Entraînez-vous – La fabrique du consentement selon Mathieu Vidard

Mathieu Vidard, journaliste de France Inter, alterne depuis des années des émissions de bonne qualité et de très mauvaises séquences, qui lui sont probablement dictées par son manque assez manifeste de formation en épistémologie (voir ici, , et ). Il est donc un fournisseur régulier de matériel pédagogique pour nos colonnes. Cette fois-ci, en date du 20 mars 2018 pour l’édito carré, il a produit un texte réagissant à la publication d’une tribune relayée dimanche 18 mars par Le Figaro et d’un blog intitulé fakemedecine. Pour nous qui faisons cours dans l’unité d’enseignement Santé et autodéfense intellectuelle d’un Master destiné aux étudiants des filières médicales et paramédicales, et qui dirigeons des travaux sur la fabrique du consentement par les médias, ce genre d’édito est un riche combo en terme d’esprit critique. En cliquant en bas de l’article, vous trouverez l’analyse détaillée de cet édito. En attendant, entraînez-vous, en faisant l’analyse par vous-même en écoutant l’audio, visionnant la vidéo, ou en lisant la retranscription.

Charlatans d’homéopathes !

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Ce matin dans l’édito Carré, vous réagissez à ce texte contre les médecines alternatives publié hier dans le Figaro.

Et signée par 124 médecins et professionnels de santé, qui ont pris la plume pour dire tout le mal qu’ils pensaient des thérapies non conventionnelles en dénonçant en particulier les médecins homéopathes.

Surfant sur le thème des fake news, nos docteurs déguisés en oies blanches, se drapent dans l’arrogance de leur respectabilité scientifique pour dézinguer –je cite- ces fausses thérapies à l’efficacité illusoire.

Et d’en appeler au Conseil de l’ordre des médecins pour sévir contre les fous furieux de la granule et renvoyer au fin fond du Larzac ces dangereux baba cool qui empoisonnent les patients à coup de Nux Vomica et d’Arnica Montana 30 ch. 

Si cette tribune n’était pas franchement insultante pour les praticiens comme pour les 40% de Français qui ont recours aux médecines alternatives, on s’amuserait des arguments de ces pères la morale.

Et pourquoi montent-ils au créneau ?

Pour alerter contre la dangerosité et le manque d’éthique des médecines parallèles avec des praticiens qui menacent selon eux de devenir les représentants de commerce d’industries peu scrupuleuses. 

Lorsqu’on pense aux dizaines de milliers de personnes qui sont devenues gravement malades ou qui ont passé l’arme à gauche en raison des effets secondaires de médicaments allopathiques type Médiator ou Distilbène, ou lorsque l’on sait que les somnifères ou les anti-dépresseurs sont prescrits de façon excessive, qu’ils représentent des bombes à retardement tout en faisant la fortune de laboratoires pharmaceutiques véreux ; on se dit que notre club des 124 pourrait légèrement baisser d’un ton. 

Dans cette tribune, les médecins écrivent que l’homéopathie n’est pas scientifique. 

Et ils ont raison puisqu’aucune étude sérieuse n’a prouvé à ce jour une quelconque efficacité de cette thérapie. Le contenu scientifique des médecines alternatives est vide. Rien d’autre que l’effet placebo. Et alors ?

Est-ce que tous les allopathes peuvent se vanter de pouvoir soigner chaque maladie de façon rationnelle ? Non bien sûr. 

Alors n’est-il pas possible d’admettre qu’il existe parfois une part de magie permettant de soigner ? 

Comme le rappelle le pharmacologue Jean-Jacques Aulas, l’illusion constitue un outil redoutablement efficace, qui peut avoir sa place dans l’art difficile de la thérapeutique. 

En conclusion de leur tribune, les 124 exigent que l’ensemble des soignants respectent une déontologie et qu’ils proposent à leurs patients une écoute bienveillante. Il fallait oser ! Car c’est précisément à cause d’une médecine conventionnelle déshumanisée que les malades fatigués d’être considérés comme de simples organes sur pattes, se tournent vers des praticiens capables de passer du temps avec eux et de les écouter. 

En accusant les médecins homéopathes de charlatanisme et en dénigrant la fonction humaniste apportées par ces thérapeutes, les signataires de ce texte se trompent de cible et font courir le risque à des patients de se retrouver vraiment entre les mains de pseudo médecins. 

On se demande bien quel est l’intérêt d’une tribune aussi péremptoire à l’heure où la médecine allopathique pourrait largement balayer devant sa porte plutôt que d’avoir le mauvais goût de dénigrer le travail de ses confrères.

(C)AJPhoto Homéophatie
(C)AJPhoto
Homéophatie (sic!)

Pour voir l’analyse détaillée, cliquez ici.

 
 

Prodiges et vertiges de l'analogie

Le titre de cet article est un hommage à Jacques Bouveresse, qui a produit un livre revigorant portant ce titre en 1999, aux éditions Raisons d’agir : il y met en évidence chez nombre de penseurs et penseuses le « littérarisme », cette tendance à abuser de l’analogie et du « droit à la métaphore ». Henri Broch a coutume de répéter la facette zététique suivant : l’analogie n’est pas une preuve. Dans cette page, nous recenserons les analogies les plus stupéfiantes. Lorsque ces analogies empruntent à un domaine des concepts et les introduisent sans justification dans un autre, sans que ni les spécialistes du domaine d’origine ni cell·eux du domaine de réception n’y comprennent goutte, alors nous sommes dans ce qu’Alan Sokal et Jean Bricmont qualifièrent il y a une vingtaine d’années d’imposture intellectuelle, que Sokal rend explicite dans cette rediffusion de l’émission Répliques du 11 octobre 1997 sur France Culture. D’autres impostures ont depuis permis de crever quelques baudruches, comme celle de Benedetta Tripodi, que nous avions relayée. Or, comme le dit notre ami Pierre Deleporte, une imposture intellectuelle se fait à deux : cell·ui qui produit la nébulosité, et cell·ui qui la reçoit sans broncher. Alors entraînons-nous.

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Bruno Bonnell, député République en Marche de la 6ème circonscription du Rhône

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La quadrature du cercle étant établie comme impossible, on ne peut en effet être «en même temps» rond et carré. Il existe pourtant une solution géométrique simple : si on projette un cylindre sur deux plans orthogonaux, on obtient tout à la fois un rond et un carré. En ajoutant une dimension d’analyse, en passant du plan à l’espace un problème mathématiquement et apparemment insoluble trouve sa solution, Eurêka !

Cet exemple est une bonne métaphore de la réussite de La République En Marche dont l’axiome audacieux a consisté à rajouter une dimension idéologique supplémentaire à la réflexion politique en panne. Changer de référentiel était nécessaire dans un monde qui s’est complexifié, et a ouvert  les esprits à des solutions politiques nouvelles. CQFD En Marche !

(dans »Le secret du « en même temps » et les alliances paradoxales« , Tribune du 28 février 2018).

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La charge de la validité de l’analogie revenant à celui qui l’utilise, nous ne devrions pas avoir à faire le travail d’analyse. Néanmoins, voici les points centraux : 

  • Monsieur Bonnell n’a pas saisi le problème de la quadrature du cercle, problème classique antique, qui n’a rien à voir du tout avec ce qu’il raconte sur le cylindre. Il consiste à construire un carré de même aire qu’un disque donné à l’aide d’une règle et d’un compas, or il nécessite de parvenir à faire la racine carrée du nombre π, ce qui est impossible en raison de la transcendance de π . L’insolubilité du problème a été démontrée par Ferdinand von Lindemann en 1882.
  • L’artifice des projections orthogonales du cylindre ne répond pas du tout à cela – ne répond d’ailleurs à rien.
  • L’analogie de M. Bonnell repose sur :

– une dimension topologique en plus crée de nouveaux objets mathématiques

– une dimension idéologique (?) en plus crée La République en marche

  • Enfin, ajouter une dimension ne revient pas à changer de référentiel. Après avoir fâché les mathématicien·nes et les politistes, il fâche maintenant les physicien·nes.

Vidéo Disputatio n°2 – Souffrance animale et expérimentation thérapeutique

Après la première mouture de disputatio, réalisée en octobre 2016 (voir ici : Vidéo – Disputatio n°1 – L’art du débat rationnel), nous avons remis le couvert le mardi 21 novembre 2017 sur un thème fréquent de nos enseignements liés à la philosophie morale : la souffrance animale se justifie-t-elle moralement dans le cadre de l’expérimentation thérapeutique ? Nos invités furent le pharmacologue Christophe Ribuot et le militant égalitariste Yves Bonnardel. L’événement, qui rassembla environ 350 personnes, fut filmé par les bons soins de Fabien La Rocca, et mis en forme par Djamel Hadji, tous deux membres de l’équipe audiovisuelle de l’Université Grenoble-Alpes. L’événement fut dédié au réseau libre-penseur Mukto-Mona. Il n’y eut aucun travail de coupe dans le document. A déguster sans modération.

Déroulement

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Christophe Ribuot

Le plan du soir fut le même que pour la première fois, et nos consignes sont données dans le début de la vidéo.

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Yves Bonnardel, et la juge Nelly Darbois
Nicolas Vivant
Nicolas Vivant
  • Puis 20/20/10/10 : tirage au sort de la partie qui commence, puis 20minutes de présentation pour chaque partie, puis 10 minutes de réponses aux arguments de la partie adverse.
  • Système d’arbitrage : deux juges de touche ont la possibilité d’arrêter le débat si une entourloupe argumentative est déployée.
  • Vérification des faits (fact checking) : en cas d’utilisation d’une donnée chiffrée, possibilité de vérifier en direct la valeur de la donnée.
  • Enfin le public a eu la possibilité de transmettre ses propres questions par SMS (nous réfléchissons à un système permettant d’archiver ces questions par un autre procédé).
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Richard Monvoisin, Julien Peccoud et Albin Guillaud

Faisant l’analyse de l’événement, le principal regret fut dans le fait que le débat s’est quelque peu « croisé », et non opposé. Par contre le débat fut dans la forme de haute tenue, et le nombre d’interventions assez faible du jury en est témoin.  Voyez plutôt ci-dessous.

Christophe Ribuot met son diaporama à disposition en pdf : ici.

Les vidéos

Premier round

Deuxième round

Troisième round

Quatrième round

Résultats du test

Avec l’aide de Timothée Guilhermet et de Timothée Gallen, nous avons dépouillé les 207 résultats exploitables. Nous avons posé les hypothèses suivantes :

  • H1: Il y a une différence significative entre les scores avant et les scores après le débat chez les personnes du public
  • H2 : les différences entre les scores avant et après le débat sont dépendantes de l’âge du public (avec l’hypothèse que plus une personne est âgée, moins elle tend à changer d’avis). Aussi avons-nous trié trois populations : moins de 18 ans, 18-34, et 35 ans et plus.
  • H3 : les Les différences entre les scores avant et après le débat sont dépendantes de la position de départ : si extrême, peu mobiles ; si modérée, elles seront plus mobiles.

Nous avons dépouillé en attribuant -1 jusqu’à -5 aux positions du non, et +1 à +5 aux position du oui. Tous les résultats sont tronqués à trois décimales.

Le résultat est… décevant.

La moyenne générale est avant débat de -0.789 ; après débat, de -0.756. Nous avons commencé par tester la normalité de la distribution, et comme celle-ci n’était pas normale, nous avons ensuite fait un test de Wilcoxon signé pour comparer les résultats avant et après. Aucun résultat significatif sur l’effet général, donc H1 n’est pas validée.

Moyenne des moins de 18 ans : avant débat: -0.571 ; après débat: -0.035.

Moyenne des 18-35 ans : avant débat: -1.175 ; après débat: -1.221.

Moyenne +35 ans avant débat: -0.625 ; après débat: -0.729.

La même méthode (normalité puis Wilcoxon) a été utilisée, en testant les moins de 18 ans, ce qui suffit à compromettre l’hypothèse H2. Les différences entre les scores avant et après le débat ne sont donc pas accrues avec la jeunesse du public, puisque les différences sont non significatives même pour les plus jeunes. H2 n’est donc pas validée.

Pour H3 (les différences entre les scores avant et après le débat sont dépendantes de la position de départ : si extrême, peu mobiles ; si modérée, elles seront plus mobiles), nous avons fait comme suit : soit Delta {+/-i}, la moyenne des différences entre la valeur avant et la valeur après pour les gens ayant répondu i ou-i avant.

On s’attend d’après H3 à :

Delta {0} > Delta {+/-1}  > Delta {+/-2} > Delta {+/-3} > Delta {+/-4}

Voici les résultats tronqués à la 4ème décimale.

Delta {0} = 1.5384

Delta {+/-1} = 1.0243

Delta {+/-2} = 1.0245

Delta {+/-3} = 0.625

Delta {+/-4} = 0.7380

On a donc : Delta {0} > Delta {+/-2}  > Delta {+/-1} > Delta {+/-4} > Delta {+/-3}

Sans aucun test, on constate par simple calcul de la moyenne que l’effet n’est pas présent.

Aucune de nos hypothèses de départ n’a donc été validée. Ainsi va la science. Il est possible que ce soit du fait du « croisement » des argumentaires, et/ou aussi d’un effet de gel des positions sur des sujets aussi affectivement marqués. D’autre part, l’idée du questionnaire a été tardive, et fut construite en peu de temps. Il n’est pas exclu que les résultats soient biaisés, par la forme de la présentation, par celle de la question ou celle des modalités de réponse. Nous ferons notre possible pour améliorer le prototype et enlever cette variable de nos biais potentiels. Gageons que les disputes ultérieures auront un plus fort impact, sinon il nous faudra admettre que ce stratagème pédagogique ne porte pas les fruits escomptés.

Les statistiques ont été traitées par le logiciel (non libre) SPSS par Timothée Guilhermet, Licence 3 de psychologie, et Timothée Gallen, Master 2 philosophie des sciences.

CorteX_disputatio_souffrance_animale_21.11.2017

Merci à Ismaël Benslimane, Julien Peccoud, Nicolas Vivant, Nelly Darbois, Albin Guillaud, Timothée Gallen, Timothée Guilhermet, Fabien La Rocca, Djamel Hadji, Francois B pour le graphisme, Serge Merlin-Forel qui s’est démené pour nous procurer les chaises d’arbitre et les conférenciers qui se sont bien donnés, Christophe Ribuot et Yves Bonnardel. Grand merci à Armand Zvenigorodsky pour la musique spécialement créée pour nous.

La thérapie miroir, l'effet neurosciences et les neuromythes

Il existe une multitude de techniques de rééducation proposées aux patient·es pour diminuer leurs douleurs ou améliorer leurs capacités fonctionnelles. Depuis 2014, je présente l’une de ces techniques, la thérapie miroir (TMi), aux étudiant·es en kinésithérapie de l’Institut de formation en masso-kinésithérapie de Grenoble. L’enseignement de cette technique est un bon moyen de mettre en application la recherche et le tri d’informations en santé et quelques outils d’autodéfense intellectuelle, notamment dans le domaine des neurosciences. Ci-dessous, je présente les grandes lignes du cours, les ressources pédagogiques utilisées et propose au format audio une présentation sur le sujet plus généraliste, présentée devant un public d’étudiant·es et chercheur·es en sciences humaines et sociales, professionnel·les de santé, ingénieur·es et patient·es.

Cours pour étudiant·es kiné

Introduction

En guise d’introduction, je propose aux étudiant·es (entre 50 et 70 personnes, lors d’un cours magistral en amphi de 3 heures) de répondre sur une feuille de manière anonyme à trois questions.

  • « On n’utilise que 10% de nos capacités cérébrales » (Réponses possible : totalement d’accord, d’accord, peu d’accord, pas du tout d’accord.)
  • « Il y a des preuves quant à l’efficacité de la TMi chez les patient·es souffrant de douleurs du membre fantôme. » (Réponses possible : totalement d’accord, d’accord, peu d’accord, pas du tout d’accord.)
  • « Il existe des techniques de rééducation agissant sur les neurones miroir et permettant par leur biais de retrouver une bonne motricité après un AVC massif. » (Réponses possible : totalement d’accord, d’accord, peu d’accord, pas du tout d’accord.)

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Résultats de la promotion d’étudiant·es en kinésithérapie eue en cours en 2014 (à l’époque, les choix de réponse n’étaient pas de type « échelle de Likert » comme expliqué précédemment mais sous la forme très vraisemblable, vraisemblable, peu vraisemblable, invraisemblable). Nb : une coquille s’est glissée dans le titre du graphique, on lira plutôt « On n’utilise que 10% de notre cerveau ».

J’invite ensuite les étudiant·es à regarder les réponses au test données par les étudiant·es les années précédentes et leur explique que ces différentes affirmations vont être traitées dans le cours.

Présentation de la technique

Afin de présenter la technique, je propose notamment de visionner cet extrait de l’épisode 4 saison 6 de la série Docteur House (l’extrait est en version originale).

 

Dans cet extrait on suit une « séance » de thérapie miroir pratiquée sur un patient amputé d’un bras et souffrant de douleurs du membre fantôme extrêmement fortes et gênantes depuis plusieurs années. Le patient, par le biais d’une simple boîte en carton, observe le reflet dans un miroir de son membre sain. À peine l’a-t-il observé que ses douleurs se volatilisent.

Si cette séquence a pour mérite d’assez bien présenter le dispositif de la TMi, elle est aussi une très belle illustration du traitement médiatique régulièrement réservé aux techniques d’éducation ou rééducation basée sur les neurosciences : on exagère les effets attendus.

