique affûté ? En l’absence d’enseignements spécifiques, pas si sûr… L’outillage critique est nécessaire aussi bien pour distinguer les contenus scientifiques des contenus pseudoscientifiques, critiquer les médias, qu’évaluer les thérapies efficaces, déceler les mensonges à but commercial ou politique, ou prévenir l’intrusion des idéologies en science, comme dans le cas du créationnisme. Il ne nécessite pas de bagage scientifique important, et confère pourtant les moyens de se défendre intellectuellement face aux idées reçues, aux préjugés, aux arguments fallacieux avec des outils simples. Cet apprentissage prend son sens non seulement en classe, mais également dans la vie de tout citoyen qui, soumis à des flots incessants d’informations, devrait être en mesure de faire ses choix en connaissance de cause…

Public concerné

Tous niveaux, toutes sections. Adapté en fonction des classes. 

Préparation

– On peut proposer aux élèves de définir, en quelques minutes, et par groupe, les mots suivants : « paranormal », « surnaturel », croyance, « esprit critique » et « science ». Inviter également les élèves à débattre de l’intérêt de développer ou pas l’esprit critique, comment y parvenir ?

– Préparer une « banque de questions » : de façon anonyme, chaque élève écrit une question en rapport avec ce qu’il comprend du thème et la remet aux enseignants. Le-la conférencier-ère pourra alors puiser dans cette ressource pour alimenter la discussion et le débat.

Vidéos et articles

Sur le rasoir d’Occam

Sur les illusions et paréidolies

Sur l’effet puits

Sur la notion de croyance

Science et astrologie : l’astrologie raconte-t-elle des histoires ?

Présentation

Latitude_ecliptique_pluton

L’astrologie est omniprésente dans notre quotidien : radio, télé, magazines, internet, difficile de passer une journée sans entendre parler de son horoscope. Faut-il s’en soucier ? La question devient intéressante et commence à nous interpeler lorsque l’on sait que des entreprises louent les services d’astrologues pour leurs recrutements, qu’une astrologue prétend soigner grâce à un thème astral, ou bien encore qu’un député affirme publiquement consulter le signe de ses collaborateurs. Nous pouvons alors légitimement nous interroger sur la validité et l’efficacité de cette pratique. Quelles différences entre astronomie et astrologie ? Entre science et astrologie ? Dans cette conférence, nous présenterons quelques bases pour mieux comprendre la démarche scientifique et en tirer les outils nécessaires à une critique argumentée et sans détour des revendications scientifiques de l’astrologie.

Public concerné

Tous niveaux, toutes sections. Adapté en fonction des classes.

Préparation

– On peut proposer aux élèves, par groupe de 4 ou 5, de proposer une définition des termes « astronomie », « astrologie », « science », « pseudosciences ». On peut aussi lancer le débat sur la présence importante des horoscopes dans les médias. Comment expliquer un tel succès ?

– Préparer une « banque de questions » : de façon anonyme, chaque élève écrit une question en rapport avec ce qu’il comprend du thème et la remet aux enseignants. Le-la conférencier-ère pourra alors puiser dans cette ressource pour alimenter la discussion et le débat.

Vidéos et articles

Sur l’effet Barnum/Forer

Sur la critique et l’histoire de l’astrologie

Physique et pseudosciences : quelques outils pour s’y retrouver

Présentation

CorteX_uri_geller

Si en sciences, et notamment en physique, il est possible de donner sous certaines conditions un sens précis aux mots énergie, ondes, dualité, attraction, etc., l’utilisation et même la « réalité » de ces concepts n’ont de sens que sous les conditions et les limites strictes dans lesquelles elles ont été définies. Pourtant, ces termes sont réutilisés et réinterprétés (ce qui n’est pas un mal en soi) dans de nombreuses pratiques ou thérapies : non pour enrichir les savoirs, la connaissance et l’interdisciplinarité (processus normal de l’activité intellectuelle) mais bien plus pour donner un vernis scientifique et tromper l’esprit au son du mésusage de la langue, du dévoiement des concepts et faire obtenir l’adhésion à une kyrielle de pratiques dont les fondements et les preuves sont loin d’être assurés. Comment trier alors dans ce flot d’informations et d’affirmations sans être spécialiste ? On donnera quelques outils et pistes de réflexion pour faire ses choix en connaissance de cause.

Public concerné

Tous niveaux, toutes sections. Adapté en fonction des classes.

Préparation

– On peut demander aux élèves, en groupe de 3-4, de proposer une définition des termes suivants : « science », « pseudosciences », « croyance », « paranormal », « surnaturel ». On peut aussi lancer le débat sur la diffusion de ces phénomènes dans les médias et sur les risques/avantages liés à une telle présence.

– Préparer une « banque de questions » : de façon anonyme, chaque élève écrit une question en rapport avec ce qu’il comprend du thème et la remet aux enseignants. Le-la conférencier-ère pourra alors puiser dans cette ressource pour alimenter la discussion et le débat.

