couverture les mondes insurgés

Manuel d'histoire critique et altermanuel d'histoire contemporaine

Parution d’outils prometteurs : le manuel d’histoire critique, hors-série du Monde diplomatique, et Les Mondes insurgés, altermanuel d’histoire contemporaine, chez Vuibert ; deux tentatives de sortir des vulgates et autres romans nationaux si chers à Lorànt Deutsch et ses collègues narrateurs.

 Nous ne les avons pas encore lu, mais nous les avons commandés*, et avons écouté Benoît Bréville et Laurence de Cock, deux des co-auteurs des ouvrages, lors de l’émission La Fabrique de l’histoire, sur France Culture, le 19 septembre 2014, ici, ou bien ci-dessous.

Télécharger pour se ballado-cultiver

Avec ces ouvrage, le Monde Diplomatique s’attaque aux idées reçues sur le passé (1830-2010).

Présentation :

Visage de Benoît Bréville
Benoît Bréville

Les Français se passionnent pour l’histoire. Mais laquelle ? Les médias en proposent une version superficielle et conservatrice, où foisonnent les images d’Epinal et les grands hommes. Dans les manuels scolaires, chiffres, dates et traités défilent comme les noms d’un annuaire.

Le Monde diplomatique a conçu un contre-manuel accessible, critique et exigeant. Une équipe d’universitaires, de journalistes et de professeurs d’histoire-géographie y retrace l’évolution du monde de la révolution industrielle à nos jours : grands événements, transformations sociales, débats intellectuels, découvertes scientifiques…

Ce contre-manuel ne se contente pas d’énoncer des faits : il les explique, les compare, les met en perspective. Il souligne les résistances et les jeux d’influence. Le propos s’adosse à une cartographie originale ainsi qu’à une iconographie qui privilégie le travail des artistes plutôt que des images convenues.

Parce que le passé est une construction qui varie suivant les pays et les configurations politiques, Le Monde diplomatique a également sélectionné de nombreux extraits de manuels scolaires étrangers (chinois, algérien, israélien, etc.).

visage de Laurence de Cock
Laurence de Cock

Cet ouvrage s’adresse aux enseignants, aux lycéens, aux étudiants. Et surtout à tous

ceux qui veulent que l’histoire ne soit pas le musée de l’ordre, mais la science du changement.

Pour aller plus loin :

* Au jour du 30 septembre 2014, RM a reçu le Manuel critique. Pour l’instant, 20 pages lues, c’est remarquable.

Bip Bip va à l'école

Rentrée 2014 sur les chapeaux de roue

C’est une rentrée 2014 sur les chapeaux de roue* pour le CorteX. Notre équipe grandit, nos cours s’étoffent, les outils critiques se répandent, des conférences gesticulent, des livres paraissent et nos fonds documentaires voient nos étagères crouler. Et ça nous fait plaisir !  Vous aussi, vous enseignez l’esprit critique ? Ecrivez-nous.

Nos enseignements pour l’année 2014-2015 (pour plus de détails, voir l’agenda en page d’accueil).

Quelques sigles :  IEP = Institut d’études politiques ; UJF = Université Joseph Fourier ; UPMF = Université Pierre Mendès-France ; UIAD = Université Inter-Âges du Dauphiné ; DFI = service Doctoral pour la Formation, l’Initiation et l’insertion professionnelles de l’Université de Grenoble ; PAF = Plan Académique de Formation ; UTL = Université du Temps Libre d’Aix-Marseille ; PACA = Provence Alpes Côte d’Azur ; CIMES = Cellule d’initiation aux métiers de l’enseignement supérieur (Tours) ; CPMEC = Centre de préparation au métier d’enseignant-Chercheur (Poitiers) ; DAFPEN = Délégation académique à la formation continue des personnels enseignants, d’éducation et d’orientation ; ENIB = École nationale d’ingénieurs de Brest.

Grenoble

Cours réguliers

Permanences régulières

  • Bibliothèque des sciences : les mercredi de 14 à 17h
  • Ecole de Masso-kinésithérapie : horaires variables, contacter Nicolas Pinsault (NPinsault@chu-grenoble.fr)

Stages et interventions ponctuelles

  • NOUVEAU Deux stages doctoraux (DFI) « Science sans conscience », par Guillaume Guidon, Nicolas  Pinsault, Clara Egger et Richard Monvoisin.
  • Deux stages doctoraux (DFI) « Médias et pseudo-sciences », par Guillemette Reviron.
  • Deux stages doctoraux (DFI) « Zététique et enseignement de l’esprit critique », par Richard Monvoisin.
  • Formation pour enseignants du secondaire (PAF) « Sciences et esprit critiqu e», par Denis Caroti.
  • Deux cours, « Introduction à la zététique et à l’esprit critique en biologie », « Le concept d’évolution et quelques manières idéologiques de le malmener », par Julien Peccoud (UJF module : « Questions d’actualité en biologie »).
  • Atelier «Autodéfense intellectuelle» dans Collège/Lycée, par Ismaël Benslimane (précisions à venir).

Marseille

Cours réguliers

Stages et interventions ponctuelles

  • Atelier «Zététique et Autodéfense intellectuelle» par Denis Caroti au collège Stéphane Mallarmé.
  • Conférences «Sciences, esprit critique et autodéfense intellectuelle », par Denis Caroti et invités surprise, dans plusieurs lycées de la région PACA (liste à venir).
  • Ateliers «Sciences et esprit critique» par Denis Caroti au Lycée Auguste & Louis Lumière (La Ciotat) et au Lycée Vaison-la-Romaine.
  • Formation «Sciences et pseudosciences» (PAF).

Montpellier

Cours réguliers

  • Cours « Esprit critique & autodéfense intellectuelle » de Guillemette Reviron (UM2).
  • Atelier « Critique des médias» par Guillemette Reviron. Maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Magelone.

Permanence régulière

Le jeudi de 13h30 à 16h30, bureau CORTECS (Maison des Etudiants, UM2)

Stages et interventions ponctuelles

  • Formations d’Intiative Locale « Sciences et esprit critique » par Guillemette Reviron en collèges et lycées de l’académie de Montpellier.
  • Formation pour enseignants du secondaire «Médias, pseudosciences et esprit critique» par Guillemette Reviron. DAFPEN.
  • Stage collège Doctoral (UM2) « Médias et pseudo-sciences » par Guillemette Reviron.

La Rochelle

  • Séminaire doctoral (CIMES-CPMEC) « Zététique & esprit critique », par Richard Monvoisin.

Brest

  • Stage «Zététique et esprit critique » par Guillemette Reviron, Richard Monvoisin et Delphine Toquet (ENIB).

* Cette expression est tout à fait cocasse. les chapeaux de roue sont, bien entendu les enjoliveurs des roues de voiture. Or les roues de voiture restent verticales dans les virage. La référence serait-elle la roue des motos, qui elle, se penche ? Peu probable, puisque les roues de motos n’ont pas d’enjoliveurs…

Couverture du livre Le crépuscule d'une idole de M. Onfray

Psychologie, philosophie – L'illusion freudienne, par Michel Onfray

Cycle d’émissions « L’illusion freudienne », par Michel Onfray.
Derrière le mot psy se cache un certain nombre de réalités très différentes, et on comprend d’autant mieux l’historicité et la récence des disciplines scientifiques quand on prend conscience qu’un édifice comme la psychanalyse truste encore une place que sa scientificité n’explique pas (en philo de terminale, dans les premières années de licence psychologie ou dans les études d’éducation spécialisée ou d’infirmerie).

Que la psychanalyse et son attirail d’outils soient attrayants, certes. Qu’ils permettent une introspection personnelle, pourquoi pas. Que la cure psychanalytique par contre prétende à une efficacité thérapeutique largement surestimée est déjà un problème. Que les preuves de ce manque d’inefficacité soient enterrées sous le tapis par un ministre (Douste-Blazy et le rapport Inserm) pose des questions.
Mais surtout, surtout : que le corpus de preuves sur lequel se bâtit la psychanalyse freudienne soit si pauvre, les faits si bidonnés, les guérisons sinon inventées du moins « gonflées », que la théorie soit irréfutable au sens de Popper, que sa grille d’analyse soit fortement sexiste, homophobe, et dépolitisante – c’est-à-dire cette tendance à imputer le mal-être de quelqu’un à l’étiologie sexuelle des névroses et à des perturbations refoulées dans la petite enfance, alors qu’il s’agit souvent d’un contexte social violent -, autant de points qui font de la psychanalyse freudienne un excellent sujet d’étude de pseudoscience.
On connaît les attaques classiques envers les critiques de la psychanalyse (déni, antisémitisme, etc.) (1). Qu’une chose soit bien claire : si Freud était Breton, ou Moldave, la critique serait la même, et si la psychanalyse était réellement efficace à la hauteur de la place qu’elle usurpe, on le dirait. Les critiques sont nombreuses, la bibliographie critique commence à être dense, et la netographie outillée (voir par exemple leCorteX_Michel_Onfray site « Mythes Freudiens » de notre ami Jean-Louis Racca). Mais il est un exercice réalisé par Michel Onfray en 2009-2010, dans la ligne de son ouvrage « Le crépuscule d’une idôle » qui offre une bel outil pédagogique : le cycle de conférences « Illusion freudienne » dans le cadre de l’Université populaire de Caen, et diffusé sur France Culture, en 25 épisodes. C’est d’autant plus intéressant à écouter qu’un certain nombre de demandes d’annulation de ce cycle arrivèrent sur France Culture, ce qui valut à la radio de se fendre d’un courrier. Téléchargeables pour les écouter en ballade, en voiture, ou en faisant du sport (certaines anecdotes sont tellement énervantes que c’est propice à la performance). Merci à M. Onfray pour ce travail d’orfèvrerie intellectuelle.

Il est possible d’acheter ces émissions dans les volumes 15 et 16 de la Contre-Histoire de la philosophie, consacré à Freud.

1. Une exégèse du corps freudien (26 juillet 2010)

 
2. Déni soit qui mal y pense (27 juillet 2010)

3. Le conquistador et les philosophes (28 juillet 2010)

4. Autobiographie philosophique (29 juillet 2010)

5. Questions-réponses (1) (30 juillet 2010)

7. Une vie sous le signe d’Oedipe (3 août 2010)

8. Un mythe scientifique (4 août 2010)

9. Un labyrinthe thérapeutique (5 août 2010)

10. Questions-réponses (2) (6 août 2010)

12. Inconscient et déni du corps (10 août 2010)

13. Un monde de causalités magiques (11 août 2010)

14. Les ressorts du divan (12 août 2010)

15. Questions-réponses (3) (13 août 2010)

16. L’affabulation freudienne (1) (16 août 2010)

17. L’affabulation freudienne (2) (17 août 2010)

18. Un verrouillage sophistique (18 août 2010)

19. Un pessimisme ontologique radical (19 août 2010)

20. Questions-réponses (4) (20 août 2010)

21. Masturbation, femmes, petites filles (23 août 2010)

22. Dolfuss, Mussolini, politique (24 août 2010)

23. Les raisons d’un succès (1) (25 août 2010)

24. Les raisons d’un succès (2) (26 août 2010)

25. Pour une psychanalyse non freudienne (27 août 2010)

Richard Monvoisin

[1] Pour approfondir les trames argumentatives développées envers les critiques de la psychanalyse, l’article de Jacques Van Rillaer : Analyse d’affirmations d’Élisabeth Roudinesco dans Mais pourquoi tant de haine ?.

Atelier Cinéma et stéréotypes : Analyse de la représentation de l’Autre dans les films Disney à travers l’exemple d’Aladdin

Dans le cadre d’un atelier doctoral sur l’interaction entre sciences politiques et fictions réalisé à l’Université de Grenoble, Andréa Rando-Martin, doctorante en lettres au Centre de Recherche sur l’Imaginaire a élaboré une séquence éducative sur la normativité et le racisme latent dans l’une des oeuvres des studios Walt Disney, Aladdin. Cette séquence est remarquable d’adaptabiliité : elle est aisément utilisable dans le secondaire, peut être simplifiée pour des primaires, et se complexifie rapidement pour un public du supérieur, faisant lien avec cet autre atelier de Djamel Hadbi, Atelier Cinéma & stéréotypes : les Arabes, souffre-douleur du cinéma.

Cette analyse ne se prétend pas exhaustive : si Aladdin pourrait faire l’objet d’une étude longue et précise, je vais plutôt essayer de créer ici une « séquence » qui pourrait être montrée aux étudiants tout en leur laissant le temps de débattre et de formuler leurs propres analyses, exercice impossible si j’essaie de prendre en compte tous les éléments du film. Plutôt que tenter de faire le maximum d’analyses et de les présenter l’une après l’autre sans réelle ligne directrice, il m’a semblé préférable de poursuivre une même analyse (restreinte) appliquée à Aladdin. Ce long-métrage, produit en 1992 et considéré comme un des grands classiques d’animation Disney, est le premier dont le héros est un homme et le second où le personnage principal n’est pas « de type européen » (le premier est Mowgli du Livre de la Jungle, sorti en 1967), il sera suivi par Pocahontas (1995), Mulan (1998), Kuzko l’Empereur mégalo (2001), Lilo et Stitch (2002), Frère des Ours (2003) et La Princesse et la Grenouille (2009). Souvent taxée d’ethnocentrisme, parfois de racisme12, l’oeuvre globale des studios Disney est un exemple intéressant d’une façon de représenter l’ « Autre » dans un long-métrage.