Historique de la TMi

Diane et Vilayanur Ramachandran
Diane et Vilayanur Ramachandran

J’aborde ensuite brièvement l’historique de la TMi. La paternité de la Tmi est souvent attribuée à Vilayanur Ramachandran, qui est effectivement co-auteur (avec sa femme Diane Ramachandran) du premier article retrouvé dans les bases de donnée indexant les publications dans le champ de la santé, datant de 1996. Mais on retrouve dans la littérature des travaux datant de la fin du XIXème siècle qui déjà utilisaient l’idée de regarder dans un miroir certaines parties de corps et observaient les conséquences en terme de perceptions et motricité (travaux du psychologue George Malcom Stratton). J’explique un peu plus précisément comment se met en place une rééducation par TMi en montrant quelques photos voire vidéos de patient·es que j’ai pris en charge. J’introduis à ce moment là les limites découlant de ma propre expérience personnelle amenée comme preuve potentielle d’efficacité de la technique.

Problèmes liés à l’apport du témoignage en guise de preuve

J’explique que comme pour beaucoup de thérapies, ce sont souvent des témoignages de praticien·nes, de patient·es ou de chercheur·es qui peuvent être amenés en guise de preuve de l’efficacité de la TMi, y compris dans la littérature scientifique (études de cas). J’introduis ici les problèmes liés au témoignage et aux cas cliniques apportés comme preuve de l’efficacité de quelque chose : généralisation abusive, confusion corrélation-causalité, fluctuation des symptômes et des maladies et régression à la moyenne, biais de mémorisation, tri sélectif 1.

Je rappelle ici les principes de la pratique basée sur les preuves (ou Evidence-based practice) : l’idée n’est pas de mettre l’expérience personnelle des praticien·nes et des patient·es à la poubelle mais de leur accorder une juste place dans le triptyque expérience clinique, préférences des patient·es, données de la recherche.

L’accent est surtout mis sur la façon de se renseigner dans la pratique quotidienne sur une technique de rééducation dont on questionne l’efficacité (quels sites internet, quels mots clés, quelles informations lire), et sur la lecture critique de quelques essais (comment se faire rapidement une idée de la qualité des essais que l’on a devant les yeux ?), au travers de la littérature sur la TMi.

Une technique efficace ?

Revue de littérature

Cette partie est l’une des plus longues. Il s’agit de présenter les preuves disponibles dans la littérature scientifique sur l’efficacité (ou non) de la TMi (une liste non exhaustive de la littérature évoquée est disponible tout en bas de la page dans le document en PDF) pour différentes pathologies (principalement : l’hémiplégie suite à un accident vasculaire cérébral, la paralysie cérébrale de l’enfant, l’amputation, les syndromes douloureux régional complexe et les troubles musculo-squelettiques d’origine traumatologique ou rhumatologique) et symptômes (douleur, déficit articulaire ou musculaire, déficit fonctionnel, troubles sensitifs). Aujourd’hui, des preuves d’efficacité de la TMi comparativement à des prises en charge par TMi placebo ou prise en charge standard sont présentes pour certains symptômes présents chez les personnes hémiplégiques et les enfants souffrant de paralysie cérébrale. Il n’y a pas de preuve de qualité suffisante montrant l’effet de la TMi chez les personnes amputées, contrairement à ce qui est souvent avancé.

TMi « seconde vague »

Finalement j’aborde l’existence dans la littérature médicale relue par les pairs d’une sorte de TMi « seconde vague ». En effet, on voit apparaître depuis les années 2000, y compris dans des journaux de médecine réputés comme le Lancet 2, des articles présentant de la TMi par le biais d’environnements de réalité virtuelle, des exosquelettes ou encore des robots. Ces articles ne comparent jamais, à ma connaissance, l’efficacité de la TMi numérisée ou robotisée à la TMi plus classique. Pire, il s’agit le plus souvent d’études de quelques patient·es (parfois un seul 3) sans groupe contrôle. Or ses « études » ne peuvent constituer des preuves d’efficacité (et encore moins de supériorité) de la TMi numérisée ou robotisée, pour toutes les raisons évoquées dans la partie précédente réservée aux témoignages et cas clinique. Les dispositifs utilisés sont coûteux sur le plan économique et humain comparativement aux simples boîtes en carton « faites-maison » utilisées le plus souvent en TMi : fabrication (avec matières premières rares, pour les batteries notamment), achat par les établissements ou professionnel·les de santé, frais de formation des patient·es et des praticien·nes, maintenance, réparation. Sont aussi soulevés les problèmes liés au fait que le temps d’installation des patient·es sur ces dispositifs est conséquent, et qu’il n’est pas imaginable que chaque patient·es puisse avoir ces dispositifs à la maison et continuer les séances en autonomie. En résumé, il est abordé avec les étudiant·es les limites potentielles de ces dispositifs, particulièrement s’ils ne sont pas testés de manière comparative avec des outils moins coûteux.

Mécanisme d’action

Je rappelle aux étudiant·es que souvent lors des cours sur des techniques de rééducation, un temps non négligeable du cours est consacré aux mécanismes d’action (neurophysiologiques ou mécaniques) de la technique présentée. Concernant la TMi, une des hypothèses avancées pour expliquer son efficacité (dont les preuves disponibles sont circonscrites, on l’a vu, à certaines populations et indications bien précises) est l’activation du système des neurones miroirs lorsqu’on réalise la technique.

Les limites des explications cohérentes

J’explique pourquoi je passe peu de temps sur ces explications : une technique peut être tout à fait cohérente avec les connaissance antérieures en physiologie humaine et biomécanique, et pour autant ne pas montrer une efficacité supérieure à d’autres techniques ou à l’absence de prise en charge. Une illustration possible est l’histoire du flécaïnide, dans les années 80. La substance active contenue dans ce médicament réduisait les arythmies de patient·es souffrant de problèmes cardiaques. Il semblait donc logique de le recommander à des patient·es souffrant de troubles du rythme. Plus de 200 000 personnes furent traitées avec ce médicament. En parallèle, des essais contrôlés randomisés ont été menés sur d’autres patient·es. On s’est alors rendu compte que la mortalité des patient·es était plus importante dans les groupes avec flécaïnide que dans les groupes avec placebo. Le médicament a alors été retiré du marché pour certaines indications, bien que d’un point de vue physio-pathologique, l’indication était cohérente 4.

Les neurones miroirs

J’insiste sur le fait que l’hypothèse de l’activation du système des neurones miroirs lors de la TMi est une des hypothèses physio-pathologiques possibles, mais qu’elle ne peut constituer en rien une preuve quelconque de son efficacité.

Je rappelle brièvement ce que sont les neurones miroirs. J’insiste surtout sur l’extrapolation qui est faite des connaissances relatives aux neurones miroirs : on retrouve dans un certain nombre d’ouvrages de développement personnel, d’éducation ou de rééducation, destinés au grand public ou aux professionnel·les de santé, l’appel au système des neurones miroirs pour justifier l’efficacité d’une méthode ou expliquer des phénomènes complexes et multifactoriels. Cela est notamment le cas dans la conférence TED de Ramachandran où il qualifie les neurones miroirs de « neurones qui ont formé la civilisation », ou dans cet article de Médiapart où on trouve la citation suivante : « Ces neurones miroirs confirment les découvertes de C.G.Jung sur l’influence déterminante de notre inconscient personnel et collectif. » 5.

L’effet neurosciences

Définition

Ces présentations permettant d’enchaîner sur l’effet neurosciences, décrit ainsi par Normand Baillargeon : « On tend à accorder plus de crédibilité à une idée, même fausse, quand elle se réclame des neurosciences, quand elle utilise son langage, ses images. » 6.

Preuves expérimentales

Cet effet est étayé expérimentalement. Je présente une ou deux études illustrant cet effet : celle de Lindell et Kidd de 2013, qui montre que le fait d’être exposé à un prospectus vantant une méthode d’éducation dont le titre est Right Brain Training plutôt qu’à un prospectus de contenu strictement identique mais s’intitulant Right Start Training, influence les adhésions aux programmes des personnes (les gens exposés à Right Brain pensent par exemple plus souvent que le fondement scientifique de la méthode est important) 7. (Voir illustration ci-après, qui m’a été fournie par les auteur·es de la publication.)

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CorteX_tmi_effet-neurosciencesUne autre étude s’intéressant à l’effet neurosciences est celle de Ali et al., 2014 8. Des étudiant·es sont exposé·es à une machine censée lire dans leur pensées (nommée Spintonics, qui les expose à des représentations graphiques de cerveaux) ; des questions leur sont posées relativement à leur scepticisme vis-à-vis des capacités de la machine, selon si les étudiant·es ont ou non suivi un cours d’esprit critique durant tout un semestre. Leur scepticisme vis-à-vis des capacités de la machine à leur pensée reste faible, y compris pour les étudiant·es exposé·es à des cours d’esprit critique sur les neurosciences.

Illustrations

On trouve de nombreuses illustrations de l’effet neurosciences dans des magazines grand public ou pour professionnel·les de santé, sur des sites internes, dans des brochures commerciales, etc. Le Neuromotus© est par exemple un appareil permettant de réaliser de la TMi par réalité virtuelle, notamment pour des personnes amputées.

Les neuromythes

Selon le temps dont je dispose, j’aborde également certains neuromythes tels que ceux présentés ci-dessous, qui ont déjà fait l’objet d’une présentation en accès libre disponible ici.

 

Audio

L’enregistrement audio de la présentation La thérapie miroir : de l’outil thérapeutique aux neuromythes par Nelly Darbois lors du séminaire Corps et prothèses, sensori-motricité, intersensorialité et réalité virtuelle du 26 janvier 2018 à Grenoble.

Télécharger l’audio ici. Voir ou télécharger le diaporama en PDF.

Nelly Darbois

"Être ou devoir être, telle est la question" – La guillotine de Hume

La loi de Hume1, aussi appelée guillotine de Hume2, est une proposition méta-éthique qui interdit l’inférence d’un « être » (is) à un « devoir-être » (ought). Ou comme le formule Raymond Boudon « aucun raisonnement à l’indicatif ne peut engendrer une conclusion à l’impératif »3.

 On a souvent confondu la loi de Hume avec ce que G. E. Moore nomme dans son Principia Ethica (1903) le paralogisme ou sophisme naturaliste4.

La réflexion originale de David Hume se situe dans le Traité de la nature humaine :

« Je ne puis m’empêcher d’ajouter à ces raisonnements une observation qu’on trouvera peut-être de quelque importance. Dans tous les systèmes de moralité que j’ai rencontrés jusqu’ici, j’ai toujours remarqué que l’auteur procède quelque temps de la manière ordinaire de raisonner, et établit l’existence d’un Dieu, ou fait des observations, concernant les affaires humaines ; quand soudain je suis étonné de trouver qu’au lieu de rencontrer les copules habituelles est et n’est pas, je ne trouve aucune proposition qui ne soit connectée avec des doit ou ne doit pas. Ce changement est imperceptible, mais a néanmoins de grandes conséquences. Car comme ce doit ou ne doit pas exprime quelque nouvelle relation ou affirmation, il est nécessaire que celle-ci soit observée et expliquée, et qu’en même temps une raison soit donnée pour ce qui semble tout à fait inconcevable, que cette relation puisse être une déduction d’autres qui en sont entièrement différentes. Mais comme les auteurs n’utilisent pas fréquemment cette précaution, je me permets de la recommander au lecteur, et je suis persuadé que cette petite attention fera succomber tous les systèmes vulgaires de moralité et nous fera voir que la distinction entre le vice et la vertu n’est pas fondée simplement sur la relation entre objets ni n’est perçue par la raison. »5

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Les pandas, ces braves militants anti-créationistes qui font la nique au finalisme biologique, et qui ont appliqué la loi de Hume en se disant : « C’est pas parce qu’on est carnivore qu’on doit manger de la viande ! »

Ce que semble vouloir dire Hume, est qu’il n’est pas possible de passer d’une proposition indicative à une proposition normative sans justification. Plusieurs interprétations et critiques ont été données de cette loi de Hume. On constate ainsi qu’il est techniquement possible de tirer une conclusion normative de prémisses purement descriptives6. Des tentatives de reformulations plus exactes ont donc été données afin de pallier les limites de la formulation classique de Hume. En accord avec la majorité des idées proposées par Sam Harris dans The Moral Landscape (2010)7, nous proposons à notre tour une reformulation qui met en exergue le point essentiel que nous reconnaissons à l’énoncé
de Hume et en limite le caractère controversé.

il est fallacieux d’aller chercher dans la description des lois aveugles8 de la biologie et de la physique des justifications à des choix éthiques normatifs.

Une lionne devenue antispéciste après avoir lu P. Singer ou T. Regan (les sources ne sont pas claires).

Prenons des exemples concrets que l’on rencontre souvent lors de débats à propos de l’antispécisme. Du côté des anti-spécistes comme des spécistes, des arguments pseudo-scientifiques sont mobilisés pour justifier des choix comportementaux. Du côté de certain.e.s anti-spécistes, on entend parfois que l’humain serait végétarien « par nature », pour des raisons physiologiques et psychologiques. Cette affirmation naturaliste (cf. Biologie, essentialisme : Nature, écologisme, sexisme, racisme, spécisme, CORTECS) est présente, à notre connaissance, depuis au moins le XVIIIème siècle. On la retrouve notamment dans Émile ou l’Éducation (1762) de J.-J. Rousseau. Ces arguments peuvent prendre les formes suivantes.

  • Version finaliste simple : l’humain est omnivore et doit manger de la viande pour survivre / l’humain est végétarien, et ne doit pas manger de viande. L’humain est fait « pour » (a été « programmé pour », a pour finalité de) manger telle ou telle chose…
  • Version finaliste, par analogie : le lion chasse et mange la gazelle, et nous n’y pouvons rien. Donc pourquoi ferions-nous différemment du lion ?
  • Version ad antiquitatem (cf. argument d’historicité, CORTECS) : nos ancêtres mangeaient de la viande, l’humain doit donc manger de la viande.

Un éléphant et un rhinocéros qui ont peur d’être hors la loi (de Hume), et d’être des moutons de Panurge. Ce n’est pas parce que tous les éléphants se reproduisent entre eux que l’éléphant est obligé de faire pareil ! Et c’est encore moins parce que l’évolution a produit des barrières à la reproduction entre les éléphants et les rhinocéros que la morale les empêche de s’amuser entre eux !

Ces formes assez courantes d’arguments essentialistes tombent expressément dans le piège dénoncé par Hume : le fait d’aller chercher dans la description des lois aveugles et amorales de la biologie des justifications à des choix éthiques normatifs. En suivant cette démarche, on va expressément chercher ici à savoir qu’elle serait la véritable « essence » de l’humain, celle qui le définirait et lui permettrait d’être pleinement lui-même. En plus d’être pseudo-scientifiques, même si ces arguments étaient bons, il ne permettraient donc pas d’inférer une norme morale. Certes la physiologie de l’humain le contraint dans une certaine mesure. Mais partir de ces contraintes pour dire que l’humain est fait pour être végétarien ne veut absolument rien dire d’un point de vue moral, ou d’un point de vue scientifique, en plus d’être un raisonnement finaliste de type panglossien (cf. Raisonnement panglossien, CORTECS).

Richard Dawkins le formule ainsi :

Dans un univers où les acteurs sont des forces physiques aveugles et la réplication génétique, certains vont souffrir, d’autres auront de la chance, et il n’y aura ni rimes ni raison à cela, ni aucune justice. L’Univers que nous observons a exactement les propriétés auxquelles on peut s’attendre s’il n’y a, à l’origine, ni plan, ni finalité, ni mal, ni bien, rien que de l’indifférence aveugle et sans pitié.9

Savoir si l’histoire biologique de notre espèce nous rend héritiers de telle ou telle physiologie ne nous aide donc guère dans l’analyse de ce qui est bien ou mal, et nous éclaire donc peu sur ce que nous devrions faire. Comme le remarque Harris : « L’évolution n’aurait jamais pu prévoir la sagesse ou la nécessité de créer des démocraties stables, diminuer le changement climatique, sauver les autres espèces de l’extinction, contenir la propagation des armes nucléaires, ou faire quoi que ce soit qui soit maintenant crucial à notre bonheur. »10

Pour une illustration animée de la guillotine de Hume, on peut voir la vidéo « The Is / Ought Problem » produite, en anglais, par la BBC.

Références

  • BEAUDOIN F. A., « Éthique évolutionniste », Encyclopédie Philosophique, En ligne : http://encyclo-philo.fr/ethique-evolutionniste-a/.
  • BLACK, M., « The gap between is and should », The philosophical Review, 73 :2, 1964.
  • CANTO-SPERBER M., OGIEN R,. La philosophie morale, Paris, PUF, 2004.
  • DAWKINS R. Le fleuve de la vie : qu’est-ce-que l’évolution ?, Paris, Hachette, Pluriel, 1997.
  • HARE, R. M., The language of morals, New York, Oxford Paperbacks, 1952
  • HARRIS S., The Moral lanscape, How science can determine human value, New York, Free Press, 2010.
  • HUME D., Traité de la nature humaine (1739), Livre III, Trad. Fr. M. Philippe Folliot, Edition numérique, 2007.
  • BOUDON R., Le relativisme, PUF, Que sais-je ?, 2008. p. 10.

Le droit, enfant abandonné de l’épistémologie ? – Entretien avec Oriane Sulpice

Oriane Sulpice - droit (Grenoble, France)
Oriane Sulpice en pleine réflexion

Bonjour Oriane, au CORTECS, nous faisons des stages pour doctorant·es, et c’est comme ça que nous nous sommes rencontré·s. Nos compétences en droit sont assez réduites, et nous y arrivons essentiellement par deux chemins, soit par la philosophie morale, soit par des exemples d’usages de techniques mensongères ou frauduleuses et tombant (ou non d’ailleurs) sous le coup de la loi. Il en existe un troisième, que nous arpentons avec grosses chaussures de marche et protections aux genoux : la scientificité de cette discipline. On voit bien que le droit a une cohérence interne, à l’instar des mathématiques par exemple. On constate aussi que le droit réagit au réel, en fonction des nouveaux cas, des jurisprudences, etc. Bref, les sciences juridiques revendiquant le mot « science », nous aimerions documenter un peu cela.

