Troque ceinture d’explosifs à grenaille contre boite à outils critiques

C’est avec tristesse et consternation que nous regardons le bilan des attaques ayant eu lieu à Paris dans la nuit du vendredi 13 au samedi 14 novembre 2015. Ces quelques lignes ne visent pas à analyser ces événements, puisque nous avons pour principe de ne pas céder à la pression médiatique et de prendre le temps nécessaire pour examiner rationnellement et de façon dépassionnée les causes et les implications de ces événements. Toutefois, tant les questions qui furent soulevées à l’issue de ces attaques – pourquoi nous ? Au nom de quoi ces personnes ont-elles tuées ? – que la réaction du Président François Hollande, qui le lendemain même a intensifié ses frappes contre l’État Islamique sur la ville de Rakka en Syrie, nous forcent à rappeler certains éléments de compréhension des mécanismes et des impacts des interventions militaires, qui mettent en perspective le drame parisien mais qui sont occultées. Savamment occultées.

Le désarroi d’une majorité de Français vis-à-vis de ces attentats est manifeste. Nous ne nous appesantirons pas sur les campagnes type « Pray for Paris » car, à notre connaissance, la prière d’intercession n’a jamais été un levier géopolitique efficace ; ni sur les minutes de silence qui s’écoulent de partout, et qui auraient profit à être troquées contre des minutes de réflexion critique. Nous préférons – et c’est ce que nous faisons dans nos enseignements – prôner la méthodologie suivante :

si l’on veut éviter un phénomène, il faut le regarder sans fard, le caractériser, puis en chercher les rouages, et enfin travailler sur lesdits rouages.

En qualifiant les « terroristes » de salauds, de barbares, de fous de Dieu, la réaction est affective, et on peut aisément comprendre cela des proches ou des familles des victimes. Il n’est pas censé en aller de même pour des intellectuels, des politistes, qui doivent bâtir un savoir le plus désaffectivé possible pour rationaliser leur rapport au réel qu’ils étudient. Pourtant, qualifier quelqu’un de fou, c’est faire démarrer ses actes dans un esprit malade, ce qui évite toute recherche d’autres causes. C’est ce qu’on fit à propos des résistants du maquis des Glières, des résistants du Front de libération algérien, des rebelles de divers anciennes colonies françaises, comme Madagascar, et tant d’autres.

Or il semble que les esprits en question ne soient pas pathologiquement atteints, ni particulièrement imbéciles. La question devient alors : « qu’est-ce qui pousse un individu comme vous et nous à commettre ce genre d’acte effrayant ? » et pourquoi ne nous viendrait-il pas à l’esprit de faire cela ? Quel contexte permet l’émergence de ce genre d’acte ? Là, c’est à une analyse sociétale qu’il faut passer. Reposons la question autrement : comment se fait-il que notre monde, et à plus forte raison notre pays ne soient pas en mesure de faire naître des alternatives plus séduisantes que celle de se faire sauter avec une ceinture d’explosifs au milieu de gens inconnus et assez éloignés des centres de pouvoir dénoncés ?

Un début, un maigre commencement d’analyse, démarre par la dénonciation d’un paradoxe français.

La France est un des pays qui consacre un pourcentage conséquent de son produit intérieur brut en dépenses militaires1– et ce, malgré de récentes coupes dans le budget du Ministère de la Défense2. L’armée française est engagée au maximum de ses capacités dans un grand nombre de conflits – au sol ou dans les airs. Au total, ce sont 6500 soldats français qui sont déployés dans des opérations extérieures, bien souvent avec des mandats peu clairs, non discutés démocratiquement, et parfois sans autorisation préalable du Conseil de Sécurité des Nations-Unies3. À l’Afghanistan en 2008, se sont succédés la Libye en 2011, la Centrafrique et le Mali en 2013, l’Irak début 2015 et  la Syrie depuis septembre. La France est donc en guerre. Non contre un ennemi « invisible » mais, dans la plupart des cas, aux côtés de forces gouvernementales, issues de ses anciennes colonies et dont la légitimité est contestée par des mouvements rebelles et armés.

Ces guerres sont toutefois totalement absentes du débat public, à part lorsqu’il s’agit de les vendre en les parant de vertus « humanitaires »4. Où trouve-t-on le décompte des victimes, directes et indirectes de ces conflits ? Qui informe sur les buts de ces interventions ? Pourquoi les pouvoirs du Parlement sont-ils si limités quand il s’agit d’avaliser une intervention extérieure 5? Pourquoi les citoyens français sont-ils dépourvus de tout pouvoir de décision en matière de politique étrangère ? Pourquoi faut-il attendre plusieurs années pour découvrir les véritables motifs d’une entrée en guerre de la France et le bilan, souvent désastreux, de ses interventions ? Pourquoi la stratégie de sortie de conflit n’est-elle jamais explicite avant l’entrée en guerre ?

Il faut le reconnaître, il n’y a pas à notre connaissance de cas où la situation politique fut meilleure après intervention militaire française. En effet, les récents exemples d’intervention l’attestent : ces guerres n’aboutissent jamais à améliorer la vie des civils qu’elles prétendent défendre. Pire, la diabolisation des ennemis et la rhétorique agressive et martiale qui y est employée conduit à des conséquences désastreuses sur le terrain. En Afghanistan, le refus de négocier avec les Talibans et la stratégie jusqu’au-boutiste poursuivie par l’administration Obama et le général McChrystal a fait sombrer le pays dans un guerre longue qui se solde aujourd’hui par une désillusion et une insécurité accrues pour les populations afghanes6. Les Talibans sont désormais en passe de reprendre le contrôle de Kaboul. Dix ans de guerre pour quoi, donc ? La Libye aujourd’hui est en proie à des violences qui déstabilisent toute la région7. En Centrafrique, la France est embourbée alors que les troupes de maintien de la paix au Mali subissent des pertes importantes8.

L’un des lieux communs des auteurs des actes de type attentats « djihadistes » est une combativité politique, un engagement, généralement anti-impérialiste et anti-colonialiste qui trouve dans le religieux son écrin. Si nous exécrons les modèles théologiques, et n’avons aucune forme d’admiration pour l’État Islamique, il nous faut reconnaître, à notre grande peine, qu’elle offre un idéal politique capable de drainer des jeunes. Parmi les raisons de la radicalisation, il y a la politique extérieure militaire française. Et bizarrement, nombre de médias occultent exactement ce lien causal9.

En revanche, peu de commentateurs exigent de nos décideurs politiques qu’ils clarifient leurs relations avec des régimes autoritaires dont les pratiques et les valeurs, ne sont pas si différentes de celles des combattants de l’État islamique. Car, faut-il le rappeler, le gouvernement français a réaffirmé son amitié pour l’Arabie Saoudite10 ou le Qatar11, deux pétromonarchies qui ne se caractérisent pas par leur respect des droits humains. On pourrait en appeler aux futurs prochains terroristes comme à nos décideurs politiques pour dessiner un front commun : plutôt que d’exiger, par la force militaire ou la bombe à clous, des changements politiques pourquoi ne pas investir dans la prévention de ces conflits en cessant, notamment, de soutenir des régimes autoritaires ? Il faut se rappeler que la France a invité Mouammar Khadafi en grandes pompes à l’Élysée en 2007, Bachar Al Assad au défilé du 14 juillet en 2008, autant de prestigieux invités que l’on a bombardés par la suite.

Dès lors, il est difficile de ne pas lire dans les attaques à Paris, comme dans celles qu’ont subi dernièrement le Liban, l’Égypte, la Turquie, le Danemark, la réaction violente à une action violente. Plus que de « valeurs » et d’« idéologie » c’est entre autres de dénonciation de stratégie guerrière dont il s’agit. Le fait que les États récemment touchés par des attaques soient aussi ceux qui sont en guerre dans les airs ou au sol contre l’État Islamique, ne relève pas, à notre sens, de la coïncidence.

Nous paraphrasons les mots de Noam Chomsky après les attentats du 11/9 : certes, c’est une tragédie. Mais elle n’est pas, hélas, extraordinaire. De nombreux pays vivent des massacres de masse, des morts civiles injustifiées, par des militaires ou des mercenaires financés parfois sur notre argent public. Ici, ce qui change, c’est la nationalité des morts12. Alors oui, c’est atroce, épouvantable, à l’image de ce qui se fait dans maints endroits ailleurs en notre propre nom. Faut-il en être surpris ?

Alors au lieu d’accumuler des minutes de silence, nous pourrions nous offusquer ensemble, raisonner ensemble : glaner les minutes et en faire des heures d’analyse critique de notre géopolitique.

Clara Egger, Richard Monvoisin

PS : le CORTECS invite toute personne, tout étudiant qui pense que le seul salut est l’attentat sur des innocents à prendre contact. Nous faisons le pari d’avoir à lui proposer des méthodes de transformation sociale certes plus lentes, mais infiniment moins sordides, et surtout, autrement plus efficaces. Dans le monde que nous visons, il n’y aura pas d’au-delà chatoyant. Il y aura un ici-maintenant un peu moins endeuillé.

Ateliers "Médias" avec des écoliers chambériens

Tudy Guyonvarch est assistant d’éducation en Maurienne. L’année dernière, il a mené en parallèle de son activité principale des ateliers « Médias » auprès d’enfants d’une école primaire chambérienne. En plus de se livrer avec intérêt à cet exercice, il a bien voulu partager avec nous son expérience, qui devrait être renouvelée cette année au second semestre avec des ateliers de zététique.

Contexte

La mise en place de la réforme des rythmes scolaires à Chambéry a permis à la Maison de l’enfance de proposer des ateliers périscolaires. A un tarif plus que modique, les enfants des écoles du Biollay (un quartier classé zone urbaine sensible (ZUS) de Chambéry) peuvent s’inscrire à des cycles de 5 à 7 séances, de 16h à 17h30. L’idée de l’atelier « Médias » était de reprendre une animation déjà menée sur les vacances d’été, à savoir réutiliser des techniques de tournage et de montage similaires à celles utilisées dans Enquêtes Exclusives pour monter un reportage bidon sur le Biollay et comprendre comment les spectateurs peuvent être manipulés.