Vidéos et articles

Des « pouvoirs » du corps expliqués par des effets physiques

Sur l’utilisation du mot « énergie »

Sur l’effet impact

Sur l’effet paillasson

Utilisation et distorsion des chiffres : méfiance !

Présentation

CorteX_images_chiffres

Chiffres de la délinquance, du chômage, de la fraude aux allocations, de l’immigration, des dépenses publiques, de la croissance, du moral des ménages, du CAC 40, de la consommation : pas un seul journal télévisé, pas un seul quotidien qui n’étale multitude de chiffres et de graphiques. Pas un seul politicien, quelles que soient ses idées, qui n’ait pas recours à une avalanche de pourcentages. Comment se prémunir de ce matraquage de données chiffrées ? Comment lutter contre la « mathophobie » qui nous rend si vulnérables ? Nous essaierons de répondre à toutes ces questions et celles que vous ne manquerez pas de poser !

Public concerné

Tous niveaux, toutes sections. Adapté en fonction des classes.

Préparation

– On peut commencer par lancer un débat sur l’utilité des mathématiques dans la vie de tous les jours. Revenir aussi sur l’utilisation des chiffres et statistiques dans les médias en questionnement les élèves sur des exemples qui leur sont familiers (JT, documentaires, publicité)

– Préparer une « banque de questions » : de façon anonyme, chaque élève écrit une question en rapport avec ce qu’il comprend du thème et la remet aux enseignants. Le-la conférencier-ère pourra alors puiser dans cette ressource pour alimenter la discussion et le débat.

Vidéos et articles

Vidéos : comment tromper avec des graphiques et effet cigogne

Le football et les mathématiques

Loi binomiale et échantillonnage

Sur la « prédiction » des crimes et l’outil statistique

La « Nature » : un pilier des argumentaires pseudoscientifiques

Présentation

CorteX_savon_naturel

Bien que le sens du mot naturel puisse paraître évident, quand on prend un stylo et qu’on essaie d’en donner une définition, on en arrive assez rapidement à se tordre les neurones. Sur quelles idées reposent les différentes définitions de la Nature que l’on rencontre régulièrement dans les médias grand public ou les publicités ? Quelles sont les représentations qu’elles créent dans nos esprits ? Nous verrons que, loin d’être anodines, ces idées peuvent induire non seulement certaines adhésions pseudo-scientifiques, mais surtout des catégorisations sociales dites essentialistes, où l’on postule la nature d’un individu pour le classer selon des critères racialistes ou sexistes.
Des thérapies naturelles au retour vers la nature, de la nature de l’espèce humaine à l’essence de la féminité, nous verrons ainsi en quoi les concepts naturels sont des vecteurs de certaines idéologies et systèmes de domination qu’on penserait disparus.

Public concerné

Elèves de première ou terminale uniquement

Préparation

– On peut demander aux élèves, en petits groupes de 3-4, de s’entendre sur une définition commune du mot « nature ». Ensuite, proposer aux élèves de trouver des exemples où l’on utilise ce mot dans la publicité (« c’est naturel ») ou dans des expressions communes en insistant sur l’aspect moral du jugement qui en découle (c’est bien ou mal d’être naturel ou pas)

– Préparer une « banque de questions » : de façon anonyme, chaque élève écrit une question en rapport avec ce qu’il comprend du thème et la remet aux enseignants. Le-la conférencier-ère pourra alors puiser dans cette ressource pour alimenter la discussion et le débat.

Ressources

Un article développant le contenu de la conférence

Science et médecines alternatives : faire ses choix en connaissance de cause

Présentation

CorteX_homeopathie

Les médecines non conventionnelles rencontrent aujourd’hui un succès grandissant auprès du public. Rejet de la médecine « officielle » et « scientifique » ? Peur d’anciens et nouveaux scandales sanitaires ? Attirance pour des thérapies « naturelles », « alternatives » ou « douces » ? Les raisons sont multiples. Mais ce succès est-il pour autant le signe d’une efficacité spécifique réelle ? Les enjeux sont grands et nous concernent tous et toutes car à la santé se greffent bien souvent des questions financières et de choix technopolitiques (pharmaceutiques et/ou thérapeutiques). Les dérives régulièrement recensées, comme les diverses aliénations mentales, nous poussent à nous interroger sur ces pratiques de plus en plus à la mode. La démarche scientifique peut-elle nous aider à répondre à ces questions ? Quels outils critiques peut-on utiliser pour faire des choix en connaissance de cause ?

Public concerné

Élèves de terminale de préférence

Préparation

– On peut demander aux élèves de se réunir par groupes de 3-4 pour définir ensemble les mots « médecine », « science », et, selon le niveau, « placebo ». Puis lancer le débat sur la différence entre science et médecine, sur la notion de placebo et sur les critères qui nous font adhérer à une thérapie donnée. L’idée étant de différencier les types de registres : scientifique, moral, politique, économique.

– Préparer une « banque de questions » : de façon anonyme, chaque élève écrit une question en rapport avec ce qu’il comprend du thème et la remet aux enseignants. Le-la conférencier-ère pourra alors puiser dans cette ressource pour alimenter la discussion et le débat.