Si j’ai bonne mémoire, lors de notre réflexion commune, tu as commencé par dire que les juristes mettent en avant deux grands modèles, deux grands paradigmes, qui orientent la façon de travailler pour les juristes et de concevoir les lois. Peux-tu nous dire lesquels, et leurs différences fondamentales ?

Oui, effectivement, les juristes mettent en avant qu’il existe deux modèles, présentés CorteX_lady-injusticecomme antagonistes : le positivisme juridique, d’un côté, qui s’opposerait au jusnaturalisme. Il nous faut expliciter ces termes tant bien que mal.

La définition du positivisme juridique, d’abord : ça commence mal, il ne fait pas consensus1, néanmoins tou·tes les auteur·es s’accordent sur le fait que le positivisme juridique consiste à travailler sur le droit en vigueur, c’est-à-dire les lois, règlements et jugements existants à un moment donné. Les positivistes juridiques travaillent sur ce qu’on nomme le droit positif, du latin positum, « posé », pour désigner le droit tel qu’il existe réellement. Dans ce modèle, la science du droit consiste à décrire le droit tel qu’il existe, sans jugement de valeur, sans chercher ce qui est fondamentalement juste. Sa base de travail est l’état des règles juridiques à un instant précis.

Peut-on dire que les positivistes juridiques sont des technicien·nes de la science juridique ? Peu importe où va le véhicule, les positivistes le réparent, le modifient… ?

Effectivement, c’est l’image qu’ils et elles renvoient, et qui est critiquée parfois par les opposant·es, les jusnaturalistes. Les positivistes se soucient de la cohérence de l’ordre juridique, mais ne jugent pas son contenu au regard de valeurs. C’est une conception moniste du droit.

Que veux-tu-dire par « conception moniste du droit » ?

Pour saisir ça, faisons un détour vers l’autre courant, le jusnaturalisme (qui vient de jus naturale, le droit naturel) : on y postule qu’il existe un droit positif, mais qui englobe le droit naturel qui prévaut sur le droit positif. Mais alors, qu’est-ce que le droit naturel ? Pour les jusnaturalistes, le droit naturel préexiste à notre existence. Ce serait un ensemble de normes non écrites, qui découlent de valeurs fondamentales, et le droit positif doit être conforme à ces normes non écrites. C’est par exemple le droit à l’éducation ou à la santé d’un enfant, le droit au logement, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, etc. Ce droit naturel est tiré de principes éthiques et moraux qui s’imposent aux législateurs et législatrices lorsqu’ils et elles élaborent le droit positif. Et le droit positif doit être en conformité avec le droit naturel. Il faut étudier ces principes moraux et ne considérer comme valide que le droit qui respecte ces principes. Cette conception est dualiste : d’un côté le droit naturel, d’où découle, de l’autre côté, le droit positif, tandis que chez les positivistes, il n’y a « que » le droit positif. C’est pour ça qu’on dit « moniste ».

Selon le positivisme, il faut obéir aux lois en tant que telles. Et selon le jusnaturalisme, il faut  créer des lois et leur obéir uniquement si elles sont conformes au droit naturel, c’est-à-dire aux principes moraux et éthiques qui prévalent dans nos sociétés.

Donc pour les jusnaturalistes, il y a un droit naturel, qui se formalise en droit positif, mais ce qui compte, c’est le droit naturel ?

Oui exactement.

Évidemment chaque modèle caricature un peu les positions de l’autre pour mieux les critiquer et les détruire, mais il y a de vrais problèmes de fond. Les positivistes par exemple reprochent aux jusnaturalistes leur croyance d’un droit inhérent ou pire, préexistant à l’humain. Or, disent les positivistes, son contenu ne pourrait faire l’objet d’une définition stable et universelle qu’au prix d’un consensus général sur la nature humaine, ce qui est loin d’être facile (il suffit de regarder les différences de droits entre hommes et femmes dans divers endroits du monde). En outre, les jusnaturalistes ajoutent que l’application réelle de ce droit naturel supposerait qu’il soit transposé dans les divers systèmes juridiques – et donc sanctionné par des autorités disposant du pouvoir de coercition – donc, c’est-à-dire traduit en droit positif.

En gros, quand bien même il y aurait un droit naturel, il faudrait qu’il se traduise en droit positif, donc on retombe chez les positivistes.

Oui. Bien sûr, les jusnaturalistes reprochent aux positivistes leur fétichisme de la règle de droit positive, l’idée que pour ces dernièr·es le droit est gravé dans le monde, comme les lois de la physique. En réalité on trouve toutes sortes de jusnaturalistes, qui prendront selon leurs affinités comme référence la nature humaine, Dieu, la Nature…. Les positions sont très diverses, mais le tronc commun est le suivant : le droit doit être conforme à un droit naturel. Que ce droit naturel soit issu de Dieu, de la Nature ou d’une certaine idée de la nature humaine, il dépend des choix philosophiques, religieux, spirituels de l’auteur·e. Et il est évident que des conceptions antagonistes de ce qui est « juste » amène à des conclusions juridiques différentes.

Pour te donner un exemple, les jusnaturalistes ont notamment reproché aux thèses positivistes d’approuver l’existence du droit nazi. Cela est caricatural et ne nourrit pas le débat.

Je t’arrête un instant. Le droit nazi est un droit positif, centré sur un corpus législatif précis, et donc effectivement des juristes positivistes peuvent s’amuser dans cette cour de récréation, sans remettre en cause quoi que ce soit. Mais ce droit positif, pourtant, venait bien d’un droit naturel, pourtant, du type « droit du plus fort », ordonnancement des races. Donc même des jusnaturalistes nazi·es auront pu cautionner ce système.

Oui tu as raison. Les positivistes étudient le droit en tant que forme, et travaillent les règles de droit sans se soucier de leur fond. Ils et elles ne se préoccupent pas des justifications philosophiques, morales, politiques ou religieuses de l’existence d’une règle CorteX_juristesde droit.

En fait pour les positivistes le droit positif est le droit tel qu’il existe, celui qui est directement observable dans les textes de droit ou les jugements. Il existe par les textes de lois édictés par celles et ceux qui en ont la compétence. Le droit n’est pas gravé dans le monde mais dans des textes de droit, qui peuvent changer, selon les décisions de celles et ceux qui ont la compétence d’édicter ces textes.

Prenons un exemple, à propos de la Révolution française : on peut penser à l’opposition entre Edmund Burke, jusnaturaliste, et la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Ces droits expriment une vision différente de ce qu’est le droit naturel pour Burke. L’article 2 cette déclaration dispose « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. ». Pour Burke, cette déclaration est invalide car elle va à l’encontre de sa conception du droit issu de la nature. Pour lui, la nature est un ensemble de coutumes sociales et familiales qui tendent d’elles-mêmes vers la perfection. Or cette Déclaration est un ordre social imposé qui coupe court à cette évolution « naturelle » vers un perfectionnement. Il critique de même les droits de l’Homme, car selon lui la volonté universaliste qu’ils expriment nie l’ensemble des traditions et coutumes qui différencient chaque peuple.

Le positivisme, regroupe-t’il lui aussi un grand nombre de théories du droit différentes ?

Oui, et parfois contradictoires entre elles. De plus, certain·es positivistes versent aussi dans l’idéologie, en confondant la description de ce qui est à la prescription de ce qui devrait être, la fameuse is/ought fallacy, ou guillotine de Hume (cf. Être ou devoir être, telle est la question : La guillotine de Hume, CORTECS). On peut penser notamment à l’exaltation de l’État par certain·es théoricien·nes, qui reprennent à leur compte le discours fourni par les institutions étatiques pour en faire une théorie. Nous verrons plus bas l’exemple relatif à l’intérêt général érigé comme principe directeur de l’action de l’État par les juristes. On passe alors à une théorie érigée à partir d’une idéologie, ce qui paradoxalement les rapproche du jusnaturalisme tant combattu.

Notons que le positivisme est clairement dominant dans le champ universitaire.

Cette opposition entre positivistes et jusnaturalistes est-elle la seule qui existe ?

Non, il existe aussi une opposition entre juristes positivistes et sociologues à propos de l’étude du droit. Les juristes étudient le droit comme phénomène autonome des autres faits sociaux. Une bonne part des sociologues considèrent le droit comme un fait social parmi d’autres, et le considèrent comme un registre normatif parmi les autres (il existerait aussi des normes sociales, religieuses, morales etc.). Les sociologues étudient les faits sociaux menant à la création d’une règle et ceux menant à l’application d’une règle de droit. L’école du sociological jurisprudence2, à la fin du XIXème siècle, par exemple, fait la distinction entre law in books et law in action. Law in books, c’est le droit positif, écrit dans les codes juridiques. Law in action, c’est le droit tel qu’il est interprété et appliqué par les juristes, notamment les juges. Le sociological jurisprudence introduit l’idée que pour comprendre le droit, il faut étudier les textes de droit en même temps que l’application et l’interprétation qu’en fournissent les individus. Ce courant introduit aussi l’idée que les sciences sociales peuvent permettre de mieux comprendre le droit, notamment le law in action.

Les juristes reprochent aux sociologues leur faible connaissance des contraintes juridiques qui pèsent sur les acteurs juridiques. A contrario, chez la majorité des juristes, les contraintes sociales ou psychologique exercées sur les organes et individus chargés d’appliquer les normes ne sont pas prises en compte. Pour beaucoup de juristes, les individus sont des individus dénués de déterminants psychosociaux.

En soi, sont inutilisées la sociologie critique, les habitus3, les classes sociales, les formes de domination ?

On ne peut pas dire que ces dimensions sont complètement niées. Simplement les juristes ne prennent pas cela en compte dans leur étude du droit. Leur étude porte sur le droit, et non dans l’étude des comportements sociaux. La science du droit, en ce sens, porte sur un recensement et une classification des règles de droit existantes. Les juristes ne s’interrogent que peu ou pas sur l’interaction entre normes sociales et normes juridiques. Ils et elles portent peu d’attention à la vie des acteurs et actrices chargés de l’élaboration et de l’application du droit.

Mais il y a des spécialistes du droit qui ne sont pas d’accord avec ce positivisme ?

Certain·es auteurs·es vont plus loin, en critiquant fortement l’épistémologie de la science du droit mise en avant par les positivistes. Michel Miaille4 par exemple se qualifie d’auteur « critique », car il entend présenter le droit de manière scientifique, c’est-à-dire qu’il entend débarrasser la science du droit de ses « obstacles épistémologiques », au sens donné par Gaston Bachelard5, c’est-à-dire au sens des embûches d’appréciation qui viennent se dresser entre l’envie de savoir des scientifiques et l’objet du savoir. Selon Miaille, ces obstacles sont des empêchements non conscients à produire un travail scientifique, et sont fortement ancrés dans la culture des juristes. Il en donne trois.

Premièrement, il pointe la fausse transparence du droit, qui signifie que les positivistes présentent immanquablement l’étude des règles de droit comme objective et neutre sur un plan politique et moral. Les juristes positivistes pensent que seule l’étude des règles de droit permet de comprendre le droit. Il existerait donc une confusion entre l’observation qu’il existe des règles de droit dans une société, et la définition du droit comme objet de recherche. L’objet de recherche des juristes est ainsi défini de manière trop faible. Ces dernièr·es considèrent que seule l’étude des règles de droit permet de comprendre le droit et que le droit reflète complètement la société dans laquelle il se forme.

Deuxièmement, Miaille pointe l’idéalisme juridique, c’est-à-dire que les juristes positivistes vont prendre les notions que leur renvoie le droit comme explication du monde. Les notions juridiques sont idéalisées, et transformées en explication du monde qui les entoure. Miaille prend l’exemple de la notion d’« intérêt général ». L’intérêt général est devenue une notion explicative de l’action de l’État, par exemple pour les auteurs de l’école du service public du début au XXème siècle6. De même, un universitaire contemporain comme René Chapus, écrit en 2001 que les pouvoirs détenus pour l’administration lui servent à « assurer au mieux le service de l’intérêt général »7. L’idéalisation de la notion d’intérêt général conduit à véhiculer une image idéalisée de l’action de l’administration. Ce qui conduit les juristes à véhiculer une image idéalisée de la société, telle que renvoyée par les textes de droit étudiés. Si, par exemple les textes juridiques et acteurs juridiques induisent que la notion d’intérêt général est la raison de l’existence de l’État, les juristes vont en faire une théorie. L’État est alors la réalisation de l’intérêt général pour les juristes, qui oublient de questionner ce que disent les textes de droit. Ils et elles oublient l’explication historique et sociale de l’État. Dans cette optique, M. Miaille reproche aussi aux juristes d’être fortement imprégné·es de philosophie hégélienne. Pour Hegel, l’histoire a un sens, elle est guidée par une finalité. Ainsi, sans même en avoir forcément conscience, les juristes reproduiraient ce schéma avec la notion d’État. L’existence de l’État aurait donc un sens précis, celui de réaliser l’intérêt général.

Troisièmement, il critique ce qu’il appelle la supposée indépendance de la science juridique. En effet, les juristes feraient du droit un phénomène social parfaitement isolé des autres phénomènes, aussi doit-il donc être étudié indépendamment. C’est ce que critiquent évidemment aussi les sociologues du droit. Michel Miaille préférerait que le droit soit un objet abordé par le prisme de plusieurs disciplines, telles que l’histoire et la sociologie.

Son analyse est rejointe par des chercheur·es qui pensent que les théories juridiques créent une « illusion scientifique »8. Les théoricien·nes du droit, notamment positivistes, auraient voulu dissocier la théorie du droit de la philosophie du droit, et pour cela ont voulu faire un travail descriptif et qui se veut neutre, en décrivant le droit comme il est, on ne porte pas de jugement dessus. Cela apparaît à leurs yeux comme un gage de scientificité. Malheureusement, pour tout:e scientifique, la neutralité est illusoire, puisque toutes de sortes de biais nous affectent. De plus, on ne peut pas vraiment dire que la description systématique de règles de droit et des institutions juridiques s’apparente à une méthode hypothético-déductive, permettant d’écarter et de préciser des théories scientifiques. En effet, décrire ne permet pas d’expliquer ce droit. La description des règles de droit peut être faite par un·e universitaire ou par un·e professionnel·le du secteur (juriste, avocat·e, juge, etc.). Il suffit de regarder qui écrit les manuels ou les articles dans les revues juridiques dans lesquels ces descriptions sont écrites. Dès lors, la description des règles n’est dont pas un critère discriminant pour affirmer qu’une personne effectue un travail scientifique. De plus, les juristes affirment que l’objet de leur recherche leur est donné, c’est le droit positif. La description peut être opérée à l’infini tellement il existe des règles de droit. Or, un travail scientifique construit son objet de recherche, en formulant des hypothèses et en élaborant un protocole permettant de les tester.

On dit en épistémologie que c’est la prédictibilité d’un système qui en fait sa valeur. Laquelle de ces deux écoles, positiviste ou jusnaturaliste, offre la meilleure prédictibilité ?

En fait, il existe un profond vide dans la réflexion épistémologique en droit. La réflexion sur les méthodes est de même extrêmement pauvre.

Certain·es auteur·es proposent un protocole de vérification. Mais en fait, il s’agit d’établir un protocole de vérification… pour vérifier si les hypothèses avancées concernant le sens d’une règle de droit sont confirmées par la décision du juge. Cet empirisme doit donc servir à prédire les décisions de justice… À mon avis, on n’est pas loin de la « futurologie » ! Le sociological jurisprudence dont je te parlais précédemment avait pour volonté de prédire les décisions de justice grâce aux méthodes des sciences sociales.

Cette pauvreté de la réflexion épistémologique est assumée par certain·es juristes, qui font de la science du droit une discipline de commentaire des lois et de prédiction des décisions des tribunaux. Or, cela ne s’appelle pas de la science, mais de la dogmatique, de la doctrine. La doctrine juridique est l’ensemble des opinions émises par les universitaires et les juristes sur le droit, qui s’expriment dans des manuels ou des revues juridiques9. La doctrine est présentée comme une source de droit, et effectivement, les professionnel·les du droit s’y réfèrent. Je l’ai moi-même expérimenté en stage. Quand un·e client·e par exemple demande ce que signifie une loi qui vient de sortir, et sur laquelle il n’existe encore aucune application ni aucune jurisprudence, tu fouilles les revues juridiques pour regarder ce qu’en a dit la doctrine du droit, et tu te débrouilles avec ça. De même, le/la rapporteur·euse publique du Conseil d’État peut parfois construire sa réflexion avec l’aide de la doctrine, il suffit de lire certaines conclusions.CorteX_death_of_the_justice_Quadraro

La doctrine est donc une réelle source du droit car elle inspire les juristes chargés de sa création. De plus, certain·es professeur·es de droit font souvent partie de commissions chargées de rendre des rapports proposant des réformes du droit dans tel ou tel domaine. La doctrine a une réelle utilité pour les professionnel·les du droit. Elle a une vocation d’analyse des textes et réformes, souvent complexes, qui s’avère précieuse. Mais, à mon avis, le travail doctrinal diffère d’un travail scientifique où tu testes des hypothèses.

De la même façon, la réflexion méthodologique est pauvre. Si tu cherches un manuel de méthodologie juridique, tu trouveras un manuel qui t’explique comment raisonner en droit et quelles sont les différentes façon d’interpréter une règle de droit. Mais il y a peu de manuels en langue française, à ma connaissance, qui expliquent comment conduire un travail de recherche hypothético-déductif en droit.

À mon avis, il y a une grande confusion entre la dogmatique juridique (ou doctrine juridique) et une science hypothético-déductive qui fait de la falsifiabilité de ses hypothèses un critère de scientificité. Les juristes ont une culture et une réflexion pauvre sur ce que doit être leur science. De rares travaux pointent cette incohérence.

Mais comment évalue-t-on en droit si une méthode est bonne, meilleure que d’autres, ou parfaitement caduque ?