Modalités

Durée : 6 séances d’1h30

Matériel : un appareil photo numérique, un ordinateur

Lieux : Maison de l’enfance et quartier du Biollay, Chambéry, 73000

Public : enfants de 8 à 9 ans

1er atelier : cas d’école

Après avoir discuté des différents médias, de leur rôle dans la vie quotidienne et sur la société (en plein post-Charlie-Hebdo, la question revient évidemment), nous avons visionné certaines scènes choisies de Villeneuve ; le rêve brisé 1 : le suivi des forces de l’ordre menant une « guerre de territoire », la présentation de la journaliste, l’interview des jeunes, la démonstration de tir, l’interview des « anciens », plus quelques travellings à travers la cité.

Je lance, un peu imprudemment, l’idée qu’il a pu y avoir des manipulations. Certains enfants remettent aussitôt l’ensemble du documentaire en question, estimant que tout n’est qu’effets spéciaux. Puis un débat démarre sur la voiture brulée : vraie ou truquée ? Quelles sont les chances de tomber sur une voiture en flamme en suivant la police durant plusieurs semaines ? De même, certains remarquent les coupures durant l’interview de l' »ancien » qui se plaint de son agression et formulent la question « qu’est-ce qui a été enlevé ». Enfin, ils estiment que l’attitude des « jeunes » interviewés est grossière et trop caricaturale.

2ème atelier : téléphone taïwanais

On rediscute un moment de ce que les élèves ont vu à la télé récemment. Peu d’entre eux ont regardé attentivement la télé dans la semaine, peu se souviennent de ce qu’ils ont vu.

On discute sur le témoignage et la qualité des on-dits. Puis, à partir d’une vidéo de quelques secondes sur des passants qui tombent dans un trou en Corée (voir vidéo ci-dessous), nous faisons l’expérience du téléphone arabe. Mohammed s’isole et regarde la vidéo tandis que les autres sont dans une autre pièce. Puis, Liam a quelques minutes pour entendre son témoigage et poser quelques questions complémentaires. Ensuite, c’est au tour de Wassim d’interviewer Liam, puis Nassime interview Wassim. Quand enfin Jérémie interviewe Nassime puis restitue ce qu’il a entendu à Gaspard, la version finale n’a absolument rien à voir avec le contenu de la vidéo (voir vidéo ci-dessous).

Extrait d’un reportage télévisuel rapportant un évènement s’étant déroulé dans une ville coréenne, suivi d’une expérience de téléphone arabe avec les écoliers. La vidéo est diffusée avec l’autorisation des personnes y figurant.

On constate en regardant ensemble la vidéo d’origine que le témoignage de base est déjà bancal, mais que chaque maillon de la chaîne ajoute des approximations, inventions ou erreurs qui changent complètement l’histoire.

3ème atelier : l’attention

Après une énième discussion sur ce que les enfants ont vu dans les médias cette semaine, toujours relativement stérile, on se met au boulot. Après avoir visionné deux ou trois expériences de mémoire sélective (comme celle du gorille 2), nous décidons de faire notre propre expérience. On met au point un protocole et on se rend vite compte que les seuls sur lesquels on peut tester cet effet sont les parents. Quand ceux-ci arrivent à l’accueil, ce sont 5 enfants qui vont se cacher sous le bureau de l’agent d’accueil ou dans le bureau de la direction pour appeller les parents, tendre un papier à remplir, aller chercher un stylo, puis dire au revoir.

Après un débrief avec chaque parents, il apparaît que tou.te.s ont détecté une surpercherie, mais qu’ils ont seulement vu 2 ou 3 changements, mais pas 5. Même dans des conditions peu optimales, il apparaît donc que l’expérience fonctionne.

4ème atelier : « coupez »

Le temps de discussion sur les médias de la semaine apporte peu, encore une fois, et on disgresse sur de nombreux sujets. Ensuite, on attaque le corps du sujet : la sélection des données par le montage vidéo.

Après avoir regardé quelques exploits (paniers au basket, lancer de canette dans des poubelles), on décide de faire notre propre vidéo. On élabore notre mise en scène. Pour optimiser le nombre de lancers, donner le même nombre de chance à chacun, tous les enfants tentent de lancer un papier froissé dans une poubelle derrière eux. Assis en rond autour de la table, ils font semblant de dessiner et, chacun son tour, l’un d’eux tente le panier. Je filme en continu, prêt à couper en cas de problème.

C’est très laborieux. Ils visent mal et, après 20 minutes et sans doute une bonne cinquantaine de tirs, aucun n’a réussi de façon visuellement impressionante. Finalement, un des tirs reste pour la postérité.

On tente alors une seconde approche, le montage pur et dur. En faisant deux plans différents, un du lancer et un du papier arrivant dans la poubelle, on donne l’impression d’un très beau lancer. On fait avec les enfants une première approche du montage.

5ème et 6ème atelier : au coeur de l’action

Pas de discussions sur les médias lors de ces ateliers car on a du boulot : tourner sur le Biollay et réaliser le « rush ». Lors du premier atelier, on filme un match de foot sur l’espace multisports et on ne sélectionne que les moments les plus violents (insultes, bousculade et tacle).

Lors du second atelier, on marche en groupe en se faisant tourner l’appareil photo et, dès que quelqu’un a une idée à filmer, la personne qui a l’appareil tente un plan. On en profite pour voir comment la façon de filmer donne des impressions différentes (la contre plongée pour rendre les immeubles écrasants), pour travailler l’élipse, et pour filmer des crottes de chien. On filme aussi les éléments positifs, au cas où on voudrait un jour faire un film de pub sur le quartier pour contre-balancer celui-ci.

Au cours du 6ème atelier, on prend quelques minutes sur la fin pour envisager le montage, mais ce temps est largement insuffisant. Aussi, durant les vacances, nous allons prendre deux heures pour réaliser le montage et ajouter des musiques. Les enfants regorgent d’idées diaboliques (ralenti sur des jeunes avec des capuches, zoom, gangsta rap en fond sonore) pour manipuler le spectateur !

Film réalisé par les écoliers à l’issue des ateliers

Tudy Guyonvarch

Tu crois que ma vie va chahger ? Je ne sais pas… Faut voir les sondages…

Sondage : 63% des Français pour une limitation des libertés individuelles ! Et vous ?

Le 13 avril 2015, l’institut de sondage CSA publiait un sondage pour le site Atlantico.fr intitulé « Les Français et le projet de loi relatif au renseignement ». La plupart des médias des grands groupes de presse 1 relayèrent l’information avec pour titre « Loi renseignement : 63% des Français favorables à une limitation des libertés ». Au CORTECS, nous avons l’habitude d’être plutôt méfiants face aux sondages d’opinions tant l’art du sondage est délicat. Nous relayons donc ici une rapide analyse effectuée par l’équipe de Là-bas si j’y suis suivi d’un court et amusant reportage d’Anaëlle Verzaux et de Gaylord Van Wymeersch dans les rues de Paris et initialement publié ici.

Nous profitons de cet article pour relayer un appel au respect des libertés fondamentales et contre la nouvelle loi sur le renseignement car la pensée critique ne peut s’exercer sans liberté de critiquer et sans craindre d’être surveillé pour ces raisons. Lire la suite ici.

LOI SUR LE RENSEIGNEMENT, DES SONDAGES COUSUS DE FILS BLANCS

Le jeudi 30 avril 2015

Une loi liberticide, un « Patriot act » à la française, une
surveillance de masse sans précédent… Non, la « loi pour le
Renseignement » qui doit être votée le 5 mai ne fait pas vraiment
l’unanimité. Pour comprendre, nous avons réuni cinq intervenants qui,
chacun dans son domaine, condamnent cette loi sécuritaire, Justice,
Police, Média, Syndicat, Internet : « Si t’as rien à te reprocher, t’as pas peur d’être surveillé ».

Pourtant, selon les médias, cette loi a le soutien de l’opinion.
D’après un sondage de l’institut CSA de la mi-avril, 63% des Français y
sont favorables. Le chiffre est repris partout. Un excellent argument
pour le gouvernement face à ses contestataires : les Verts, la gauche,
la droite, la droite extrême, les militants politiques et syndicaux, les
défenseurs des Droits, y compris la CNIL…
Alors ?

Alors regardons d’un peu plus près ces sondages. C’est facile, ils sont publiés sur le site de l’Institut CSA :

Question : Avez-vous entendu parlé de ce projet de loi ?

Réponse 1 – Non, je n’en ai pas entendu parlé : 27 %
Réponse 2 – Oui, mais je ne vois pas de quoi il s’agit : 40%
Donc, total des personnes qui n’y comprennent rien : 67%

À quoi s’ajoutent 5% qui sont sans opinion : 5%

Soit au total, ignorants, indifférents, incompétents : 72% !

Restent les « Oui, je vois bien de quoi il s’agit » : 28%

Question : Combien parmi ceux là sont favorables à la loi ?

Réponse : On ne sait pas

Question : D’où vient l’affirmation « 63% des Français sont
favorables à une limitation des libertés individuelles pour lutter
contre le terrorisme » ?

Réponse : C’est un gros bobard.*

Pas besoin d’être un grand de l’investigation pour le débusquer.
Abuser de la confiance, jouer sur les mots et sur les émotions avec
autorité. Manipuler l’opinion est une vieille coutume.* Ça ne marche pas toujours, heureusement. La preuve ce reportage d’Anaëlle VERZAUX et de Gaylord VAN WYMEERSCH dans les rues de Paris : SOURIEZ VOUS ÊTES SURVEILLÉS (8’34)

* Note du CORTECS : pour être plus précis, on peut dire que cette information est trompeuse étant donné qu’affirmer la faveur d’une personne à « la limitation des libertés individuelles pour lutter contre le terrorisme », si cette même personne n’est pas informée des dispositions relatives à cette limitation, n’a tout simplement aucun sens et est dangereusement manipulatoire.)

Bandes dessinées et esprit critique

Il n’y a pas de mauvais support à la transmission de l’esprit critique : radios par exemple, films, fictions… et la bande dessinée (BD). Longtemps considérée comme un art mineur, la BD est pourtant une manière facile et ludique d’amener à la lecture quelqu’un qui lit peu ou pas. Dans cet article, nous allons recenser lentement les BD qui à notre connaissance peuvent être utilisées comme ressources pour l’esprit critique.

Vous en connaissez ? Écrivez-nous !

