Lorsque j’ai commencé à animer des ateliers d’analyse critique des médias il y a près de dix ans, j’imaginais que ma principale mission serait de convaincre le plus grand nombre que « les médias » ne sont pas objectifs. J’ai réalisé très rapidement que j’étais en grand décalage avec la réalité du terrain puisque, partout où j’intervenais, les gens exprimaient déjà une grande méfiance vis-à-vis des médias dits officiels. Je me suis d’abord félicitée qu’une bonne partie du chemin était faite, avant d’être confrontée à un problème que je n’avais pas anticipé : cette critique, parfois naïve, conduisait souvent les individu·e·s à opter pour une stratégie d’évitement. Ils affirmaient avoir choisi de s’extraire du discours médiatique. Or, indépendamment de ce que l’on peut penser sur le fond de cette stratégie, elle me semble tout de même difficile à tenir en pratique : on peut en effet choisir de n’avoir ni télévision, ni journaux, ni internet, ni radio chez soi, mais pour beaucoup d’entre nous, il reste impossible d’éviter les gros titres sur l’étalage d’un buraliste, ou la radio dans un magasin ou encore la discussion entre collègues sur les actualités du matin. En voulant se protéger d’un certain type de discours médiatique, on prend donc le risque de s’exposer au même discours médiatique mais filtré par les gros titres ou l’interprétation de son voisin. On voulait se prémunir d’une information simpliste, orientée, qui recherche le scoop etc., on s’y soumet en s’éloignant encore un peu plus de la possibilité d’avoir une prise sur cette information.
J’ai donc revu mon approche pédagogique et me suis employée à proposer et justifier l’intérêt d’une démarche alternative : la première étape consiste à repérer les mécanismes inhérents à la production de l’information qui induisent de la subjectivité. Je propose ensuite des alternatives méthodologiques pour limiter les effets de ces mécanismes. Ces pistes sont trop coûteuses en temps pour être appliquées au quotidien, mais méritent d’être suivies quand l’enjeu est fort (par exemple pour se faire un avis sur des thérapies ou sur des projets de loi).
Cette séquence est une de celles que je propose en tout début de cycle (2ème ou 3ème séance). J’y donne des pistes pour pallier le tri sélectif des points de vue par un média. Je l’ai reproduite de nombreuses fois, avec des groupes de 5 à 25 personnes, étudiant·e·s ou lycéen·ne·s. Sous cette forme, elle nécessite d’avoir deux heures devant soi, mais elle peut être adaptée pour un temps plus court.
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1ère étape – Tri sélectif des données et fabrique de l’extra-ordinaire
La première étape de cette séquence consiste à présenter le biais méthodologique du tri sélectif des données. Je reproduis souvent les séquences racontées ici ou dans cette vidéo. Il m’arrive aussi de lancer ou de poursuivre la discussion avec ce défi lancé par Rémi Gaillard à Ronaldo :
Peut-on conclure à partir de cette vidéo que Rémi Gaillard est aussi adroit que Ronaldo ? Comment Rémi Gaillard a-t-il pu procéder ? Comment ferions-nous pour remporter un défi similaire lancé à une autre classe ou… à Rémi Gaillard ?
Plutôt que de s’entraîner pendant des années avec peu d’espoir de faire un jour aussi bien que Ronaldo, il sera probablement bien moins coûteux pour la plupart d’entre nous d’essayer autant de fois qu’il le faudra, en filmant chaque tentative et en espérant qu’au bout d’un moment le ballon percutera la canette. Il suffira ensuite de monter la vidéo finale en ne gardant que les essais réussis pour un résultat éblouissant.
Pour fabriquer de l’extra-ordinaire, il suffit donc d’oublier les échecs et de focaliser tous les projecteurs sur les réussites (même si elles sont rares). C’est ce qu’on appelle le tri sélectif des données.
Si notre objectif est de savoir qui est le joueur le plus adroit, ce type de vidéos ne nous donne aucun argument solide, ni dans un sens ni dans l’autre. Pour conclure, nous n’aurons pas d’autres choix que d’établir des statistiques précises sur le nombre de réussites de chacun des protagonistes, à partir de l’ensemble de tous les essais réalisés.