En droit, les articles dans des revues à comité de lecture sont souvent composés de deux parties, deux sous-parties, sans aucune introduction sur l’objet de recherche, ni de revue de littérature, ni d’hypothèses, ni de méthode et encore moins de méthode d’analyse des données. Alors à moins d’être soi-même spécialiste du domaine juridique traité par l’article que tu lis, c’est compliqué d’évaluer la pertinence de celui-ci. Tu vas devoir regarder si l’auteur·e cite des dispositions (textes de loi, actes administratif, etc.) et des jurisprudences pour analyser le droit. C’est scientifique car cela répond à ce que construit le positivisme juridique : une science descriptive du droit.

Donc en gros, après avoir viré les prêtres, l’ordalie et la justice divine, il reste une justice partagée entre des juristes positivistes un peu axiomatiques, et des sociologues « gauchistes » ?

Ce serait effectivement la vision que l’on pourrait avoir, et l’image que renvoient parfois les discussions sur ce thème. Mais la vraie question est d’ordre méthodologique. Les juristes, font le reproche aux sociologues de minimiser la contrainte juridique qui pèse sur les acteurs et actrices et de prendre en compte des contraintes extérieures (sociales, psychologiques, etc.) dont l’influence sur le comportement des acteurs juridique est difficile à prouver. Mais les juristes ont une épistémologie et une méthodologie floues.

En fait, il peut paraître parfaitement pertinent au regard d’un questionnement sur le droit de ne s’intéresser qu’au droit positif. Comme il peut paraître parfaitement pertinent d’étudier les causes sociales dès lors que la question de recherche s’y prête. Mais dès lors que la démarche déductive qui conduit à émettre des hypothèses et à les soumettre à un test empirique falsifiant est négligée cela pose problème.

Est-ce un débat purement épistémologique ? Ou bien a-t-il des conséquences concrètes ? Y a-t-il par exemple des cas où selon l’ « école juridique », ce qu’encoure un individu dans le cadre d’un délit ou d’un crime peut varier ?

Effectivement, la doctrine juridique n’est pas unanime concernant les questions qu’elle traite. Elle commente les textes de droit et en déduit des interprétations qui peuvent varier selon la conception du juste que se fait chaque professeur·e de droit qui livre son commentaire. Comme les professionnel·les du droit (avocat·es, juges,…) prêtent attention à la doctrine on peut penser que ces commentaires peuvent avoir des conséquences dans le raisonnement des juges et des avocat·es. Certains cabinets d’avocat·es par exemple payent des professeur·es de droit pour venir dans leurs locaux faire une conférence sur les réformes juridiques en cours. Dans ce cas, le/la professeur·e sera interrogé·e sur les conséquences juridiques possibles de la réforme, livrera son interprétation, et les avocat·es se positionneront face à cette interprétation, pouvant la suivre ou non. Je ne suis pas dans leur tête pour savoir.

Aussi, il ne faut pas négliger que la doctrine juridique a un large rôle dans la formation des juristes, tout simplement parce que la doctrine est constituée par les professeur·es de droit qui enseignent à la faculté.

Encore mieux, je vais prendre l’exemple du droit administratif. Ce droit a été forgé par les décisions du Conseil d’État. Ce droit prend sa forme moderne à la fin du XIXème siècle à partir de décisions du Conseil d’État, qu’on estime fondatrices, car elles ont créé des règles de droit qui n’existaient pas. Le Conseil d’État est la juridiction la plus élevée de l’ordre de la justice administrative. Il est la cour de cassation en matière de contentieux concernant les actes de l’administration, voir juge d’appel ou de premier ressort dans certains litiges. Le corps des conseillers d’État est un des grands corps de l’État, accessible notamment après avoir fait l’ENA.

Effectivement. J’ai lu le livre d’Olivier Saby sur l’ENA, Promotion Ubu Roi (et en ai parlé ici). C’est une formation relativement indigente, et, vue de près, assez scandaleuse.

L’ENA sélectionne et forme ce qui est considéré comme une élite destinée à la haute administration. Je sais que la formation est contestée, notamment le fait que celles et ceux qui ont su y accéder ont « titre » à vie, celui d’énarque. Ce titre leur assure d’occuper des positions prestigieuses toute leur vie. Imagine, si tu réussis ce concours à 25 ans ! Tu as un job prestigieux, dans les hautes sphères de décision, assuré pour le reste de ta vie, que ce soit dans le public ou le privé. Bien sûr tu devras faire tes preuves et travailler dur dans les postes que tu occuperas pour avoir l’évolution de carrière que tu souhaites.

Certain·es énarques, les mieux classé·es choisissent de rejoindre le Conseil d’État. Or, les membres du Conseil d’État (ceux et celles qui le souhaitent) sont parfois professeur·es associé·es à certaines facultés, et produisent des manuels de droit, enseignent dans les universités, commentent leurs propres décisions. À noter aussi que le Conseil d’État a une certaine maîtrise de la diffusion de ses décisions en décidant de l’importance qu’elles ont. En fait, le degré d’importance de la décision dépend de la formation de jugement qui la rend.

? Explique-moi.

Je t’explique. Le Conseil d’État est à la fois conseiller juridique du gouvernement et exerce la fonction de juge administratif. Pour la fonction de juge, il existe dix chambres qui se répartissent les affaires à juger. Si l’affaire n’est pas trop complexe, une chambre juge seule. Si l’affaire est jugée plus complexe, deux chambres jugent l’affaire ensemble. Dans ce cas, seuls les membres les plus éminent·es des deux chambres se réunissent. Si l’affaire est très complexe, elle est jugée par la section du contentieux, qui réunit les président·es des dix chambres. Si l’affaire est extrêmement complexe, elle est jugée par l’assemblée du contentieux. Cette assemblée réunit dix-sept membres les plus éminent·es des chambres contentieuses pour trancher le litige. Ainsi, plus la formation de jugement est prestigieux, plus le point de droit à trancher est important, plus la décision sera estimée importante.

legal computer judge concept, robot with gavel,3D illustrationUne division spéciale au sein du Conseil d’État s’occupe de la diffusion des décisions et même de leur explication. C’est donc un acteur juridique, qui produit un discours sur ce qu’il fait, et qui est largement diffusé, et qui supplante même parfois la doctrine des professeur·es d’Université. On comprend alors mieux la difficulté pour les juristes de se distancer du discours des professionnel·les du droit dans leurs analyses. Soit ce sont leurs collègues, soit ce sont elles et eux-mêmes. Cette proximité pose de vrais problèmes, tant éthiques que scientifiques.

Par ailleurs, j’ai du mal à comprendre pourquoi chaque discipline à la fac ne propose pas l’épistémologie comme matière obligatoire en première année. On fait faire des mémoires de recherche à pratiquement tou·tes les étudiant·es, sans leur soumettre les questions essentielles que pose l’édification d’un savoir scientifique. Mais je crois que c’est ce que le CORTECS cherche à faire, non ?

Quoi qu’il en soit, je souhaitais pouvoir exposer les questionnements que j’ai sur ce sujet. Les enseignements du CORTECS pour les doctorant·es m’ont permis de pouvoir interroger ma propre discipline. J’espère approfondir encore ces questions.

 

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES NON EXHAUSTIVES

  • Accardo, Alain, Introduction à une sociologie critique : lire Bourdieu, Agone 1997.
  • Chazal, Jean Pascal. « Philosophie du droit et théorie du droit, ou l’illusion scientifique ». Archives de philosophie du droit 45 (2001): 303‑33.
  • Christophe Grzegorczyk, Françoise Michaut sous la dir. de]. Le positivisme juridique. Bruxelles ; Paris: : Story Scienta : LGDJ, 1993.
  • Geslin, Albane. L’importance de l’épistémologie pour la recherche en droit. LGDJ, Lextenso éditions ; Presses de l’université Toulouse 1 Capitole ; Institut Fédératif de Recherche « Mutation des normes juridiques » – Université Toulouse I, 2016. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01228870/document.
  • Miaille, Michel. L’état du droit: introduction à une critique du droit constitutionnel. Critique du droit ; 2. Paris: F. Maspero, 1978.
  • Miaille, Michel, Une introduction critique au droit. Textes à l’appui. Paris: F. Maspero, 1976.
  • Ricci, Roland. « Le statut épistémologique des théories juridiques : essai de définition d’une pratique scientifique juridique ». Droit et société, no 50 (2002): 151‑84.
  • Saby, Olivier, Promotion Ubu Roi, Mes 27 mois sur les bancs de l’ENA, Flammarion, 2012.

 

Statut philosophique des arguments anti-avortement de la Fondation Jérôme-Lejeune et leur critique

Début 2017, Averil Huck est venue en stage au CorteX, dans les locaux de Grenoble, pour clore sa troisième année de licence de philosophie. Sous la poigne de fer (dans un gant de velours violet) de Richard Monvoisin, elle a effectué un magnifique travail critique sur les productions philosophiquement assez peu digestes de la Fondation Jérôme-Lejeune, réputée pour ses positions radicales anti-avortement. Le voici ci-dessous. En toute fin, on trouvera son rapport de stage, plutôt élogieux, ce qui s’explique de deux façons possibles : soit elle a aimé son séjour avec nous, soit elle a peur de son sadique directeur et de ses pouvoirs de vengeance à distance. En attendant, voici un magnifique travail qu’on attendrait plus volontiers au niveau Master 2.

Introduction

La Fondation Jérôme-Lejeune (FJL) est caractéristique du mélange fréquent, dans le marché cognitif de l’information, entre les croyances religieuses et l’usage d’arguments scientifiques censés appuyer celles-ci. Elle a attiré notre attention du fait de son soutien politique important lors de sa création en 1996, de sa reconnaissance d’utilité publique, et d’un combat idéologique très fort pour « défendre la vie et la dignité humaine »1 et contre l’avortement, combat nourri de la réputation scientifique de son fondateur.

La FJL se distingue aussi par une défense argumentative assez éclectique de son combat, ayant recours à des arguments aussi bien déontologiques que conséquentialistes. La façade destinée au public est moins explicitement religieuse que dans d’autres associations « pro-vie », comme chez SOS Tout-petits, par exemple, où la filiation au catholicisme, notamment aux trois figures de Joseph d’Arimathie2, de Jean-Paul II3 et de Mère Teresa4, est manifeste. Le mélange entre croyances et sciences y est néanmoins tortueux, et c’est pourquoi il va nous falloir étudier le rôle que la FJL donne aux sciences dans un combat qui relève de l’idéologie.

I. Les filiations de la FJL

1) Les prémisses de la FJL : Jérôme et Birthe Lejeune

Afin de comprendre la genèse de cette Fondation, il est nécessaire de présenter les personnes de Jérôme Lejeune, qui en a été la source d’inspiration et de sa femme, Birthe, actrice importante dans sa pérennisation.

Jérôme Lejeune est un médecin chercheur qui a travaillé sur les maladies génétiques avec déficience intellectuelle, dont la trisomie 21. Il a été l’un des trois co-auteur·e·s de la découverte du gène de la trisomie 21, avec Marthe Gauthier et Raymond Turpin en 1959, même s’il en est souvent présenté comme seul découvreur. La FJL a eu pour effet secondaire, volontaire ou non, de centrer cette découverte sur le personnage de Lejeune, au détriment des deux autres acteurs et actrices, alors même que la conduite de la recherche, de même que l’intuition dès les années 1930 de l’origine génétique de ce qu’on appelait alors le mongolisme5 reviennent à Raymond Turpin. Quant au rôle de Marthe Gauthier, il a été artificiellement minimisé. Gauthier est en effet à l’origine des cultures cellulaires in vitro d’un enfant trisomique et a pu observer au microscope le chromosome surnuméraire sur la 21ème paire en mai 19586. Seulement, le laboratoire ne disposant pas d’appareil photo efficace pour en prendre trace, Jérôme Lejeune, alors stagiaire au CNRS, s’est alors chargé de faire les photos dans un autre laboratoire7. L’avis du Comité d’éthique de l’Inserm relatif à la saisine d’un collectif de chercheurs concernant la contribution de Marthe Gautier dans la découverte de la trisomie 21 nous fait savoir que « ces photos lui [J. Lejeune] serviront de support dans les congrès et ses interventions médiatiques », participeront de cette façon à le mettre en avant sur le plan médiatique et à le mettre en premier signataire, en 1959, de Les chromosomes humains en culture de tissus, l’article scientifique rapportant la découverte8.

Jérôme Lejeune a très vite craint que cette découverte ne serve à autre chose qu’à une meilleure connaissance de la maladie et à sa prise en charge. En effet, on a pu rapidement développer des tests prénataux diagnostiquant le gène de la trisomie 21, comme le test de clarté nucale entre la 11ème et la 13ème semaine d’aménorrhée couplée à une prise de sang, qui laissent ainsi le choix aux parents de prendre une décision en connaissance de cause. Jérôme Lejeune s’est donc proclamé « défenseur de la vie », sous-entendant qu’en effectuant de tels diagnostics, on faisait non seulement mourir volontairement des êtres désirant vivre, mais en outre on pratiquait l’orthogénisme  : « je vais être obligé de prendre la parole publiquement pour défendre nos malades. On va utiliser notre découverte pour les supprimer. Si je ne les défends pas, je les trahis, je renonce à ce que je suis devenu de fait : leur avocat naturel. »9. Il s’est par la suite investi de manière très combative dans les débats sur l’avortement et les diagnostics prénataux.

Par ailleurs, en pleine période des discussions sur la loi Veil, Birthe Lejeune organise une pétition contre la légalisation de l’avortement, publiée le 5 juin 1971, et réclamant le respect du serment d’Hippocrate qu’elle interprète comme prescrivant de ne pas pratiquer les avortements. En 1974, Jérôme Lejeune a été conseiller scientifique pour l’association anti-avortement « Laissez-les vivre-SOS futures mères ». Fiammetta Venner explique dans son livre L’opposition à l’avortement, du lobby au commando que cette association est la plus vieille association anti-IVG française. Elle a été créée par la Cité catholique10, via l’Action familiale et scolaire11 et est connue pour avoir organisé un commando en 1990 pour bloquer l’accès à des femmes voulant avorter à l’hôpital de Tournon. Iels12 ont aussi organisé deux congrès anti-IVG à Paris les 24 et 25 mars 1991.

Par ailleurs, il a reçu le titre de « serviteur de Dieu » par l’Église Catholique pour sa « défense de la vie ». Jérôme Lejeune a été membre de l’Opus Dei où il a reçu le titre de « docteur honoris causa »13.

En 1996, deux ans après la mort de J. Lejeune, la FJL est cofondée entre autres par le magistrat Jean-Marie Le Méné, par la propre fille de Jérôme Lejeune Clara Gaymard, née Lejeune, et par son mari Hervé Gaymard, secrétaire d’État de la Santé et de la Sécurité sociale de 1995 à 1997 dans le Gouvernement Juppé. Iels ont demandé à ce que la Fondation soit reconnue d’utilité publique et elle le fut en moins d’un an. Nous savons, de surcroît, qu’au moment de la demande, C. Gaymard était directrice de cabinet de Colette Codaccioni, ministre de la Solidarité entre générations. Le Président de la République, Jacques Chirac, était membre du comité d’honneur de l’association Les amis du Professeur Lejeune (LAPL), association créée en 1994 « pour faire connaître son œuvre et ses découvertes, spécialement dans le domaine génétique, faire éditer et diffuser l’ensemble des textes, ouvrages et conférences qu’il a laissés, et poursuivre son action pour la défense de la vie humaine de son premier instant à son terme »14. Cette association finançait, par ailleurs, d’autres associations anti-IVG15. L’association LAPL se transformera ensuite en Fondation et sera réduite à un site biographique. Il faut admettre que ces liens entre certains membres du Gouvernement et la Fondation soulève le doute quant à l’impartialité dans la décision de reconnaître la Fondation d’utilité publique.

2) Etat des lieux actuel des filiations avec des associations chrétiennes de la FJL

La Fondation Jérôme-Lejeune reprend les combats fixés par son personnage éponyme. Il n’est pas évident, quand on ne connaît pas bien la Fondation de saisir d’emblée qu’elle est intimement liée et proche des valeurs chrétiennes catholiques et qu’elle prend une part importante à la défense des intérêts de l’Église catholique romaine. Ce n’est qu’en s’intéressant au personnage et à l’histoire de Jérôme Lejeune ou aux actions concrètes sur la « défense de la vie » de la Fondation qu’on voit ressortir les valeurs chrétiennes du « respect de la vie ». En consultant leur site internet et les manuels pédagogiques qu’iel ont produit, nous avons pu mettre en lumière certaines filiations.

Tout d’abord, sur le bulletin officiel16qui recense les fondations reconnues d’utilité publique, nous pouvons lire que les missions de la FJL sont au nombre de deux : « Poursuivre l’œuvre du Pr. J. Lejeune : recherche médicale sur les maladies de l’intelligence et génétiques; accueil et soins des personnes, atteintes de la trisomie 21 et autres anomalies génétiques. ». Il n’est pas question de leur troisième mission qui est « défendre le commencement de la vie », « défendre le plus petit d’entre-nous »ou encore « défendre le plus fragile d’entre-nous »17. Par conséquent, la Fondation utilise des dons et des legs pour d’autres actions non reconnues par l’État.

La Fondation fait partie du collectif En Marche Pour La Vie qui regroupe différentes associations : Choisir la vie, Les Survivants, Renaissance Catholique, les Éveilleurs d’Espérance, l’Avant-Garde. On peut donc se rendre compte de l’action militante politique de la FJL, liée à ces associations d’obédience chrétienne. Jean-Marie Le Méné, le président actuel de la FJL, fait de nombreuses apparitions et discours lors des « marches pour la vie » (dernier discours recensé le 22 janvier 2017, au moment de rédiger ces lignes18). Celui-ci a aussi a été auditionné en 2008 et en 2009 dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique par le Conseil d’État et l’Assemblée nationale, ainsi qu’en 2011 par le Sénat dans le cadre du projet de loi relatif à la bioéthique.