RM : Richard Monvoisin NG : Nicolas Gaillard EC : Elsa Caboche A V-R : Agnès Vandevelde-Rougale GD : Gwladys Demazure AG : Albin Guillaud ND : Nelly Darbois AB : Alice Bousquet.


Table des matières

Physique

  • Les mystères du monde quantique, de Thibault CorteX_mystere-du-monde-quantique_2016Damour et Burniat

Explorer les « mystères » quantiques avec Bob, son chien, Rick, Thibault Damour qui gère la crèmerie en terme de physique théorique, et le dessin sympathique de Burniat. On croisera dans cette épopée Planck, Einstein, de Broglie, Heisenberg, Schrödinger, Bohr, Born, Everett, et tout le bestiaire du domaine.

RM

  • Universal war 1, de Denis Bajram

CorteX_universal_war_1_couvt4 CorteX_UniversalWarOne04_extrait

Hexalogie (c’est-à-dire série de 6 volumes) tout à fait remarquable : l’histoire de la troisième flotte fédérale veillant sur la périphérie du système solaire au milieu du XXIe siècle nous fait traverser le problème des « trous de ver » en physique, des multivers et de quelques illustrations de « paradoxes temporels », ainsi qu’un petit festival de questionnements éthiques et politiques stimulants. Cette série de Denis Bajram, éditée entre 1998 et 2006 chez Soleil Productions avant d’être reprise dans la collection Quadrant Solaire, compte six tomes de 48 pages, ornés de commentaires OFF à la fin, avec des « bulles ratées », et quelques techniques de réalisation captivantes. Regret personnel, des ravins intellectuels proposés par le scénario jouxtent quelques ficelles un peu grossières, et il y a un ou deux personnages vraiment malmenés. Mais c’est une goutte critique dans un océan que j’ai englouti d’une traite. 

RM

Biologie

  • Genetiks

La trilogie Genetiks (2007, 2008, 2010), de Richard Marazano et Jean-Michel Ponzio, nous entraîne dans le monde de Thomas Hale, chargé de recherche pour le Laboratoire Genetiks. Au fil des pages et de ses cauchemars se dévoile le projet de la privatisation du génome humain et un monde où le corps prend la valeur de pièces détachées, ce qui n’est pas sans rappeler celui de Vanilla Sky (film de Cameron Crowe, 2001) ou de Matrix (film de Larry et Andy Wachowsky, 1999). A une époque où la brevetabilité du vivant devient possible, la lecture de Genetiks est un signal d’alarme.

A-VR.

Psychologie

  • Ann Sullivan et Helen Keller, de Joseph Lambert (2013)

    CorteX_BD_Sullivan_Helen_keller

J’ai déjà évoqué l’histoire d’Helen Keller et de sa professeur Ann Sullivan dans « Les vies radicales d’Helen Keller, sourde, aveugle et rebelle ». (ici).

Là, cette BD, dont le titre d’origine est Annie Sullivan and the trials of Helen Keller m’a tordu d’émotion dès la première page (que je reproduis plus bas). Le dessin de Joseph Lambert est touchant, et cette histoire est aussi peu connue que ne sont connus les sourds, aveugles et autres « handicapés », qui frayent dans des sphères ignorées des « normaux ». Une très bonne amie m’avait expliqué que pour que son père sourd ne voie pas sur ses lèvres les causeries avec sa sœur, elle avait pour méthode de signer (faire les signes de la langue des signes) dans la main de celle-ci. J’en étais resté pantois. Là, c’est tout l’itinéraire d’une fille aveugle et sourde, qui va devenir écrivain et militante féministe, par l’opiniâtreté de sa professeur à l’histoire tout aussi mal embarquée. Une leçon humaine, militante, et une mise en lumière sur l’une des luttes des « non-normaux » dont on parle si peu… alors qu’à tout bien peser, entre être handicapé ou non, il n’y a parfois qu’une rue, un tram, un vélo renversé. Nous devrions adapter le monde au dénominateur le plus vulnérable, et non l’inverse. Editions ça et là. Téléchargez un extrait  (1.4 Mo)

RM

Première page BD Sullivan et Keller

  • Mon ami Dahmer, de Derf Backderf (2013)  CorteX_Mon_ami_Dahmer

Voilà une BD peu joyeuse, et peu complaisante, sur l’enfance et la genèse de celui que l’histoire appellera désormais le cannibale de Milwaukee.

Derf Backderf a passé son enfance à Richfield, petite ville de l’Ohio située non loin de Cleveland. En 1972, il entre au collège, où il fait la connaissance de Jeffrey Dahmer, un enfant étrange et solitaire. Les deux ados se lient d’amitié et font leur scolarité ensemble jusqu’à la fin du lycée. Jeffrey Dahmer deviendra par la suite l’un des pires tueurs en série de l’histoire des États-Unis. Son premier crime a lieu à l’été 1978, tout juste deux mois après la fin de leur année de terminale. Il sera suivi d’une série de seize meurtres commis entre 1987 et 1991. Arrêté en 1991, puis condamné à 957 ans de prison, Dahmer finira assassiné dans sa cellule en 1994. Mon Ami Dahmer estCorteX_Mon_ami_Dahmer_page

l’histoire de la jeunesse de ce tueur, à travers les yeux de l’un de ses camarades de classe. Précis et très documenté, le récit de Derf Backderf, journaliste, décrit la personnalité décalée de Dahmer qui amuse les autres ados de cette banlieue déshumanisée typique de l’Amérique des années 1970. Dahmer enfant vit dans un monde à part, ses parent le délaissent, il est submergé par des pulsions morbides, fasciné par les animaux morts et mortifié par son attirance pour les hommes. J’aurais bien aimé que l’auteur aille plus loin que cette première partie, car l’histoire de Dahmer n’est pas très connue hors-USA. Mais Backderf pointe un aspect très lourd à méditer : comment se fait-il que jamais, quoi qu’il put faire durant sa scolarité, les services scolaires ou sociaux ne se sont alertés une seule fois sur son cas ?

Éditions ça et là. Téléchargez un extrait  (4.2 Mo)

Merci à Sandra Giupponi et Yannick Siegel pour cette découverte.

RM

  • La rebouteuse,de Benoît Springer et Séverine CorteX_la_rebouteuseLambour

« Médecines et destins parallèles dans un village sous tension… Saint-Simon, un petit bourg écrasé de soleil, et de secrets. Alors qu’Olivier y revient après cinq ans d’absence enterrer son père, la Mamé – une toute-puissante rebouteuse – est absente du village depuis plusieurs jours, laissant ses ouailles dans une détresse malsaine. Les villageois s’inquiètent et les conversations au bar s’enveniment entre les sceptiques et les habitués de ses plantes médicinales. C’est quand tous les villageois se retrouvent lors de la fête enivrante du 14 juillet que les esprits s’enflamment et que se règlent les comptes. Et si la Mamé était morte, que deviendrait le village sans elle ? Manque-t-elle vraiment tous les villageois ? Et le père d’Olivier, de quoi est-il mort ?… » (résumé de bedetheque.com)

Dérives sectaires

Les mécaniques d’emprise sectaire sont assez peu intuitifs, et lorsque nous abordons ces sujets, qui viennent vite dans nos enseignements, il nous faut d’abord balayer quelques idées reçues ; il faut ensuite détailler les techniques classiques utilisées consciemment ou non par les mouvements pour capter un individu, et progressivement le soumettre à un système aliénant. Nous utilisons pour cela de très bons travaux pour sourcer et illustrer, comme ceux de Prevensectes, parfois ceux du GEMPPI, ainsi que les travaux ministériels de la MIVILUDES (même s’ils sont parfois un tantinet moralistes et bien-pensants). Nous utilisons aussi des témoignages directs, comme celui de Roger Gonnet, ancien membre de l’Église de la Scientologie, qui nous a accordé des entrevues pour le CorteX (et dont le site s’appelle Antisectes).  Deux bandes dessinées permettent de facilement introduire la discussion sur ces questions.

  • Dans la secte

CorteX_Dans_La_secte_boite_a_bullesL’histoire…

« Dans la nuit, une jeune fille court pour attraper son train. Elle désire partir au plus vite. Mettre des kilomètres entre elle et cette secte où elle vient de passer plusieurs mois, éprouvants, éreintants. Dans la tranquillité du train qui file vers Paris, Marion se souvient de l’itinéraire qui l’a amenée jusqu’ici : publicitaire aux soirées aussi remplies que les jours, en rupture amoureuse et familiale, elle suit les conseils d’un ami qui lui propose de venir se ressourcer, s’épanouir grâce à des techniques scientifiques parfaitement éprouvées. Marion met, avec espoir, le doigt dans un engrenage dont il lui faudra des années pour s’extirper entièrement. L’itinéraire de Marion n’a rien d’extra-ordinaire. Il est malheureusement banal et ne pourrait faire la Une des journaux. C’est ce qui le rend exemplaire : Marion ressemble à n’importe quel adepte de sectes, son endoctrinement a été progressif, sans violence. Mais il l’a laissée durablement meurtrie. Et elle a dû prendre sur elle pour confier dans le détail son histoire à Louis Alloing, son ami dessinateur de BD, et à Pierre Henri, le scénariste de cet album. Un témoignage poignant réalisé en coopération avec l’union des Associations de Défense de la Famille et de l’Individu, une des plus importantes associations de lutte contre les sectes. »

Ce n’est pas une « immense » BD à mes yeux, mais elle est très pédagogique sans être simpliste.

Pour voir quelques planches, c’est ici, chez La boîte à bulles. Dessin : L. Alloing Scénario : P. Guillon (alias Pierre Henri) Coloriste : P. Guillon (alias Pierre Henri) Préface : C. Picard  – 88 pages brochée Prix : 13.9 € Collection : Contre-coeur

RM

 

www.antisectes.net/
  • L’Ascension du Haut Mal, de David B.

C’est une histoire passionnante qui témoigne de l’engagement d’une famille dans une communauté macrobiotique.

Cortex_AscensionduhautmalL’histoire…

« L’Ascension du Haut Mal est l’histoire d’une famille au milieu des années soixante, la famille Beauchard, frappée en 1964 par l’épilepsie qui atteint Jean-Christophe, l’aîné des frères, à l’âge de sept ans. Cet ouvrage retrace son quotidien, des prémisses de la maladie à la vie de David B., l’auteur, aujourd’hui.