Dans Aladdin, si Agrabah se situe dans un temps et un espace qu’il est impossible de restituer, Aladdin3 est considéré comme étant de nationalité arabe4. Cependant, afin de créer la ville d’Agrabah, les dessinateurs de Disney ont étudié l’écriture arabe, des miniatures persanes et des villes afghanes et iraniennes. Sur le site Wikipedia on lit en anglais :

For the scenery design, layout supervisor Rasoul Azadani took many pictures of his hometown of Isfahan, Iran for guidance.5 Other inspirations for design were Disney’s animated films from the 1940s and 50s and the 1940 film The Thief of Bagdad.6

Et d’après l’article français:

 Les directeurs artistiques ont pris comme sources les enluminures perses et la calligraphie arabe7

La diversité des sources d’inspiration utilisées pour dessiner Aladdin montre deux choses : d’une part une représentation qui se fonde sur un imaginaire de l’exotisme tiré par exemple des Mille et une nuits (Xe siècle, mais figés par l’écrit au XIIIe siècle seulement), d’autre part l’absence de distinction et la confusion de deux cultures totalement différentes : la culture perse et la culture arabe. Cependant, cette confusion semble volontaire, puisqu’il y a un véritable travail de documentation de la part du studio. Plutôt qu’une méconnaissance des cultures arabe et perse, on peut émettre l’hypothèse qu’il s’agit d’une construction volontaire d’un monde qui répondrait aux critères des pays capitalisto-judéo-chrétiens8 » de l’exotisme et qui mélangerait alors les différentes cultures. Il s’agira alors de montrer comment les héros (Aladdin et Jasmine) sont d’abord distingués des autres personnages et comment cette distinction sert à marquer à la fois leur supériorité par rapport aux autres et leur proximité avec le spectateur « occidental », disons, eurocaucasien.

1. Les femmes et Jasmine

Si l’on relève le nombre de femmes dans Aladdin9 et qu’on les classe en fonction de leurs vêtements (qui est un moyen de représentation de la femme arabe) on peut distinguer quatre catégories : les femmes au visage voilé, les femmes avec le visage découvert mais un voile sur les cheveux, les femmes sans voile et les femmes « courtisanes » ou « danseuses du ventre » (Jasmine n’est pas incluse dans ce décompte).

Documents à présenter aux étudiants:

Tableau récapitulatif des apparitions de femmes dans Aladdin

Femme au visage voilé Femme aux cheveux voilés Femme non voilée Courtisane, danseuse du ventre
29 8 3 24

 Les représentations de femmes voilées et non voilées:

Aladdin femmes 2

–> Question : quelles remarques peut-on faire à partir de ces données et images ?

On peut constater dans un premier temps que la femme arabe est avant tout représentée voilée (cheveux et/ou visage) mais que le nombre de femmes voilées n’est que très légèrement supérieur au nombre de celles que j’ai appelé « courtisanes » ou « danseuses du ventre »

aladdin courtisanes
Représentation des courtisanes ou danseuses du ventre

et qui sont en fait les trois femmes du harem, les trois danseuses créées par le Génie, les trois femmes assises à côté du Prince Ali sur l’éléphant, les femmes sur le char des paons et les nombreuses danseuses du cortège. Si j’ai classé toutes ces femmes dans la même catégorie, c’est parce qu’elles portent, en dépit de leurs fonctions très différentes, des vêtements extrêmement similaires. Elles ont toutes une sorte de brassière destinée à souligner la poitrine, des vêtements de couleur rose ou violette (qui tranchent nettement avec les couleurs moins vives portées par les autres personnages féminins) et (dans le cas des danseuses uniquement) elles sont vêtues de pantalons (ou jupes) transparents. La part érotique de l’imaginaire exotique lié à la femme arabe est donc largement représentée dans Aladdin et permet de comprendre le choix du costume de Jasmine : très similaire aux vêtements des courtisanes, il vient ici érotiser l’héroïne et la démarquer très nettement des autres femmes arabes (cf l’image « femmes voilées et non voilées).

aladdin femmes

Attention cependant : Jasmine n’est absolument pas associée aux courtisanes, et on peut le constater en comparant deux scènes, qu’il serait intéressant de montrer aux étudiants pour nuancer la première remarque :

Vidéo 1:

Vidéo 2:

Que montre la première vidéo et que les étudiants pourront remarquer ? Le fait que ces femmes soient séduites par l’apparence (« and I absolutely love the way he dresses »10 disent-elles avant de s’évanouir dans les bras du Génie) et la démonstration de puissance et de richesse du Prince Ali alors que Jasmine montre clairement son désintérêt (elle quitte le balcon avant la fin du défilé) et son agacement.

Dans la seconde vidéo, les mêmes femmes méprisent Aladdin (« Aladdin’s hit the bottom 11» ) et se détournent à tour de rôle quand il s’adresse à elles. Au contraire, c’est quand Aladdin n’est encore qu’un « street rat 12»  que Jasmine est séduite.

Conclusion : si Jasmine a le même potentiel érotique que les femmes du harem, elle est montrée comme supérieure du point de vue moral, puisqu’elle est capable de discerner la valeur d’Aladdin, celle dont parle le marchand au début du film, lorsqu’il présente la lampe :

Do not be fooled by its commonplace appearance. Like so many things, it is not what is outside, but what is inside that counts. This is no ordinary lamp! It once changed the course of a young man’s life. A young man who liked this lamp was more than what he seemed. A diamond in the rough.13

2. Les voleurs dans Aladdin

Dès les premières minutes du documentaire Reel Bad Arabs : How Hollywood vilifies a people, Jack Shaheen, spécialiste de cinéma, affirme que:

All aspects of our country project the Arabs as villain (2:37)14 (voir note 3).

2.1. Représentation des voleurs

Aladdin est présenté, lors de sa première apparition, en train de fuir les gardes du sultan.

Le pain dans sa main est un pain volé : Aladdin est donc, dès son entrée dans le film, clairement représenté comme un voleur. Et il n’est pas le seul : dans les premières minutes du film apparaît un bandit, Gazeem, engagé par Jafar.

Cependant, ces deux voleurs sont représentés de façons totalement différentes. Si Aladdin est le héros du film, Gazeem est tué dès le début, englouti par la caverne aux merveilles.

aladdin gazeem

[Montrer deux images de voleurs, l’une d’Aladdin, l’autre de Gazeem, demander quelles sont les différences notables]

Voici les descriptions d’Aladdin et Gazeem dans leur fiche Disney respective :

Gazeem : d’après le wiki Disney il est « short, obese, mustachioed, wears worn down clothes 15».

Aladdin, toujours d’après le wiki Disney, est « slender, handsome, slightly muscular, medium skin, black hair, brown eyes, thick black eyebrows 16».

Le seul point commun entre les deux personnages pourrait être les vêtements, des guenilles. Gazeem porte des vêtements sales, en lambeaux. Aladdin lui, a un pantalon rapiécé mais juste en un endroit et ses vêtements n’en restent pas moins très propres (le pantalon est blanc) et en parfait état. Les vêtements d’Aladdin sont surtout là pour mettre en valeur sa musculature.

Si le visage de Gazeem est composé de traits caricaturaux qui se retrouvent dans d’autres exemples de représentations arabes (cf. Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally et produit par Media Education Foundation en 2006) le visage d’Aladdin, lui, a été réalisé en partie sur le modèle de Mickaël J. Fox puis, étant jugé trop enfantin, a été refait sur le visage de Tom Cruise

 At first, though, Keane’s character sketches looked boyishly cute, rather like Michael J. Fox in Back to the Future. The refrain in story meetings became,  »What does Jasmine see in him? » To hunk Aladdin up, the directors offed his shirt and upped his age from mid- to late teens. Keane also took Katzenberg’s suggestion that he study Tom Cruise movies.  »There’s a confidence with all of his attitudes and his poses, » says Keane. Photos highlighting Cruise’s eyebrows and straight-off-the-forehead nose, as well as shots of male Calvin Klein models, adorned the artists’ bulletin boards for months, and Keane even used rap star Hammer’s movements for inspiration, distilling their « total exuberance. » 17

La différence est là : que l’on veuille qu’Aladdin soit « boyishly cute » ou plus mature et séduisant, c’est sur un canon de beauté étasunien que se basent les dessinateurs. Le visage de l’Autre devient alors le visage du spectateur et Aladdin peut être le héros du film.

De la même façon Jasmine a été dessinée à partir du visage de Jennifer Connelly, actrice étasunienne.

Jennifer-Connelly-Jasmine

et de la sœur de Mark Henn (responsable de l’animation de Jasmine).

beth jasmine

Revenons aux remarques précédentes concernant Jasmine : sa tenue correspond à un stéréotype fantasmagorique de l’ « orientale », mais, en faisant correspondre Jasmine à des canons de beauté qui sont aussi familiers à leurs spectateurs, Disney s’assure de l’attractivité de son héroïne, ce qu’on peut voir même dans les commentaires de certains fans : « Jasmín, inicialmente tenía un toque más exótico. Sin embargo, creo que el diseño final es el perfecto: una mezcla árabe-caucásica, jajajaja.18 »

 2.2. Vol et morale

Le vol étant moralement condamné, il semble contradictoire de voir le héros, dans sa première apparition à l’écran, dans le rôle du voleur. Il s’agit là d’amener l’étudiant à analyser la façon dont les vols d’Aladdin sont dépourvus de jugements négatifs. En fait, Aladdin vole, certes, mais par nécessité : ses vols sont liés à la nourriture (première apparition, un pain à la main ; chaque fois qu’on lui reproche son vol pendant la chanson One jump ahead, sa réponse est liée à la nourriture) :

“I’ll have your hands for a trophy, street rat! // All this for a loaf of bread?19« 

“Riffraff! Street rat! Scoundrel! Take that! // Just a little snack, guys!20

“Oh, it’s sad Aladdin’s hit the bottom. He’s become a one-man rise in crime. I’d blame parents, except he hasn’t got ’em!//Gotta eat to live,gotta steal to eat, Tell you all about it when I got the time!21

Gotta eat to live, gotta steal to eat, Otherwise we’d get along! //-WRONG!22

et sa nécessité est soulignée par le raisonnement répété deux fois “gotta eat to live, gotta steal to eat23” et par le fait que le vol est toujours limité au strict nécessaire:

La cupidité du voleur, que l’on trouve chez Gazeem, « Ah, ah, ahhh! The treasure! » et qui n’a pas de limite morale (Gazeem est un meutrier « I had to slit a few throats but I got it 24») ne se retrouve pas chez Aladdin.

Le pain, alors même qu’il a été présenté comme de première nécessité (ce qui explique aussi pourquoi Aladdin risque sa vie pour le garder) est donné sans hésiter aux enfants de rue. Il n’y a donc pas de paradoxe entre les derniers mots de Jafar « I must find this one, this…diamond in the rough 25» et la première apparition d’Aladdin : la scène de la poursuite permet surtout de porter à son paroxysme la générosité du don et la bonté d’Aladdin. Quant à la cupidité liée au personnage du voleur, elle est en fait transférée sur le singe Abu.

Remarques : Abu ne pouvant contrôler sa cupidité, c’est Aladdin qui le réprimande. Si ce dernier admire les richesses dans la Caverne aux Merveilles, il ne songe pas un instant à transgresser l’avertissement de la Caverne et à s’en emparer.

La valorisation d’Aladdin passe également par la dévalorisation du système judiciaire :

Remarques : le marchand ne prétend pas appliquer sa propre loi, il ne dit pas à Jasmine « sais-tu ce que je fais aux voleurs ? » mais « do you know what the penalty is for stealing ?26 » Il se place donc du point de vue de la loi (même s’il l’applique lui-même) et son action trouve écho dans la phrase de Razoul, le capitaine des gardes, qui crie à Aladdin lorsqu’il le poursuit : « I’ll have your hands for a trophy, street rat! »

La justice est représentée comme violente, disproportionnée (une main pour une pomme ou un pain) et moralement injuste (grâce à la scène dans laquelle Jasmine donne une pomme à l’enfant affamé), tout comme la loi. La scène qui oblige Jasmine à épouser un prince par exemple est qualifiée d’injuste à plusieurs reprises par Jasmine :

Dans la scène du jardin : (le sultan) « the law says you must be married to a prince.By your next birthday.27 »// (Jasmine) « The law is wrong. 28»

Dans la scène finale (Jasmine) “Oh, that stupid law. This isn’t fair29.”

Et même le sultan: « That’s right. You’ve certainly proven your worth as far as I’m concerned. It’s that law that’s the problem.30

En présentant un monde où la loi et la justice sont cruelles et injustes, le film Aladdin justifie les vols et les délits commis par son héros. Il n’est cependant pas nécessaire d’opérer une tell justification pour son personnage principal féminin Jasmine, malgré l’épisode de la pomme, parce que Jasmine donne le fruit à l’enfant sans même savoir qu’il faut payer pour en avoir, tandis que quand Aladdin vole, il connaît les conséquences de son geste. Le comportement du jeune homme était donc plus difficile à justifier moralement, d’autant plus que ses vols sont récurrents tandis que dans le cas de Jasmine, il ne s’agit que d’un épisode ponctuel.

En marge du système judiciaire, Aladdin est aussi en marge de la société :

Remarques : Aladdin se différencie des autres personnages qui se moquent de lui ou le rejettent (comme les femmes du harem).