On peut trouver dans le Manuel Bioéthique des jeunes produit par la FJL des liens vers des sites renseignant les femmes enceintes sur les idées pro-vie en général, sur l’IVG et la parentalité en particulier. Iels citent notamment ivg.net avec le numéro gratuit et sosbebe.org (p. 14). Bien souvent, ce sont des sites qui ne se présentent pas comme pro-vie mais qui partagent ces idées et véhiculent de fausses informations. Ces sites sont considérés depuis la loi Vallaud-Belkacem du 4 août 201419 comme faisant entrave à l’information à l’IVG, et étaient au cœur de la proposition de loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’IVG promulguée le 20 mars 201720.

La Fondation a reçu un prix le 4 mai 2017 appelé le « prix evangelium vitae 2017 » remis par l’Université catholique Notre-Dame dans l’Indiana aux États-Unis pour leurs actions en faveur du « respect de la vie ».

La Fondation est aussi assez prolixe sur les médias. Sur leur site, nous pouvons lire et écouter les différentes tribunes et articles de Jean-Marie Le Méné dans lesquels il s’exprime régulièrement au nom de l’association : Radio Chrétiennes Francophones, Famille Chrétienne, Valeurs actuelles, L’Homme Nouveau, Radio Notre Dame, Le Figaro, La Croix, La Nef, l’agence de presse religieuse Zénit, Libertépolitique.com. Ces radios et journaux ont en commun leur ligne éditoriale de droite conservatrice et pour la plupart chrétienne catholique.

3) Filiations aux autorités catholiques

Certain·e·s adhérent·e·s de la FJL sont en lien étroit avec les institutions catholiques.
Jean-Marie Le Méné est depuis 2009 membre de l’Académie pontificale pour la vie, académie créée en 1994 par le Pape Jean-Paul II. C’est une « institution indépendante » siégeant au Vatican et qui a pour mission « d’étudier, d’informer et de former » au sujet des « principaux problèmes biomédicaux et juridiques relatifs à la promotion et à la défense de la vie, surtout dans le rapport qu’ils ont avec la morale chrétienne et les directives du magistère de l’Église ». Elle est financée en partie par une Fondation créée par le Vatican, la Fondation Vitae Mysterium. Nous savons, en outre, que le Pape François a soutenu le mouvement En Marche Pour La Vie21, tout comme un certain nombre d’évêques français (21 signataires sur environ 80 évêques métropolitains)22.

Intéressons-nous à présent aux positions de l’Église catholique romaine sur les questions de l’avortement. Le Pape Paul VI a rédigé la lettre encyclique Humanae Vitae en 1968 et elle porte « sur le mariage et la régulation des naissances ». Dans cette encyclique, Paul VI exprime les craintes de l’Église quant aux nouvelles questions qui se posent à l’époque. En effet, les débats sont intenses à propos de la liberté sexuelle des femmes, de la planification familiale et de la contraception, tout ceci émancipé de la tutelle patriarcale. Face à ces revendications, l’Église catholique vient renforcer ses valeurs et injonctions sur l’importance du mariage et de la régulation des naissances. Selon leur «  doctrine fondée sur la loi naturelle, éclairée et enrichie par la Révélation divine », un mariage, c’est l’union d’un homme et d’une femme pour toute leur vie et cette union a comme finalité la « génération et l’éducation de nouvelles vies ». Leurs positionnements sont clairs : utiliser la contraception ou avoir recours à l’IVG revient, à « contredire à la nature de l’homme comme à celle de la femme et de leur rapport le plus intime, c’est donc contredire aussi au plan de Dieu et à sa volonté »23. Ils interdisent donc le recours à l’IVG même thérapeutique, les contraceptions et les stérilisations définitives (vasectomie, ligature des trompes). Le seul moyen de réguler les naissances est de suivre le cycle naturel reproducteur qui est l’œuvre de Dieu. Par ailleurs, il faut, selon cette encyclique, éduquer à la chasteté et se dresser contre l’excitation des sens, le dérèglement des mœurs, la pornographie et autres spectacles licencieux.

On peut lire, en outre, dans la bibliographie du Manuel Bioéthique des jeunes l’utilisation de la lettre encyclique Evangelium vitae, écrite par Jean-Paul II, en 1995 et qui porte « sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine ». Cette encyclique est présentée comme plus moderne, plus adaptée aux mœurs d’aujourd’hui. Celle-ci est centrée sur le statut de la vie, et de l’embryon, ainsi que sur les atteintes à la vie humaine, à sa dignité, à son intégrité. L’avortement y est considéré comme une menace au même titre que le génocide, l’euthanasie ou le suicide. Le Pape Jean-Paul II y déclare que « l’avortement direct, c’est-à-dire voulu comme fin ou comme moyen, constitue toujours un désordre moral grave, en tant que meurtre délibéré d’un être humain innocent »24.

 

II. Les arguments anti-avortement de la FJL

Les philosophes tendent à distinguer deux grandes catégories d’arguments moraux dépendant de leurs fondements idéologiques. Nous distinguerons donc ici les arguments dits déontologiques, qui se basent sur le respect d’un ou de plusieurs devoirs fondamentaux, et les arguments conséquentialistes, qui tendent à jauger moralement les choix en fonction de leurs conséquences globales, positives ou négatives.

1) Arguments déontologiques qui découlent de la morale de Loi naturelle et des encycliques

Intéressons-nous à présent aux arguments développés par la Fondation Jérôme-Lejeune par rapport à l’avortement et essayons d’en évaluer la logique interne. Avant tout, précisons que tous ces arguments reposent sur une triple prémisse :

  • la vie est une notion claire et le fruit d’une volonté transcendante. Elle est présente dès la fécondation et est un don divin sur lequel l’humain·e n’a pas à agir.
  • Dieu a un plan et ses créatures, les humain·e·s, doivent le suivre sans y déroger.
  • La vie de l’embryon doit être comprise comme de valeur égale à toute autre vie humaine et est une vie en propre, séparée de celle de la mère.

Nous avons distingué quatre arguments majeurs. L’avortement est considéré

  • comme meurtre
  • comme dérogation au rôle dévolu à « la mère »
  • comme droit abusif de propriété (dérive du précédent)
  • comme instrument de politique eugéniste.

A) L’avortement comme meurtre

Nous comprenons, à partir des présupposés religieux que nous venons d’exposer, qu’à partir du moment où l’avortement est posé comme un acte allant à l’encontre du plan divin, il est donc par conséquent proscrit. Y recourir équivaut à un meurtre. En effet, avorter, c’est ôter la vie, c’est « un acte de mort » (p. 17). La FJL explique dans le Manuel Bioéthique des jeunes qu’« en avortant son enfant, on choisit pour lui la mort, comme si on avait le droit de tuer. La loi qui donne ce droit semble rendre ce choix acceptable. Et pourtant on commet un acte de mort. Si la justice française ne le reproche plus depuis 1975, la conscience rappelle ce principe fondateur : « tu ne tueras point ». Ce qui est légal n’est pas forcément moral. » (p. 17).

De la sorte, pour proscrire l’avortement et montrer que c’est un acte mauvais, la FJL fait appel au sixième commandement25, regrettant que ce commandement ne fasse pas office de loi, et jugeant l’actualité juridique comme en retard sur la morale : ce qui est moral découle de Dieu, de la Bible – définition archétypale d’une morale déontologique chrétienne – et ce qui est juridique, ce sont les lois humaines, imparfaites et parfois, selon eux, immorales.

À titre accessoire, on trouvera également dans leurs productions ce type de constatation : « tuer son enfant ne peut pas être source de liberté ni d’accomplissement personnel » (p. 16) sous-entendant ici en une forme rhétorique classique dite « de l’épouvantail » (ou strawman) que les femmes qui avortent le revendiquent avec pour seul argument une simple liberté, une simple commodité et que, de l’acte même d’avorter, les femmes en tirent un accomplissement personnel. C’est l’argument standard de « l’avortement de confort », qu’avait défendu Marine Le Pen le 8 mars 2012 sur France 2, déplorant que « [l]es avortements de confort sembl[ai]ent se multiplier ».

B) L’avortement comme dérogation au rôle fixé de femme-mère

L’avortement est considéré comme « une atteinte à la nature même de la femme qui est d’être mère ». La Fondation en donne pour preuve « [l]’immense souffrance de la stérilité [qui] montre combien la maternité est constitutive de l’identité féminine »26. La Fondation juge que « la capacité de l’homme et de la femme à être père pour le premier, et mère pour la seconde, est l’une des caractéristiques essentielles de l’identité sexuelle. La grossesse et la maternité sont une part importante de la féminité »27. Dans cette lecture des choses, n’existeraient que deux sexes bien délimités, avec deux « essences » distinctes auxquelles sont assignés des rôles genrés précis (ceux de l’homme et ceux de la femme). Ces deux catégories seraient irréductibles aussi bien sur le plan biologique que social. Le féminin serait per se toujours lié à la reproduction, la maternité, le care, à l’exclusion du masculin. Nous retrouvons dans la seconde citation le lien fait entre sexualité et procréation par l’Église catholique romaine. L’identité sexuelle y est exclusivement définie en rapport direct à la reproduction, évinçant de fait tout autre pratique sexuelle ne servant pas un dessein procréatif.

C) L’avortement comme droit abusif de propriété de la mère sur l’enfant

La FJL répond ici à un argument utilisé par les féministes, dans le cadre juridique de la dépénalisation de l’avortement, qui invoquait « le droit à disposer de son corps ». Elle y répond par l’argument biologique suivant : l’embryon n’est pas une partie de la mère, c’est un être humain à part entière, « le fait d’être abrité et nourri dans le corps de sa mère, ne fait pas de l’enfant in utero un élément du corps de la mère. Il en diffère par toutes ses cellules »28. De ce fait, la mère ne peut pas disposer de l’embryon ou du fœtus comme elle l’entend. Dans le dossier « IVG/IMG » créé par le site www.genethique.org29, l’argument est plus détaillé. « Pourtant, biologiquement, l’enfant n’est pas une partie du corps de sa mère : il en est l’hôte. La preuve en est : l’enfant a un patrimoine génétique distinct de celui de sa mère ; il peut même, en cas de dysfonctionnement du corps de sa mère, produire des anticorps ; il continue à se développer normalement même si la mère est dans le coma, comme le montre la première médicale de ce type répercutée par la presse en octobre 2009 (cf. Synthèse de presse Gènéthique du 12 octobre 2009) »30. Cet argument permet donc à la FJL de proscrire l’avortement, en répondant à un argument juridique par un argument biologique. Afin de cerner les droits des personnes, il est nécessaire de définir les bornes de ce qu’est une personne juridique, c’est-à-dire ayant des droits. Par conséquent, le Droit s’appuie sur la biologie et les avancées scientifiques pour définir la vie et la mort, une personne et une chose, soi et son corps, etc. Pour l’instant, dans le Droit français, un·e enfant obtient la personnalité physique (qui nous donne droits et devoirs) dès la naissance, s’iel est vivant·e et viable. La FJL s’insurge contre cela et voudrait placer le début de la vie à la fécondation afin de garantir des droits à des « personnes potentielles ».

Pour répondre à ce problème, la FJL présente deux solutions « morales », qui sont :

  • garder l’enfant,
  • ou le faire adopter.

Comme on le comprendra, avorter ne fait pas partie de ces solutions. Dans le Manuel Bioéthique des jeunes, la FJL explique à plusieurs reprises que « la meilleure façon d’aider une mère en difficulté n’est pas de l’aider à supprimer une vie mais à résoudre ses difficultés. Si la mère ne peut pas élever son enfant, l’adoption reste aussi un recours pour lui » (p. 17). Iels ajoutent à cela qu’ « [e]n France beaucoup de parents (28 000 en 2008) sont prêts à accueillir un enfant par adoption » (p. 17). Qu’en est-il des grossesses non-désirées suites à un viol ? « La mère doit être bien accompagnée après un tel traumatisme mais tuer l’enfant n’annule pas le drame » (p. 16). « Pourquoi l’enfant […] subirait-il la peine de mort que ne subira pas le criminel ? » (p. 16). Partant, même en cas de viol, les femmes doivent, soit décider de garder l’enfant, soit le·la faire adopter.

D) L’avortement comme instrument d’une forme d’eugénisme

Une autre inquiétude exprimée par la Fondation est celle de l’eugénisme. La FJL explique que 96% des cas de trisomie 21 diagnostiqués aboutissent à un avortement. Jean-Marie Le Méné, dans son livre Les premières victimes du transhumanisme considère que ce sont les personnes trisomiques qui sont victimes d’une sélection artificielle normative, définition même de l’eugénisme de Francis Galton (1822-1911). Jérôme Lejeune parlait de « racisme chromosomique »31. Par ailleurs, nous pouvons lire ceci : « Le diagnostic prénatal est trop souvent utilisé pour surveiller la « qualité » de l’enfant (voire l’éliminer s’il n’est pas conforme à l’attente des parents ou de la société) »32 et « notre société devient de plus en plus intolérante face au handicap et « le mythe de l’enfant parfait » avance… »33. En conséquence, la Fondation craint que les avancées scientifiques (DPN, DPNI, DPI, IVG…) ne fassent dériver notre société vers une société qui classe les humains en personnes acceptables et non-acceptables (les personnes handicapées moteurs et mentaux) et finissent par faire éliminer ces personnes non-acceptables au profit d’enfants « parfaits », sans « défauts ». Leur lutte se place sur la recherche scientifique afin de trouver une thérapie et guérir les personnes trisomiques. Une fois la guérison possible, le critère de la maladie trisomie 21 comme maladie incurable ne pourra plus être invoqué et aboutir à des avortements.

2) Nouveaux arguments de type conséquentialiste

Nous aurions pu faire l’hypothèse selon laquelle la grille de défense des thèses de la FJL était unilatéralement déontologique. Pourtant, en regardant en détail, il semble, sans que nous puissions le dater avec précision, qu’une autre stratégie morale se fasse jour, avec des arguments qui s’aventurent dans l’idéologie conséquentialiste.
Nous avons délimité deux d’entre eux, aussi caractéristiques que récurrents dans la prose de la FJL : l’invocation de la douleur du fœtus, et celle des risques auxquels s’exposent les femmes qui avortent.

A) Le fœtus ressent la douleur dès le deuxième trimestre

« Aujourd’hui on sait tous que le fœtus perçoit la douleur dès le second trimestre de grossesse et sans doute avant (Assises Fond. PremUp, juin 2010). »34. La Fondation nous donne explicitement la source de cette affirmation scientifique. Elle provient d’un colloque, les Assises de la fondation PremUp35, datant de juin 2010 et intitulée « La douleur du fœtus et du nouveau-né prématuré ». Il y est question de la douleur fœtale et des problématiques qui s’y rapportent : comment la mesurer ? Comment la prendre en compte ? Quel est le statut du fœtus et de l’embryon ? etc.
Précisons, néanmoins, que la citation n’est pas exacte. Ayant lu les actes du colloque en intégralité, nous n’avons pas été en mesure de retrouver la phrase telle quelle.

Cet argument implique donc que l’on ne doit pas avorter de peur de faire du mal au fœtus ou à l’embryon car il ressent la douleur. C’est un argument clairement conséquentialiste car ce sont les conséquences de l’acte d’avorter qui sont prises en compte. Nous pourrions aller plus loin encore en disant que c’est un argument utilitariste car il invoque la douleur. L’utilitarisme repose sur un double principe : la maximisation du bonheur et la minimisation de la peine pour l’ensemble des agents. Ici, la Fondation part du principe que la douleur du fœtus est plus importante que celle d’une mère dans l’évaluation de la minimisation de la peine pour l’ensemble des agents.

B) Il y a des risques pour les femmes qui avortent : le syndrome post-avortement (SPA)

Une autre manière de décourager les femmes d’avorter, c’est d’invoquer les risques qu’elles courent. L’argument qui revient le plus par rapport aux risques, c’est celui du syndrome post-avortement. « On observe chez beaucoup de femmes qui ont avorté un état dépressif et des désordres divers : culpabilité, perte de l’estime de soi, dépression, désir de suicide, anxiété, insomnies, colère, troubles sexuels, cauchemars sur son bébé qui la hait, qui l’appelle… Le lien avec l’avortement n’est pas toujours fait. Ces conséquences, qui peuvent apparaître tout de suite ou plus tard, sont aujourd’hui bien connues et identifiées sous le nom de « syndrome post-abortif ». Ces symptômes s’amplifient chaque fois que la mère rencontre une femme enceinte, voit un bébé dans un landau, passe près d’une clinique, pense à l’anniversaire de son enfant… Le syndrome « post-abortif » ne se limite pas à la mère. Il est possible qu’il s’étende aux proches : au père, aux frères et sœurs ».

Nous pensons que la FJL fait référence, à la fin de la citation, au « syndrome du survivant » invoqué par les jeunes de l’association les Survivants. Ces jeunes partagent leur choc devant l’affirmation suivante : « nés après [19]75, nous avions 1 chance sur 5 de ne pas voir le jour puisque l’on pratique en France 220 000 avortements pour 800 000 naissances »36. Iels se battent par conséquent contre l’IVG et témoignent du manque qu’iels ressentent : « Nous ne connaîtrons jamais notre sœur ou notre frère arrivé trop tôt ou trop tard ». En plus de cela, la Fondation fait des liens avec des associations et organisations à caractère religieux dans lesquelles les femmes s’expriment par rapport à leur avortement : www.sosbebe.org, www.ivg.net (et le numéro vert), http://www.silentnomoreawareness.org/ sur lequel on peut retrouver cette phrase : « Dans le monde les femmes commencent à témoigner : « si seulement nous avions su » ». Enfin, la Fondation donne des liens vers des maisons d’accueil, Tom Pouce et El Paso (p. 14), cette dernière étant sous l’égide de la Fondation Notre-Dame.