A l’époque, l’épilepsie est encore méconnue et les remèdes le sont encore plus. Les parents, désarçonnés et réticents face à la proposition de l’intervention chirurgicale sur leur fils, feront de multiples tentatives pour soigner celui-ci et faire reculer sa maladie… Macrobiotique, vie communautaire, médiums etc. Toutes les solutions, même les plus douteuses seront envisagées. Ils iront de déception en déception en oscillant entre périodes de doutes et d’espoir.« 

L’Ascension du haut mal, David B., Edition L’Association, 384 pages noir et blanc, Hors Collection, 35 euros pour la version intégrale des 6 tomes

NG

Mathématiques, logique

 

  • Logicomix

Quel choc ! Mon camarade Simon, de l’association Antigone, me donne rendez-vous sur le campus et me prête une bande-dessinée pesant un bon kilogramme. « Tu vas voir », me dit-il…

 …Et j’ai effectivement vu, lu, jusqu’à me casser les yeux sur les 300 pages de cet ouvrage. En suivant le philosophe, logicien et activiste Bertrand Russell dans son histoire, on croise Frege, Whithead, Poincaré et tous les enjeux logiques du début du XXe siècle, tout ceci sans connaissance mathématique préalable. Une véritable prouesse réalisée par Apostolos Doxiadis et Christos Papadimitriou, dessinée par Alecos Papadatos et colorée par Annie Di Donna.

Il s’agissait d’une version en anglais, mais bonne nouvelle pour les non anglophones, cette version existe en français !

CorteX_logicomix Cortex_Logicomix_fr
En anglais Logicomix: An Epic Search for Truth
by Apostolos Doxiadis, Christos Papadimitriou
Publisher : Bloomsbury, USA 2009 – 352 Pages –
ISBN : 1596914521 Dimensions : 23.50 x 17.50 x 2.50
En français Logicomix
par Apostolos Doxiadis, Christos Papadimitriou
Editeur : Vuibert, 2010 – 348 Pages –
Dimensions : 23.50 x 17.50 x 2.50

L’histoire :

Angleterre, 1884 – Dans la solitude d’un vieux manoir anglais, le petit Bertie Russell découvre, fasciné, la puissance de la Logique. Cette découverte va guider son existence…

Sur un campus américain, 1939 – Alors que les troupes nazies envahissent le Vieux Continent, le Professeur Russell raconte à un parterre d’étudiants une histoire fascinante, celle des plus grands esprits de son temps : Poincaré, Hilbert, Wittgenstein, etc., celle de leur quête acharnée – mais, semble-t-il, perdue d’avance – des fondements de la vérité scientifique. Et comment ces penseurs obstinés, ces esthètes assoiffés d’absolu et de vérité, toujours guettés par la folie et en butte à la violence de leur époque, tentèrent de refonder les mathématiques et la science contemporaine.

Athènes, aujourd’hui – Trois hommes, deux femmes et un chien s’interrogent sur la destinée de ces hommes d’exception, leurs extraordinaires découvertes et la persistance de leur héritage dans notre vie quotidienne…

Concept, récit et scénario : après des études de mathématiques, Apostolos Doxiadis s’est repenti pour devenir écrivain. Son roman Oncle Petros et la conjecture de Goldbach (Christian Bourgois, 2000) est généralement considéré comme le livre phare de la  » fiction mathématique « .

Concept et récit : le jour, Christos Papadimitriou est professeur et chercheur en informatique théorique à l’University of California, Berkeley. Le soir, il devient auteur de romans comme Turing, publié en 2003 (MIT Press), ou joueur de clavier dans un orchestre de rock,  » Positive Eigenvalues « .

Dessins : après avoir travaillé dans l’animation pendant vingt ans, Alecos Papadatos est passé des images mobiles aux images fixes de son amour d’enfance : la bande dessinée. Après une longue journée de travail, il aime se délasser en jouant du bouzouki.

Couleur : Annie Di Donna a étudié la peinture en France. Elle a travaillé dans l’animation pendant vingt ans avant de passer à la bande dessinée. Quand elle ne dessine pas, assure-t-elle, elle aime  » danser jusqu’à l’aube « .

Mini-critique
Il me semble qu’un parallèle un peu simpliste sert de refrain dans toute la BD : l’intrication entre la logique et la folie. De même que les fondements des mathématiques étaient flous selon Russell, les fondements de la folie – si tant est que ce terme soit assez précis – sont trop diffus pour servir la métaphore (même si un certain nombre de logiciens ont pété les plombs, comme Cantor ou Gödel).

RM

Épistémologie, pseudo-sciences, mythes scientifiques

  • Fables scientifiques, de Darryl Cunningham

altTitre original : scientific tales

« Fables Scientifiques est une bande dessinée documentaire dans laquelle Darry Cunningham déconstruit minutieusement certains des mythes qui entourent la science, souvent propagés par des conspirationnistes ou bien des média peu scrupuleux responsables de la vitalité de ces théories fumeuses. Darryl Cunningham décode les fables qui ont façonné certains des thèmes les plus âprement débattus de ces cinquante dernières années. Il questionne dans le détail ces théories et se penche sur les controverses entourant la changement climatique, l’atterrissage sur la lune, le vaccin ROR (Rougeole, oreillons et rubéole), l’homéopathie, la théorie de l’évolution, la chiropractie et plus largement toute forme de négationnisme de la science, le dénialisme scientifique... » Lire la suite de la présentation, avec un chapitre en lecture ici.

Fables scientifiques, de Darryl Cunningham, Editions ça et là, 160 pages, 18 euros.

A lire. C’est une excellente BD, moins sur l’aspect graphique que sur le contenu qui est très habilement traité, avec une démarche de recherche rigoureuse.

Idem avec son 2d ouvrage: fables psychiatriques.

BD fables psychiatriques

NG

  • Les céréales du dimanche matin

« Les céréales du dimanche matin » est la traduction en français, par Philip, des « Saturday morning breakfast cereals » de Zach Weiner. C’est « un comic strip en couleurs qui porte un discours décalé sur les sciences, la physique, la science fiction, toutes les sciences académiques, mais aussi la vie, la mort, la famille, la religion, le sexe et un tas d’autres choses. Uncomic strip incisif, pertinent, … ». Il y en a plus de 2300 ! (merci à Alain Le Métayer)

En voici quelques-uns :

A propos du statut épistémologique de la théorie de l’évolution Créationnistes et scientifiques mal aimés

1theorie-evolution

13creationnisme-et-correlation
Juste une théorie ? 
  
Pour enfin comprendre la théologie naturelle de William Paley Où l’on comprend la perfection de la création
3william-paley-dieu 2religion-tremblement-terre
   
Vive la vulgarisation scientifique… Un grand moment de l’histoire
11retour-chat-schroedinger 12microscope-a-effet-tunnel
   

Les céréales du dimanche matin : http://cereales.lapin.org/index.php

Saturday morning breakfast cereals : http://www.smbc-comics.com/

NG

Histoire

  • Ni dieu ni maître : Auguste Blanqui, l’enfermé, de Loïc Locatelli Kournwsky et Maximilien Le Roy

    Ni dieu ni maître : Auguste Blanqui, l'enfermé par Locatelli Kournwsky

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Remarquable plongée dans la vie dramatique d’Auguste Blanqui, figure du socialisme radical français au XIXe siècle, qui paya au prix fort ses idées.

  • La Pasionara, de Michèle Gazer et Barnard CiccolniCorteX_La_pasionaria

C’est la version BD de la vie stupéfiante de Dolorès Ibarruri, plus connue sous le sobriquet de « la pasionaria », qui fut  dirigeante du Parti communiste espagnol durant la guerre civile et que l’Histoire garde en mémoire comme autrice du célèbre slogan « No Pasaran » (Ils [les franquistes] ne passeront pas), devenu mot d’ordre du camp républicain. Cette BD est une belle introduction, même si en tant que tel, ce n’est à mon goût pas une BD très réussie.

RM

  • Cher pays de notre enfance, d’Étienne CorteX_cher_pays_de_notre_enfanceDavodeau et Benoît Collombat (2015).

C’est la mort du juge Renaud, à Lyon, le 3 juillet 1975, premier haut magistrat assassiné depuis la Libération. Ce sont des braquages de banques, notamment par le fameux gang des Lyonnais, pour financer les campagnes électorales du parti gaulliste au pouvoir. Ce sont les nombreuses exactions impunies du SAC (le Service d’Action Civique), la milice du parti gaulliste, dont la plus sanglante fut la tuerie du chef du SAC marseillais et de toute sa famille à Auriol en 1981 (ce massacre aura bouleversé la France entière, et aura entraîné la dissolution du SAC par le parlement en août 1982). C’est l’assassinat présumé de Robert Boulin, ministre du Travail du gouvernement de Raymond Barre, semble-t’il maquillé en suicide grossier dès la découverte du corps dans cinquante centimètres d’eau, le 30 octobre 1979, dans un étang de la forêt de Rambouillet. Ce sont 47 assassinats politiques en France sous les présidences de Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing ! Avec, en arrière plan, le rôle actif joué par le SAC, la milice gaulliste engagée alors dans une dérive sanglante. C’est une page noire de notre histoire soigneusement occultée, aujourd’hui encore. En nous faisant visiter les archives sur le SAC, enfin ouvertes, en partant à la rencontre des témoins directs des événements de cette époque – députés, journalistes, syndicalistes, magistrats, policiers, ou encore malfrats repentis –, en menant une enquête approfondie et palpitante, Étienne Davodeau et Benoît Collombat  font pénétrer de plain-pied dans les coulisses sanglantes de ces années troubles dont les surgeons sont encore sensibles.

RM

Économie, politique

  • SOS Bonheur, de Griffo et Van Hamme

Cette bande-dessinée (trilogie) explore différents aspects « utopiques » de notre société : le CorteX_sos_bonheurtravail (où travailler est ce qui compte, pas le sens du travail), l’argent (avec une carte bancaire universelle), la protection sociale et le principe de précaution (où on risque une amende si on ne se couvre pas suffisamment par temps humide), les vacances (où la destination est notamment « choisie » par les besoins ou non d’iode ou autre et où il est impératif de « s’amuser »)… Et tout finit par une révolution qui dévoile le cynisme des corporations au pouvoir (elles sont 7, dont l’argent).