Ressources

Un article sur les médecines « alternatives »

Science et créationnismes : un état des lieux

Présentation

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De nombreux enjeux politiques, économiques, technologiques et sociétaux, auxquels sont confrontées nos sociétés contemporaines ne peuvent être appréhendés sans connaissance scientifique : changement climatique, OGM, genres, transhumanisme, nouvelles énergies, etc. Dans la mesure où chaque citoyen ne peut être expert dans tous les domaines, sa capacité à distinguer un discours scientifique d’autres types de discours (idéologiques, religieux) est indispensable pour une démocratie. Or, depuis environ 20 ans, des courants d’inspiration religieuse tentent d’infiltrer les systèmes éducatifs de nombreux pays européens pour promouvoir une vision religieuse du monde en instrumentalisant la science : il s’agit de mouvements créationnistes. Cette intrusion spiritualiste pose le problème de la démarcation entre science et croyances. Comment faire la distinction entre ces différents discours ? En quoi l’instrumentalisation du discours scientifique est-elle un enjeu politique ? Les questions soulevées par ces thématiques sont au cœur des pratiques scientifique, citoyenne et politique actuelles.

Public concerné

Terminales de préférence, premières selon le contexte.

Préparation

– Demander aux élèves de définir, par petits groupes de 3-4, les mots « religion », « science », « croyance » et « créationnisme ». Lancer le débat en questionnant les élèves sur les liens entre science et religion, entre scientifiques et croyances.

– Préparer une « banque de questions » : de façon anonyme, chaque élève écrit une question en rapport avec ce qu’il comprend du thème et la remet aux enseignants. Le-la conférencier-ère pourra alors puiser dans cette ressource pour alimenter la discussion et le débat.

Ressources

Une conférence filmée de Julien Peccoud

Une autre conférence filmée de Julien Peccoud

Quantoc : l’art d’accommoder le mot quantique à toutes les sauces

Présentation

CorteX_12_Quanta_relax

Théorie fascinante, toujours en élaboration, la physique quantique est devenue un véritable marronnier de la vulgarisation des sciences, à grands coups de mises en scène nimbées de mystère. Cela serait sans réelle conséquence s’il n’était tout un marché naissant, poussant telle une mousse sur le travail d’Einstein, Heisenberg et leurs continuateurs : techniques de bien-être quantique, thérapies et médecines quantiques soignant les cancers, quand il ne s’agit pas de justifier n’importe quel scénario surnaturel au moyen d’une mécanique quantique revisitée qui n’a plus grand chose à voir avec l’originale. Le quantique a bon dos. Or, comprendre cette physique nécessite un temps d’apprentissage que le public n’a probablement pas. On présentera donc un guide de première nécessité, un modeste guide de survie épistémologique pour tenter d’éventer les baudruches que certains affairistes «quantiques» n’hésitent pas à agiter comme des lanternes. Une mélopée rationnelle parmi les cantiques quantiques. Une mince chandelle dans la physique de l’infiniment petit.

Public concerné

Uniquement terminales ou premières scientifiques

Préparation

– On peut demander aux élèves de définir, en petits groupes de 4-5, le terme « quantique » et de différencier sa définition et sa connotation. Lancer le débat sur la présence de ce terme dans les médias avec des exemples de couverture de Science et Vie par exemple.

– Préparer une « banque de questions » : de façon anonyme, chaque élève écrit une question en rapport avec ce qu’il comprend du thème et la remet aux enseignants. Le-la conférencier-ère pourra alors puiser dans cette ressource pour alimenter la discussion et le débat.

Ressources

Un article sur une couverture de Science et Vie

Un article reprenant la conférence

Sur les implications philosophiques

Zététique : esprit critique es-tu là ?

Présentation

Pyrrhondelis

Le terme zététique (du grec zétèin signifiant chercher) remonte à quelque deux mille trois cents ans. Désignant une attitude de refus envers toute affirmation de type dogmatique, Pyrrhon d’Élis fut le premier des zététiciens : remise en question permanente et doute radical étaient ses marques de fabrique. La zététique aujourd’hui, c’est la méthode scientifique d’investigation des phénomènes « surnaturels », étranges, des théories bizarres : balayant un spectre allant des monstres mystérieux en passant par les poltergeists, les ovnis, ou même la radiesthésie, la télékinésie, la télépathie, jusqu’aux thérapies non conventionnelles, le cœur de la zététique réside dans une méthode d’analyse commune à tous ces phénomènes et appropriable par tout un chacun : la démarche scientifique. Pour mettre en pratique cette démarche, des protocoles expérimentaux sont élaborés pour tester concrètement les affirmations contenues dans ces phénomènes.
La base de la zététique est donc le doute, mais un doute fertile, permettant d’examiner et d’aller vérifier les affirmations produites, les faits soi-disant avérés, de trier parmi les hypothèses pour, in fine, faire ses choix en connaissance de cause. Plus qu’une simple démarche, c’est une pédagogie à l’esprit critique : savoir discerner le bon grain de l’ivraie, le vrai du faux, savoir construire son opinion personnelle et pouvoir la remettre en question par la prise de conscience de la part d’affectivité et de l’influence de préjugés ou de stéréotypes sur nos croyances et nos adhésions.