 

III. Analyse critique des arguments

Autant l’analyse des arguments déontologiques ne se fait qu’au prix du décentrage des valeurs fondamentales sur lesquels ils reposent – quels devoirs, envers quelle entité sur-naturelle, etc.– autant l’analyse des arguments conséquentialistes est en soi plus simple, car pour l’essentiel, les faits empiriques confrontent et jaugent les allégations de type scientifique produites par la FJL.
Nous allons donc d’abord faire une brève revue de la scientificité des prétentions, puis nous introduirons le problème central de l’épistémologie de la FJL : l’essentialisme.

1) Vérification des prétentions scientifiques

Une part de l’argumentaire de la Fondation Jérôme-Lejeune repose sur des arguments de type scientifique, c’est-à-dire, pour faire simple, qu’iels affirment des choses sur le monde et que ces affirmations sont testables. Nous avons relevé trois prétentions scientifiques :
a) la notion de « vie » est claire et ne fait plus débat ;
b) le fœtus ressent la douleur ;
c) les femmes courent des risques psycho-pathologiques dus à l’avortement (syndrome post-avortement).

Au vu du militantisme de la Fondation, il nous a paru nécessaire de vérifier si ces prétentions correspondaient réellement à l’état actuel des connaissances scientifiques.

A) Il n’y a plus de débat scientifique sur le statut de la vie

Nous l’avons abordé plus haut (partie II.1.A), la FJL part du principe qu’il n’y a plus de débat en ce qui concerne le statut du début de la vie de l’embryon. Ses représentant·e·s affirment qu’« accepter que la fécondation soit le départ d’un nouvel être humain n’est pas une question de goût ou d’opinion, c’est une réalité biologique. Toutes les preuves scientifiques vont dans ce sens et rien ne peut prouver le contraire. Personne n’en doute sincèrement »37. Or, c’est un débat qui est loin d’être clos. En effet, il existe encore des programmes de recherche, des colloques, des articles scientifiques publiés sur le sujet qui montrent la complexité de poser le point de départ de la vie, et à plus forte raison celle de définir la vie. Le projet de définir ne serait-ce que biologiquement la vie rencontre d’énormes écueils, comme l’a montré Claude Bernard (1878), de même que sur le plan physique (Schrödinger 1944), sans parler des plans axiologiques ou téléologiques qui malgré leur intérêt, ne se soumettent pas à la corroboration de la même façon.
Pour ne prendre que la biologie qui nous occupe ici, Tsokolov (2009), Mullen (2002), Strother (2010) McKay (2004) et tant d’autres ont du mal à s’entendre sur la définition de la vie, depuis les virus et viroïdes jusqu’aux coraux. Quant à dire quand exactement commence un processus qui est mal délimité, c’est une sacrée gageure.

La FJL ne se risque d’ailleurs pas à donner de source d’un quelconque consensus scientifique à ce propos. Ils·elles font le choix arbitraire de placer le début de la vie humaine au moment de la fécondation, c’est-à-dire, au moment où les gamètes fusionnent pour donner une cellule-œuf contenant l’ADN. Pourquoi faire commencer la vie à la fécondation ? Ce n’est pas une hypothèse idiote. Il faut cependant considérer que c’est une hypothèse parmi d’autres et, qu’à ce jour, la communauté scientifique n’a toujours pas tranché.

De cette sorte, la Fondation fait un choix théorique, parmi d’autres, lié à ses convictions chrétiennes où la vie humaine est un don de Dieu, une création faisant partie du plan divin. Avorter revient donc à déroger au plan divin et à pêcher. Chez les militant·e·s anti-avortement, nous assistons fréquemment à la volonté de prouver rationnellement un principe provenant d’une révélation divine, à l’instar de Thomas d’Aquin, au XIIIe s. qui a tenté de prouver rationnellement l’existence de Dieu. L’argument de la fécondation est du même acabit. Mais si l’on se détache de l’idée de création, de divinité, ou de son avatar politique l’intelligent design38, alors il n’y a pas lieu de choisir nécessairement l’hypothèse du début de la vie au moment de la fécondation.

B) La douleur fœtale

La douleur fœtale est un autre argument brandi par la Fondation (partie II.2.A). Est invoqué à l’appui de cette douleur un colloque scientifique, les Assises Prem.Up 2010 pour démontrer que la douleur apparaît « dès le (sic) 2nd trimestre de grossesse et sans doute avant ». Or, à l’évidence, personne n’a démontré quelque chose de ce type lors de ce colloque. Les personnalités présentes ne sont d’ailleurs pas tout à fait d’accord sur le moment où le phénomène de la douleur apparaît pour le fœtus mais il semblerait que « les voies de la nociception (terme qui désigne les voies nerveuses qui conduisent l’information douloureuse de l’organe cible jusqu’au cerveau) sont formées dès la fin du second trimestre de la grossesse. Dès ce terme, le fœtus est capable de percevoir ce type de stimulations. Il est impossible de savoir en revanche ce qu’il ressent exactement, mais il est essentiel de déterminer si ces stimulations peuvent avoir des conséquences immédiates ou à long terme sur le bébé à naître. » (troisième intervenante, Véronique Houfflin Debarge). On peut compléter ceci avec une étude multidisciplinaire : « Les fibres thalamo-corticales commencent à apparaître entre 23 et 30 semaines d’âge gestationnel; d’autre part, l’électroencéphalographie chez le prématuré suggère que les capacités de perception de la douleur ne sont probablement pas fonctionnelles avant 29 ou 30 semaines »39. Rappelons que les IVG sont autorisées en France jusqu’à 12 semaines de gestation, hormis pour les IMG (Interruptions Médicales de Grossesse) qui peuvent être autorisées à la toute fin de la grossesse – ce qui concerne un chiffre assez restreint des avortements. La FJL semble aussi omettre le fait qu’aujourd’hui, on propose aux femmes ayant recours à l’IMG des analgésiques pour fœtus, pour empêcher qu’ils souffrent pendant la procédure. « Lors des gestes fœticides par exemple, réalisés lors des interruptions médicales de grossesse au troisième trimestre de la grossesse, il est nécessaire d’assurer au préalable une anesthésie du fœtus avant d’injecter le produit qui va arrêter sa vie. » (Houfflin Debarge, déjà citée).

C) Le syndrome post-avortement

Plusieurs études40 montrent que le SPA est un mythe créé de toutes pièces, qui démarre en 1987 avec David C. Reardon et son livre, Aborted Women: Silent No More. Il y détaille une étude de psychologie qu’il a menée sur 252 femmes qui aurait prouvé la réalité de ce syndrome. Intéressons-nous à sa scientificité car cette étude présente des lacunes méthodologiques.

Reardon a fait son étude sur 252 femmes faisant toutes partie du groupe « Women exploited by abortion » (WEBA) qui est une association regroupant des femmes regrettant d’avoir avorté. Son échantillon d’étude est non-conforme et biaisé car il devrait impliquer des femmes ayant avorté venant de différents milieux sociaux, de différents avis sur l’avortement. En somme, son échantillon n’est pas représentatif de l’ensemble des femmes et est très orienté vers une souffrance subjective accrue. Ensuite, il n’y a pas de groupe témoin auquel comparer le mal-être ou le bien-être du groupe test. Il aurait fallu pouvoir comparer ce groupe de femmes, avec un autre groupe ayant poursuivi leur grossesse jusqu’au bout de même qu’avec un troisième groupe n’étant pas enceintes et nullipares par exemple. Dans une autre étude, une comparaison a été faite, à deux semaines et six mois après l’avortement (ou l’accouchement), de la santé mentale entre un groupe de femmes ayant avorté et un groupe de femmes ayant poursuivi leur grossesse41. Il n’y a pas eu de résultats prouvant un lien de causalité entre l’avortement et la santé mentale dégradé des sujets. Au contraire, on mesure plutôt du stress avant l’avortement et il peut y avoir plusieurs autres facteurs : « les impacts d’une grossesse non désirée ; l’oppression religieuse et patriarcale ; les facteurs socio-économiques ; les violences envers les femmes; et l’influence négative du mouvement pro-vie. »42. On note aussi un soulagement après l’avortement.

L’auteur utilise par ailleurs une échelle de mesure du bien-être et du mal-être non-officielle. Il semblerait qu’il en ait créé une pour son étude. On peut voir dans son « appendice 2 » le questionnaire qu’il a donné à ses sujets pour évaluer le mal-être qu’elles ont vécu dans la prise de décision d’avorter. Il utilise une échelle de 1 à 5, dans laquelle 1 équivaut à « not at all » et 5 à « very much ». Il y a une case en plus « N-A (non-applicable) et unsure (pas sûre) ». En psychologie positive, c’est-à-dire la psychologie qui s’intéresse à l’évaluation du bien-être, il existe une échelle, the Subjective Happiness Scale (SHS) ou Échelle de bonheur subjectif. Elle va de 1 à 7 et est l’une des plus utilisées.

Notons en outre que son étude n’est pas une publication scientifique mais un livre best-seller. C’est une étude isolée qui n’a pas été répliquée. Pour qu’une étude amène à un consensus, il faut qu’elle soit répliquée dans différents laboratoires afin de déterminer si le résultat est confirmé ou infirmé. Dans quel cas, elle ne peut être prise en compte. En l’occurrence, il y a eu d’autres études qui ont été revues par des pairs, c’est-à-dire que d’autres spécialistes ont lu et critiqué l’étude avant qu’elle ne soit publiée, et iels ne sont pas arrivé·e·s au même résultat que David C. Reardon (voir études déjà citées).

Enfin, il faut savoir que cette étude est en partie impossible à évaluer car on ne peut pas réfuter le pseudo mécanisme du « refoulement » hérité de la psychanalyse. Une étude scientifique incluse dans un corpus théorique irréfutable n’offre pas la possibilité d’être infirmée expérimentalement dans le cas où elle serait fausse. Ici, l’affirmation selon laquelle des femmes refoulent le traumatisme et qu’elles en souffrent sans le savoir n’est pas testable et, de fait, sort du champ des allégations scientifiques.

             Ainsi, nous avons mis au clair certaines prétentions scientifiques qu’a la FJL et avons pu montrer qu’aucune de ces prétentions ne résistait à la critique. La Fondation fait des recherches en génétique et c’est tout à son honneur. Cependant, elle a tendance à tordre certaines connaissances scientifiques afin de confirmer ses positions morales, positions morales qui ne sont en outre pas confortées par la scientificité des recherches effectuées. Il est notoire qu’un haut degré de scientificité n’augure pas d’un choix moral forcément positif, et le XXe siècle illustre bien cette corrélation illusoire. Nous pouvons en conclure que la rigueur scientifique prônée par la Fondation est une façade qui leur permet d’avoir plus d’autorité et d’audience.

2) Essentialisme

En imputant un rôle « naturel », celui d’être mère, à « la femme », la FJL parle bien d’une seule « nature » qui habite de la même manière chaque femme. « La femme » est vouée à la grossesse et à la maternité. Il en découle qu’avorter est contre-nature. Cette manière privilégiée d’être « femme » serait déterminée par l’appartenance au sexe femelle. La FJL s’inscrit dans une vision dichotomique essentialiste critiquable des êtres humains. En quoi exactement ? Premièrement, la FJL se place dans un cadre de pensée dans lequel il y a une distinction entre le domaine du naturel et le domaine du culturel. Deuxièmement, une causalité entre sexes et rôles sociaux, ou encore entre sexes et genres, est implicitement postulée. Troisièmement, ce cadre de pensée se base uniquement sur ce qu’il présente comme « la biologie ». Rappelons que la FJL est très proche des institutions catholiques chrétiennes, sans toutefois aller jusqu’à invoquer dans ses propres communiqués la Création biblique. Elle passe par la science afin de parler de ce qui est « naturel », sans d’ailleurs prendre le temps de questionner cette notion protéiforme de « nature ». Or, il se trouve que les trois aspects de cette vision essentialiste ont été largement remis en cause depuis la seconde moitié du XXe siècle. Nous allons tout d’abord voir en quoi penser les genres comme déterminés par les sexes est une erreur. Nous mettrons ensuite en évidence des limites en ce qui concerne l’utilisation de la biologie comme base théorique à la description des comportements sociaux du genre humain.

Tout d’abord, la FJL voit une séparation entre un sexe dit « biologique » et un sexe dit « social ». Chez l’humain·e, il y aurait une « partie naturelle » d’où découleraient, dans le « domaine culturel », des rôles sociaux, des comportements, des préférences, des ambitions, des envies, etc. Partant, du fait qu’une personne soit pourvue d’un appareil génital femelle (ou d’un génotype femme), il en découle qu’elle doive se reproduire et s’occuper de la progéniture. De nombreux·ses biologistes, psychologues d’obédience psychanalytique et anthropologues de la première moitié du XXe siècle pensaient décrire un état de fait en corroborant ce modèle, essentialiste et bicatégorisé, dans lequel un génotype / caryotype femme implique un « comportement » de femme (avec les rôles sociaux féminins et maternels coutumiers associés). La lecture qu’offre la FJL présente de multiples similitudes avec cette représentation, comme on peut le lire dans le manuel Théorie du genre : décryptage à l’intention des jeunes : « Le « sexe » désigne la réalité biologique – garçon ou fille – de l’être humain, tandis que le « genre » désigne la dimension sociale du sexe, c’est-à-dire le comportement social d’un homme ou d’une femme en lien avec son sexe biologique ». Cependant, les travaux de féministes de la première vague telles que Simone de Beauvoir ou Ann Oackley ont brisé cette implication. Des années 1950 à la fin des années 1970, elles se sont intéressées aux résultats des recherches en biologie et en sciences humaines et sociales pour entamer une première critique de l’approche causaliste entre sexes et genres et de la distinction entre sexes et genres. De plus, leur démarche avait explicitement des fins de changements politiques et sociaux (droit de vote, accès à la contraception, doit à l’avortement, meilleures conditions de vie, égalité en droits…). Ces auteur·e·s voient une plus grande influence du culturel que du biologique sur les comportements humains. Pour Ann Oackley, au niveau définitionnel, « le mot « sexe » se réfère aux différences biologiques entre entre mâles et femelles : à la différence visible entre leurs organes génitaux et à la différence corrélative entre leurs fonctions procréatives. Le « genre », lui, est une question de culture : il se réfère à la classification sociale en « masculin » et « féminin » »43. Le « sexe » est vu comme un invariant tandis que le « genre » est contingent, c’est-à-dire que l’on peut faire changer ces rôles sociaux par l’action politique.
Toutefois, pour certain·e·s féministes des années 1990, dont la sociologue et philosophe matérialiste Christine Delphy44, la critique n’est pas aboutie. En effet, penser un invariant (les sexes) et un variant (les genres) est insuffisant pour fonder un modèle satisfaisant, car cela implique que ce qui définit principalement les êtres humains est leur sexuation. Certain·e·s pourraient en effet penser que ce qui varie arbitrairement (les genres) ne peut définir de manière consistante un groupe d’individus, et donc qu’une catégorisation solide doit faire appel à un invariant, soit le sexe. C’est ce problème pour penser le genre qui amène Delphy à soutenir qu’il y a un impensé dans la plupart des travaux scientifiques et féministes qui est l’« antécédence du sexe sur le genre »45. Ce postulat implicite renvoie à la séparation (somme toute artificielle en bien des points) nature / culture. Notons que cet impensé conduit à ne plus pouvoir penser les genres que comme résultant des sexes. Or, nous ne pouvons pas penser en-dehors de concepts culturellement et historiquement construits. Les travaux d’anthropologues comme Lévi-Strauss ont été remis en cause sur ce point : il n’existe pas d’état naturel de l’humain où son « essence » se traduirait par son sexe. D’un point de vue simplement méthodologique, il est difficile d’affirmer l’existence d’ « essences ». Il faudrait en effet isoler les personnes de leur société afin d’évaluer ces « essences » séparément de l’influence de l’environnement et des interactions avec autrui. De plus, en ce qui concerne le développement cognitif humain, « établir qu’une différence cérébrale est purement biologique et non pas sociale est méthodologiquement impossible : la grande majorité des connexions neuronales se forment après la naissance et la différentiation sexuée du cerveau est donc un processus continu modulé par l’expérience et la société »46. C’est pourquoi nous jugeons à l’aide du rasoir d’Occam47, un principe méthodologique de parcimonie des hypothèses, qu’il est très coûteux de postuler deux essences complémentaires qui déterminent tous nos faits et geste. Nous n’en avons en fait pas l’utilité pour expliquer qu’il y ait des êtres différents les uns des autres et que, de fait, ils ont des rôles différents dans la société. Il est nécessaire de comprendre que les êtres humains sont des êtres sociaux complexes et qu’il faut de ce fait distinguer plusieurs niveaux de description irréductibles les uns aux autres, rendant par là douteux de tout réduire au déterminisme strictement biologique. Surtout, lorsque ce qu’on peut considérer comme étant « le biologique » est l’objet d’une discipline scientifique (la biologie), construite et en évolution, objet par ailleurs différent de ce que la FJL appelle du même nom. Les études de genre (et non pas « la théorie du genre », déformation de type strawman48 utilisée par la FJL) penchent aujourd’hui davantage pour une explication qui combine les interactions avec l’environnement, avec autrui et avec la société sans rejeter pour autant notre héritage biologique. Par conséquent, des auteur·e·s comme Delphy argumentent en faveur de l’utilisation du concept de « genre » au singulier. Il renvoie alors au système de domination qui produit ces catégories de pensée que sont « sexes » et « genres » et qui applique la division, la hiérarchisation et l’hétéro-normativité. C’est pourquoi Delphy soutient que le genre précède le sexe. Cette expression lapidaire veut dire que nous sommes toujours impliqué·e·s dans une culture et que tous les concepts que nous utilisons sont construits. La FJL emploie le terme « genre » au singulier comme indissociable de son « genre » opposé. Les « genres » sont donc toujours pluriels et, pour eux, au nombre de deux : le féminin et le masculin. Ni la bicatégorisation, ni le caractère mimétique du genre par rapport au sexe (c’est-à-dire où sexe mâle va avec masculin et sexe femelle va avec féminin et jamais autrement) ne sont remis·es en cause. On notera que ces postulats non questionnés impliquent une naturalisation de l’hétérosexualité qui participe à normer les comportements à travers les discours.