A V-R.

  • SOS Bonheur, saison 2, de Griffo et Desberg

« Méfiez-vous ce tout ce qui est compliqué. Vivez heureux. Laissez-nous nous en charger » clame un téléviseur… Le lendemain de la révolution faite au nom de la liberté à l’issue de SOS Bonheur n’est pas un lendemain qui chante. Trente ans après, les dérives dystopiques de notre société anticipées dans la trilogie initiale (SOS Bonheur de Griffo et Van Hamme) se poursuivent, autour de la marchandisation de l’humain et du déni de l’histoire, au nom d’un « bonheur » marchand où la « prévention » fait figure de nouveau tyran et justifie l’exclusion sociale. Un petit regret par rapport à la première saison : l’absence de titre des différents chapitres et d’extraits de la communication institutionnelle, qui permettaient de souligner davantage l’influence d’un discours dominant sur le cadrage des expériences individuelles et collectives.

A-VR.

  • Thoreau, la vie sublime, de A. Dan et Leroy

Mars 1845. Henri David Thoreau est revenu à Concord, Massachusetts, son villageCorteX_vie-sublime-Thoreau natal. Endeuillé par la mort de son frère, lassé des grandes villes et d’une société trop rigoriste pour le laisser pratiquer un enseignement libre et non violent, le philosophe anarchiste a choisi de revenir à une vie simple, proche de la nature, dans une cabane, et de mener une résistance active, notamment dans le paiement de l’impôt. C’est là qu’il écrira le fameux Walden, ainsi que le non moins célèbre La désobéissance civile, qui inspira des générations de résistants ; deux ouvrages qui m’ont d’ailleurs marqué fortement quand j’étais adolescent (et que j’avais découvert dans Le cercle des poètes disparus, de Peter Weir (1989) car les jeunes y récitent des passages de Walden). La fin de cette BD est un peu molle, mais le tout est accompagné de textes de recontextualisation qui sont captivants. Aux éditions Lombard. Paru en 2012.

RM

  • Plogoff, de Delphine Le Lay et Alexis Horellou

PLOGOFF - C1C4.indd CorteX_Plogoff_ExtraitAprès le choc pétrolier de 1973, le discours nucléariste est écrasant en France. Plogoff, commune du Finistère, à l’extrémité du Cap Sizun (canton de Pont-Croix) est retenue pour l’établissement d’une centrale. De la non consultation des habitants naît la contestation puis une résistance sévère qui est entrée dans la légende. Cette oeuvre est très agréable à lire, et touchante. Paru en 2013 aux éditions Delcourt. Note : elle fait le pont avec une émission à ce sujet dans l’article Luttes désobéissantes – Projet Histoire des luttes sociales.

RM

  • L’affaire des affaires, tomes 1,2,3, de Denis Robert, Yan Lindingre et Laurent Astier

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CorteX_Affaire_des_affaires2CorteX_Affaire_des_affaires3CorteX_Affaire_affaires_extrait Remarquable série portant sur l’affaire Clearstream, et l’opiniâtreté d’un journaliste de talent, Denis Robert, à faire connaître les mécanismes délétères du clearing financier. Une œuvre qui donne envie de lutter.

 

  • Le Capital de Marx & Engels

CorteX_Capital_Marx_Manga1Jolie découverte que cette adaptation du Capital de Marx & Engels en… manga ! Deux tomes, sortis début 2011.

On doit ce beau travail de vulgarisation à l’éditeur japonais East Press, qui a adapté l’œuvre maîtresse de Marx à la fin 2008 pour la vulgariser, en l’illustrant avec l’histoire de Robin, vendeur de fromages sur un marché, qui rencontre un investisseur et entre avec lui dans l’engrenage de l’industrie capitalistique. Plus-value, capital, monnaie et crise sont expliqués de manière simple et claire.
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Le Capital, Karl Marx, Soleil Manga, 6,95 euros le tome.

A commander bien sûr chez votre petit libraire préféré, plutôt qu’aux grandes centrales d’achat.

Et pour une autre introduction « douce » à la critique de la théorie économique capitaliste, voir « La parabole du réservoir d’eau« , d’Edward Bellamy.

RM

  • Le Prince de MachiavelMachiavel-Le-Prince-manga-209x300

La col­lec­tion « Clas­sique » de Soleil Manga propose également Le Prince de Machiavel dans la ligne droite du Capital. Ce n’est pas une adaptation BD de l’œuvre originale mais plutôt une biographie de Machiavel éclairée par la géopolitique de l’Italie du XVème siècle. L’effort pour rendre le propos abordable est réussi, passionnant et jamais condescendant. Ça donne envie de lire l’original. Voilà une véritable démarche pédagogique d’esprit critique.

Freud mangaNéanmoins, l’esprit critique est atomisé dans le manga sur Freud ! C’est simplement une nouvelle hagiographie, voire une mythologie, mais surtout… fausse et qui continue de véhiculer les mêmes images d’Épinal freudiennes d’un soi-disant génie seul contre tous. On en parle ici entre autre.

Pas (encore) lu dans la même collection : Entretiens de Confucius, Le Manifeste du parti communiste, La Bible, Les Mots de Bouddha , Les Misérables, Le Rouge et le noir , etc.

NG

  • Pendant que la planète flambe, 50 gestes simples pour continuer à nier l’évidence

de D. Jensen, S. McMillancouv_planete_grande

Sous des aspects simplets, tant dans le graphisme que l’histoire, cette BD est en réalité une superbe trouvaille, avec de vrais morceaux d’esprit critique : des sophismes politiques dévoilés, des idées reçues explosées, des manipulations décryptées. C’est grinçant, parfois raide mais particulièrement efficace pour prendre du recul sur le discours écolo-individualiste en vogue et surtout tellement drôle. Cela participe à mon sens à rendre abordable une véritable critique du libéralisme économique avec rigueur.

La présentation de l’éditeur :

Le président américain est contacté par des martiens qui veulent manger leur planète. Celui-ci accepte contre remise d’or. Mais ceci finit par inquiéter les grandes entreprises : n’est-ce pas leur privilège exclusif de faire des profits en mettant à mal la planète ?
Deux jeunes filles dissertent sur la manière d’endiguer la destruction de la planète. L’une pense qu’il faut appliquer les préceptes des livres et émissions de télé tandis que l’autre pense que toutes ces conseils sont juste faits pour endormir les gens et leur donner bonne conscience. Pendant ce temps, un lapin borgne décide de passer à l’attaque et fait sauter un barrage, détruit un centre d’expérimentation sur les animaux…
Une fable burlesque, irrespectueuse et totalement déjantée qui force à réfléchir sur le devenir de notre planète et sur les solutions mises en avant.

NG

 Médias

  • La machine à influencer, Brooke Gladstone et Josh Neufeld

cortex_machine_a_influencerPourquoi le chiffre de 50 000 victimes revient-il aussi souvent dans les médias aux USA ? Les journalistes devraient-ils annoncer leurs intentions de vote ? Internet radicalise t-il nos opinions ? Ce sont quelques-unes des questions soulevées par Brooke Gladstone, journaliste spécialiste des médias pour la radio publique américaine NPR. Avec l’aide du dessinateur de bande dessinée documentaire Josh Neufeld, elle retrace dans La Machine à influencer l’évolution des médias d’information et des pratiques journalistiques à travers les différentes périodes. Des premières dérives de l’information sous l’empire romain jusqu’aux mensonges de la guerre de Sécession et errements des médias « embedded »  au moment de l’entrée en guerre contre l’Irak, Brooke Gladstone s’interroge en revisitant des grands noms du journalisme, de Pulitzer à Murrow en passant par Cronkite. Le livre recense les stratégies des politiques pour s’accommoder du quatrième pouvoir, décortique les différents biais qui affectent les journalistes, décrit le circuit des sondages et statistiques qui parviennent jusqu’à nous et explique comment nous en venons à croire ou rejeter certaines informations. Quelques phrases mal tournées gênent de temps en temps la lecture, mais je pense qu’il s’agit de la traduction qui a alourdi un peu.

Titre original : The Influencing Machine (États-Unis), traduit de l’anglais par Fanny Soubiran. Préface de Daniel Schneidermann. Éditions ça et là. 22 euros. Lien ici. Extrait à télécharger.

www.antisectes.net/
  • La Revue dessinée

En prenant le temps de l’analyse et du dessin, la revue dessinée nous invite chaque trimestre depuis 2013 à une lecture réflexive et critique de certains thèmes d’actualité, CorteX_la_revue_dessineeen appui sur des enquêtes et reportages journalistiques. Le projet éditorial est généraliste, passant au fil des numéros de la science politique et de l’éducation au sport, en passant par la médecine et l’économie ou encore la justice (les rubriques variant d’un numéro à l’autre). L’usage de la bande-dessinée se prête particulièrement bien au documentaire, avec par exemple, dans le numéro 16 (été 2017), la présentation d’une approche alternative de la relation enseignants-élèves dans une école ciblant des élèves dits « décrocheurs ». Il est aussi bien adapté au partage synthétique d’analyses, comme le montre dans le même numéro l’article consacré à l’imaginaire de la guerre, dont la mise en perspective historique et en images permet de questionner ce que recouvre aujourd’hui la référence à la guerre, convoquée aussi bien dans le champ politique que dans le champ économique ou encore social.

A-VR.

Genre et sexualités

  • Le vrai sexe de la vraie vie, Cy

Le vrai sexe de la vraie vie (1)

En matière de comportements sexuels, il n’existe aucune preuve en faveur de l’existence de normes transcendantes que l’on devrait respecter. Et quand bien même ces normes existeraient, la bonne nouvelle est que rien ne nous oblige à nous y conformer 1.

C’est en d’autres mots ce qui est écrit dans la préface de la BD Le vrai sexe de la vrai vie de Cy, chroniqueuse sur le site Mademoizelle.com2 : « Les sexualités c’est pas quatre ou cinq variétés, c’est mille, dix mille, cent mille, des milliards de possibilités. Va falloir laisser tomber tout ce que t’as pu étiqueter : c’est dépassé, périmé, jamais été. J’espère que tu auras jeté les « ça, ça se fait, ça ça se fait pas ». Bannis, les « il faut ». »

Cet extrait résume bien le contenu de cette BD qui se dévore avec plaisir. Cy (qui prend parfois le surnom de Cy.prine) aborde sans tabous, mais avec légèreté, différents aspects des sexualités tels que le libertinage, les loupés, les relations homosexuelles, le handicap, les femmes enceintes ou les sex toys.