Public concerné

Tous niveaux, toutes sections.

Préparation

– On peut demander aux élèves, en groupe de 3-4, de proposer une définition des termes suivants : « science », « pseudosciences », « croyance », « paranormal », « surnaturel ». On peut aussi lancer le débat sur la diffusion de ces phénomènes dans les médias et sur les risques/avantages liés à une telle présence.

– Préparer une « banque de questions » : de façon anonyme, chaque élève écrit une question en rapport avec ce qu’il comprend du thème et la remet aux enseignants. Le-la conférencier-ère pourra alors puiser dans cette ressource pour alimenter la discussion et le débat.

Ressources

Une page entièrement dédiée à la zététique

La chaîne youtube « La tronche en biais »

CorteX Masaru Emoto

Chimie & New Age – expérimentation de l'eau cristal de Masaru Emoto

Masaru Emoto était un chercheur autodidacte japonais, diplômé en « médecine alternative » par l’Open International University for Alternative Medicined’Inde, qui affirmait l’existence d’effets de la pensée et des émotions sur l’eau. Au moyen d’études pour le moins étranges, qu’il n’a ni reproduit sous contrôle, ni publié dans une revue scientifique à comité de lecture, il avançait (car il est décédé en 2014) e qu’on peut changer la structure de l’eau, et créer des cristaux particuliers, simplement en écrivant sur la bouteille des émotions, comme amour, haine, etc. Hélas, la notoriété de ses travaux dépasse largement leur qualité. Il aura été jusqu’au bout président de l’institut de recherche d’IHM Corporation, ainsi que président du Project of Love and Thanks to Water, et son mouvement prend des contours de plus en plus nébuleux.
Au printemps 2012, à l’Université de Grenoble, nous avons tenté avec un groupe d’étudiantes de reproduire avec rigueur ses affirmations.


Rappel

CorteX 30 Emoto Peace projectCela faisait un certain temps que cette « théorie » revenait comme un refrain, à plus forte raison lors de l’écriture de Quantox. J’avais en mémoire l’extrait de What the [bleep] do we know, ce documentaire New Age retentissant, où l’on voit présentés Emoto et ses messages d’amour, au travers d’une exposition de photographies de cristaux d’eau et un commentaire déclamant en substance :

« Si une telle action est possible sur l’eau (sachant que notre corps est composé de 95% d’eau) imaginez l’action possible que cela pourrait représenter sur nous-mêmes. »

Avec des si, on peut dire beaucoup de choses. Et c’est le physicien mystique Amit Goswami, connu pour ses tentatives de réconciliation de la science avec l’Advaita Vedanta1 et la Théosophie2, qui vient conclure ainsi :

« Mais si la réalité est constituée par les possibilités de ma conscience (…) je peux créer moi-même la réalité. Cela peut sembler une théorie nébuleuse d’un adepte du New Age qui ne comprend rien à la physique. Mais c’est ce que nous enseigne la mécanique quantique ».

Avec des si, on mettrait l’eau d’Emoto en bouteille.

Dans mon unité d’enseignement Zététique & autodéfense intellectuelle de l’Université de Grenoble (ici), les étudiants ont pour tâche d’étudier les théories controversées. En mai 2012, quatre étudiantes, Emmanuelle Baffert, Samantha El Hamaoui, Manon Frances et Coline Verluise ont retroussé leurs manches et se sont attelées à la besogne : retrouver les détails de protocole de Masaru Emoto, et tester son affirmation centrale avec tout le soin requis.

La première phase fut éminemment complexe, puisque M. Emoto n’a donné aucun détail précis, et n’a pas publié ses recherches ailleurs que dans ses livres grand public, en particulier Le message de l’eau (1999). La seconde a nécessité patience et circonspection. Le tout fait l’objet d’un article en cours de publication. En attendant, un document vidéo a été réalisé qui donne quelques détails pertinents.

Voici leur remarquable dossier, ainsi qu’un film de leur protocole.
Vidéo

Gardons bien à l’esprit que les affirmations d’Emoto sont reprises partout, tant dans la gamme des médecines « quantiques » que dans certaines théories pour le moins problématiques, comme la galvanoplastie spirituelle de la Fraternité Blanche Universelle : selon certains, les images mentales se transmettraient au fœtus par l’eau selon la théorie de l’eau-cristal, justement de Masaru Emoto3.

Gageons qu’ils sauront revenir sur leurs propos si la théorie se révèle fausse.

Richard Monvoisin

PS : Masaru Emoto est décédé, en octobre 2014, après ce travail.

1C’est l’une des six écoles de la philosophie hindoue orthodoxe.

2La théosophie est une branche métaphysique relancée vers 1875, basée sur la communication avec les Esprits Invisibles et fondée sur un syncrétisme à base de traditions de l’hindouisme et du bouddhisme. Pour en savoir plus, on lira R. Mahric & E. Besnier, Le New Age, son histoire, ses pratiques, ses arnaques, Castor Astral (1999).