Résumons. Aladdin est hors de la structure familiale (orphelin) et hors de la société. Il se démarque donc clairement des autres et peut ainsi revendiquer son statut de héros. C’est parce qu’il est différent qu’il est le seul à pouvoir accéder à la Caverne aux Merveilles et à s’élever au-dessus de sa condition.

Conclusion: pour lier Aladdin et Jasmine au spectateur, Disney joue sur les contrastes entre des représentations clichées des personnages secondaires (les femmes du harem, le méchant voleur…), représentations habituelles du cinéma américain, et le caractère exceptionnel des deux personnages principales qui, tant physiquement que moralement, se détachent des autres. Aladdin et Jasmine ressemblent plus au spectateur (étasunien) que les autres personnages, ce qui leur permet de s’identifier davantage. De plus, Aladdin transgresse les codes de ce qui est représenté comme étant la société arabe et il en est valorisé moralement et socialement (puisqu’il devient héritier du trône). Le spectateur s’attache donc d‘abord à ce personnage et dénigrera la société qui le rejetait.

 Andréa Rando-Martin

Réalisé dans le cadre des ateliers du DFI, service Doctoral pour la Formation, l’Initiation et l’insertion professionnelles de l’Université de Grenoble. Encadrement R. Monvoisin, C. Egger

Atelier Cinéma & stéréotypes : les Arabes, souffre-douleur du cinéma

Dans le cadre d’un atelier doctoral sur l’interaction entre sciences politiques et fictions réalisé à l’Université de Grenoble, Djamel Hadbi, doctorant en génie électrique nous propose une séquence éducative recoupant trois idées-force : la manufacture du consentement, la fabrication de la discrimination, et le rôle des médias, tout cela sous  la forme d’un débat entrecoupé d’un documentaire fractionné, Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally.

1. Pourquoi ce thème

L’objet de notre travail de recherche était le suivant : comment le cinéma est parfois utilisé à des fins politiques parfois moralement justifiables.

À ce titre, nous avons lu un certain nombre d’articles et visionné des documentaires et des séries, ainsi que bon nombre de blogs où des journalistes indépendants et des sociologues  expliquent les étapes d’une propagande pour justifier une guerre, et confèrent au cinéma un certain rôle. Pour ne citer qu’un article, voici celui de Nicolas Mettelet, Le cinéma : un outil de propagande pour faire accepter la guerre, dans Les cahiers de psychologie politique, numéro 12, Janvier 2008, ici). 

Sans revenir sur toutes ces étapes, mais je vais me concentrer sur ce qui nous intéresse : le mariage douteux du cinéma et de la politique et l’un des fruits de ce mariage : la diabolisation de l’ennemi. Le travail de diabolisation d’une population est une tâche de longue durée, qui possède différents niveaux ; au départ, ce ne sont que des stéréotypes, de type essentialiste (voir ici, ou ) qu’on relaye au cinéma de façon secondaire, puis ces stéréotypes prennent le pas sur la réalité, et figent une représentation de ce groupe social illusoire, généralement raciste. Enfin, lorsqu’on s’apprête à faire la guerre contre ladite population, on passe à la vitesse supérieure, et s’y entremêlent le mensonge, la calomnie pour affubler cette population d’une sorte de crime originel.

2. Support choisi et public

CorteX_Reel-bad-Arabs_mixChaque période et chaque région a semble-t-il sa population « souffre-douleur ». Il semble que dans les sociétés capitalisto-judéo-chrétiennes, la population Arabe soit l’un des souffre-douleur favoris des sociétés capitalisto-judéo-chrétiennes. En effet, sont mélangées dans les représentations populaires, les Arabes, les Musulmans, les Maghrébins, et les « Islamistes », dans un écheveau bien enchevêtré. Sans entrer dans le détail, rappelons d’emblée quelques faits :  

– tous les Arabes ne sont pas Musulmans

– une majorité de Musulmans ne sont pas Arabes ni Maghrébins (mais Indonésiens)

– tous les habitants du Maghreb et du Proche-Orient ne sont pas Arabes, ni locuteurs de l’arabe (Perses d’Iran, Kabyles, Touaregs, etc.)

– « Islamiste » est une notion fort imprécise. Si l’on entend par fondamentalistes du livre, ils ne sont qu’une portion ultraminoritaire, dans quelque groupe que ce soit.

Arabe est donc un mot à effet paillasson, sur lequel même les spécialistes ont du mal à s’entendre. En effet, sur le plan généalogique, serait Arabe celui ou celle qui situe certains de ses ancêtres dans l’une des tribus d’Arabie (définition médiévale, que l’on doit entre autres à Ibn Khaldûn1). Sur le plan national, serait Arabe l’habitant d’un des vingt-deux pays membres de la Ligue arabe – ce qui exclut une partie de la diaspora et phagocyte des minorités linguistiques (Coptes, Kabyles, Syriaques, Berbères, etc.). Sur le plan linguistique enfin, serait Arabe une personne dont la langue maternelle est l’arabe. Cela inclut les locuteurs des parlers locaux, appelés arabes dialectaux, qui ne se comprennent pas toujours entre eux.

Il est donc prévisible que, dans un tel flou scientifique, les stéréotypes aillent bon train, et alimentent un mélange d’Islamo-arabophobie.

Lorsque j’ai commencé à chercher des exemples de cette propagande, je me suis dirigé vers les grosses productions de films d’action d’Hollywood. En cherchant de façon plus approfondie, je me suis rendu compte que la propagande la plus insidieuse qui soit est celle qui passe pas des histoires où ce sont les sentiments et les passions qui sont manipulées. 

CorteX_Reel-bad-Arabs_Shaheen_DVDLe corps du matériel pédagogique est le documentaire Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally et produit par Media Education Foundation en 2006. De toutes les séquences que j’ai visionnées, c’est le support le plus synthétique et le plus éloquent que j’ai trouvé. Il reprend pratiquement tous les stéréotypes, et son auteur a fait un travail profond. Il ne s’arrête pas aux séquences mais fait un travail d’investigation sur les personnes qui sont derrières ces films et le contexte historico-critique associé, ce qui permet de bien voir les évolutions de l’image de l’Arabe selon la période.

La première partie du documentaire montre l’image stéréotypale de l’Arabe avant la Deuxième Guerre Mondiale, décrypté par le spécialiste de la question, Jack G. Shaheen, professeur émérite de communication de masse à la Southern Illinois University Edwardsville (EU).

[Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x8rkn2_hollywood-et-les-arabes-1-3_news]

La deuxième et troisième partie abordent l »image des Arabes après la Deuxième Guerre Mondiale.

[Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x84lcr_hollywood-et-les-arabes-2-3_news]

Ce documentaire fut notre source principale, et mérite pratiquement une diffusion in extenso.

3. Enchainement de la séquence

Nous encourageons à une démarche socioconstructive basée sur le débat et la construction du savoir grâce aux apports des camarades et sous forme de débat argumenté.

Nous recommandons de commencer par la diffusion d’un extrait de film hollywoodien dénigrant les Arabes de façon complètement insensée : ainsi en est-il de Retour vers le futur  (Back to the Future) de Robert Zemeckis (1985) (sous les traits de fanatiques Lybiens, et ce gratuitement, puisque cela ne concourt en rien à l’intrigue !).

Télécharger ici.

On peut faire le choix de diffuser d’abord l’extrait sans le son, puis avec, et stimuler la réflexion générale : qu’est ce qui attire votre attention, vous choque ? En amenant progressivement à la question suivante : que font des « terroristes » Libyens (Arabes sur le plan national et linguistique) dans un film de science-fiction aux Etats-Unis ?

Ensuite, élargissons la gamme stéréotypale avec Gladiator, de Ridley Scott (1999). Télécharger ici.

Par une maïeutique socratique, amenons le questionnement légitime : que fait une caravane de vendeurs d’esclaves arabes en plein territoire romain ?

Exemple qui semble plus innocent : l’image de l’Arabe barbare est fortement appuyée dans Aladdin, des studios Walt Disney (1992) – dans lequel le héros, lui, est typé eurocaucasien. Télécharger ici.

Enfin, nous vous suggérons également des extraits du film L’enfer du devoir (Rules of engagement) de William Friedkin, sorti en 2000, qui pousse la caricature loin, en faisant des Marines des victimes en situation de défense au Yémen, et tendant à justifier ainsi le  meurtre et l’agression d’enfants. Télécharger là

 

4. Public et déroulement recommandé

La séquence s’adapte bien à des élèves de lycée ou dans le supérieur,  avec une diversité socio-culturelle de préférence. L’introduction à la complexité de la définition d’Arabe sera à placer avant, pendant ou après les séquences vidéos, selon que votre public est non-arabe, mixé ou majoritairement arabe. Ainsi, si le public est complètement naïf de la question « arabe », une introduction sur ce thème éclaircira les idées. Si par contre cette séquence se déroule en France avec des Français se revendiquant Arabes, ou des Arabes en pays « arabe », il sera tout indiqué d’attendre la fin pour complexifier une question que votre public pensait être acquise (de la même façon qu’on peut questionner l’identité nationale de tout pays, depuis le Français aux racines gauloises, inventée à la fin du XIXe siècle, au Magyar descendant des Huns, thèse ouraniste construite par le parti nationaliste Hongrois Jobbik, en passant par le Juif, notion au moins aussi floue qu’Arabe et élégament décryptée par Sholomo Sand dans Comment le peuple juif fut inventé (Fayard, 2008).

  • Parler des guerres en général, comment on les justifie et comment on pCorteX_Reel-bad-Arabs_bugs_bunnyrépare l’opinion ça (voir à ce propos la séquence de C. Egger & R. Monvoisin sur la propagande de guerre).

  • Lancer les extraits pour mCorteX_Arabe_Aladinontrer des exemples et susciter le débat, éventuellement permettre à l’audience d’interrompre la projection pour commenter, vu que le degré de propagande n’est pas le même ante et post-Deuxième Guerre Mondiale. Il y aura forcément une réaction différente, selon l’ancienneté des films.

  • Projeter le dernier extrait flagrant qui montre la manipulation des esprits  en passant le message: les armées d’occupation en Irak, en Afganistan et ailleurs dans le monde sont des gentils et sont en auto défense. A ce propos, nous ne pouvons que recommander les ouvrages de décryptage majeurs que sont la manufacture du consentement, de Noam Chomsky et Edward Herman (Contre-feux, 2008), et Impérialisme humanitaire. Droit de l’Homme, droit d’ingérence, droit du plus fort ? de Jean Bricmont (Agone, 2009). 

Pour creuser encore le sujet, nous recommandons le livre Reel BadCorteX_Reel-bad-Arabs_Shaheen CorteX_jack-shaheen Arabs de Jack Shaheen (Olive Branch Press, 2010) et indiquons la page du site Sens Critique, qui recense certains des films propagandistes listés par J. Shahenn.

Et pour faire le lien avec d’autres discriminations en public jeune, nous recommandons, voir  ici.

 Djamel Hadbi

Réalisé dans le cadre des ateliers du DFI, service Doctoral pour la Formation, l’Initiation et l’insertion professionnelle de l’Université de Grenoble. Encadrement R. Monvoisin, C. Egger

Ateliers Zététique et esprit critique au collège

Cette année, nous avons eu l’occasion de travailler avec plusieurs enseignant·e·s souhaitant intégrer des séquences de zététique dans leurs cours. Voici le descriptif de ces ateliers effectués au collège Marie Laurencin, à Marseille, dans les cours de Nathalie Crouzet (physique-chimie) et chapeautés par Denis Caroti.

[TOC]

Le contexte

Depuis la rentrée 2013, un dispositif expérimental a été mis en place au collège Marie Laurencin (établissement ZEP) et permettant de former des groupes de travail allégés, tous les après-midi de la semaine. Ce cadre favorable a donné l’idée à Nathalie de monter des séquences de zététique avec ses élèves de 5ème et 3ème. Après quelques rencontres de préparations pour cerner ses objectifs et les sujets à traiter, nous avons décidé de consacrer 4 ateliers pour les groupes de 5ème et 3 ateliers pour le 3ème. Chaque atelier avait une durée de 45 minutes, voici le détail de chacun.

Premier atelier en 5ème : nos sens nous trompent !

Contexte : pour les besoins de la séquence, toute la classe était présente, soit 23 élèves environ.

Durée : 1h30

Objectif : présenter la facette zététique et introduire la facette Nos sens nous trompent afin de relativiser la valeur d’un témoignage dans le cadre d’une recherche sur la réalité d’un phénomène.

Préparation : c’était ma première intervention, j’ai donc profité de celle-ci pour effectuer l’expérience de Bertram Forer pour tester la pertinence d’une description personnalisée (mais en réalité identique) pour chaque élève. Il a donc fallu leur demander quelques renseignements personnels lors d’un cours précédent (date et lieu de naissance, écrire à la main) pour préparer les enveloppes contenant la description.

Outils présentés : effet Barnum, illusions d’optique

Diaporama : à télécharger ici

Résumé distribué aux élèves : à télécharger ici

Déroulement

En arrivant, les élèves savaient simplement qu’ils allaient assister à un cours de zététique. Après une présentation rapide et assez vague, j’ai annoncé qu’ils allaient participer à une expérience très importante, consistant à étudier et noter la qualité d’une description de leur personnalité, grâce aux informations fournies la semaine précédente.