Une BD idéale pour passer le paravent des idées reçues en matière de sexualité, et peut-être même fantasmer des expériences nouvelles !

On pourra retrouver d’autres dessins de Cy sur le web, toujours dans ce même esprit libéré et féministe : La masturbation féminine, ce tabou foutrement tenace, Libérons les tétons!, Jouir… à tout prix?.

Le vrai sexe de la vrai vie (2)

Aux éditions lapin, paru en 2016, 18€.

GD & AG

  • Un autre regard, Emma

CorteX-emma-regardAlice Bousquet nous a fait (re)découvrir cette bande-dessinée : « Drôle, engagé, féministe, politique, grinçant, dérangeant, osé, humaniste… Autant de qualificatifs pour décrire ce que nous propose Emma au travers des deux tomes d’Un autre regard. Emma, au travers de son regard précis, parfois caustique sur notre société individualiste et encore bien trop patriarcale, nous livre, en images et en beauté, son avis sur quelques scènes de vie qui parleront à bon nombre d’entre nous. »

Nous avions déjà remarqué Emma pour sa BD Un peu de sucre où elle revenait sur l’histoire de l’homéopathie, ses fondements physico-chimiques, l’absence de preuve de son efficacité spécifique, les effets dits « placebo », en faisant l’hypothèse que l’adhésion des gens à ces petites billes était liée notamment aux problèmes relationnels entre médecins et patient·es. Elle a publié depuis deux albums qui abordent des sujets aussi divers que l’utilisation du terme « violence » dans les médias pour décrire des actions menées par des personnes qui ont réclamé ou réclament des droits et son euphémisation quand il s’agit de violences policières, les inégalités dans la répartition des tâches dans les foyers encore importantes de nos jours et non consenties, les représentations idéalisées et erronées de la vie de jeunes parents etc. Elle n’hésite pas à recourir aux données factuelles et à remettre en question le traitement médiatique réservé à divers sujets d’actualité.

Emma, Un autre regard, tome 1 et 2, éditions Massot. La plupart de ses planches sont accessibles sur son site internet ici.

AB et ND

  • Rosa la rouge, Kate Evans

CorteX_rosaKate Evans retrace dans cette bande dessinée la biographie de Rosa Luxembourg, essayiste, journaliste, membre de divers collectifs et partis politique, assassinée en 1919 par des militaires allemands en Allemagne. L’accent est mis au travers de cet ouvrage sur le parcours de vie, notamment intellectuel, de Rosa Luxembourg, qui l’a mené à s’investir dans divers luttes, quitte à y risquer sa vie. Plus que les longs passages extraits des ouvrages de Karl Max exposés de manière descriptive et avec peu de recul critique, je retiens surtout de cet ouvrage l’itinéraire de cette personne. Née de sexe féminin, dans une famille de confession juive, souffrant d’un handicap moteur, elle a évolué et s’est imposée par ses idées et son engagement dans des milieux où les réticences devaient être nombreuses. Elle s’est volontairement affranchie du « poids » d’une famille en n’ayant pas voulu d’enfants et en n’hésitant pas à prendre des distances avec ses parents et sa fratrie, parce qu’elle attribuait plus d’importance à ses engagements politique. Elle critiqua les actions entreprises par les États et les personnalités de son temps, ce qui l’a emmené en prison à plusieurs reprises.

L’immersion en format BD dans la vie de Rosa Luxembourg et plus généralement dans l’histoire de ces années là vu à travers son prisme est assez captivante et peut susciter moult questionnements sur nos propres engagements.

Rosa la rouge, une biographie graphique de Rosa Luxembourg, Kate Evans, éditions Amsterdam, 2017. Merci à la formidable librairie Jean-Jacques Rousseau de Chambéry pour la recommandation de lecture.

ND

 Divers

  • Tu mourras moins bête, Marion Montaigne

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Quel est le minimum nécessaire pour exciter un dindon ? Peut-on s’inoculer la fièvre jaune en se versant du vomi de malade dans les yeux ? Qu’est-ce qui se passe si on greffe ma tête sur le corps de Scarlett Johansson ? Est-ce que quelqu’un va un jour expliquer à Dr House qu’on n’entre pas sans protections sanitaires dans un bloc opératoire ? Quels animaux peuvent prendre des cuites avec des fruits pourris ? Pourquoi les voitures ne volent-elles toujours pas ?

CorteX_MMontaigne_mourras_2Ce sont quelques-unes des questions fondamentales auxquelles répond le Professeur Moustache sous la plume de Marion Montaigne, dessinatrice passionnée de science. De la physiognomonie appliquée à la criminologie aux voyages dans le temps, en passant par la pygomancie (la divination par la lecture des lignes des fesses), le Professeur Moustache s’intéresse à tous les sujets. Le blog de Marion Montaigne, intitulé « Tu mourras moins bête (mais tu mourras quand même) », est une référence de la vulgarisation trash. Avec son trait grouillant à la Reiser et ses gags épicés, Marion Montaigne donne une forme drôle et décalée à une érudition soigneusement encadrée par sa collaboration avec des scientifiques qui l’accueillent volontiers dans leurs laboratoires. Le blog a déjà fait l’objet de deux adaptations papier chez Ankama, Tu mourras moins bête… 1. La science, c’est pas du cinéma (2011) et 2. Quoi de neuf, docteur Moustache ? (2012), dont la dernière a reçu le prix du public Cultura au festival d’Angoulême 2013.  Le troisième tome sort le 17 septembre 2014.

Marion Montaigne a également publié Panique organique (Sarbacane, 2007), La vie des très bêtes (Bayard, 2008) et Riche, pourquoi pas toi ? avec Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (Dargaud, 2013) (NdRM : sur lequel nous reviendrons bientôt car il vaut le détour).

EC

  • Glacial Period, de Nicolas de CrécyCorteX_Glacial_period_de_crecy CorteX_de_crecy

Je ne dis pas un mot de cette fresque étrange et futuriste, qui regarde d’un oeil mi-désabusé mi-goguenard nos arts à l’œil des générations futures. Spécial dédicace à Denis Caroti, pour qui l’Olympique de Marseille est le seul sujet qui ne se soumet pas aux mêmes standards de scientificité que le reste de l’Univers.

  • Les funérailles de Luce, de Benoît SpringerCorteX_funerailles-luce_couv

CorteX_funerailles-luce_bulleLuce a six ans. L’histoire est celle d’une petite fille débrouillarde qui passe de paisibles vacances à la campagne chez son Papi, garagiste à la retraite, et qui est confrontée au problème philosophique fondamental des humains : la mort d’un être cher. Cette BD m’a fendu l’âme (donc de fait mon âme ne pèse plus que 11,5 grammes).

RM

Audio

Cycle Histoire de la BD, dans La fabrique de l’histoire, sur France Culture.

La fabrique de l’histoire d’Emmanuel Laurentin a abordé en octobre 2016 un cycle sur l’histoire de la bande dessinée.

La première émission traite de l’histoire complexe, retorse et difficilement datable de cet art.

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Le scénariste Kris

On y entend l’excellent scénariste Kris, pour lequel nous avons une affection particulière – et qui d’ailleurs a travaillé avec notre copain drômois le génial illustrateur Martin alias Maël.

CorteX_738_piloteLa deuxième émission est un documentaire de Victor Macé de Lépinay et Séverine Cassar traitant du journal Pilote

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La troisième est une visite d’exposition sur Hergé (dont nous utilisons quelques planches dans nos cours critiques, notamment sur les stéréotypes sociaux, sur les Juifs, sur les Africains, sur les Américains (voir ici). Ici Benoît Mouchart, historien de la bande dessinée, directeur éditorial de Casterman revient (avec un tout petit peu trop de complaisance à notre avis) sur les opinions très conservatrices et rexistes 3 de Hergé. On y apprend par ailleurs que Tchang (personnage historique) aurait été un agent communiste infiltré, et aurait laissé des slogans maoïstes et anti-Japon.

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Sur le panneau est écrit « Boycottez les marchandises japonaises ».

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Profitons-en pour indiquer l’article de Thet Motou, Cours de chinois illustré, et surtout Tintin, la Chine du Lotus bleu décryptée en six points. par Patrick Mérand.

La quatrième émission est quant à elle un débat historiographique : apprend-on l’histoire dans les BD historiques ? A quoi servent-elles ? Ne devrait-on pas reconsidérer les rapports entre ces deux modes de récit du passé ? Comment les dessinatrices, dessinateurs et historien·nes pourraient collaborer différemment ?

Vulgarisation – Science & Vie, les airelles et le pipi

Un cas de vente de la peau de l’ours ?
Les médias de vulgarisation sont très prompts à vendre des résultats qu’ils n’ont pas encore obtenus, des découvertes qu’ils n’ont pas encore faites, et des espoirs qui se révèlent vite déçus. Nous appelons ça la technique de la peau de l’ours (voir ici).

Yves Mulet Marquis nous a envoyé ceci fin juillet 2011.

alt« En soutien à votre action contre le méusage de la science, je voudrais attirer votre attention sur un article de la revue Science et Vie N°1127 d’aout 2011, page 130.

« En quoi les airelles protègent-elles des infections urinaires ».

L’article, page 130 (cliquez ici), me semble très optimiste par rapport aux bienfaits supposés du jus de canneberge sur les infections urinaires. L’étude citée de Tero Kontiokari, datant de 2001 est contredite par de plus récentes. Contrairement à ce qui est affirmé dans l’article, l’avis cité de l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), publié en  2004, ne conseille pas la consommation du jus de canneberge. Il indique simplement à la Direction générale de la Concurrence de la Consommation et de la Repression des Fraudes que sur un plan légal l’allégation « contribue à diminuer la fixation de certaines bactéries E. coli sur les parois des voies urinaires » est acceptable uniquement pour le jus du fruit de la plante Vaccinum macrocorpon et la poudre de jus du fruit de cette plante au vu des études disponibles à cette date (voir le rapport).
En 2009 l »European safety authority » a conclu qu’il n’existait pas de preuve suffisante d’une relation de cause à effet entre la consommation de jus de canneberge et la réduction des infections urinaires (voir l’article). En 2011 le Département d’Epidémiologie de l’Université d’Ann Arbor dans le Michigan a conclu au terme d’une expérience en double aveugle que la consommation du  jus de canneberge n’entrainait aucune réduction des infections urinaires ». 
 