2ème étape – Tri sélectif des données et micro-trottoir
Si le tri sélectif des données permet de fabriquer de l’extra-ordinaire, il permet aussi, en mettant la lumière sur une seule partie des données, de faire dire ce qu’on veut à un groupe de personnes. En témoigne cet extrait du Petit journal sur les micro-trottoirs :
Pour utiliser ce document, je commence par projeter la vidéo jusqu’à la seconde 33′ et je pose la question : « comment ce mouvement de grève est-il accueilli par les usagers ? »
Je montre ensuite la fin de la vidéo, avant de faire le lien avec ce que nous avons vu précédemment : pour « convaincre » les téléspectateurs et téléspectatrices que les usagers sont mécontents, il suffit de trier leurs propos. Puis nous discutons de la pertinence du lieu de recueil des données : pour « convaincre » que les usagers sont mécontents, il est préférable d’aller interroger des gens devant le guichet d’information de la SNCF un jour de grève plutôt que des syndicalistes en grève.
Je termine sur un dernier tri sélectif des données : « peut-on conclure de la démonstration du Petit journal que les gens sont toujours mitigés ? « . Il est en effet raisonnable de penser que l’équipe a monté cette vidéo en ne retenant que les réponses des gens qui expriment clairement deux avis opposés.
Sélectionner une partie de l’information sans précaution, consciemment ou non, peut ainsi biaiser de manière conséquente nos conclusions. Il est donc primordial d’avoir accès non seulement à l’ensemble des données recueillies mais aussi à la méthodologie mise en oeuvre pour constituer l’échantillon. Les enseignant·e·s qui souhaiteraient travailler spécifiquement ce point pourront déguster le compte-rendu de la séquence de Fabien Tesserau, enseignant de mathématiques en collège, sur l’impact du tri sélectif des données sur les résultats d’un sondage.
3ème étape – Tri sélectif des points de vue : identifier les points de vue manquants
Comme très souvent, j’ai choisi de présenter la démarche avec un article court, sur un thème somme toute assez anecdotique : le conflit qui oppose tous les ans au printemps, d’un côté les habitant·e·s du centre-ville de Montpellier et de l’autre les gens qui se réunissent, le soir, pour faire la fête dans les rues. Les participant·e·s appliquent ensuite la méthode sur des sujets qui, à mon sens, ont plus d’implications sociales (ici, je reprends l’exemple de reportages sur la médiatisation des grèves ; on peut choisir, suivant le public, un article sur le port du voile, la détention, les femmes au foyer, l’accès aux soins suivant les revenus, la prostitution, les salles de shoot, etc.)
Exemple 1 – Montpellier : le soir venu, c’est l’enfer sur la place Saint-Roch, Midi libre (9 mai 2013)
Dans un premier temps, je montre uniquement la photo de l’article et demande au groupe de décrire l’image, d’essayer de deviner le thème de l’article et d’en donner un titre possible – il va sans dire qu’il est préférable de ne mentionner ni le titre ni le sujet de l’article avant.
En général, les participant·e·s décrivent un groupe de personnes plutôt jeunes, qui discutent et qui semblent attendre quelque chose (une visite nocturne de la ville, ou l’ouverture de l’église pour un concert etc.).
Je leur montre ensuite le titre de l’article : Montpellier : le soir venu, c’est l’enfer sur la place Saint-Roch. Les personnes qui ignorent les problèmes récurrents entre riverain·e·s et fêtard·e·s à Montpellier ne saisissent toujours pas le thème de l’article. Donner des informations sur le contexte suscite en général des commentaires sur le décalage entre les mots choisis et l’image ; le doute (initial) sur la « réalité » du phénomène est semé et l’hypothèse d’un éventuel parti pris de l’article pour les riverain·e·s est exprimée.
Avant de leur faire lire le corps de l’article, je leur demande de faire la liste de toutes les personnes concernées par cette situation, liste notée au tableau :
- les riverains,
- les commerçants,
- les élus municipaux,
- les touristes,
- la police municipale,
- les services de nettoyage
- et… les gens qui viennent faire la fête (étonnamment, il faut souvent insister pour qu’on pense à les citer).
Nous lisons finalement l’article ensemble :
Un riverain a filmé les rassemblements improvisés sur le parvis de l’église, devenu lieu festif des noctambules.