Remarque : l’ambiance doit être bien maîtrisée pendant la lecture de la description et il est fondamental d’insister sur le caractère formel de l’expérience : pas de triche, aucune parole, respect des consignes.

Au signal, chaque élève a ouvert son enveloppe et a lu le texte, puis a entouré la note (de 0 à 5) et l’appréciation qu’il souhaitait lui attribuer.

La moyenne de la classe a été de 4,1/5 et le dénouement spectaculaire (lecture à haute voix de la description par un·e élève ayant attribué la note maximale à la description) a permis de lancer la séquence dans les meilleures conditions.

Après explications sur l’expérience, j’ai ensuite présenté la thématique générale et nous avons enchaîné avec la première facette « un témoignage n’est pas une preuve. Mille non plus » (voir diaporama).

J’ai également diffusé un extrait du film réalisé par Patrick Jean Mirages, les pouvoirs de l’esprit (voir les autres vidéos de Lazarus) où l’on voit notre collègue et ami Stéphane Bollati faire une séance de cold reading (lecture à froid).

J’ai également diffusé le canular de J.Y. Lafesse :

A la fin de l’atelier, j’ai distribué un résumé de la séquence ainsi que la photocopie de l’illusion d’Adelson :

CorteX_illusion_Adelson

Illusion que l’on peut retrouver « en vrai » dans cette vidéo :

A télécharger ici : CorteX_Illusion_Adelson_video

Premier atelier en 3ème : un témoignage n’est pas une preuve

Contexte : une moitié de classe de 3ème (préalablement séparée en deux groupes de 12, Nathalie faisant les mêmes séquences avec l’autre moité)

Durée : 45 min

Préparation : aucune

Objectifs : sensibiliser les élèves à l’attitude de doute à avoir face à nos perceptions et aux témoignages dans le cadre d’une recherche sur les faits.

Outils : illusions d’optique, cécité au changement, charge de la preuve

Diaporama : à télécharger ici

Résumé distribué aux élèves : à télécharger ici

Déroulement

Après avoir présenté la zététique et ses objectifs, j’ai démarré avec les illusions d’optique. J’ai distribué l’illusion d’Adelson (voir-ci-dessus) pour découpage des cases A et B afin de vérifier l’affirmation qu’elles étaient de même couleur.

L’illusion du lac (ci-dessous) est un excellent moyen pour faire toucher du doigt l’idée que l’on peut être également trompé dans un contexte familier et réel.

CorteX_illusion_lac_montagne

J’ai terminé avec l’expérience du décompte des passes. Voici une manière de procéder :

1/ On présente la vidéo « The original selective attention task » en indiquant que deux équipes (habillées en blanc et en noir) vont se faire des passes avec deux ballons de basketball : l’objectif est de compter le nombre de passes qu’effectuent les blancs : « Qui trouvera le score exact ? ».
Il faut insister : « c’est une tâche complexe, le silence est donc requis ».

2/ La vidéo est diffusée. On demande ensuite, sans laisser le temps aux commentaires, qui a vu : moins de 12 passes, 12, 13, 14, 15, 16, 17, plus de 17 – ce qui permet de montrer qu’il y a déjà une discordance dans les réponses. La bonne réponse est alors donnée (15) puis on ajoute « avez-vous vu quelque-chose d’étrange ? » puis « avez-vous vu un gorille passer au milieu de la scène ? ».

3/ On repasse la vidéo pour prouver la présence du gorille.

4/ Si en préambule on s’aperçoit que les élèves connaissent cette vidéo, qui date de 1999, on présente une deuxième vidéo datée de 2010 : « The Monkey Business Illusion » est basée sur le même principe. Personne ne devrait rater le gorille mais cette fois plusieurs changements dans la scène (sortie d’un personnage, couleur des rideaux) auront échappé à une majorité de personnes.

6/ Faisant croire que l’on change de sujet, on diffuse la vidéo « Color changing card trick » de Richard Wiseman. Effet garanti.

1ère partie :

2ème partie

7/ On pourra, avec un groupe motivé, reproduire les deux expériences de cécité au changement suivantes :

– l’expérience de la bibliothèque,

– l’expérience de la porte, ou «door study».

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=FWSxSQsspiQ]

Pour aller plus loin : les travaux de DJ Simons : Simons, D.J. et Levin, D.T. (1997) Change blindnessTrends in Cognitive Sciences, 1(7), 261-267.

Deuxième atelier en 5ème et 3ème : l’alternative est féconde

Contexte : une moitié de la classe de 5ème (préalablement séparée en deux groupes de 12, Nathalie faisant les mêmes séquences avec l’autre moité). J’ai refait la même séquence avec le groupe de 3ème.

Durée : 45 min

Préparation : aucune

Objectifs : sensibiliser les élèves à la nécessité d’aller chercher des explications alternatives pour analyser un phénomène. Introduction du rasoir d’Occam.

Outils : l’alternative est féconde, rasoir d’Occam.

Diaporama : aucun

Résumé distribué aux élèves : à télécharger ici

Déroulement

J’ai tout d’abord commencé par rappeler que, si nos sens nous trompent, il ne faut pas pour autant jeter tous les témoignages à la poubelle. Mais pour savoir si un phénomène est réel ou pas, ces témoignages ne peuvent constituer une preuve solide. Pour aller plus loin, j’ai évoqué rapidement la question du niveau de preuve requis selon l’affirmation qui était avancée : affirmer que l’on a aperçu un kangourou voler dans le ciel de Martigues demande une preuve bien plus solide que l’affirmation « j’ai vu une voiture orange sur l’autoroute ».

J’ai ensuite démarré la séance avec la vidéo du célèbre hypnotiseur Franck Syx :

Télécharger ici

On peut également montrer celle-ci, dans laquelle l’hypnotiseur donne plus de détails :

[dailymotion id=xvkjbf]

J’ai ensuite demandé leurs avis aux élèves. On obtient plusieurs réactions, dont « c’est incroyable ! » ou « c’est bidon », ou encore « y a un truc ».

Face à un phénomène qui sort de l’ordinaire, une attitude rationnelle pour en connaître la cause consiste à rechercher d’autres alternatives et formuler des hypothèses explicatives. Ainsi, j’ai proposé aux élèves d’en formuler une chacun leur tour ce qui a donné : « l’animatrice est complice ; il y a un trucage vidéo ; il y a un trucage avec les tréteaux ; il ne monte pas vraiment dessus ; il y a un fil qui la maintient en l’air. »

Cette phase a nécessité au moins 5 minutes et, comme à chaque fois, un élève a pris la parole pour dire que, tout simplement, on pouvait y arriver sans être hypnotisé (souvent formulé autrement, par exemple « tout le monde peut le faire ! »

« Très bonne idée ! Prouve-le ! » ai-je rétorqué, ce qui a permis de passer à la phase de vérification : l’élève en question a été placé entre deux tréteaux, sans être hypnotisé évidemment, et on a fait monter un de ses camarades, debout, pieds posés sur son thorax et ses tibias. Les précautions d’usage étaient scrupuleusement respectées (élève sans problème au dos, épaules et bas des mollets posés sur les tréteaux maintenus par d’autres élèves pour éviter tout problème) et tout s’est passé sans souci, d’autres élèves souhaitant passer sur les tréteaux !

La conclusion est très importante à ce stade : nous ne venons pas de démontrer que l’hypnose n’existait pas, ou que Franck Syx n’avait pas la capacité de mettre un sujet en catalepsie, ou bien encore que tout ceci est un énorme canular organisé par M6. Non, nous avons seulement montré – ce qui est déjà énorme – que toutes ces hypothèses étaient inutiles pour expliquer le phénomène auquel nous avons assisté.

Un élève a alors fait remarquer que nous avions choisi une explication parmi d’autres, et qu’il ne comprenait pas pourquoi. Ce fut l’occasion d’évoquer le principe parcimonie (également nommé rasoir d’Occam), en utilisant la vidéo d’une publicité pour Canal+ :

« Quelle hypothèse vous semble la plus « simple », la moins coûteuse ? » ai-je demandé. Il semblait évident que, avant d’accepter une explication aussi extraordinaire et coûteuse que celle donnée par le jeune homme surpris dans l’armoire, l’hypothèse de l’adultère devait être privilégiée.

J’ai tenté d’insister sur la notion d’explication coûteuse versus parcimonieuse en évitant de recourir à l’adjectif « simple » (voir ici sur le rasoir d’Occam), mais il est toujours difficile de faire sentir les nuances entre des termes peu utilisés par les élèves. J’ai ainsi pu répondre à la question sur la catalepsie : nous pouvons nous tromper, mais en l’absence d’autres informations et en l’état actuel de ce qui est affirmé par l’hypnotiseur, nous devons choisir l’hypothèse d’une capacité ordinaire – mais surprenante – de tenir allongé entre deux tréteaux.

Troisième atelier en 3ème : le bizarre est possible

Contexte : une moitié de la classe de 3ème (même groupe qu’auparavant).

Durée : 45 min

Préparation : aucune

Objectifs : permettre aux élèves de toucher du doigt la notion de taille d’échantillon et de tri des données, interpréter les coïncidences sous un angle probabiliste.

Outils : le bizarre est possible, tri des données, taille d’échantillon

Diaporama : à télécharger ici

Résumé distribué aux élèves : à télécharger ici

Déroulement

J’ai démarré cette séance avec la vidéo ci-dessous (lancers de canettes) pour faire réagir les élèves, mais il est tout à fait possible d’en prendre une autre, comme la seconde par exemple (paniers de basket) :

Paniers de basket incroyables :

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=3arMOg_W_lM]

A la vue de cette vidéo (lancers de canettes), les élèves ont eu deux réactions typiques : « les personnes filmées sont extrêmement douées » et « il y a un trucage vidéo ».

J’ai alors demandé de se remémorer la séance précédente, amenant les élèves à chercher d’autres alternatives. Une hypothèse a alors été formulée : « ils sont peut-être malins et ils se sont filmés plein de fois ! Puis ils ont gardé les vidéos qui marchaient…« .

J’ai alors évoqué la notion de taille de l’échantillon grâce à la vidéo suivante où l’on voit un lanceur de baseball frapper un oiseau en plein vol avec sa balle :

Lorsque l’on veut savoir si un événement est extraordinaire il faut comparer deux choses : la probabilité qu’il a de se produire avec le nombre de fois où ce phénomène s’est produit. Avec la vidéo sur l’oiseau on amène les élèves à exprimer clairement le fait qu’un nombre énorme de balles ont été lancées et filmées dans le monde entier ce qui, comparé à la probabilité estimée très faible que la balle arrive au même endroit et au même moment que l’oiseau, nuance grandement « l’extraordinarité » de l’événement.

On parle alors de tri des données puisque, parmi tous les événements (lancers de balle, lancers de canettes), on n’a retenu que celui ou ceux qui sortaient de l’ordinaire. J’ai pris deux exemples rapides : le loto et l’histoire de Paul le poulpe (voir diaporama)

En revenant sur les lancers de canettes, les élèves étaient d’accord pour dire que cette explication était moins coûteuse que les autres, ce qui m’a permis de proposer l’expérience suivante : quelle est la probabilité d’obtenir 7 fois « pile » consécutivement en lançant une pièce ? Le calcul est assez vite compris par les élèves : 1 chance sur 2 à chaque lancer, ce qui donne une probabilité de 1/128 = 0,0078, soit environ 0,78%. Moins d’une chance sur cent, c’est assez faible, et pour le faire vraiment sentir aux élèves je pose la question suivante : « si je vous demandais de penser à un nombre entre 1 et 128 et que je le découvrais, penseriez-vous que ce soit par hasard ? Il semble que non car il y a 128 possibilités ! » Les élèves saisissent ainsi les très faibles chances de réussir l’expérience.

Après quelques minutes de discussions, les élèves ont proposé de reproduire l’expérience plusieurs fois : en multipliant les tentatives, on aura d’autant plus de chance d’obtenir 7 fois « pile » de suite, ce que nous avons fait. En quelques minutes au moins un élève y est parvenu. J’avais également proposé de former des binômes, l’un étant chargé de filmer avec son téléphone les lancers de son camarade. Mais la fin de la séance était proche et nous avons simplement conclu : le bizarre est possible, attention au tri des données et pensons toujours à la taille d’échantillon.

Troisième atelier en 5ème : coïncidences extraordinaires ?

Contexte : une moitié de la classe de 5ème

Durée : 45 min

Préparation : aucune

Objectifs : permettre aux élèves de toucher du doigt la notion de taille d’échantillon et de tri des données, interpréter les coïncidences sous un angle probabiliste.

Outils : le bizarre est possible, tri des données, taille d’échantillon

Diaporama : à télécharger ici

Résumé distribué aux élèves : à télécharger ici

Déroulement

Cette séance a débuté comme celle réalisée avec les 3ème ce qui m’a permis d’introduire la notion de tri de données et taille d’échantillon (voir ci-dessus). Puis, au lieu de partir sur l’expérience des lancers de pièce, j’ai proposé aux élèves de revenir sur ce que l’on appelle habituellement les « coïncidences extraordinaires ». J’ai choisi celle des nombres récurrents 9 et 11 lors des attentats du World Trade Center. À titre d’exemples :

– La tragédie a eu lieu le 11 de Septembre, soit le 11/9 (1+1+9=11).

– La date coïncide avec le numéro des urgences 911 or 911= 9+1+1=11.

– Le 11 Septembre, est le 254ème jour de l’année soit : 2+5+4=11.