On pourrait se dire que pour se rendre compte de cette « peau d’ours », il faut être expert et lire d’atroces publications en anglais. Non, nous dit Yves Mulet Marquis, tous ces éléments étaient disponibles depuis avril 2011 dans la revue Science & pseudosciences sous la plume de Brigitte Axelrad dans l’article Le jus de canneberge perd son mystère.
Dès que nous aurons mis en ligne un scan de l’article de Science & Vie (vous avez ça sous le coude ? Envoyez-le nous) nous poserons directement la question de la qualité de cette information à la rédaction.
 
Tout complément d’analyse est bien entendu le bienvenu.
RM

Journalisme – TP Conflit d'intérêt et indépendance de l'information

Voici un excellent Travail Pratique (TP) sur les conflits d’intérêt et l’indépendance de l’information de médias dits « gratuits » comme Direct matin. Il a été réalisé par une documentaliste (qui reste anonyme) avec une classe de seconde, dans le cadre d’un module d’observation critique des médias en accompagnement personnalisé au Centre de Documentation et d’Information.
Voici la fiche pédagogique publiée par l’association Acrimed dans leur magazine trimestriel Médiacritique(s) n° 4 de juillet-septembre 2012. Leur site regorge d’ailleurs de ressources critiques sur les médias et peut être consulté sans modération. Pour réitérer ce TP sans peine, j’ajoute quelques liens pour comprendre les enjeux et surtout le matériel nécessaire, c’est-à-dire quelques numéros en format pdf des fameux Direct matin dans lesquels apparaissent des articles dithyrambiques sur le système Autolib‘.
Enfin, pour prolonger et élargir la réflexion sur l’indépendance de l’information,  on trouvera trois vidéos exploitables comme supports de débat   ainsi que des liens vers des articles du Cortex.

Si vous refaites ce TP, n’hésitez surtout pas à partager votre expérience.

Voici la fiche pédagogique parue dans Médiacritique(s) n°4

Bolloré, Direct Matin et Autolib’ : un cas d’école

Médiacritique(s) n° 4 de juillet-septembre 2012, page 31.

Depuis le lancement de ces voitures électriques en libre-service le 5 décembre 2011, le journal Direct Matin de Bolloré ne cesse de chanter les louanges d’Autolib’ du même Bolloré [1]. Sans le vouloir, le quotidien a fourni tous les ingrédients nécessaires à un exercice scolaire réussi. Retour sur une expérience pédagogique menée auprès d’élèves de seconde, dans le cadre d’un module d’observation critique des médias en accompagnement personnalisé au CDI. À réitérer : d’autres formules sont possibles…
I. Intitulé de l’exercice
– Identifiez le(s) propriétaire(s) d’un média.
– Repérez un sujet dans lequel le média peut avoir un intérêt (conflit d’intérêts, poids du propriétaire).
– Demandez-vous si le média sert les intérêts de son propriétaire dans le traitement du sujet (exemples d’éléments négatifs et/ou positifs, sources, place accordée au sujet…)

2. Documents
La fréquence des articles sur Autolib’ dans Direct Matin a permis à chaque groupe d’élèves de travailler sur un numéro [2]. Comme le journal est gratuit, il était possible d’en prendre plusieurs exemplaires en réserve au cas où l’un d’entre eux serait abîmé. La collecte a été réalisée sans effort lors de trajets matinaux en RER.

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3. Déroulement de l’exercice
Ce cas de conflit d’intérêts avait l’avantage d’être évident. Les élèves ont d’abord identifié le propriétaire principal de Direct Matin avec la carte du PPA [3], puis noté un aperçu de ses activités dans lequel était glissé Autolib’. Ils ont pu facilement repérer le sujet en feuilletant le journal sans se perdre dans des hypothèses invérifiables.
L’absence de réserve dans l’auto-promotion a rendu la correction « spectaculaire ». Chaque groupe s’est aperçu qu’il avait repéré le même sujet que les autres à des dates rapprochées et que personne n’avait trouvé d’éléments négatifs dans la manière de le traiter. Au contraire, le tour de table est vite devenu un étalage d’exemples d’éloges de la Bluecar d’Autolib’ ou de détails sur son fonctionnement. Certains groupes ont également noté que seul Bolloré (ou un partenaire) avait la parole ou que la place accordée au sujet (en « une » ou article long) n’était pas justifiée par son importance.

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L’exercice s’est terminé par le survol d’un article tiré d’un journal différent avec un autre point de vue sur Autolib’. Cette lecture rapide a montré l’intérêt de varier ses sources d’information à défaut de pouvoir déceler l’influence du propriétaire sur son média…
4. Bilan
Direct Matin a fourni bien malgré lui des facilités matérielles pour la mise en place de l’exercice, un exemple accessible d’influence du propriétaire sur son journal et permis d’aborder des questionnements critiques de base face aux médias.
Réalisé dans une séance autour de l’interrogation « à qui appartiennent les médias ? », cet exercice s’enchaîne très bien avec un cours suivant sur le poids de la publicité sur l’information, et s’intègre parfaitement à une séquence consacrée aux techniques de propagande en démocratie…
Merci Bolloré.
Une documentaliste
– Dessin : Fred

 

Notes

[1] Voir « Quand Direct Matin, propriété du groupe Bolloré, se transforme en agence de pub pour… Bolloré », Médiacritique(s), janvier 2012, n°2, p.10.
[2] Les 10, 23, 27 janvier, 03, 08 février, 12, 23, 29, 30 mars, 02, 06 avril de cette année (recensement non exhaustif).
[3] D’abord publiée en avril 2007 dans le journal Le Plan B, la carte du Parti de la presse et de l’argent a été mise à jour à l’occasion de la sortie du film Les Nouveaux chiens de garde.

Note du CorteX : L’auteur a sûrement de bonnes raisons de rester anonyme, finalement peu importe son identité, c’est le contenu de son TP qui nous intéresse ici. 

Ressources complémentaires du Cortex

– Téléchargez la fiche pédagogique « Bolloré, Direct Matin et Autolib’ : un cas d’école »  en pdf, disponible sur le site d’Acrimed.

– La carte du Parti de la Presse et de l’Argent nécessaire pour identifier le propriétaire principal de Direct Matin se trouve dans le journal du film Les Nouveaux chiens de garde (Télécharger).

– Pour amorcer le matériel pédagogique nécessaire au TP, voici 4 numéros de Direct matin en version pdf où apparaissent des articles sur les Autolib‘.

(Quelques secondes sont nécessaires pour l’affichage)

Pour compléter ce matériel, n’hésitez pas à nous signaler rapidement les  numéros de Direct matin traitant des Autolib. contact@cortecs.org. La page internet Kiosque de Direct matin permet de récupérer les exemplaires qui ont moins d’un mois.

– On peut également utiliser des articles publiés sur internet parallèlement au journal papier. Cinq articles sur Autolibsont également disponibles en format pdf. 

  • Article 1AUTOLIB : UNE CAMPAGNE DE PUB ET DE NOUVELLES OFFRES
  • Article 2AUTOLIB’ POURRAIT ÊTRE À L’ÉQUILIBRE PLUS VITE QUE PRÉVU
  • Article 3L’ÉLECTRIQUE MONTE EN VOITURE
  • Article 4DEMAIN, AUTOLIB OFFRE DES ESSAIS GRATUITS
  • Article 5A LA MATERNITÉ… EN AUTOLIB’

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– Un article sur ce sujet est également paru dans le n°2 de Médiacritique(s) « Quand Direct matin se transforme en agence de pub pour…Bolloré ». 

– Enfin, Arrêt sur images a également consacré deux courts articles sur ce sujet qui peuvent compléter les ressources : Direct matin (Bolloré) fait la pub d’Autolib (Bolloré) et Autopromo autolib : Bolloré récidive.

Pour prolonger le TP

Dans le cadre du Rassemblement des Associations de Journalistes (RAJ), le collectif des Incorrigibles alimente le débat sur la qualité et l’indépendance de l’information à travers trois vidéos (ci-dessous), autant d’excellents supports pour prolonger le débat sur la question de l’indépendance de l’information.

La vraie vie des journalistes / 1. La chef de rubrique

[dailymotion id=x7mftt]

La vraie vie des journalistes / 2. Le photographe

[dailymotion id=x7oplt]

La vraie vie des journalistes / 3. la rédactrice pigiste

[dailymotion id=x7opof]

Pour aller plus loin

Le CorteX propose également des ressources et des articles sur la fabrication de l’information, entre autres :

Nicolas Gaillard

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Entraînez-vous ! Campagne publicitaire à analyser : l’éducation nationale recrute

La dernière campagne publicitaire de l’éducation nationale est l’occasion d’aiguiser son esprit critique et de mettre en application les principes d’autodéfense intellectuelle. Qu’en pensez-vous ?


En juin 2011, le ministère de l’éducation nationale a lancé une campagne « destinée à tous les étudiants qui réfléchissent à leur avenir professionnel et, prioritairement, aux étudiants de M1. L’objectif est clair, il s’agit d’attirer les meilleurs talents au service de la plus noble des missions : assurer la réussite de chaque élève. »[1]

altLaura a trouvé le poste de ses rêves. C’est l’avenir qu’elle a toujours envisagé. Et l’avenir, pour elle, c’est de faire vivre et partager sa passion, transmettre des savoirs et des valeurs, se consacrer à la réussite de chacun de ses élèves. C’est pour cela qu’elle a décidé de devenir enseignante.L’éducation nationale recrute 17 000 personnes.

Pourquoi pas vous ? 17 000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011.
 
 

 

altJulien a trouvé un poste à la hauteur de ses ambitions.

C’est la concrétisation de son projet professionnel. Et ce projet, pour lui, c’est de faire vivre et partager sa passion, transmettre des savoirs et des valeurs, se consacrer à la réussite de chacun de ses élèves. C’est pour cela qu’il a décidé de devenir enseignant.
L’éducation nationale recrute 17 000 personnes.
Pourquoi pas vous ? 17 000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011.