3Dans Bertin M-A., La prévention la plus fondamentale, l’éducation prénatale créatrice, journée  » Pédiatrie  » du Centre d’Études Homéopathiques de France, Paris, 12 janvier 2002. Pour en savoir plus, j’avais écrit ici Petite histoire fraternelle, blanche et universelle, Publication de l’Observatoire Zététique (POZ) N°36.

Éditions Matériologiques alimentent ton esprit critique

Il est possible de développer son esprit critique de différentes manières. La confrontation méthodique à des matériaux issus des théories et champs controversés est particulièrement efficace pour cette fin. C’est pourquoi au CorteX nous affectionnons travailler à partir des phénomènes réputés paranormaux, des théories essentialistes, des médecines dites « alternatives », des scénarios complotistes et d’autres choses encore. Une autre voie possible est de s’acoquiner avec les problématiques philosophico-scientifiques en cours. Le lecteur notera que là où nous aurions pu dire philosophiques et scientifiques, nous avons à dessein rapproché les deux termes. En effet, nous ne pensons pas qu’il puisse y avoir de réflexion philosophique efficace qui ne prendrait pas appui sur le réel, et quelle meilleure voie d’accès à ce réel que la démarche scientifique ? D’un autre côté, nous doutons qu’il puisse y avoir une démarche scientifique en apesanteur de toute réflexion philosophique73. Il existe en France une maison d’édition qui s’inscrit pleinement dans un arrière-plan de ce type : les Éditions Matériologiques (EM). Nous annoncions la naissance de ces éditions en 2011 ici et nous en reparlions . Aujourd’hui, nous avons sollicité Marc Silberstein, l’un des cofondateurs, afin de mieux comprendre leur travail à travers une brève histoire des EM et un court entretien.

Une brève histoire des Éditions Matériologiques

En 1998, Marc Silberstein commença par éditer des livres de sciences et d’épistémologie dans une maison d’édition parisienne au sein d’une collection appelée « Matériologiques » – qui rend hommage au matérialisme scientifique revendiqué par Mario Bunge. Durant près de dix ans, la collection se développe doucement et d’autres auteurs se lancent dans l’aventure. Les livres rencontrent un succès convenable qui permet à la collection d’atteindre les 21 titres (dont des traductions de Bertrand Russell, Mario Bunge, Jaegwon Kim). Parmi ces ouvrages, deux semblent avoir fait un peu de bruit dans les milieux concernés : en 2000, Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences, dirigé par Jean Dubessy et Guillaume Lecointre, et en 2004, Les Matérialismes (et ses détracteurs), sous la même direction avec Marc Silberstein en plus. Ces deux pièces constitueront les piliers d’une série de livres traitant de l’imposture intellectuelle en sciences ainsi que d’une défense et illustration du matérialisme en tant que matériaux des sciences1.

En 2008, émergent de fortes divergences idéologiques entre Marc Silberstein et cet éditeur. Selon lui, un des éléments déclencheurs de cette divergence fut la traduction de l’ouvrage de Bunge (version anglaise en 1981) dans lequel ce dernier exerce une critique serrée du matérialisme dialectique, position philosophique qui avait alors le vent en poupe dans la maison d’édition en question.

En juin 2009, Marc se voit contraint de quitter la maison d’édition et la collection « Matériologiques » est supprimée dans les semaines qui suivent. De nombreux projets de livres lancés des mois, voire des années auparavant sont annulés. Ne souhaitant alors pas laisser ces ouvrages et leurs auteurs dans le néant, il a l’idée de créer une nouvelle maison d’édition pour faire aboutir ces projets. Les Éditions Matériologiques ont été formellement fondées en 2010 par Marc Silberstein et deux de ses amis philosophes spécialistes du matérialisme des Lumières françaises, Pascal Charbonnat2 et François Pépin, sous la forme d’une association loi 1901. Les ont rapidement rejoint un groupe d’amis qui constitue peu ou prou l’équipe actuelle et le conseil d’administration de l’association3.

Les débuts des EM sont difficiles. La construction dune maison d’édition professionnelle coûte cher à tout point de vue. La recherche initiale de mécènes et de diffuseurs n’est pas simple, ce qui conduit l’équipe des EM à la décision de s’affranchir du support papier et de devenir un éditeur d’ebooks exclusif. C’est ainsi que les premiers livres parurent, en partie en reprenant des titres de l’ancienne collection abandonnés par l’éditeur initial, en partie des livres originaux que des auteurs, malgré un contexte éditorial particulier pour l’époque, ont bien voulu leur confier. Cependant, en dépit de la levée de ces premières difficultés, d’autres survinrent par la suite. La faible popularité du support ebook, les piratages, ainsi que des thématiques à lectorat restreint firent partie de ces difficultés. Il a pu être malgré tout publié plusieurs livres importants durant cette période, ceci grâce à des auteurs confiants dans le travail éditorial des EM et grâce aux réseaux académiques des amis des membres du Conseil d’administration, écoutés par leurs pairs. Deux ans plus tard, en 2014, avec divers facteurs dont le retour au livre papier, l’augmentation du chiffre d’affaires, le nombre des manuscrits reçus et l’augmentation de la notoriété des EM, celle-ci arrive enfin à maturité.