– À partir du 11 septembre il reste 111 jours jusqu’à la fin de l’année.

– « New York City » comporte 11 lettres.

– New York est l’état n°11 des USA.

– Afghanistan comporte 11 lettres.

– « The Pentagon » comporte 11 lettres.

– George W. Bush comporte 11 lettres.

– Les Twin Towers de part leur forme nous rappelle le 11.

J’ai alors fait remarquer que ces coïncidences semblaient trop surprenantes pour être dues au hasard (après vérification, il se peut d’ailleurs que certaines soient tout simplement fausses ou inventées). Puis j’ai demandé : « un peu comme la balle de baseball qui percute l’oiseau ? Comme les lancers de canettes ? Qu’oublie-t-on de regarder dans ces coïncidences avec les nombres 9 et 11 ? » Les élèves comprennent assez vite que nous n’avons pas cherché les non-coïncidences : tout ce qui ne colle pas avec ce nombre, comme par exemple la ville de New York, qui ne comporte pas 11 lettres.

Pour permettre de mieux comprendre ce tri des données, j’ai ensuite proposé l’expérience suivante aux élèves : « par binôme, vous devez trouver un maximum de coïncidences avec votre camarade. Jour, lieu, date de naissance, prénoms des parents, des frères et soeurs, adresse, couleur préférée, dernier film vu, date de naissance des membres de la famille, etc. » Pour pimenter un peu la recherche, j’ai indiqué que l’équipe qui trouverait le plus de coïncidences serait déclarée « l’équipe la plus extraordinaire de la classe ! ».

En quinze minutes, tous les binômes avaient trouvé au moins une dizaine de coïncidences…

Remarques complémentaires

Tout d’abord, on pourra trouver un grand nombre de ressources supplémentaires (vidéos et images) sur la page dédiée au livret Esprit critique es-tu là ? 30 activités zététique pour aiguiser son esprit critique.

Vous êtes enseignant·e et vous souhaitez faire la même chose ? N’hésitez pas à nous contacter. Vous avez déjà fait ce type d’ateliers ? Partagez-les en nous les signalant.

Contacts :

Le collectif CorteX : contact@cortecs.org

Denis Caroti : caroti@cortecs.org

Denis Caroti

Exercice – Décryptage de la colothérapie, la nouvelle thérapie qui STOPPE plus de 114 maladies en détoxifiant votre colon

Cet exercice faisait partie de l’examen de l’UE Zététique & autodéfense intellectuelle,  niveau Licence, posé par Richard Monvoisin en mai 2014 à l’Université de Grenoble.
(publicité réelle, composée de 10 pages scannées – voir plus bas)

   En vous appuyant sur votre outillage zététique, il est demandé de :

  • faire l’analyse des concepts centraux de la thérapie

  • évaluer la pertinence ou non de cette thérapie

  • rechercher s’il existe de vraies études scientifiques publiées dans des revues à referees

  • (la médecine n’étant pas votre spécialité) demander à un spécialiste de votre choix son avis.

  • pointer tous les biais argumentatifs, sophismes et effets possibles dans la plaquette ci-jointe

La démarche scientifique impose que vous donniez des références précises quand vous vous appuyez sur d’autres travaux.

CorteX_intestin

Le corrigé en pdf est téléchargeable ici

Colo p1Colo p2Colo p3Colo p4Colo p6 Colo p5 Colo p4 Colo p7 Colo p8 Colo p9 Colo p10

Corrigé – Analyse du texte "Le panda est une création tout à fait étrange", de R. Meinnachbach

Analyse du texte « le panda est une création tout à fait étrange »
(Pour l’énoncé, voir ici).

« Le panda

Catégorie imprécise. Rappelons-nous que la notion d’espèce est une catégorie créée par le cerveau humain. En gardant cette catégorisation, il faut être précis : il y a deux grands genres de panda, les Ailuropodes et les Ailurides (de ailos, en grec : le chat). Ils sont tous les deux du sous-ordre des caniformes, mais les premiers appartiennent à la famille des ours, les Ursidés. Chez les Ailuropodes, il y a deux sous-espèces, le panda géant, Ailuropoda melanoleuca, auquel il est fait référence ici dans ce texte, et le panda de Qinling, Ailuropoda melanoleuca qinlingensis. Quant aux Ailurides, qui n’ont qu’un seul représentant vivant, le panda roux, ou panda fuligineux, Ailurus fulgens, ils sont de la famille des ratons-laveurs, les procyonides. Pour les embranchements phylogénétiques, voir plus loin.

est une création

Terme téléologique. « Création » implique un créateur, et instille l’idée d’une espèce créée telle quelle, ce qui nous ramène au fixisme.

 tout à fait étrange

Norme. Étrange par rapport à quelle norme ? Cette « étrangeté » relative fait le jeu de la lecture téléologique

 et inadaptée à son milieu

Erreur d’analyse évolutive. Aucune espèce n’est « inadaptée » à son « milieu » (sauf éventuellement lors d’un bouleversement colossal de celui-ci). Elles sont toutes au contraire fortement adaptées à leur niche. Le panda géant, avec ses spécificités, a justement une niche écologique « très sensible », au point qu’une simple variation de ladite niche peut le mettre en péril.

 : il ne sait manger que des feuilles de bambou, alors que son estomac est fait pour manger de la viande

Terme téléologique. Un organe n’est pas « fait pour » quelque-chose. Il n’est pas « fait », et pas « pour » (dans le but de). Il est le fruit d’un ensemble de caractéristiques héritées d’individus les ayant possédés et leur ayant conféré un avantage par rapport aux autres individus pandas. De ce fait, ces caractéristiques se sont propagées à toute la population car augmentant le succès reproducteur de leurs porteurs.

  ; cela ne lui donne que très peu d’énergie pour se déplacer ou même copuler. Certains disent que ce fossile vivant

Notion désuète et fausse. Un fossile vivant, ou espèce panchronique est une espèce actuelle présentant des ressemblances morphologiques avec des espèces éteintes, identifiées sous la forme de fossiles. Ces appellations, abandonnées, suggéraient, à tort, que ces espèces n’ont plus évolué depuis les temps fossilifères. Or l’apparente stabilité morphologique des espèces panchroniques ne concerne que la morphologie externe globale de ces groupes d’espèces, l’anatomie interne et a fortiori le patrimoine génétique de ces espèces varient et évoluent au cours du temps (cf. ouvrages de Lecointre et Le Guyader). En clair, comme l’écrit le Maître de conférences parisien Patrick Laurenti, un bon fossile vivant est un fossile mort 🙂

 est le chaînon manquant

Notion désuète et fausse. Le chaînon manquant, ou forme transitionnelle serait une espèce vivante ou fossile qui présenterait une mosaïque de caractères de deux autres espèces ou groupes d’espèces actuelles, laissant penser qu’il est une forme intermédiaire entre ces dernières, dans une logique de classification linéaire que l’on sait illusoire. Cette expression est à bannir, à l’instar de « chaînon manquant » ou « maillon », car l’identification d’une forme transitionnelle n’est possible qu’a posteriori et en négligeant l’aspect continu, buissonnant et non directement orienté du processus évolutif. En gros, on lit à rebours le processus, en un beau raisonnement panglossien. En outre, une forme transitionnelle entre espèces actuelles ne peut pas exister, au contraire d’ancêtres communs ou d’ « intermédiaires structuraux ».

 des ours

→ « chaînon manquant des ours »  ne veut rien dire : même si chaînon manquant avait du sens, il faudrait dire « entre les ours et …. quelque chose d’autre ».

Problème de filiation. Si on raisonne sur le panda roux, de récentes recherches en phylogénie moléculaire le situent dans un genre indépendant, les Ailures, de laquelle il serait la seule espèce encore vivante. Ce genre fait lui-même partie de la super-famille des Musteloidea qui inclut aussi les Mephitidae (mouffette) d’une part, les Procyonidae (raton laveur) et les Mustelidae (belette) d’autre part. Selon cette nouvelle classification, il n’appartient donc pas à la famille des Ursidae. Il serait plus proche des ratons-laveurs, en raison des grandes affinités du squelette, de la dentition, des organes génitaux et du pelage.

Si on raisonne vraiment sur les deux sous-espèces de pandas géants (Ailuropoda melanoleuca), alors effectivement il est classé dans la catégorie Ursidae, bien que longtemps considéré comme une sorte de « raton laveur aberrant ».

Précisons que Dwight Davis, de Chicago, a montré en 1964 que s’il y a une forte ressemblance entre les deux familles de panda, cela résulte davantage d’une évolution vers des fonctions semblables que d’une ascendance commune. Cela fut confirmé dans les années 80 par l’équipe de généticiens de Stephen J. O’Brien. Anecdote : le contre-argument contre le classement des pandas géants dans les Ursidés reposait sur le nombre de chromosomes : les ours possèdent 74 chromosomes et les grands pandas seulement 42, ce qui semblait contredire une étroite parenté. Mais on découvrit que les chromosomes plus courts de l’ours avaient fusionné, et formé les chromosomes moins nombreux et plus longs du panda géant. Remonter le buisson phylogénétique nous fait remonter dans le temps. On sait désormais que les familles de l’ours et du raton laveur se séparèrent sur l’arbre de l’évolution; il y a plus de 40 millions d’années, tandis que les pandas géants se différencièrent des ours il y a seulement 22 à 25 millions d’années.

 CorteX_Phylogenetique_panda

 , mais aucun fossile n’a jamais été découvert.

Erreur de raisonnement, et biais d’échantillonnage. Primo, nombre de fossiles n’ont pas été découvert ; secundo, un ancêtre commun à deux espèces peut avoir existé sans, hélas, se voir figé dans la roche ; tertio, fin 2012 ont été découverts deux jeux de dents fossiles d’un ancêtre commun entre l’ours et le panda géant… au nord de l’Espagne. Ce fossile, daté de 11,6 millions d’années, appartiendrait à un genre disparu, Kretzoiarctos beatrix, ou ours de Kretzoi, nommé ainsi en l’honneur du paléontologiste Miklos Kretzoi et de sa collègue Beatriz Azanza.

 Les évolutionnistes disent que sa seule stratégie

Terme téléologique. « Stratégie » impliquerait que l’acquisition d’un caractère se ferait par la volonté, la perspicacité ou le choix propre de l’espèce. Or primo il n’y a pas de « conscience » d’espèce. Secundo, il n’y a aucune part à la volonté des individus dans l’adaptation au milieu.

 fut de développer sa couleur pour mieux plaire à son partenaire sexuel,

Terme téléologique. « Pour » signifierait qu’il y a un but, séduire son partenaire. L’évolution se lit à rebours : ceux qui ont développé cette couleur ont été avantagé par rapport aux autres dans la compétition sexuelle.

 mais cette lecture est glaciale, comme l’est l’évolutionnisme

Double erreur épistémologique : primo, glacial s’interprète comme « froid, inhumain, immoral ». Or l’évolution n’est ni morale ni immorale, mais amorale, comme toutes les descriptions scientifiques. Secundo, le terme « évolutionnisme », avec son suffixe -isme, instille l’idée d’une école de pensée, ou une école de morale. On ne parle pas de gravitationnisme, ou de quanticisme, fort heureusement.

 qui est une sorte de religion ayant pour prophète Charles Darwin.

Métaphore de la religiosité de la science, très fréquente depuis Paul Feyerabend, et en vogue dans les courants relativistes. Or, quel que soit le sens que l’on donne au mot science la métaphore de la religion ne fonctionne pas vraiment : il n’y a pas de morale immanente, pas d’entité sur-naturelle, pas de rédemption, pas de texte sacré ni de prophète. Bien sûr, sous certains aspects, certains scientifiques ont prôné des courants à l’exclusion d’autres (ce qui n’était d’ailleurs pas du tout le cas de Darwin) mais on parlera plutôt de paradigmes, au sens de Kuhn. Et la notion de prophète (une personne qui tient, d’une inspiration que l’on croit être divine, la connaissance d’événements à venir et qui les annonce par ses paroles ou ses écrits) s’évapore.

 En regardant les caractéristiques du panda, il est impossible que cette créature

Terme téléologique. Même remarque que plus haut.

 soit le fruit du hasard,

Argument téléologique classique de l’Intelligent design dit « argument de l’impossibilité ».C’est un raisonnement panglossien. Notez que la théorie de l’évolution ne décrit pas l’apparition des espèces comme le fruit du hasard. C’est un mélange de hasard (comme par exemple les mutations) et de nécessité (contraintes du milieu). La rhétorique dont procède cette phrase relève de l’Homme de paille (argument du strawman).

 car s’il avait fallu évaluer la probabilité de son apparition par hasard, celle-ci aurait été immensément faible.

Raisonnement panglossien. Voir point précédent.

De même qu’une montre trouvée dans le désert ne s’explique pas par hasard et implique un horloger qui l’a fabriquée,

Argument téléologique classique de l’Intelligent design dit « Métaphore de l’horloger du Révérend William Paley ». Raisonnement panglossien.

de même

Analogie fausse entre la montre et le panda : le fait de comparer une production humaine à une espèce est injustifié, sauf à prendre ce qu’on veut montrer comme prémisse (ce qui deviendrait un raisonnement circulaire).

il est certain que, Dieu ou pas, une volonté immanente a créé cet être improbable.

Termes téléologiques. Création : terme téléologique, impliquant un créateur ; « être improbable » n’a pas de sens, car en soi tous les êtres sont improbables (mais possibles ! Avec des degrés de possibilité différents).