Il en découle que nous ne pouvons utiliser la biologie pour décrire les interactions humaines sans la replacer dans un contexte socio-historique et politique. Les travaux du philosophe étasunien Thomas Laqueur49 vont dans ce sens. Les sciences s’inscrivent dans le système de genre et participent à la pérennisation voire à la production de concepts, de schémas de pensée binaires et mimétiques. Le « sexe » est aujourd’hui souvent pensé en deux pôles distincts et complémentaires et réduit aux caractères anatomiques (avoir un pénis ou un vagin) ou chromosomiques (XY ou XX). Cette définition ne prend pas en compte les personnes qui ne sont ni mâles, ni femelles, que ce soit sur le plan phénotypique, hormonal, génétique. On range un peu artificiellement ces personnes dans la catégorie dite « intersexe », bien qu’il en existe plusieurs types. Ces personnes représentent environ 1,7% de la population humaine selon Anne Fausto-Sterling50, d’autres estiment qu’elles représentent 1 à 4% de la population humaine51. C’est toutefois un chiffre compliqué à déterminer car nombre de personnes intersexes se font opérer dans les premiers mois de leurs vies, certain·e·s ne s’en rendent même pas compte et d’autres le cachent. De plus, il existe plusieurs niveaux d’évaluation de la sexuation : anatomique, génétique, phénotypique, hormonal et aujourd’hui, on essaie de prendre en compte l’organisation du cerveau. Ces chiffres sont donc des approximations statistiques, et en raison de ces limites, la population intersexe est délicate à nombrer et pourrait de fait concerner encore plus d’individu·e·s. Mais peu importe : une seule personne dans ce cas de figure mériterait une place que la majorité des sociétés ne lui prépare pas. Toutes ces personnes sont marginalisées, entre autres par cette vision binaire encore très répandue et dont la FJL se fait la courroie : elles sont vues comme des « anomalies ». Enfin, dans le champ des études féministes des sciences, rien ne va dans le sens d’une « dichotomie naturelle entre les mâles et les femelles » en tant que « groupes humains biologiquement et clairement séparés »52 car il y a trop de « chevauchements entre les sexes et trop de variations des caractéristiques et capacités à l’intérieur de chaque sexe »53.
Ainsi, quand la FJL invoque des rôles naturels des femmes et invoque leur « sexe », elle tombe dans un essentialisme basé sur le présupposé non examiné que nous avons critiqué plus haut. Nous ne pouvons donc raisonnablement pas invoquer une quelconque « nature » de « la femme » pour interdire l’avortement.

 

Conclusion

En allant analyser en profondeur les prétentions scientifiques de la Fondation Jérôme-Lejeune, nous avons montré que la teneur scientifique de leur discours n’est qu’un paravent pour leur subjectivité morale. En grattant cette première couche, nous réalisons que le ciment de leurs allégations sur l’avortement est composé d’essentialisme, de réductionnisme génétique et de mélange entre prescriptions divines et appels à la nature. Leurs arguments contre l’avortement sont sexistes, mal fondés scientifiquement et imprégnés des recommandations de l’Église Catholique romaine. Ainsi, le rôle qu’était censé jouer la science dans leur discours était un rôle d’autorité, de scientificité, de vernis qui, quand on prend le temps de le gratter avec un ongle un peu dur, se fendille facilement.

Bibliographie

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  • D. Gardey, L’invention du naturel. Les sciences et la fabrication du féminin et du masculin, Editions des archives contemporaines. Paris, 2000.
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  • A. Oackley, Sex, Gender and Society, Temple Smith. Londres, 1972.
  • A. Fausto-Sterling, Sexing the Body : Gender Politics and the Constrution of Sexuality, Basic Books. New-York, 2000.

Pour aller plus loin, voici une bibliographie complémentaire:

  • « 1974 : le débat de la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse », La marche de l’Histoire, France Inter, 14 mai-2014.
  • Major et Brenda, « APA Task Force Finds Single Abortion Not a Threat to Women’s Mental Health », American Psychological Association, 2008.
  • Collectif IVP, Avorter, Histoire des luttes et des conditions d’avortement des années 1960 à aujourd’hui, Tahin party. Grenoble, 2008.
  • L. Motet et S. Laurent, « Derrière IVG.net, des militants anti-avortement », Le Monde, Paris, p.13, 08-déc-2016.
  • V. Houfflin Debarge, « Douleur et analgésie foetale », Spirale, no 59, p. 69-78, 2011.
  • L. Bereni, S. Chauvin, A. Jaunait, et A. Revillard, Introduction aux études sur le genre, De boeck. Bruxelles, 2012.
  • A. Meffre, « Loi sur l’avortement de 1920 », Fabrique de l’histoire, France Culture, 28-nov-2014.

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Mercis

CorteX_Juliette_Mathieu_Bertrand_Bernard_editiondudetourOn ne pense jamais à remercier suffisamment. D’abord, révérence appuyée envers nos deux responsables d’édition, Juliette Mathieu et Bertrand Bernard, merveilleux de patience et d’à-propos. Admirons leur joviaux minois, et posons un genou en terre devant leur travail de forçat.

Sans ordre aucun, merci à

  • l’imprimerie Chirat, de Saint-Just-la-pendue, dans la Loire, qui fait un très bon travail, en plus d’habiter un village au nom mythique.
  • Richard Cousin, alias Yumyum, pour la création graphique. Vous noterez que Richard Cousin n’est pas le voisin de Richard Monvoisin. Richard Monvoisin, lui, n’est pas le cousin, de Richard Cousin.
  • Carole Mathiot a été tellement remarquable dans la correction ortho-typographique  que ça en a été presque humiliant.
  • Julien Cau, qui a fait l’illustration de couverture – au passage, nos excuses envers les vautours, qui sont souvent associés à des comportements réprouvables, alors qu’ils sont des nettoyeurs essentiels de notre environnement.
  • la distribution Sodis, plate-forme Gallimard Flammarion.

Comme dit en introduction, ce livre n’est pas parfait, mais il aurait été miteux et lacunaire sans les lumières de Michel Étiévent, Olivier Reboul, Julien Caranton, Jean-Noël et Vincent Plauchu, Bertrand Ferragut, Oriane Sulpice, Guy Monvoisin, sans compter nombre d’auteurs sur les épaules desquels nous nous sommes juchés. Merci à l’équipe CorteX, notamment Nelly Darbois, Albin Guillaud, Clara Egger, Guillemette Reviron, Denis Caroti, Julien Peccoud, ainsi qu’à Caroline Bordin-Goffin, Matthieu Bordin, Tristan Livain, Chloé Guillard et Luc Moreau.

Bibliographie

Par manque de place, la bibliographie présente dans le livre est réduite au plus directement utile. Il nous parait essentiel de fournir la bibliographie complète de ce qu’il nous a été nécessaire de compulser.

  • Adam O. et Mermet D., Howard Zinn, une histoire populaire américaine, , vol. 1 (film), Les mutins de Pangée, 2015
  • Amossy R., « Les avatars du « raisonnement partagé » : langage, manipulation et argumentation », Repenser le langage totalitaire, Klemperer V. (dir.), CNRS Éditions, 2012.
  • Andrieu C., « Le programme du CNR dans la dynamique de construction de la nation résistante », Histoire@Politique, n° 24, Centre d’histoire de Sciences Po, 2014.
  • Audet M.-C. ; Moreau M. ; Koltun W.-D. ; Waldbaum A.-S. ; Shangold G. : Fisher A.-C. et Creasy G.-W., « Evaluation of contraceptive efficacy and cycle control of a transdermal contraceptive patch vs an oral contraceptive: a randomized controlled trial », Journal of the American Medical Association, 2001.Vol. 285, n°18), pp. 2347–2354.
  • Barsalou J., « La naissance de la IVe République », Le Bulletin de France-Documents, 18 octobre 1946.
  • Balbastre G., Vérités et mensonges sur la SNCF (film), CER SNCF Nord-Pas-de-Calais et Émergences, 2015.
  • Bertrand Y.-A., Home (film), EuropaCorp et Elzévir, 2009.
  • Frédéric Bizard, « Généralisation des complémentaires santé: une mesure avant tout politique! », www.huffingtonpost.fr
  • http://www.huffingtonpost.fr/frederic-bizard/generalisation-des-comple_b_4001682.html
  • Borgetto M., « Les convergences/divergences au sein du système français de protection sociale : quelle portée ? » Borgetto M. ; Ginon A.-S. et Guiomard F. (dir.), Quelle(s) Protection(s) sociale(s) demain ?, Dalloz, 2016.
  • Boual, J.-C., Bref historique de la protection sociale en France, www.associations-citoyennes.fr
  • Bourdrel P., La Cagoule : histoire d’une société secrète du Front populaire à la Ve République, Albin Michel, 1992.
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  • http://www.fakirpresse.info/mal-dans-votre-corps-social-un-seul-remede-egalotherapie-1-3
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  • Weir, P., Le Cercle des poètes disparus (film), Touchstone, 1989.
  • Zinn H., Une histoire populaire des États-Unis d’Amérique de 1492 à nos jours, Agone, 2003.

Revue de presse

à venir

De l'utilisation de Masters of sex en cours

Masters of Sex est une série télévisée américaine en 46 épisodes, parue fin 2013 d’après la biographie Masters of Sex: The Life and Times of William Masters and Virginia Johnson, the Couple Who Taught America How to Love de l’étasunien Thomas Maier, qui elle-même retrace l’histoire du duo William « Bill » Masters (1915-2001) et Virginia E. Johnson (1925-2013), qui ont documenté la sexualité humaine des années 1950 jusque dans les années 1990. Je me sers de la saison 1 dans certains cours de biologie, mais surtout dans un cours spécial intitulé « sexes, genres et autodéfense intellectuelle ». Comme les algorithmes d’une certaine plate-forme vidéo fonctionnent plein pot dans la défense du sacro-saint droit de propriété, je viens vous donner ici mon matériel patiemment prélevé avec le logiciel libre Avidemux. J’ai écrit aux propriétaires de cette série, par courtoisie et en argumentant de l’intérêt pédagogique de leur travail. J’espère qu’ils ne me demanderont pas de tout retirer. Bon usage enseignemental !

En prolégomènes, une petite excuse : les sous-titres ne sont pas de la meilleure qualité orthographique, mais je n’ai pas le temps de les refaire.

Pour commencer, je présume qu’il s’agit ici de l’épisode 2. Ici, Bill Masters se fait enguirlander par son supérieur pour les problématiques morales posées par ses études, qualifiées de pornographiques. C’est cocasse de rapporter ces considérations au fait que Masters était un républicain engagé, ainsi qu’un fervent protestant épiscopalien.

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Ici, Masters et Johnson reviennent à l’assaut, menaçant même de changer d’hôpital pour faire leur étude. Les plus averti.es repéreront un joli placement de produit pendant l’extrait !

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Dans l’épisode 3 de la saison 1, petit retour sur l’origine de la passion de Bill Masters, avec analyse d’un coït de lapin.

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On voit dans le même épisode une très intéressante séquence sur la contraception, et la gène de certaines patientes.

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Enfin, Masters et Johnson sont amené.es, pour échantillonner avec moins de tracas, de demander secours à des femmes dont le métier est prostituée, ce qui ne va pas sans soulever quelques particularités.

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Mais le mur de la norme va heurter de plein fouet le jeune gay qui s’est prêté à l’expérience.

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Nous voici dans l’épisode 4, où les scientifiques étudient la masturbation.

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Un détail doit être rendu explicite pour qui n’a pas regardé la série : l’un des protagonistes est un ex-petit ami de Virginia Johnson.

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Second passage de cet épisode : lorsque Johnson conclue que les femmes atteignent probablement mieux l’orgasme seule que par la pénétration vaginale d’un homme.

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L’épisode 8 est touchant car le directeur de Masters lui parle de son homosexualité, qu’il intègre lui-même comme déviante, et qu’il cherche à « corriger » par une thérapie de l’aversion – l’une des divers thérapies de conversion, prétendant avec un discours fortement teinté de fondamentalisme chrétien « ramener dans le droit chemin les homosexuel-les ». Ces théories, désormais unanimement dénoncées comme pseudoscientifiques, sont encore employées dans certains endroits du monde, notamment certains états US. En décembre 2016, une campagne intitulée 50 Bills 50 States Campaign a été portée par Samuel Brinton pour dénoncer ces pratiques d’un autre âge.

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Si d’aventure vous avez creusé les saisons suivantes, faites-le savoir !

Orgasmiquement vôtre, RM

Séquence pédagogique : mobiliser la raison sur des questions d'éthique – l'extension au numérique du délit d'entrave à l'IVG

Il y a quelques années, le CorteX animait sur les campus montpelliérains et grenoblois des « Midis critiques », occasions de débattre sur des sujets à forte dimension morale (voir par exemple ici). Nous continuons aujourd’hui à mobiliser la pensée critique pour décortiquer des problèmes moraux, au sein notamment de notre stage pour doctorant·e·s « De l’éthique à l’université » ou dans le cadre de l’Unité d’enseignement de sciences humaines à l’Institut de formation en kinésithérapie de Grenoble. Nous explicitons ici notre démarche par le biais d’une thématique ayant fait l’actualité du début de l’année 2017 en France : l’extension du délit d’entrave à l’intervention volontaire de grossesse (IVG).

Partie I – Ressources méthodologiques

CorteX_dufour-argumenterNous présentons en introduction de notre séquence pédagogique ce qui nous semble être le B.A.-BA de l’analyse argumentaire en nous inspirant (avec des adaptations) de l’excellent ouvrage de Michel Dufour, Argumenter – Cours de logique informelle de 2008 chez Armand-Colin. Il est malheureusement très difficile de rendre parfaitement justice à cet ouvrage car le propos, très clair et complet, peut difficilement souffrir de coupes sans être détérioré. Cependant, comme il n’est pas possible pédagogiquement de restituer tout cela sans faire un cours d’au moins trois heures, nous avons tenté d’en extraire la substance moelle pour l’utiliser avec des étudiant·es. Nous ne pouvons que vous recommander d’aller lire cet ouvrage pour approfondir. N’hésitez pas à nous faire partager une séquence pédagogique conduite différemment sur ce même thème.

1) Anatomie d’un argument

Quiconque souhaite défendre une idée, une thèse, une affirmation, doit recourir à l’argumentation. Mais qu’est-ce donc qu’un argument ? Nous commencerons par un peu d’anatomie argumentaire.

Un argument se compose de deux éléments :

  • une ou plusieurs prémisses : ce sont des affirmations dont il est possible de dire en principe si elles sont vraies ou fausses. « En ce moment, il pleut. » « L’espérance de vie à la naissance de la truite est de cinq ans. » « La cohésion d’un groupe est maximale lorsque ce groupe comprend cinq personnes. »
  • une conclusion : c’est l’affirmation que l’on a cherchée à justifier par les prémisses. Elle est le plus souvent introduite par des connecteurs logiques comme « donc », « par conséquent », « ainsi », « dès lors » ou « c’est pourquoi ». Dans le langage courant, il est d’usage, par raccourci, d’appeler « argument » la conclusion ou la prémisse d’un argument (mais pas le bloc « prémisse + argument » dans son entier).

Voici un exemple d’argument, sans doute un des plus célèbres :

Exemple A

Socrate est un homme. (Prémisse 1)

Tous les hommes sont mortels. (Prémisse 2)

Donc Socrate est mortel. (Conclusion)

Voici maintenant un argument constitué d’une seule prémisse :

Exemple B

Le CorteX existe depuis 2010. (Prémisse)

C’est pourquoi il doit continuer à exister. (Conclusion)

Souvent, de multiples prémisses précèdent une conclusion :

Exemple C

Les plagiocéphalies touchent un bébé humain sur dix à la naissance. (Prémisse 1)

Cette pathologie entraîne systématiquement de lourds handicaps moteurs et intellectuels à l’âge adulte. (Prémisse 2)

Les sutures du crâne du bébé humain ne sont pas encore complètement fermées à la naissance. (Prémisse 3)

L’ostéopathie crânienne permet d’agir manuellement sur ces sutures. (Prémisse 4)

L’ostéopathie crânienne appliquée dès les premiers jours de vie permet d’éviter toute séquelle liée à la plagiocéphalie. (Prémisse 5)

Ainsi, il faut permettre de pratiquer l’ostéopathie crânienne dans toutes les maternités. (Conclusion)

Le plus souvent, les prémisses ne seront pas aussi bien découpées et il faudra les démêler. C’est ce que nous avons dû faire dans la deuxième partie de cet article (voir la Partie II – Application des principes méthodologiques de l’analyse argumentaire ci-après).

2) Analyse d’un texte argumentaire

Identification des arguments

Il n’existe pas à notre connaissance de méthode algorithmique infaillible pour mettre  à jour identifier des arguments mais seulement quelques principes. Dufour nous livre certains de ces principes dans son ouvrage. En résumé, il s’agit :

  • d’identifier les conclusions défendues par les auteur·es et leurs prémisses en repérant les connecteurs logiques ;
  • de chercher à les retranscrire fidèlement. En effet, afin d’éviter un épouvantail, il est bon d’être le plus fidèle possible dans la restitutions des arguments. Dans l’idée, il faut s’évertuer à présenter l’argument mieux que son auteur·e ne l’aurait fait lui-même ou elle-même.

Évaluation détaillée des arguments (ou décorticage)

Pour chacun des arguments identifiés, on veillera à :

  • évaluer la valeur de vérité de ses prémisses. Il s’agit de vérifier que chacune d’elles repose sur des données factuelles ou est logiquement cohérente (qu’elle ne contient pas une contradiction), indépendamment de la conclusion de l’argument ;
  • évaluer la justification que chaque prémisse apporte à la conclusion de l’argument.