Il est 2 h 30, dans la nuit du 8 au 9 mai. Une centaine de noceurs a décidé de poursuivre la fête sur le parvis de l’église Saint-Roch, comme c’est le cas chaque année, dès que les beaux jours arrivent. Comme chaque année, les poubelles servent de tam-tam, les djembés sont de sortie, l’alcool coule à flots, les émanations de substances interdites se diffusent et les riverains ne dorment plus.
Gilles Levy est l’un dentre eux. Il décide de profiter de ces longues heures sans sommeil pour immortaliser la scène. Le bilan est édifiant.
Gilles Levy, comme de nombreux habitants du lieu, ne fermeront pas l’oeil de la nuit. Pas plus que la suivante, ni celle de vendredi, encore moins celle de samedi. « C’est devenu une zone de non-droit, les gens défèquent à même le sol… J’ai des envies de meurtre au petit matin », avoue l’homme, excédé.
Informé de la situation, Georges Elnecave, patron de la police municipale, promet de déployer des agents plus tôt que prévu : « L’arrêté tranquillité publique est entré en vigueur le 6 mai. Nous devions surveiller, la nuit, les places Saint-Roch, Sainte-Anne et Candolle à compter du 21 mai mais, vu l’actualité, il y aura une voiture de police dès demain, à Saint-Roch. » Jusqu’à quelle heure ? « Jusqu’à 1 h du matin. Et si la fête continue, on adaptera la présence pour faire cesser le bruit. » De son côté, Jean-Marie Quiesse, du comité de quartier Saint-Roch-Écusson, multiplie les démarches avec les difficultés dues à ce long week-end de pont. « On ne peut pas tolérer plus longtemps cette situation »
Serge Fleurence, premier adjoint de la Ville, veut que cela cesse : « Je comprends l’exaspération des riverains et on ne peut pas tolérer plus longtemps cette situation. Jusqu’à 1 h du matin, c’est acceptable, pas au-delà. Nous avons le devoir de libérer la rue », soutient l’élu. Qui assure également agir en concertation avec la police nationale : « Montpellier est une ville jeune mais il y a des limites à ne pas dépasser. » Pour Gilles Levy et de nombreux habitants de Saint-Roch, elles le sont depuis bien longtemps.
A ce stade il est primordial, sous peine de partir dans un débat sur la légitimité de ce type de rassemblement, de recadrer la discussion : l’objectif de cette séance n’est pas de discuter du fond, mais de s’assurer que nous avons accès à tous les éléments pour se faire un avis. Une étape importante est déjà de savoir si un ou des groupes de personnes qui jouent un rôle important dans l’histoire ne sont pas représentés.
Nous relisons donc le document que j’ai projeté sur un tableau et nous repérons les gens qui s’expriment en cochant, dans la liste que nous avons faite au préalable, les catégories d’acteurs et d’actrices qui sont citées. Ici :
- les habitant·e·s (Gilles Lévy, Jean-Marie Quiesse),
- la police municipale (Georges Elnecave),
- les élus municipaux (Serge Fleurence).
On peut ensuite identifier des points de vue manquants : les commerçant·e·s, les touristes, les services de nettoyage et… les gens qui viennent faire la fête.
Si le temps me le permet, je reviens aussi rapidement sur les problèmes que peuvent causer les catégories « riverain·e·s », « élu·e·s », « commerçant·e·s » etc. puisqu’elles ne sont probablement pas homogènes (il existe probablement des riverains qui ne souffrent pas de la situation parce qu’ils sont sourds, ou qui sont ravis de faire la fête en bas de chez eux, ou qui travaillent la nuit et ne subissent pas le bruit etc.). J’embraye avec l’impossibilité technique d’être complètement objectif·ve : imaginons-nous journaliste, en charge d’écrire un article sur les rassemblements nocturnes place Saint-Roch. Comment s’assurer que nous avons recueilli les paroles de tout le monde, que nous avons cerné les nuances propres à chaque individu·e ? Comment retranscrire tout cela, dans un article d’une page ?
Il va nous falloir faire un tri. Suivant quels critères ? Qui les fixe ? Les lecteurs et lectrices du journal sauront-ils pourquoi j’ai fait ces choix ?