Depuis cette période, les EM se développent sans cesse, en termes de titres, de création de nouvelles collections, d’exploration de nouveaux domaines scientifiques ou philosophiques dans la lignée des préoccupations initiales des fondateurs des éditions. Le catalogue des EM compte aujourd’hui plus de 50 ouvrages (livres et revues), près de 30 titres à paraître en 2016-2017.

Quelques questions à Marc Silberstein

Que signifie le terme « Matériologiques » dans « Éditions Matériologiques » ?

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Je rappelle que c’est la reprise du nom d’une collection que j’avais créée en 1998 dans une autre maison d’édition. C’est la contraction et inversion de « logiques du matérialisme ». Il faut ajouter que nous avions fondé une revue d’épistémologie matérialiste/du matérialisme dont le titre est Matière première (dont je recommande vivement le numéro consacré au déterminisme, paru aux EM en 2012). On a ainsi voulu affirmer par ce nom notre adhésion au matérialisme en dépit des connotations péjoratives qui obèrent ce terme. D’ailleurs, au début de notre activité, il n’était pas rare qu’on nous en fasse le reproche en comprenant cette désignation d’une façon péjorative (malgré nos avertissements, nos parcours et un catalogue qui parlaient pour nous). Bien que tous nos livres ne soient pas porteurs d’une revendication matérialiste, nous tenons sans retenue à cette estampille, surtout quand sont souvent assimilés à tort voire à dessein matérialisme, darwinisme, stalinisme, nazisme et d’autres choses encore. Pour clarifier notre position ontologique, s’il en était besoin sur le site du CorteX, je la résumerais ainsi : nous ressentons, nous souffrons, nous aimons, nous sommes conscients de notre conscience, nous sommes si différents de la matière inerte, comment tout cela peut-il être le résultat d’un embrouillamini de molécules, bref de cette physico-chimie qui d’inerte donne le vivant, qui de non-sensible donne le sensible, qui de non-consciente donne la conscience ? Telles sont les questions traditionnelles sur lesquelles insistent toutes les doctrines idéalistes et spiritualistes. Refuser ce hiatus, cette barrière entre ces mondes et ne les concevoir que dans une relation de continuité, que dans un rapport de modifications qualitatives déterminées par les innombrables combinaisons d’éléments plus simples, et cela sans finalisme, sans intervention d’une cause hors de la nature (le matérialisme est avant tout un antisurnaturalisme). Le matérialisme ne dit rien d’autre : que nos affects, notre art, nos émotions, notre sentiment même du divin (pour ceux qui l’éprouvent), notre sollicitude vis-à-vis d’autrui ou nos aberrations, nos déviances, notre grandeur comme nos bassesses ne sont que (mais ô combien de phénomènes complexes dans ce « que ») les résultats des aléas et des déterminations de la matière la plus humble.

À quels manques souhaitent répondre les EM ?

Commençons en citant Guillaume Lecointre : « Les EM comblent une lacune dans le paysage intellectuel français : dans un pays où l’épistémologie reste trop éloignée des laboratoires, il était urgent que des scientifiques y prennent part, accompagnés de philosophes et d’historiens des sciences. Elles proposent un lieu de rencontre entre les scientifiques qui réfléchissent à leurs pratiques et les philosophies qui travaillent avec les sciences. » Sans se hausser du col bien sûr, je crois qu’on peut dire que les EM comblent un vide en France : nous sommes un éditeur « à manifeste » résolument attaché à la production d’ouvrages en sciences, histoire et philosophie des sciences (c’est d’ailleurs le sous-titre des EM), pas un éditeur généraliste sans ligne directrice. Nous avons une ligne éditoriale bien spécifiée – ce que j’appelle notre manifeste (matérialisme, laïcité, rationalisme, athéisme4, etc.), c’est-à-dire des idées rectrices qui fondent notre identité et notre projet. Ceci nous distingue des éditeurs qui peuvent certes publier des sciences et de la philosophie des sciences tout en ayant à leur catalogue des ouvrages aux positions diamétralement opposées.

Plus secondairement, car la frontière est plus difficile à définir, nous sommes assez différents des quelques éditeurs francophones spécialisés dans les sciences existant encore : la dimension épistémologique n’y est pas prépondérante, comme chez nous, tandis que manuels et ouvrages techniques sont privilégiés chez ces éditeurs (bien sûr, il faudrait nuancer tout cela, prendre des exemples.) Une autre différence, qui a l’air plus terre à terre mais qui a son importance, est à considérer : je pense que nous sommes le seul éditeur français, sur ces sujets, à pouvoir publier de gros, voire très gros, ouvrages. La tendance lourde dans l’édition du même type est de réduire très fortement les paginations, de demander des réécritures tendant à des simplifications excessives, bref à des dénaturations des textes préjudiciables à l’entendement de sujets qui ne peuvent se satisfaire de telles amputations… Un des enjeux pour les EM est d’essayer de combiner un arrière-plan social progressiste et une ligne éditoriale pleinement ancrée dans la promotion des idées émancipatrices issues de la rationalité (pour aller vite) et des sciences de la nature (c’est vrai, en revanche, pour les sciences humaines et la philosophie, Agone ou Le Croquant, Raisons d’agir, par exemple).