Dans l’exemple B :

Le CorteX existe depuis 2010. (Prémisse)

Valeur de vérité. Cette prémisse est vraie, si l’on en croit la page de présentation de notre collectif. Selon notre degré d’exigence et les enjeux de l’argumentaire, on pourrait aller plus loin dans la vérification de cette prémisse en allant lire les registres d’enregistrement des associations loi 1901.

C’est pourquoi il doit continuer à exister. (Conclusion)

Justification. Cette prémisse justifie-t-elle la conclusion « C’est pourquoi il [le CORTECS] doit continuer à exister. » ? Il est facile de trouver des situations où il est légitime d’interrompre une habitude qui perdure depuis sept ans. Par exemple, si une personne séquestre son enfant tous les soirs trois heures dans un placard depuis sept ans, il est légitime de dire qu’il serait plus raisonnable d’interrompre cette pratique pour le bien-être de l’enfant. Le fait qu’un processus existe depuis X années n’est jamais suffisant pour justifier la perpétuation de ce processus. Ainsi, bien que la prémisse de départ soit vraie, elle ne justifie en aucun cas la conclusion. C’est une variante du sophisme que l’on appelle argument d’historicité.

Dans l’exemple C :

Les plagiocéphalies touchent un bébé humain sur dix à la naissance. (Prémisse 1)

Cette pathologie entraîne systématiquement de lourds handicaps moteurs et intellectuels à l’âge adulte. (Prémisse 2)

L’ostéopathie crânienne permet d’agir manuellement sur ces sutures. (Prémisse 4)

L’ostéopathie crânienne appliquée dès le premier jour de vie permet d’éviter toute séquelle liée à la plagiocéphalie. (Prémisse 5)

Valeur de vérité. Ces quatre prémisses sont fausses1.

Les sutures du crâne du bébé humain ne sont pas encore complètement fermées à la naissance. (Prémisse 3)

Valeur de vérité. Cette prémisse est vraie2.

Justification. Cette prémisse justifie-t-elle la conclusion « Ainsi, il faut permettre de pratiquer l’ostéopathie crânienne dans toutes les maternités. » ? Non. Seule une prémisse est vraie (la prémisse 3) et elle ne justifie en rien la conclusion.

Évaluation générale d’un argument

L’argument ne sera d’office pas recevable si :

  • toutes ses prémisses sont fausses, ou ;
  • si aucune des prémisses ne justifie la conclusion.

Par exemple, l’argument B n’est pas recevable, parce que son unique prémisse n’apporte pas de justification à la conclusion. L’argument C non plus, puisque sa seule prémisse vraie ne justifie pas non plus la conclusion.

À l’inverse, l’argument sera d’office recevable si

  • au moins une de ses prémisses est vraie, et ;
  • cette même prémisse justifie la conclusion.

Dans les autres cas, il sera plus difficile (mais pas impossible) de trancher comme nous allons le voir par la suite.

Partie II – Application des principes méthodologiques de l’analyse argumentaire

Une fois les quelques conseils méthodologiques généraux présentés, nous utilisons un sujet spécifique pour les mettre en application : l’extension du délit d’entrave à l’IVG.

Choix du sujet et contexte

Logo du groupe « Les survivants » dont le site web lessurvivants.com est classé par de nombreux médias comme réputé hostile à l’IVG.

Dans les années 1990 en France, fut votée une loi interdisant d’empêcher physiquement les femmes d’accéder aux centres d’avortement. En octobre 2016, des député·es proposèrent d’étendre l’application de cette loi aux cas d’entrave « numérique ». Il existe depuis quelques années des sites Internet d’apparence purement informatifs mais dont les contenus révèlent assez vite un parti pris anti-IVG. La finalité de la nouvelle proposition de loi (PPL) était de lutter contre ces sites Internet en les interdisant – d’où la dénomination d’« entrave numérique ». La PPL fit débat au sein de l’Assemblée nationale ainsi que dans la société civile. Elle fut finalement adoptée sous une version modifiée en février 2017.

Voici la PPL initiale :

L’article L. 2223-2 du code de la santé publique 3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
«– soit en diffusant ou en transmettant par tout moyen, notamment par des moyens de communication au public par voie électronique ou de communication au public en ligne, des allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur la nature, les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse ou à exercer des pressions psychologiques sur les femmes s’informant sur une interruption volontaire de grossesse ou sur l’entourage de ces dernières. »

Voici la PPL adoptée :

« soit en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés au même article L. 2212-2, des femmes venues recourir à une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières. »

Après avoir présenté ces données de contexte, nous rappelons qu’avant de chercher à se positionner, il convient d’identifier clairement quelles sont les différentes questions débattues. On peut par exemple envisager :

  • la question de l’adoption du texte de loi tel que mentionné ci-dessus ;
  • la question de l’adoption d’un texte de loi modifié ;
  • la question de l’interdiction des sites qualifiés d’anti-IVG ;
  • la question de la mise en œuvre de moyens publiques pour diminuer l’audience des sites qualifiés d’anti-IVG ;
  • la question de l’avortement comme droit ;
  • Etc.

Cet étape est indispensable afin d’éviter l’écueil du chevauchement des questions dans le débat. Le tout est de se mettre d’accord dès le début avec le groupe sur la question à débattre et d’insister sur le fait qu’il faudra éviter de sortir de ce cadre sous peine d’un risque d’appauvrissement de la discussion. C’est le rôle de l’enseignant·e de veiller sur ce point tout au long de la séquence pédagogique.

Objectifs et précautions

Cette séquence comprend trois objectifs principaux :

  • illustrer la difficulté de se positionner de manière rapide et tranchée sur ce type de sujet ;
  • repérer et analyser des arguments en apparence rigoureux mais en réalité fallacieux, les sophismes ;
  • permettre de formaliser une démarche rationnelle de réflexion sur un sujet aux forts enjeux moraux.

Comme la thématique peut être houleuse, nous précisons toujours avant d’entrer dans le vif du sujet :

  • que nous allons présenter des documents où figurent des personnes dont l’appartenance à des mouvements politiques ou religieux peut troubler. Il faudra faire attention à bien évaluer les propos des personnes, et non leurs actes antérieurs ou leur rattachement idéologique, pour ne pas tomber dans le déshonneur par association ;
  • qu’être contre la proposition de loi n’entraîne pas forcément le fait d’être contre le droit à l’IVG – deux positions qui peuvent pourtant facilement être associées.

Positionnement préalable

À ce stade, nous demandons à chaque étudiant·e d’écrire de manière anonyme sur une feuille de papier s’il est « pour » ou « contre » cette PPL (l’abstention n’est pas une alternative possible ; nous « forçons » les étudiant·es à jouer le jeu). Nous répéterons cette étape à la fin de la séquence pour voir si l’avis de certain·es a changé.

Lorsque nous avons réalisé ces enseignements, 96% des étudiant·es des 4 sessions que nous avons effectuées étaient « pour » la PPL à cette étape (N=72). 4% étaient « contre ».

Analyse des argumentaires des deux camps

Présentation

Afin de se faire une idée des différent·es actrices et acteurs présent·es dans le débat, et surtout de leur argumentaire pour ou contre la PPL, nous proposons de visionner ou lire six documents. Nous divisons le groupe d’étudiant·es en deux : une moitié du groupe travaillera sur les trois documents « contre », l’autre moitié sur les trois documents « pour ». Nous leur demandons d’extraire les principaux arguments en une trentaine de minutes. En fonction du temps dont nous disposons, et surtout du niveau d’expertise du groupe sur l’outillage de la pensée critique, nous leur proposons également d’extraire les principaux sophismes mobilisés.

  • Extrait d’un débat sur BFM TV de novembre 2016 où Laurence Rossignol, membre du Parti socialiste et ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes se positionne pour la PPL :

  • Intervention de Marion Maréchal-Le Pen, membre du Front national, députée, contre la PPL, à l’Assemblée nationale en novembre 2016 :

  • L’exposé des motifs publié en octobre 2016 de la PPL co-signé par plusieurs dizaines de député·es, lire les pages 4 à 6.

Sélection de sophismes

Ces documents sont tous de bon supports pour s’entraîner à détecter des sophismes, ces structures argumentaires qui semblent valables en apparence bien qu’en réalité défaillantes. Nous les appelons aussi des « moisissures argumentatives » en vertu de leur propension à altérer la plupart des débats, à étouffer des arguments pertinents et à décrédibiliser des discours judicieux sur certains points. Cette étape est souvent un temps très apprécié des étudiant·es et permet de mettre en évidence la fréquence des sophismes. Elle n’est cependant pas auto-suffisante car, s’il est assez aisé de relever des sophismes du côté des « pour » comme des « contre », il faut ensuite savoir identifier et analyser les arguments qui tiennent a priori vraiment la route.

Nous relevons ci-dessous quelques sophismes redondants sur le sujet en question ; la liste est loin d’être exhaustive.

Technique de la fausse piste :

  • « Comme vous le savez peut-être, depuis plusieurs mois, un groupe anti-IVG nommé les Survivants multiplie les actions sur les réseaux sociaux, mais aussi dans la réalité. Certaines actions vont même à l’encontre de la loi, comme la reprise sans autorisation du jeu Pokémon Go et de ses personnages, ou, plus récemment, un affichage lumineux sur l’Arc de Triomphe pour faire leur propagande. Il y a quelques semaines, ils ont même lancé une campagne diffamatoire à propos du Planning Familial. » (Cécile Pellerin) [La PPL ne cible pas ce type d’actions]

Technique de l’épouvantail :

  • « Leur positionnement [aux porteur/ses des sites anti-IVG] incite à la réflexion, et c’est justement ce qui leur est reproché. Il faudrait qu’ils adoptent d’emblée un positionnement favorable à l’avortement. Or, un sujet si grave ne peut être enfermé dans des postures militantes. » (Monseigneur Pontier)
  • « Faudrait-il nécessairement exclure toute alternative à l’avortement pour être considéré comme un citoyen honnête ? » (Monseigneur Pontier)
  • « L’amendement proposé en septembre par Madame Rossignol a déjà été rejeté par le Sénat, les femmes serait-elles des citoyens de seconde zone, ne méritant pas un accès à l’information sûr et neutre ? Nous aurons la réponse le 1er décembre. » (Cécile Pellerin)
  • « Et puis, il y a, en sous texte, toujours ce même jugement : les femmes qui ont recours à l’IVG sont des meurtrières, égoïstes, leurs actes ne sont motivés que par leur confort. (Cécile Pellerin)
  • « Vous avez l’air d’entretenir les femmes dans une forme de sujétion mentale, vous les prenez pour des femmes complètement stupides. Faut les prendre par la main, faut les protéger d’informations qui ne seraient pas compréhensibles, faut les orienter correctement dans la bonne voie parce qu’elles seraient vulnérables, fragiles, qu’elles n’auraient pas le discernement nécessaire, donc que l’État nounou, protecteur soit là pour leur garantir de faire le bon choix » (Marion Maréchal-Le Pen)
  • « Comment prétendre protéger la liberté de la femme lorsqu’on va lui interdire de poser un choix libre, de discerner, de prendre le temps de la réflexion face à un acte irréversible qui, loin d’interrompre une grossesse vient y mettre fin de manière irrévocable ? » (Cécile Edel)
  • « Comment nier la voix de celles qui viennent témoigner tous les jours sur
    ces sites des conséquences physiques et psychologiques douloureuses qu’elles endurent suite à leur IVG et continuer de soutenir que tout ceci n’est que pur mensonge ? » (Cécile Edel)

Appel au peuple :

  • « Ces sites ont du succès, preuve qu’ils répondent à une attente. » (Monseigneur Pontier)

Attaque à la personne :

  • « Ces extrémistes, pour la plupart du temps religieux, veulent nous en priver. » (Cécile Pellerin)
  • « Vous êtes totalement aveuglé par l’idéologie. » (Marion Maréchal-Le Pen)

Usage de mots à effet impact4:

  • «Texte complètement délirant. » (Marion Maréchal-Le Pen)
  • « Il est scandaleux de vouloir instaurer chez les jeunes (…) » (Cécile Pellerin)

Questions rhétoriques5

  • « Le moindre encouragement à garder son enfant peut-il être qualifié sans outrance de « pression psychologique et morale » ? » (Monseigneur Pontier)

Les procès d’intention6

  • « Que font réellement ces sites visés par le Gouvernement sinon pallier au silence du gouvernement qui, au travers de son site dédié spécifiquement à l’IVG, omet volontairement d’exposer les conséquences physiques et psychologiques de l’IVG. » (Cécile Edel)
  • « Il existe une prolifération importante de sites se prétendants neutres mais en fait anti-IVG, cherchant à tromper les internautes (opinions non clairement affichées, utilisation des codes officiels). » (Assemblée nationale)
  • « Il est scandaleux de vouloir instaurer chez les jeunes, la peur d’un organisme créé pour les aider (…) » (Cécile Pellerin)

Plurium affirmatum

  • « J’ose donc espérer  que, sensible aux  libertés  en cause,  vous  ne laisserez pas  une  telle mesure  arriver à  son terme. » (Monseigneur Pontier) [Sous-entendu l’affirmation suivante : si vous êtes sensible aux libertés en cause, vous ne laisserez pas une telle mesure arriver à son terme. Affirmation qui elle-même présuppose, tel un assortiment de poupées russes, l’affirmation : la présente mesure [la PPL] porte atteinte à certaines libertés.]

Synthèse des arguments

À ce stade, nous demandons aux étudiant·es de chaque groupe de venir écrire sur un tableau (ou un autre support) les principales prémisses contenues dans les documents permettant de soutenir la conclusion « La PPL est justifiée (Il faut voter pour.). » ou « La PPL n’est pas justifiée (Il faut voter contre.). »

La PPL est justifiée (Il faut voter pour.).

La PPL n’est pas justifiée (Il faut voter contre.).

La PPL ne relève pas de la liberté d’expression et d’opinion.

Cette PPL met en cause les fondements de nos libertés, particulièrement la liberté d’expression.

Ces sites détournent les internautes d’une information fiable et objective.

Ces sites fournissent une information exhaustive sur les conséquences d’une IVG et les alternatives à l’avortement, qui ne sont présentées sur aucun document officiel émanant du gouvernement ou des planning familiaux.

Ces sites sont populaires.

Ces sites répondent à une attente.

Ces sites limitent l’accès de toutes les femmes au droit fondamental à l’avortement.

La PPL viendra aliéner la liberté de la femme de choisir la vie.

 

La détresse ressentie par les femmes ne pourra plus s’exprimer.

Ces sites cherchent à tromper délibérément.

 

Il est bien sûr possible d’être plus précis dans la synthèse des arguments mais cela nécessite un temps dont nous ne disposons pas forcément en cours avec un grand groupe. À titre d’exemple, voici une synthèse plus fournie des arguments présentés dans un texte du corpus.

On remarquera que la plupart des arguments avancés ne concernent pas la PPL en tant que telle mais le fait d’interdire certains sites Internet. Or, ce n’est pas l’objet de la discussion, qui est bien de trancher « pour » ou « contre » la PPL. C’est un point important sur lequel nous attirons l’attention des étudiant·es.

Analyse des arguments

Une fois la synthèse des arguments réalisés, nous invitons  les étudiant·es à se positionner concernant la valeur de vérité et la justification de chacune des prémisses en leur proposant un nouveau temps de travail en groupes restreints. Un accès à un ordinateur avec une connexion Internet est fortement recommandé pour cette étape.

Certaines des prémisses réunies dans la synthèse seront rejetées sans trop de discussion : 

  • la détresse ressentie par les femmes ne pourra plus s’exprimer. =>  Prémisse fausse. Divers lieux existent pour s’exprimer au sujet de l’IVG et de l’éventuelle « détresse » associée. C’est le cas par exemple des plannings familiaux.
  • Ces sites limitent l’accès de toutes les femmes au droit fondamental à l’avortement. => Il y a deux façons de comprendre cette prémisse, une version forte et une version faible. Pour la version forte, ces sites constituent une entrave physique aux femmes souhaitant exercer leur droit de recours à l’avortement. Dans ce cas, la prémisse est évidemment fausse. Concernant la version faible, l’existence de ces sites a pour effet de réduire le taux de recours à l’IVG dans la population. Pour évaluer la valeur de vérité de cette prémisse, il faudrait au minimum avoir des données montrant que la population qui consultent ces sites présente un taux de recours à l’IVG inférieur à celle qui ne les consultent pas. À défaut, le principe de la charge de la preuve et l’utilisation du rasoir de Hitchens7 imposent et permettent, à défaut de juger cette prémisse fausse, de l’écarter de l’argumentation.

D’autres analyses de prémisses nécessiterons un temps plus long d’échange. Assez rapidement, le groupe peut se rendre compte que l’essentiel du débat tourne autour de la question de la liberté d’expression : la PPL est-elle une entrave à la liberté d’expression ? Nous laissons le débat se faire entre les étudiant·es, en veillant à ce que la parole tourne et à ce que chaque personne s’interroge sur la valeur de vérité des affirmations qu’elle émet.

Conclusion

En guise de conclusion, nous demandons à nouveaux aux étudiant·es de se positionner « pour » ou « contre » la PPL, avec toujours pour consigne de ne pas s’abstenir. À ce stade, 65 % étaient « pour », 15 % étaient « contre » et 20 % ont choisi l’abstention malgré la consigne, en répondant ne pas savoir.

Nous ne présentons pas dans le cadre de cette séquence notre argumentation et notre position au sujet de la PPL car ce n’est pas l’objet de l’intervention. Nous insistons plutôt sur l’importance de prendre du recul sur nos positionnements hâtifs face à des sujets délicats et d’exiger ou de fournir les preuves nécessaires pour soutenir les arguments produits. Nous rappelons une nouvelle fois le caractère essentiel du fait de bien délimiter la question dont on souhaite débattre, dans le cas présent la question de la pertinence de la PPL.