Défaut de rasoir d’Occam : postulat d’une volonté immanente, entité sans preuve ni nécessité pour expliquer le phénomène, donc surnuméraire.

Cela démontre

Erreur de démonstration : la métaphore (fausse qui plus est) ne démontre rien.

qu’il y a une essence, une nature de chaque espèce,

Biais d’essentialisme, ou de naturalisme : postuler une nature inaliénable de l’espèce. Cela nous ramène au fixisme primitif, propre aux créationnismes.

de même qu’il y a des natures délinquantes et d’autres non chez les Humains,

Biais d’essentialisme, ou de naturalisme : postuler une nature inaliénable des groupes sociaux (comme dans l’anthropologie du XIXe).

Effet paillasson : délinquant est un terme bien trop flou et composite

Effet cigogne + défaut de rasoir d’Occam : prêter à la « nature » d’un individu son caractère délinquant est coûteux sur le plan des connaissances. Rien ne permet de penser que la « délinquance » soit la nature de quelqu’un. Par contre on a maintes données sur le lien entre « délinquance » (hors délinquance en col blanc) et situation socio-économique. Cette seconde hypothèse est donc bien moins « coûteuse » selon le principe de parcimonie du rasoir d’Occam.

ainsi qu’une nature féminine et une nature masculine, comme le montre l’instinct guerrier chez les Hommes et l’instinct maternel chez les Femmes ».

Biais d’essentialisme, ou de naturalisme, variante sexiste

dichotomie entre deux sexes, là où il y a pourtant un continuum inter-sexe.

Effet cigogne + défaut de rasoir d’Occam. Prêt d’un instinct guerrier propre aux Hommes, d’un instinct maternel propre aux femmes, là où une explication socioéconomique des tâches est bien plus pertinente et étayée : la guerre est une activité politique, domaine réservé aux Hommes pendant longtemps ; la maternité une activité dévolue aux femmes. Sur ce point, il ne semble pas qu’il existe un instinct maternel dissociable du paternel, et qui ne soit pas le fruit d’un apprentissage très tôt chez la jeune fille, couplé à un temps accru passé avec les enfants, par la grossesse d’abord, par le partage des tâches ensuite.

R Meinnachbach, Für eine erfolgreiche intellektuellen Betrug in der Frage der panda, Oxbridge Ed. 1974, pp. 274-275

Canular. Version allemande de R. Monvoisin, Pour une imposture intellectuelle réussie sur la question du panda, livre qui n’existe pas. Oxbridge, contraction de Oxford et de Cambridge.


Cette correction est le fruit d’une étroite et glutineuse collaboration entre Richard Monvoisin et Julien Peccoud
.
CorteX_Monvoisin_casque_barbe_pipe

CorteX_Julien_Peccoud_loupe

Précis de réfutation – The debunking handbook

Fin 2011, deux Australiens, John Cook, chargé de communication au Global Change Institute de l’Université du Queensland32, et Stephan Lewandowsky, professeur de sciences cognitives à l’Université Australie-Occidentale33 ont publié gratuitement The Debunking Handbook (« Précis de réfutation »), un livret de huit pages qui vise à faire comprendre aux scientifiques et aux enseignants critiques que l’important n’est pas tant de s’attaquer aux fausses croyances et à leurs démythifications (debunking) que d’y mettre… une certaine forme. Les apports de la psychologie scientifique nous confirme en effet que ce n’est pas ce que savent ou pensent les gens qui prime, mais « comment » et avec quelle intensité ils le pensent. Car aussi étrange que cela puisse paraître, démythifier peut parfois renforcer le mythe.
Bien sûr, c’est succinct, et parfois très raccourci. C’est en revanche aussi utile que pratique pour faire circuler une information qu’il n’est pas évident d’aller chercher par soi-même.
Il y a plusieurs traductions disponibles de ce manuel. Celle en français, produite par Alexandre Hanin, est téléchargeable ici ou .

Richard Monvoisin

Méthodologie – Outils d'évaluation d'ouvrages à contenu scientifique

Nous avions présenté ici une méthode pour enquêter sur un sujet controversé et détaillé les différentes étapes à mener pour recueillir d’une part de l’information contradictoire, d’autre part des informations sur les acteurs du débat, en particulier pour se faire un premier avis sur le degré de confiance à leur accorder. La question de l’évaluation de la qualité intrinsèques des sources n’y était cependant pas abordée. C’est pour répondre à cette problématique que Nelly Darbois et Albin Guillaud se penchent ici sur un aspect primordial de la démarche d’investigation : l’analyse de la bibliographie.

Préambule

Nous avons deux objectifs dans cet article :

1) proposer quelques outils pour évaluer et comparer des ouvrages à contenu scientifique,

2) mettre en application ces outils sur un cas concret de comparaison entre deux ouvrages. Il s’agit de TV Lobotomie – La vérité scientifique sur les effets de la télévision de Michel Desmurget1 et de L’enfant et les écrans – Un avis de l’Académie des sciences2.

Qu’entendons-nous par ouvrage à contenu scientifique ?

Il s’agit pour nous d’ouvrages dont le ou les auteurs exposent volontairement ou non au moins une affirmation de type scientifique. Nous qualifions d’affirmation de type scientifique toute phrase ou groupe de phrases qui exprime quelque chose sur la réalité (physique, biologique, sociale, etc.).

Exemples triviaux

  • Si je lâche une pierre, elle chute vers le sol (affirmation concernant la réalité physique).
  • Le cœur humain sert à propulser le sang dans le corps (affirmation concernant la physiologie humaine).
  • La révolution française eut lieu en 1789 (affirmation concernant l’histoire).
  • Si je suis fumeur, j’ai plus de risque de contracter un cancer du poumon au cours de ma vie qu’un non fumeur (affirmation concernant la santé).

En fait, ce sont toutes les affirmations par lesquelles on essaie de nous faire comprendre que quelque chose  « existe », « a existé », « est réel », « marche », « est efficace », « va se produire », « s’est passé comme cela », « fonctionne comme ceci », « s’explique comme cela », etc.

Nous dirons que la caractéristique essentielle d’une affirmation de type scientifique est qu’elle soit potentiellement vérifiable3. Tous les domaines de la connaissance peuvent être concernés : l’histoire, la biologie, la sociologie, la psychologie, la santé, la physique, l’astronomie, etc.

Les affirmations qui relèvent explicitement de faits imaginaires ou qui expriment un point de vue, un goût, un avis, une opinion ou une croyance personnelle ne sont pas de type scientifique.

Autres exemples

  • Affirmations de type scientifique
    Les fantômes existent.
    Il suffit d’être volontaire pour avoir une bonne situation professionnelle en France.
    Manger des pommes soigne l’arthrose.
  • Affirmations de type non scientifique – Si l’ouvrage ne comprend que des affirmations de ce type, alors nous ne le considérons pas à contenu scientifique :
    J’aime manger des pommes en marchant.
    Je crois aux fantômes.
    Je suis quelqu’un de volontaire et j’ai une bonne situation professionnelle.

Nous vous proposons maintenant quelques exemples réels que nous avons extraits de différents ouvrages :

  • Ouvrage 14 :

« […] je suis surpris par le nombre de ceux qui me consultent régulièrement, soit pour se faire renouveler une ordonnance, soit pour une nouvelle pathologie qui ressemble à la précédente. » (Affirmation de type non scientifique.)

« Le cerveau et le corps humain disposent en effet de pouvoirs très puissants, qui ne sont pratiquement jamais utilisés. Il suffit de les activer pour soigner un nombre considérable de symptômes et de maladies. » (Ici nous avons deux affirmations de type scientifique.)

  • Ouvrage 25 :

« Rares sont celles [les interactions humaines] qui n’impliquent pas la tromperie ou au moins sa possibilité. » (Affirmation de type scientifique.)

« Je suis désormais convaincu qu’étudier comment et quand les individus mentent et disent la vérité peut permettre de comprendre beaucoup d’interactions humaines. » (Affirmation de type non scientifique).

  • Ouvrage 36 :

« Le travail reste dans notre société l’élément structurant de l’identité personnelle et sociale des individus et le facteur premier d’intégration (…) » (Affirmation de type scientifique).

« Nous devons avoir l’ambition de bâtir une nouvelle société du travail, moins dure, moins inégalitaire et plus respectueuse des salariés. » (Affirmation de type non scientifique.)

Pourquoi présenter ces outils ?

Nous estimons que lire un ouvrage à contenu scientifique peut servir, au-delà de nous distraire, à nous apporter des connaissances, à modifier nos idées et à potentiellement influencer nos comportements. En conséquence, il nous semble important que tout un chacun soit en mesure de  réaliser une évaluation critique de ce genre de livre.

Face à des ouvrages de ce type, nous pouvons nous poser un certain nombre de questions : comment réaliser un premier tri entre des livres traitant d’un sujet similaire ? Comment nous positionner face à deux essais qui traiteraient d’un même thème mais qui seraient contradictoires ? Comment nous faire une première idée de la vraisemblance du contenu d’un ouvrage sans le lire dans son intégralité et sans être un expert dans le domaine traité ?7

Nous espérons que les quelques outils « de base » que nous allons exposer par la suite permettront de répondre à ces questions. Nous évoquerons dans un second temps quelques outils « avancés », plus complexes et coûteux à mettre en pratique.

Pourquoi avons-nous choisi ces outils plutôt que d’autres ?

Notre envie de rédiger un article sur le sujet est venue suite à la lecture de deux ouvrages à contenu scientifique (voir partie 2). Nous n’avions pas de connaissance particulière sur le domaine dont ils traitaient et estimions tout de même pouvoir accorder plus de crédit à l’un qu’à l’autre. Nous avons donc essayé de formaliser les critères d’évaluation que nous utilisons habituellement lors de nos lectures ; c’est ainsi que nous avons dégagé ces outils, dont la liste n’est sûrement pas exhaustive. Concernant les outils de base, ils ne s’utilisent pas indépendamment les uns des autres ; ils sont systématiquement à mettre en relation.

Nous avons par ailleurs recherché s’il existait des guides d’analyse critique d’ouvrage et n’en avons pas trouvé. C’est pour cela que nous avons décidé d’en proposer un.

Partie 1 – Quelques outils.

Outil de base 1 – Présence de la bibliographie.

La bibliographie (ou références, sources) est la liste des documents sur lesquels s’est appuyé l’auteur pour écrire son livre et exposer des affirmations. Cette liste peut se trouver en fin d’ouvrage ou être présentée au fil du livre sous forme de notes de bas de page.

Forme bibliographie

Si nous déconseillions précédemment d’utiliser un outil de manière isolée, celui-ci fait exception : il est indispensable. C’est en effet le moyen par lequel nous pouvons vérifier ce que l’auteur avance. Un ouvrage à contenu scientifique qui ne comporterait pas de bibliographie peut être écarté sans vergogne, ou utilisé comme matériel pédagogique afin d’enseigner l’analyse critique.

Outil de base 2 – Ampleur de la bibliographie.

Plus la bibliographie est fournie, plus notre confiance peut augmenter. C’est un moyen simple d’évaluation comparative entre deux ouvrages traitant du même sujet qui auraient deux bibliographies radicalement différentes en quantité (exemple : 10 références versus 500 références). Cet outil n’est bien sûr pas suffisant et peut même induire notre jugement en erreur si, par exemple, l’auteur renvoie à énormément de sources qu’il n’a pas lu, ou s’il s’appuie sur beaucoup d’études dont la méthodologie n’est pas rigoureuse.

Outil de base 3 – Clarté de l’affirmation.

Plus une affirmation est floue, moins elle est compréhensible et identifiable, plus notre méfiance doit s’attiser. En tout cas, cela peut signifier plusieurs choses, par exemple :

1)      notre niveau d’expertise n’est pas suffisant ; qu’à cela ne tienne ! Les outils suivants pourront nous éclairer,

2)      l’auteur ne s’est pas exprimé clairement ; cela arrive,

3)      l’auteur ne pouvait pas s’exprimer plus clairement mais ce qu’il nous dit est en quelque sorte un peu vide de sens (voir effet puits).

Exemple : « manger des pommes soigne l’arthrose » est plus clair que « consommer par voie orale un type de végétaux comestibles permettrait de potentialiser l’évolution de certains troubles musculo-squelettiques ».

Bien évidemment, ce n’est pas parce qu’une affirmation est claire qu’elle est pour autant valide. Nous avons besoin d’autres outils pour évaluer cela.

Outil de base 4 – Liens entre le texte de l’ouvrage et la bibliographie.

Si un auteur écrit un livre composé d’une importante bibliographie en ne mentionnant à aucun moment dans le texte à quelles sources se référer, il devient difficile voire impossible pour le lecteur d’aller vérifier les affirmations qui l’intéressent.