Comment le travail des EM est-il perçu par le milieu scientifique ?

Le fait est que nous sommes surtout connus d’une partie assez modérée du milieu scientifique, pour au moins quatre raisons :

1) nous avons publié surtout des livres sur la biologie5 (pour des raisons d’affinités directes avec le domaine, des raisons de réseaux d’auteurs potentiels, etc.) et c’est là, principalement, que nous sommes connus ;

2) très souvent ces livres comportent une composante épistémologique (philosophique donc) substantielle, alors que trop de scientifiques n’en voient pas l’utilité, voire tendent à déconsidérer la philosophie dans son ensemble ;

3) nos livres sont en français, or le milieu scientifique français est très anglocentrique, pensant bien souvent que c’est uniquement dans les livres en langue anglaise que se trouvent la quintessence et la pointe avancée du savoir ;

4) nous sommes encore trop petits… Une notoriété se construit au long cours, il faut patienter, nous développer, publier davantage en physique, explorer des domaines moins familiers, etc. C’est largement en cours car, d’après ce qu’on entend, ces milieux-là nous connaissent et reconnaissent notre travail. Plus prosaïquement, cette reconnaissance ne se transforme pas encore suffisamment en résultats commerciaux. Mais je pense qu’on va arriver en 2016 à une masse critique, si je puis dire, qui va nous rendre assez incontournable pour qui veut publier sérieusement un livre non expurgé, dans des domaines de moins en moins considérés par les acteurs traditionnels de la filière « Livres sur la/de sciences ».

Qu’en est-il du milieu philosophique ?

C’est très divers. Autant en sciences, nous sommes pluriels quant à nos centres d’intérêt (comme je disais, la biologie est centrale mais c’est contingent, et toutes les sciences nous intéressent), autant en philosophie, nous sommes plus restrictifs. On peut faire l’hypothèse raisonnable qu’une partie importante du milieu philosophique nous voit comme des scientistes ou nous ignore tout simplement. Mais les épistémologues, les philosophes de telle ou telle science, les philosophes analytiques, ou ceux issus de la tradition dix-huitièmiste, nous connaissent. À tel point que nous allons développer un projet d’histoire de la philosophie qui concerne des doctrines éloignées du matérialisme, mais qui, faisant partie de l’histoire des idées, intéresse un éditeur érudit comme nous. Ce qui nous importe beaucoup, c’est de nous faire admettre par les professeurs de philosophie du secondaire. Je crois que nos livres d’interdomaines sciences/philosophie sont utiles dans ce cadre.

Et pour le grand public ?

Difficile à dire. Mais je crois très sincèrement qu’on n’est pas connus du grand public (cependant, quel est son périmètre ?), qu’on ne peut l’être. Premièrement, nos livres, sauf exception, ne sont pas grand public, ne leurrons personne en ayant une telle illusion. Deuxièmement, pour l’être, y compris avec des livres difficiles, il faudrait bénéficier de deux soutiens dont nous sommes largement privés : primo des médias de masse qui parleraient de nous ; secundo des librairies qui, suite à de tels appuis médiatiques, accueilleraient nos livres sur les présentoirs et vitrines les plus en vue. Comme je dis souvent, nous ne promettons ni merveilleux ni extraordinaire dans nos livres ; pour prendre un exemple récent, nous évoquons un nouveau regard sur les cellules souches, là où un éditeur plus soucieux du marketing aurait titré un truc comme Les cellules souches et la fin du cancer… Cependant, force est de constater que la majorité de nos lecteurs ne sont pas scientifiques ou philosophes professionnels ; ce sont des gens cultivés, dotés notamment d’une culture scientifique et/ou philosophique forte, soucieux de contenus de haut niveau. Bien sûr, on ne peut pas regrouper ces lecteurs sous le terme « grand public », mais tout de même l’assimiler au lectorat, assez vaste et divers, d’une revue comme Pour la science (que je ne cite pas au hasard, cette revue est une des rares à avoir publié des recensions développées à propos de plusieurs de nos livres, reconnaissant ainsi notre place dans le paysage éditorial scientifique6

Quels ouvrages attendez-vous avec impatience ?

bunge
Mario Bunge

Il y en a plusieurs… En tout premier lieu, une édition revue et augmentée du livre cité plus haut, Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences. Il portera un autre titre, sera dirigé par Olivier Brosseau (spécialiste des créationnismes) et Guillaume Lecointre (biologiste au MNHN). On aimerait avec ce livre inaugurer une nouvelle collection dédiée à ces problématiques, en un mot cortecsiennes. D’ailleurs, il y a des projets communs en discussion, ou en tout cas avec des membres du Cortecs, et, espère-t-on, avec la SFR « Pensée critique ». Il y a aussi l’autobiographie de Mario Bunge, Entre deux mondes. Mémoires d’un philosophe-scientifique, traduite bénévolement par un ami, le biologiste Pierre Deleporte. Bunge est un personnage hors normes, méconnu en France. On espère que ce livre, moins technique que ceux qu’il écrit généralement, sera un moyen (bien tardif, il a 97 ans !, et n’a jamais reçu en France l’attention qu’il mérite, malgré quelques traductions ces dernières décennies) de rendre justice au plus important penseur matérialiste actuel ; et d’autres encore, mais pas assez avancés pour que j’en parle maintenant.