Finalement, j’explique pourquoi il me semble préférable qu’un média affiche et assume son parti-pris, plutôt que de revendiquer une certaine objectivité ou neutralité : tout·e journaliste doit choisir, par manque de temps et de place, de ne donner la parole qu’à une partie des acteurs et actrices du débat. Ce choix n’est pas neutre (quelle que soit la personne qui le fait). Si le média m’annonce d’où il parle et ce qui sous-tend ses choix, j’aurais déjà plus d’indices pour savoir où peut se glisser sa subjectivité et repérer plus facilement les tris sélectifs de point de vue.
Exemple 2 – Extrait de La route de la mort – Canal+ Afrique
Je projette ensuite l’extrait ci-dessous d’un reportage de Canal+ Afrique (23 janvier 2015) sur une nouvelle ligne de chemin de fer entre Yaoundé et Douala (Cameroun).
Il est fréquent – mais pas systématique – que les participant·e·s, dans un premier temps, trouvent ce document plutôt « neutre », « sans parti pris », « factuel ». Nous reformulons alors la thèse présentée pour introduire le sujet : il y a un problème – une route dangereuse entre deux villes très importantes du Cameroun – et la solution présentée est de relier ces deux villes par un train.
Ensuite, nous établissons une liste de personnes ou institutions potentiellement concernées par cette situation :
- les individus qui prennent la route dangereuse,
- les institutions en charge d’évaluer les bénéfices d’un mode de transport en terme de sécurité,
- les personnes qui vivaient ou travaillaient sur les terrains sur lesquels passe le train,
- le gouvernement,
- les entreprises en charge de la construction de la ligne,
- les entreprises dont le personnel a besoin de relier les deux villes,
- les personnes employées sur la ligne,
- etc.
Comme dans le premier exemple, on visionne à nouveau l’extrait pour repérer les points de vue manquants (en cochant donc dans la liste ceux qui sont présents). Les participant·e·s s’interrogent très rapidement sur l’absence des individus qui prenaient (et prennent peut-être toujours) la route dangereuse ou d’instances chargées d’étudier l’impact de la nouvelle ligne sur le nombre d’accidents. Impossible donc, à partir de cette vidéo, de se faire un avis sur la pertinence de la solution choisie en terme de « réduction du nombre de morts sur la route ». Certains font également le parallèle avec les micro-trottoirs : si toutes les personnes interrogées ont l’air ravies de cette nouvelle ligne, nous sommes peut-être face à un tri sélectif des données.
On me reproche souvent à ce stade d’avoir fait une démonstration à charge, puisqu’on ne visionne qu’un extrait très court du reportage – aurais-je fait un tri sélectif des données ? Je rappelle alors que l’objectif n’est pas de se faire un avis sur la qualité du reportage. Il s’agit d’un petit exercice pour apprendre une technique (applicable à l’ensemble du reportage si on en a le temps et l’envie) et pour justifier son intérêt : rappelons-nous qu’au départ, certaines personnes avaient le sentiment que l’extrait était plutôt « neutre ». Cet exercice rapide permet de comprendre où s’est glissée la subjectivité.
N.B. : j’ai extrait cette vidéo d’une émission d’Arrêt sur Image du 16 janvier 2015, intitulée Comment Canal+ Afrique vante les projets du patron Bolloré. Il y est notamment discuté du fait que le groupe Bolloré est à la fois propriétaire de Canal+ qui diffuse le documentaire et de Camrail, la société ferroviaire du Cameroun, sujet du documentaire.
Exemple 3 – Courts reportages sur des grèves au sein de SNCF
Je termine cette deuxième partie en proposant aux participant·e·s d’appliquer la même démarche que précédemment pour les deux reportages suivants, qui traitent chacun d’une grève au sein de SNCF :
Après avoir noté les différences de représentation des acteurs et actrices entre les deux documents, je lance la discussion sur le ressenti provoqué par chacune des deux vidéos.
Je saisis ensuite l’occasion pour décrire le travail de Denis Caroti sur le traitement médiatique d’une grève : cette fois encore, pour repérer un point de vue manquant ou minoritaire dans l’espace médiatique à une échelle globale, il est nécessaire de produire des études précises de quantification des prises de parole, sans quoi nous risquerions de céder à la validation subjective.