Prenons un exemple. Dans l’ouvrage Ni Dieu Ni Darwin. Les Français et la théorie de l’évolution8, nous lisons :

« Au risque de simplifier une question fort complexe, on peut dire que le principe central qui fonde la diversité des êtres vivants, et donc leur classification, chez Darwin et les biologistes de l’évolution actuelle, est celui du lien généalogique. »

Dans cet ouvrage qui comporte une bibliographie d’une centaine de références, s’il n’est pas précisé par l’auteur à quelle source se référer pour cette affirmation, nous ne pouvons concrètement pas la vérifier. Heureusement l’auteur le fait de la manière suivante :

« Au risque de simplifier une question fort complexe, on peut dire que le principe central qui fonde la diversité des êtres vivants, et donc leur classification, chez Darwin et les biologistes de l’évolution actuelle, est celui du lien généalogique1. »

Ce petit « 1 » que nous avons mis en gras à la fin de la citation (en haut à droite du mot « généalogique ») est là justement pour faire le lien avec la bibliographie. Dans l’ouvrage de Dominique Guillo nous trouvons donc au bas de la page 39 :

« 1. Sur les débats agités autour des critères de classification, et sur la classification aujourd’hui, voir Le Guyader, 2003. ».

Le « 1. » rappelle l’exposant « 1 » trouvé dans le texte et «  Le Guyader, 2003 » que nous avons mis en gras nous permet de retrouver la source dans la bibliographie :

Le Guyader H., Classification et évolution, Paris, Le Pommier, 2003.

Plus il y a de liens entre le texte d’un ouvrage et sa bibliographie, plus notre niveau de confiance peut être élevé. Nous verrons plus loin qu’il sera utile parfois d’aller vérifier cette source.

Outil de base 5 – Précision des références bibliographiques.

L’auteur peut plus ou moins préciser ses sources ; plus il le fait, plus nous pouvons nous fier à sa méthode. Cela ne signifie en revanche pas grand-chose concernant les propos qu’il tient, qui nécessiteront une analyse plus poussée.

Nous proposons l’affirmation suivante : « il existe une dualité fondamentale dans nos instincts ». Sans s’attarder sur la grande clarté de cette affirmation, le lecteur est en droit de se demander « mais d’où sortent-ils cette affirmation ? ». À cette question nous répondons :

– « Lire Jean Préposiet »
– Quel ouvrage ?
– « Histoire de l’anarchisme »
– Quelle page ?
– « Page 58 »
– Quelle édition ? (En fonction de l’édition la page ne sera pas forcément la même).
– « Editions Tallandier, 2005»

Le niveau de précision a augmenté au fil des interrogations. Il aurait été bien venu que nous précisions d’emblée :

Histoire de l’anarchisme, Jean Préposiet, 2005, Ed. Tallandier, p58.

Maintenant, imaginons que le lecteur aille vérifier dans le livre. Il trouve alors le passage suivant :

« En chacun de nous coexistent, dans des proportions variables, un libertaire et un conservateur. Principe de plaisir, principe de réalité. Freud a parfaitement exprimé cette dualité fondamentale de nos instincts. »

Il se rend alors bien compte que l’auteur de cette affirmation n’est pas J. Préposiet mais semble être S. Freud. Malheureusement, l’auteur (J. Préposiet) ne le renseigne pas sur la référence à consulter pour aller plus loin dans la quête de la source « primaire ». Voici quelques solutions que nous proposons au lecteur : laisser sans pitié cette affirmation sur le bord de la route et continuer son chemin ; contacter J. Prépioset pour lui demander sa source ; se renseigner auprès d’un spécialiste de la littérature freudienne ; lire l’œuvre intégrale de Freud en espérant tomber sur le propos dès la première lecture, etc.

Outil de base 6 – Déclaration des liens d’intérêts des auteurs.

Lien interetLorsqu’une personne, un groupe d’individus ou une institution se prononce au sujet de quelque chose (par exemple, l’efficacité d’un médicament), il est possible que des intérêts financiers, matériels, personnels ou symboliques puissent influencer ce qu’ils en disent. On dit alors qu’il y a conflit d’intérêt9.

En France, le Code de la santé publique oblige les membres des professions médicales à déclarer ces liens lorsqu’ils s’expriment dans la presse écrite et lors de manifestations publiques10. Un autre article11 inclut d’autres professionnels lorsqu’ils sont membres de certains organismes parmi lesquels la Haute Autorité de Santé, l’Institut National du Cancer, etc. En dehors du champs médical, nous n’avons cependant pas trouvé trace d’obligation légale de déclaration. Nous pensons tout de même que les auteurs d’ouvrages à contenu scientifique devraient déclarer leurs potentiels liens d’intérêts afin d’en informer le lecteur.

Évaluer la qualité des références : septième outil de base et deux outils avancés.

Outil de base 7 – Vue d’ensemble du sérieux de la bibliographie

Il s’agit de jauger « à la louche » de la qualité et de la diversité des supports et de leurs auteurs (revues scientifiques, journaux, livres, rapports, sites internet etc.) de l’ensemble de la bibliographie.

Par exemple, si la bibliographie est composée uniquement d’ouvrages du même auteur que le livre que nous sommes en train de lire, nous allons tourner un peu en rond. Autre exemple, si la bibliographie que nous consultons ne contient que des articles issus de revues « grand public » telles que Sciences et vie ou Science et avenir, voire Voici ou Télé 7 jours, cela devra renforcer notre méfiance, beaucoup plus que si nous nous trouvons face à des revues scientifiques12. Un critère pour évaluer le caractère scientifique d’une revue est la présence d’un comité de lecture, c’est-à-dire d’un groupe de personnes chargé de relire systématiquement les articles proposés à la revue avant publication.

Nous allons maintenant évoquer deux outils supplémentaires. Ceux-ci nous semblent importants pour qui souhaiterait réaliser une analyse approfondie d’un ouvrage ; si, par exemple, l’application des outils de base alerte la vigilance critique du lecteur. Néanmoins leur mise en œuvre est très coûteuse en temps.

Outil avancé A – Concordance entre le contenu de la référence et ce qu’en dit l’auteur qui y renvoie.

Cela nécessite d’avoir accès à la référence dans son ensemble, via internet ou une bibliothèque par exemple. Bien évidemment, il ne s’agit pas de consulter toutes les références mais uniquement celles qui concernent les affirmations les plus redondantes ou les plus importantes à nos yeux. On essaie donc de voir si la référence

  • existe,
  • traite bien du sujet en question,
  • est cohérente par rapport à ce qu’en dit l’auteur.

Pour une illustration percutante de cet aspect, voir l’ouvrage13 de Nicolas Pinsault et Richard Monvoisin, qui mentionne le cas d’une étude sur le Kinesio-Taping® souvent citée.

Outil avancé B – Qualité du contenu de la référence elle-même.

Le meilleur moyen d’évaluer pleinement la qualité d’une référence est d’aller la consulter et idéalement, d’utiliser des outils d’analyse spécifiques du champ dans lequel s’inscrit l’affirmation de départ. C’est là une des limites de notre présentation, qui n’inclut pas ces outils spécifiques. Nous ne procéderons pas à sa mise en application.

Si malgré tout nous souhaitions évaluer une affirmation en particulier, la soumission de la référence à un expert du domaine pour lui demander son avis ou l’appropriation de quelques outils du champ concerné ne sont parfois pas difficiles à mettre en œuvre (cette vidéo par exemple présente différents critères permettant d’évaluer un article scientifique issu du domaine de la santé :  Comment lire et comprendre des articles scientifiques ? Par Nicolas Pinsault).

Partie 2 – Mise en application.

Nous avons appliqué ces outils à deux ouvrages que nous avons lu dernièrement : TV Lobotomie – La vérité scientifique sur les effets de la télévision et L’enfant et les écrans.

Jaquette Les enfants et les ecrans Jaquette TV Lobotomie

Comme leurs titres le suggèrent, ces deux ouvrages abordent tous deux l’impact sanitaire et social de l’exposition aux écrans. Ils nous semblent destinés à un public assez vaste et non spécialiste de la question ; nous les avons trouvés dans des bibliothèques municipales et librairies généralistes. Ils sont parus à deux ans d’intervalle (en 2011 et 2013). Leurs auteurs sont des scientifiques qui dégagent des recommandations de leurs propos. Ils renvoient à des travaux scientifiques et n’exposent a priori pas leur point de vue, mais le fruit d’un travail de recherche documentaire.

Ils ont donc un certain nombre de points communs, à commencer par leur sujet. Tous deux traitent, entre autres, des conséquences de l’exposition à la télévision chez l’enfant. Pourtant, leurs recommandations, qui s’appuient sur les effets néfastes de l’exposition à la télévision décrits dans la littérature, sont différentes :

  TV Lobotomie L’enfant et les écrans
Enfant avant 2 ans « toute exposition audiovisuelle devrait être strictement proscrite » p328 « aucun effet positif » « peuvent avoir des effets négatifs » p21
De 2 à 3 ans « toute exposition audiovisuelle devrait être strictement proscrite » p328 « l’exposition passive et prolongée (…) sans présence humaine interactive et éducative est déconseillée » p22
 De 4 à 6 ans « toute exposition audiovisuelle devrait être strictement proscrite » p328 « il est préférable que la publicité soit proscrite des programmes pour enfants » « vidéothèque familiale qui puisse se substituer à des programmes de mauvaise qualité » p22
Entre 6 et 12 ans « en dessous de 3-4 heures par semaine » p329 Rien de spécifique
Chez les collégiens « en dessous de 3-4 heures par semaine » p329 Rien de spécifique

TV Lobotomie suggère de proscrire toute exposition avant 6 ans, tandis que L’enfant et les écrans la proscrit seulement dans certaines conditions et selon le contenu après 2 ans. Entre 6 et 15 ans, TV Lobotomie suggère de rationner à un certain nombre d’heures tandis que L’enfant et les écrans ne se prononce pas sur cet âge.

Ces divergences (parmi de nombreuses autres) questionnent puisque ces deux ouvrages sont sensés s’appuyer tous deux sur la littérature scientifique. À qui doit-on accorder notre confiance ? Comment trancher sans être spécialiste de la question ?

Nous allons donc tenter une mise en application sommaire de nos différents outils pour essayer d’identifier si l’un ou l’autre de ces deux ouvrages peut se distinguer.

À noter qu’il serait malhonnête de notre part de faire comme si nous avions procédé a priori, tel qu’il faudrait le faire dans un souci de démonstration scientifique. Nous avions déjà, avant la rédaction de cette note, clairement statué sur la différence de qualité entre ces deux ouvrages. Notre article n’est donc pas une analyse à prétention objective et exhaustive. C’est plutôt une démonstration à vocation pédagogique des outils présentés en partie 1.

Mise en application de l’outil 1 : présence d’une bibliographie.

Les deux ouvrages comportent une bibliographie.

Mise en application de l’outil 2 : ampleur de la bibliographie.

TV Lobotomie inclut une bibliographie de 1 193 références. L’enfant et les écrans en compte 279 (seulement 147 sont invoquées dans le corps du texte, nous en reparlons plus loin). Dans les deux cas, nous n’avons pas compté les redites dont on trouve des exemples dans les deux ouvrages, ce qui fausse légèrement nos chiffres mais n’enlève rien à l’ordre de grandeur.

La différence en termes de quantité est considérable. D’autant plus lorsqu’on se représente l’étendue du sujet traité par L’enfant et les écrans qui déborde largement l’exposition télévisuelle. En effet, cet ouvrage a la prétention d’émettre des recommandations concernant les jeux vidéos, les tablettes tactiles, l’utilisation des réseaux sociaux, etc. De plus, ce travail a été réalisé par quatre rédacteurs (deux membres de l’Académie des sciences et deux personnalités scientifiques extérieures), un groupe de travail de onze personnes dont quatre membres de l’Académie des sciences, et douze personnes auditionnées extérieures à l’Académie14.

À la lumière de ces différents éléments, nous nous serions attendus à ce que l’avis de l’Académie des sciences comporte une bibliographie a minima aussi conséquente que celle de TV Lobotomie.

Mise en application de l’outil 3 : clarté des affirmations.

Pour nous, la différence globale de clarté entre les deux ouvrages nous est apparue évidente en faveur de TV Lobotomie. Voici deux passages illustratifs qui abordent l’impact des écrans sur les comportements violents chez l’enfant. Quand des références étaient invoquées dans le texte, nous avons pris la précaution de les indiquer en gras. Nous avons aussi précisé leur nombre.

L’enfant et les écrans, page 72

« L’influence des images violentes s’exerce à deux niveaux : individuel et collectif (1 référence). À un niveau individuel, les mêmes images violentes peuvent influencer les enfants de trois façons différentes. Il y a d’abord ceux qui voient dans ces images une légitimité à utiliser la violence pour résoudre leurs problèmes quotidiens. Ils sont affectés par le « syndrome du grand méchant monde » (1 référence). Une deuxième catégorie d’enfants est constituée par ceux qui, sous l’influence des images violentes, deviennent de plus en plus craintifs, défaitistes et déprimés et finissent par considérer que la violence qui leur est faite est une fatalité contre laquelle ils ne peuvent rien. Eux aussi sont affectés par le « syndrome du grand méchant monde », mais différemment du premier groupe. Il existe enfin une troisième catégorie d’enfants qui réagit à la violence des écrans en développant le désir de la réduire. Ces enfants s’engagent dans des rêveries de réparation et souvent dans les métiers qui correspondent : travailleur social, juge, thérapeute, etc.»

Dans cet extrait, nous n’avons pas de précision concernant l’âge des enfants concernés. Les auteurs nous présentent trois sortes d’influences différentes ; on ne sait pas quelle est la proportion d’enfants pour l’une ou l’autre, ni selon quels critères ils sont placés dans chaque catégorie ; comment a-t-on mesuré le « désir de réduire la violence » ? Comment diagnostique-t-on des enfants « craintifs, défaitistes et déprimés » ? Les enfants regardant beaucoup la télé sont-ils surreprésentés dans le monde des travailleurs sociaux ? Nous n’avons aucun moyen de le savoir puisqu’aucune référence n’est adjointe à ce passage, nous ne pouvons donc pas obtenir plus de renseignements.