Quelles thématiques aimeriez-vous développer ?

Deux domaines capitaux pour nous sont pourtant très lacunaires aux EM. Versant sciences : la physique. Versant philosophie : l’athéisme. Pour les raisons déjà évoquées, nous avons moins de lien avec le milieu des physiciens, et surtout cette science a des débouchés éditoriaux bien plus nombreux que d’autres sciences. J’ai des idées pour tenter de débloquer cette situation (la physique est le domaine scientifique que je trouve le plus passionnant), mais pas le temps de les mettre en œuvre… Quant à l’athéisme, il faut trouver de bons textes, et pas des exégèses d’exégèses sur la vie (ou l’inexistence) de Jésus, par exemple. Certes, il y a eu ces dernières années quelques rares autres traductions de bon livres sur l’athéisme. La piste que j’entraperçois, c’est une collaboration avec Éric Lowen, le principal animateur de l’Université populaire de philosophie, à Toulouse. On en a parlé quand j’y ai donné une causerie sur le matérialisme, en 2014. Ses cours sur l’athéisme sont remarquables, les rassembler en un ou plusieurs volumes serait important pour lancer une telle collection. Mais c’est un gros travail, il faut trouver le temps… (J’en profite pour signaler aux lecteurs de cet entretien que s’ils sont en région toulousaine, il faut fréquenter cette UP, son programme de conférences, d’ateliers, de cours est sensationnel.)

Quelle est la demande d’ouvrages des EM de la part des bibliothèques universitaires ?

Difficile de savoir si c’est dû à un manque de notoriété qu’il faut donc régler ou si ce sont les conditions économiques des BU qui priment, mais disons que nos livres ne sont pas suffisamment achetés par les BU. Là encore, peut-être que le fait que beaucoup de nos livres soient des interfaces disciplinaires ne facilite pas l’acquisition d’ouvrages qui ne rentrent pas dans les cases des nomenclatures, je ne sais pas, je réfléchis tout haut… Mais j’ai bon espoir qu’il en soit autrement dans quelques années, à condition bien sûr que l’université ne soit pas saccagée par le prochain gouvernement et les fossoyeurs du service public.

Où peut-on trouver les ouvrages des EM ?

C’est un peu le principe « Directement du producteur au consommateur » : donc principalement sur le site des EM pour les livres papier. Chez Eyrolles à Paris, on trouve une partie du catalogue, un peu chez Vrin. Chez les libraires, sur commande. Un gros tiers, si ce n’est plus, de notre chiffre d’affaires est réalisé avec les libraires, même si nous ne sommes pas distribués en librairies, au sens classique du terme. Pour les ebooks, sur de nombreuses librairies en ligne, et surtout sur Cairn.org, portail de revues et livres de sciences humaines, bien connu des milieux universitaires. On est à l’affût de tous circuits de vente, alternatifs ou pas, qui pourraient faire l’affaire. On regarde, on évalue. La vente de livres, a fortiori de livres de niches, est beaucoup moins standardisée qu’il y a encore cinq ans. Cela demande adaptation et réactivité.

qu-est-ce-que-la-technologie-

Nous te remercions Marc pour ces nombreuses précisions.

Si nous rêvons de parcourir l’intégralité des ouvrages des EM, nous pouvons en attendant recommander  quelques spécimens supplémentaires à ceux évoqués ci-dessus tels l’émergence de la médecine scientifique dirigé par Anne Fagot-Largeault en 2013, La morale humaine et les sciences dirigé par Alberto Massala & Jérôme Rava en 2011 et enfin Qu’est-ce que la technologie ? de Dominique Raynaud en 2015 (avec une mention spéciale pour ce dernier). Autant de matériaux pour alimenter la chaudière de ceux qui souhaitent faire carburer leur esprit critique !

AG

Audio – la fasciathérapie "méthode Danis Bois", par Nelly Darbois

Il y a quelques années, nous avions mis en ligne le mémoire « La fasciathérapie « Méthode Danis Bois » : niveau de preuve d’une pratique de soin non conventionnelle » de notre collègue Nelly Darbois. Cela avait provoqué de rocambolesques remouds, narrés dans L’insubmersible canard de bain* : la fasciathérapie « méthode Danis Bois ». Pour le ballado Scepticisme scientifique, Nelly revient sur cette affaire, en expliquant à son hôte Jérémy Royaux la genèse et l’évolution de ce dossier. Bonne écoute !

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