4ème étape – Chercher ailleurs l’expression des points de vue manquants
Une fois le constat fait que les points de vue ne sont pas tous représentés, que peut-on faire ? La discussion s’emballe souvent sur des sujets passionnants mais que nous n’avons, pour l’heure, pas le temps de traiter : la censure, le fait que certain·e·s n’ont jamais droit à la parole ou que les médias sont à la solde du pouvoir etc. Pour recadrer le débat, je le recentre donc sur la méthode : l’objectif de cette phase est de proposer des pistes de solutions pour pallier l’absence de certains points de vue. Or, si une attitude passive face aux médias nous expose à des tris sélectifs de point de vue, il nous reste la possibilité d’aller chercher les analyses et opinions manquantes. Souhaite-t-on accéder à la parole…
- …de détenus sur la détention ? Une partie d’entre eux s’expriment dans des ouvrages (par exemple Laurent Jacqua, Charlie Bauer ou Hafed Benotman) ou dans L’Envolée (revue écrite par et pour les détenus) ou sont relayés par des organismes comme le Genepi ou l’Observatoire International des Prisons. D’autres ont réussi à filmer la prison de l’intérieur. D’autres encore relaient la parole des familles de détenus.
- …de grévistes ? En général, leurs analyses et leurs revendications sont en ligne sur les sites des syndicats ou des partis politiques.
- …d’habitant·e·s d’un quartier dit sensible ? Certains d’entre eux ont choisi de répondre à un documentaire très stigmatisant d’Envoyé Spécial (La Villeneuve, le rêve brisé) par un autre documentaire (La Villeneuve, l’utopie malgré tout), diffusé sur la chaîne Public Sénat le samedi 17 octobre 2015 (à 22h).
- etc.
C’est l’occasion de revenir sur le fait que certaines paroles sont effectivement minoritaires, que nombre de groupes se voient très exposés dans les médias mais ont rarement accès à l’espace médiatique (les personnes migrantes, musulmanes, prostituées, détenues, pauvres, etc.). Pour autant, la plupart du temps, ces groupes ne sont pas censurés au sens propre du terme : ils ont le droit de s’exprimer et le font mais leur discours n’est pas ou peu relayé.
Pour finir, je dois bien avouer que cette solution n’est pas pleinement satisfaisante : ce travail d’enquête est chronophage si on le fait pour chaque sujet ; il est par ailleurs très difficile à réaliser lorsqu’il s’agit d’un sujet que l’on maîtrise mal ou pas du tout, ou qu’on ne parle pas la langue des principaux intéressé·e·s. S’il est impossible matériellement de le mettre en place systématiquement, il me semble néanmoins indispensable pour se faire un avis avant de faire des choix conséquents. Et avec un peu d’entraînement, on y passe un peu moins de temps.
5ème étape – Se confronter au point de vue manquant
Lorsque je montre les extraits de journaux télévisés sur les grèves (voir la 3ème étape), la discussion s’engage régulièrement sur une critique de principe sur ce mode de lutte. Depuis quelques temps, j’essaie toujours de garder un créneau pour cette dernière étape. Elle nécessite du temps puisque je projette une conférence (environ 25min) de M. Etiévent sur la vie d’Ambroise Croizat, vie rythmée par les grèves et les luttes sociales à l’origine d’un grand nombre de progrès sociaux dont nous bénéficions (encore) aujourd’hui.
Après le visionnage de cette conférence, je lance une discussion informelle autour des questions suivantes : « avons-nous déjà entendu parler de la grève sous cet angle ? », « quel(s) point(s) de vue manquant(s) ce document vient-il combler – un peu ? », « en quoi cela modifie-t-il – ou non – mon regard sur le principe de la grève ? » etc. Il arrive souvent que les avis évoluent : les participant·e·s se déclarent moins volontiers contre la grève par principe et commencent à chercher des critères pour évaluer si ce mode d’action est justifié dans un contexte donné. Ils finissent par conclure qu’il leur faudra donc se renseigner sur les motifs et le contexte d’une grève avant d’émettre un avis… ou de la suivre. Pour cela, il leur faudra probablement commencer par identifier les points de vue et analyses manquants puis aller les chercher…
N.B. : en relisant ce retour d’expérience, je repère une interprétation possible de ce texte que je souhaiterais éviter. S’il est essentiel de se confronter à l’ensemble des analyses des acteurs et actrices d’un débat, il s’agit d’une première étape qui en appelle d’autres. En rester là pourrait faire penser que tous les points de vue se valent. Pour y remédier, il faudra notamment évaluer la pertinence et la rigueur des documents.