TV lobotomie, page 312

« Dans  leur grande majorité, ces recherches furent menées chez l’enfant.  Elles révélèrent, avec  une  remarquable  unanimité,  que les  contenus violents étaient porteurs d’un profond  pouvoir  anxiogène (3 références). Une étude  réalisée  sur  plus  de 2 200  écoliers  de  8  à  11  ans  indiqua,  par exemple,  après  prise  en  compte d’un  grand  nombre  de  covariables  potentielles,  que  les  enfants  les  plus téléphages obtenaient  des  scores  significativement  plus  élevés  à  des  tests d’anxiété  et  de  dépression (1 référence). D’autres  travaux,  déjà  évoqués,  révélèrent aussi  un lien entre exposition audiovisuelle et survenue de cauchemars chez l’enfant ou l’adolescent (3 références). Dans certains cas, les peurs générées par les contenus visionnés se  révélèrent si  intenses qu’elles durent faire l’objet d’une prise  en  charge  psychiatrique (3 références). L’exemple  le  mieux  documenté concerne  deux  écoliers  de  10  ans  qui  déclenchèrent  un véritable syndrome de  stress  post-traumatique  après  avoir  été  exposés  à  un  film  d’horreur particulièrement crédible (1 référence). »

Dans cet extrait, l’échantillon de référence (la population concernée : son âge, son nombre) est  mentionné. L’auteur évoque un « pouvoir anxiogène » des contenus violents, ce qui n’est pas très précis. Cependant, il cite ensuite les moyens auxquels on a eu recours pour le mettre en évidence et le définir plus clairement : tests d’anxiété et de dépression, nombre de cauchemars, nécessité d’une prise en charge psychiatrique. Si nous avons envie d’avoir un peu plus d’informations concernant ces méthodes, l’adjonction des références nous permet d’en obtenir.

Mise en application de l’outil 4 : liens texte/bibliographie.

Pour un rappel de l’intérêt de cet outil, regardons ce que nous en dit l’auteur de TV Lobotomie dans un avertissement au tout début de son ouvrage :

« Premièrement, pour l’auteur, elles constituent [les références dans le texte] un précieux  garde-fou   :  lorsque  chaque  assertion  se  doit  d’être  étayée,  il est moins  facile  de  dire  n’importe  quoi  et  de  faire  passer  des  boniments  de camelots  pour  des  faits  avérés.  Deuxièmement,  pour  le  lecteur,  elles permettent  de  remonter  à  la  source  des  évidences  présentées  et  ainsi  de vérifier  ou  d’approfondir  des  propos  qui  pourraient  être  jugés  suspects  ou engageants. »

Sur les 279 références mises à disposition dans L’enfant et les écrans, 147 sont invoquées dans le corps du texte pour donner au lecteur la possibilité de vérifier les différentes affirmations, soit 52,7% du total. En sachant que ce corps de texte s’étend de la page 11 à la page 195 de l’ouvrage, nous obtenons à titre indicatif, un rapport de : 147 références / 184 pages = 0,8 références par page (arrondi au dixième). Les 132 références restantes, non invoquées dans le corps du texte, sont listées dans une annexe en fin d’ouvrage.

Dans TV Lobotomie, sur les 1187 références mises à disposition, 1187 sont invoquées dans le corps du texte soit l’intégralité de la bibliographie. Ceci nous donne un rapport de 1187 références / 317 pages = 3,7 références par page (arrondi au dixième).

Dans L’enfant et les écrans, de nombreux passages sous-entendent l’existence de travaux scientifiques ayant montré quelque chose sans indiquer de référence. Citons, par exemple :

« Il a été montré que même des messages brefs envoyés par téléphone mobile pouvaient aider des patients à surmonter des crises d’anxiété et des troubles du comportement, comme l’alcoolisme ou l’addiction à la cigarette. » p173

Par ailleurs, nous estimons utile de signaler qu’aucune référence n’accompagne les passages consacrés aux effets des tablettes numériques. Par exemple :

« Une tablette numérique – à la fois visuelle et tactile – peut très bien, avec le concours d’un adulte (parents, grands-parents) ou d’un enfant plus âgé, participer au développement cognitif du bébé » p84

Enfin, la partie intitulée Un triple bouleversement qui, de la page 55 à 65, nous propose une analyse comparée de la culture du livre versus la culture des écrans est, pour illustrer cet outil, tout à fait édifiante. Aucune référence n’étaye ces dix pages. Alors que des affirmations assez surprenantes sont délivrées. Nous apprenons que :

« La culture des écrans privilégie la pensée spatialisée et la mémoire de travail là où la culture du livre privilégie la pensée linéaire, la narrativité et la mémoire événementielle. » p57

« La pensée du livre induit un modèle linéaire, organisé autour de relations de temporalité et de causalité. C’est le monde du « Où? Quand ? Comment ? Pourquoi ? », et du « mais, ou, et, donc, or, ni, car. » p58,59

« Enfin, la culture numérique accepte la coexistence des contraires. C’est une pensée du « à la fois, à la fois ». p59

Qu’est-ce que la « pensée linéaire » ? Comment sait-on que la « culture du livre privilégie la pensée linéaire » ? Qu’est-ce que le monde du « Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? » ou du « mais, ou, et, donc, or, ni, car » ? Nous pourrions nous poser encore de nombreuses questions à propos de ces quelques affirmations. Nous n’avons pas trouvé d’éclaircissements suffisants pour répondre à ces interrogations. L’absence de référence ne nous permet pas d’approfondir15.

À la vue de ces différents éléments, nous pouvons donc sans trop d’hésitation attribuer à TV Lobotomie une franche supériorité en terme de « force » du lien entre le texte et la bibliographie.

Mise en application de l’outil 5 : précision des références.

Elle est satisfaisante pour les deux ouvrages.

Mise en application de l’outil 6 : déclaration des liens d’intérêt des auteurs.

Aucun des deux ouvrages ne se prononce à ce sujet. Ce que nous trouvons dommage, surtout que, comme il est précisé dans l’avis de l’Académie des sciences à propos des écrans : « les enjeux commerciaux et économiques sont considérables. » p11.

Mise en application de l’outil 7 : vue d’ensemble du sérieux de la bibliographie.

Les deux bibliographies comprennent des références hétérogènes. À première vue, toutes les deux comportent un nombre important d’articles scientifiques.

Une évaluation comparative ne nous paraît pas adaptée vu la différence d’ampleur entre les bibliographies. Nous notons tout de même que l’auteur de TV Lobotomie (contrairement à ceux de L’enfant et les écrans) s’attelle de manière récurrente à la description précise des études qu’il cite : population concernée, procédure expérimentale, résultats, etc. Ceci permettant, au fil de la lecture, d’accéder à une première estimation du sérieux et de la qualité des références utilisées.

Remarquons aussi que L’enfant et les écrans ne mentionne à aucun moment l’existence de l’ouvrage de Michel Desmurget écrit pourtant deux ans auparavant.

Ce dernier, dans TV Lobotomie, critique à plusieurs reprises le positionnement sur la télévision d’une personne nommée Serge Tisseron. Nous trouvons par exemple :

« Ultimement,  elles  constitueraient [les images] «  un moyen  de  connaissance  et  l’ensemble  de  l’imagerie  médicale  montre l’importance prise dans  notre société  par l’image comme moyen de  connaître et  de  comprendre ». Je  dois  dire  que  j’aime  tout  particulièrement  cette  dernière  citation  de Serge Tisseron tant elle  est  représentative  des  amalgames  douteux  dont  nous  abreuve  la  coterie  des  thuriféraires  médiatiques. » page 177

Nous suggérons la lecture du passage complet pour prendre toute la mesure de cette critique.

Nous avons donc été particulièrement surpris de constater que ce même Serge Tisseron se trouvait être un des quatre rédacteurs de L’Enfant et les écrans, d’autant plus que, sur les 147 références que comprend cet ouvrage, 24 d’entre-elles (soit 16%) concernent un document de Serge Tisseron.

Finalement, nous avons notre petite hypothèse quant au fait que le remarquable travail de Michel Desmurget ne soit aucunement mentionné dans L’enfant et les écrans.

Mise en application de l’outil avancé A : concordance entre le contenu de la référence et ce qu’en dit l’auteur qui y renvoie.

Pour illustrer l’utilisation de cet outil et comparer les deux ouvrages, nous avons choisi la première étude citée dans L’enfant et les écrans pour les trois raisons suivantes :

  • elle porte sur l’impact de la consommation télévisuelle chez l’enfant,
  • elle est citée également dans TV Lobotomie,
  • elle est accessible intégralement et gratuitement.

Le but de cette étude16 était d’évaluer l’impact de la consommation télévisuelle de programmes éducatifs et non éducatifs entre 3 et 5 ans sur le développement cognitif entre 6 et 7 ans. Pour cela les chercheurs se sont appuyés sur le nombre d’heures de consommation télévisuelle par jour et sur des résultats à des tests validés de mathématiques, de mémorisation et de compréhension écrite.

Voici ce qu’en dit L’enfant et les écrans :

« Aucune étude ne démontre en effet, à ce jour, un impact positif des écrans non interactifs sur le développement précoce, alors que plusieurs travaux pointent l’existence de problèmes chez les enfants qui y sont exposés de manière excessive. Une telle exposition, y compris avec des programmes adaptés, entrave le développement du langage [référence envers l’étude en question][…] »17

Nous comprenons donc que l’exposition excessive des enfants à la télévision, y compris devant des programmes adaptés, entrave le développement du langage.

Ce n’est pas ce qui est précisément mentionné dans l’étude. À aucun moment l’étude n’évoque spécifiquement l’impact sur le langage – encore faudrait-il définir ce que l’on met derrière ce mot. De plus, l’étude ne parle pas d’exposition excessive, mais d’exposition tout court. Mais là encore, il faudrait être plus précis sur ce que l’on entend par excessif. Les enfants inclus dans l’étude regardaient en moyenne la télé 3h29 par jour entre 3 et 5 ans.

Nous pensons que les propos des auteurs de L’enfant et les écrans manquent de précision et ne reflètent pas les résultats de l’étude.

TV Lobotomie mentionne l’étude à deux reprises :

« En lui-même, ce résultat n’est guère surprenant tant abondent les données montrant que l’usage télévisuel s’acquiert par imprégnation durant les âges initiaux de la vie. [6 références dont l’étude en question] »18

Ce n’est pas l’objet de l’étude, comme nous l’avons précisé précédemment. Cependant, les auteurs de cette dernière évoquent dans leur partie méthode qu’il existe une corrélation entre l’exposition avant 3 ans et celle entre 3 et 5 ans, entre celle entre 3 et 5 ans et celle à 6 ans, ainsi qu’entre celle avant 3 ans et celle à 6 ans. Ils évoquent uniquement une corrélation et non une causalité (sur la différence entre corrélation et causalité, voir par exemple cet article). Nous ne pensons pas pouvoir conclure, à partir de cette référence, que « l’usage télévisuel  s’acquiert par imprégnation durant les âges initiaux de la vie ».

Plus loin, Michel Desmurget dit ceci :

« Cette conclusion rejoint les résultats d’une autre étude ayant établi l’existence d’une relation significative entre le nombre d’heures passées devant le poste avant 3 ans et la réussite à des tests standardisés de lecture et de mémoire à 6-7 ans [référence envers l’étude] »19

Il y a cette fois une concordance nette entre l’étude et ce qu’en dit Desmurget. Pour une autre illustration de cet outil, on peut lire l’article du Monde écrit par trois chercheurs dont M. Desmurget qui critique vivement L’enfant et les écrans. Voir particulièrement le paragraphe « Influences délétères importantes ».

Les différences qu’il existe entre le contenu de l’étude de Zimmerman et al. et ce qu’en disent les deux ouvrages analysés montrent en quoi il est important de réaliser ce travail pour les informations qui nous semblent les plus importantes.

Synthèse

Nous avons synthétisé cette seconde partie dans le tableau suivant :

 

TV Lobotomie

L’enfant et les écrans

Présence d’une bibliographie Oui Oui
Ampleur de la bibliographie 1193 références 147 références
Clarté des affirmations Très satisfaisante Peu satisfaisante
Lien texte/bibliographie Très fort Moyen
Précision des références Satisfaisante Satisfaisante
Déclaration des liens d’intérêt des auteurs Absente Absente
Qualité des références Évaluation partielle Évaluation partielle

Conclusion

 Le livre TV Lobotomie est paru en 2011. Nous le pensons porteur d’importants enjeux sanitaires et sociaux. Indépendamment du fond, la rigueur méthodologique déployée par Michel Desmurget dans cet ouvrage à destination du grand public nous est apparue exemplaire.

Comme nous avons pu le souligner, L’enfant et les écrans, paru en 2013, a été vivement critiqué par une partie de la communauté scientifique20 [23]. Nous rejoignons en tout point leur analyse. Avec L’Enfant et les écrans, nous obtenons une énième démonstration du fait qu’être une autorité scientifique ne peut constituer un gage suffisant de qualité de l’information délivrée.

Maintenant, nous ne pouvons qu’encourager le lecteur à évaluer ces deux ouvrages par lui-même.

 
Nelly Darbois et Albin Guillaud