Cette campagne de trois semaines a été déployée avec une stratégie de diffusion très large.
  • Presse écrite (Le Monde, Le Figaro, Le Journal  du Dimanche, Libération, Le Parisien/Aujourd’hui en France, Direct Matin,  Métro, 20minutes, Le Point, L’Express, Télérama, Le Nouvel Observateur,  Challenges, Courrier international, Marianne, L’Equipe magazine, VSD,  Paris Match).
  • Spots radio (Skyrock, NRJ, Virgin radio, Fun radio,  France Info, France Inter, RTL, RMC, Europe 1…).
  • Bannières  publicitaires sur des sites Internet à forte audiences (Deezer, YouTube,  SkyBoard, L’Etudiant.fr, Studyrama, Monster).
  • L’ouverture d’un site dédié : leducationrecrute.fr.
« La création met en scène des personnes à un moment fort de leur vie, celui de leur engagement dans un projet de carrière autour des valeurs de réussite et d’épanouissement personnel et professionnel. Des valeurs qui peuvent paraître dans un premier temps individualistes, mais qui prennent un tout autre sens lors de la révélation de l’annonceur : l’éducation nationale. » [2] 

Pour débuter l’analyse, j’ai choisi de décortiquer l’article selon trois axes.

1/ Les effets rhétoriques

Notamment l’affirmation « L’éducation nationale recrute 17 000 personnes en 2011 ».

Cet annonce de recrutement est surprenante car en contradiction avec ce qui semble circuler dans les médias sur la situation de l’éducation nationale où l’on parle plutôt d’un plan d’austérité (fermeture de classe, suppression d’emploi, etc.) Cette information mérite donc d’être analysée

Pourquoi ce décalage a priori avec l’actualité ?

Que représente ces 17 000 postes ?

Cette information n’est-elle pas orientée ?

 2/ La fabrication de l’image
Comment les illustrations sont-elles fabriquées ?
Que veulent susciter ces deux  images ?
A quels archétypes font-elles appel ?
3/ Le vocabulaire utilisé dans les images
Que connote-t-il et quels problèmes cela peut-il  poser ?
 
Tentez une analyse de votre cru, et comparez-là avec la mienne.
N’hésitez pas à nous écrire pour compléter / corriger notre décorticage.

Nicolas Gaillard  

Juin 2013 Le CorteX dans Le Monde – La vulgarisation, fabrique du consentement

David Larousserie, un journaliste du Monde, surpris par ma conclusion radicale sur la vulgarisation scientifique à la fin du livre Quantox, m’a demandé d’étayer mon point de vue… en 6400 signes. J’ai d’abord commencé par écrire ce que j’avais à dire, en 13 000 signes, puis j’ai fait l’exercice de résumer le propos. Je garde la première version, moins travaillée mais plus fouillée, à disposition ici (prototype). La seconde, quant à elle, est paru dans le Monde du 20 juin 2013.


Détails de critique des médias : cette tribune était titrée « Médiabolique vulgarisation scientifique » et a été renommée, à mon insu et en dépit d’une promesse, « La Vulgarisation fabrique du consentement », ce qui, aussi désagréable que ce soit, ne dénature pas le propos. Par contre, le journal m’a affublé d’un titre que je n’ai pas. Si j’enseigne et fais de la recherche, je ne suis pas enseignant-chercheur titulaire.

Richard Monvoisin


 

La vulgarisation, fabrique du consentement

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO

La vulgarisation scientifique est une spécialité du journalisme dont les critiques sont si rares que c’en est douteux. L’image d’Épinal ? Un savoir « savant » produit par un professionnel compétent est vulgarisé par la compétence d’un journaliste qui, tel Prométhée, va le chercher au péril de sa vie, puis l’offre à la population béate. Mais le processus est-il « bon » en soi ?

Avant d’avoir accès à l’éducation populaire qui fera d’un citoyen un honnête citoyen, il faut débourser. Le savoir, vulgarisé, est devenu marchandise commerciale compétitive, et pour survivre, un journal va devoir complaire, et jouer sur l’audimat factor : c’est à l’aune des ventes que se valident les stratégies. De même que les chercheurs sont lancés dans une gigantesque course de lévriers, la vulgarisation doit être compétitive sur le marché de l’information.

Ainsi, stéréotypes et story telling remplacent analyse et esprit critique, et s’opère une sorte de lente « Paris-Matchisation » de la science : fracassantes découvertes et exclusivités y croisent scoops et grands génies. Les « exclusif », les « révélations sur… » font florès. Un nouveau fait ? Moyennant contorsions, il se calera sûrement dans l’un des principaux scénarios vulgarisationnels : appel à l’espoir, comme « Vous pouvez dire adieu à vos lunettes ! » (Science & Vie, décembre 2002) ; appel à la peur, « Insectes, pourquoi ils vont conquérir le monde » (Sciences & Avenir, juillet 2003) ; le scoop artificiel, à l’instar de « Théorie du tout, enfin ! » (Science & Vie, janvier, 2008), « Ovnis, la révélation en marche » (Nexus, novembre 2008) ; le mode duel, « Dieu contre Darwin » (La Recherche, avril 2006), le mode conquête, défi, etc.

De même qu’une histoire faite de dates ou de grands hommes, la science devient une suite de découvertes, d’illuminations, de génies, de clichés. A la télévision, le docu-fiction supplante le documentaire, Lorànt Deutsch remplace Braudel et les Bogdanov Jean Rostand.

Au fond, à l’instar d’une langue, un savoir ne me laisse que trois choix. Soit j’accepte de ne rien savoir du finnois, par exemple ; soit j’apprends le finnois (mais c’est long) ; soit j’opte pour quelques mots, pour demander une bière : dans ce cas, ne me viendra pas l’idée de prétendre parler finnois, au risque de passer pour les Dupondt déguisés en costume syldave. C’est la même chose pour la biochimie ou l’anthropologie. A chacun de choisir entre le savoir (ardu), l’avatar hollywoodien (facile), et la suspension de jugement (humble).

Mais gare à confondre vessie et lanterne : il est des personnes sincères qui viennent lors de mes conférences publiques sur « Science et paranormal » justifier les esprits frappeurs par le chat de Schrödinger et des thérapies « quantiques » par la couverture de Science & Vie « La vie serait quantique » (avril 2011). Et pis encore, avec ces pseudo-connaissances est donnée au citoyen l’illusion d’avoir plus de prise sur son monde. Or il n’y a pas de prise dans un deux-pages révélant tout sur le boson de Higgs, ou dans une lévitation de grenouille à la Fête de la science. On amuse la croisière, mais on se garde bien de la faire penser.

Voici mon hypothèse : à faire rêver sur le nombre de gens qui seront (un jour) sauvés par le décryptage du génome humain, qu’on pourra (un jour) guérir en implantant des puces dans le cerveau ou la possibilité de trouver (un jour) une exoplanète viable, on fabrique un type de consentement.

Il ne s’agit dès lors plus d’instruire, mais de communiquer, de légitimer des projets coûteux, et d’éviter la question qui tue : si ces recherches sont faites au nom du public, pour le bien public, et avec l’argent public, pourquoi n’avons-nous, public, aucun levier politique dessus ? Sommes-nous trop bêtes pour discuter, par exemple, des priorités éthiques, comme la recherche de traces d’eau sur Mars, dans un monde où des millions d’individus n’ont pas d’eau potable ou par exemple pour être entendus sur l’impact sociétal des nanotechnologies ? Probablement, à en croire la Commission nationale des débats publics qui, maligne, organise des débats après et non avant le lancement des programmes de recherche.

Aux groupes qui, comme à Grenoble, contestent cette mascarade, les édiles répondent entre deux railleries par… plus de vulgarisation. Fleurissent alors des animations ludiques et pleuvent des financements de thèses sur l' »acceptabilité sociale des nouvelles technologies » : pile ce qu’en 1926 Bernaÿs a nommé propagande. Quant à donner du pouvoir de décision à M. Tout-le-Monde ? Voyons… il n’est pas expert.

Or faudrait-il donc connaître tout des biotechnologies ou de la recherche spatiale pour pouvoir exprimer un choix politique ? Les politiciens votant les crédits ne sont pas experts non plus, loin de là, et les scientifiques eux-mêmes ne le sont que sur un micro-domaine. Il faut voir le statut de la question. Purement scientifique, une embrouille sera certes laissée aux spécialistes. Une controverse sur l’autorisation des OGM en plein champ ? Il s’agit là d’une question non de science mais de modèle de société, et tout quidam, compétent ou non, a le droit d’être entendu. Le référendum sur le traité constitutionnel ne fut pas réservé aux constitutionnalistes, que je sache.

Alors, au lieu de vulgarisateurs, optons pour des émancipateurs – enseignants tournés vers ceux qui quitteront tôt les bancs et non vers l’excellence, journalistes précis et documentaristes exigeants – transmettant de la pensée libératrice et non des connaissances et ouvrant les esprits plutôt que les remplissant. Leur leitmotiv : quelle est la connaissance minimale à transmettre pour qu’une personne puisse faire ses choix en connaissance de cause ? Bien sûr, leurs articles sont généralement denses et longs comme un jour sans pain, leurs films moins riches, donc moins programmés. Si nous, ignares et experts de peu, mutualisons nos capacités critiques en réseaux, accroissons nos exigences et éventons les impostures, les médias ne pourront qu’abandonner leurs produits préformatés, sous peine de disparaître.

Nous pouvons refuser cette monnaie que cols et blouses blanches consentent à la plèbe pour bons et loyaux impôts, cette vulgarisation du consentement, fausse émancipation qui parque l’opinion publique dans une zone où elle n’empiète pas sur la sphère politique. Sinon, sous prétexte de les instruire, les moutons seront bien gardés.

Richard Monvoisin (enseignant-chercheur dans le collectif de recherche transdisciplinaire Esprit critique & sciences (Cortecs), à l’université de Grenoble)

Journalisme – atelier titres de presse

Depuis septembre 2012, je donne un cours « Esprit critique & autodéfense intellectuelle » à l’Université Inter-Âge du Dauphiné. L’une de mes « étudiantes », Yolande Vallon, anime elle-même un atelier « Revue de presse » et m’a demandé un exposé participatif sur la question des titres d’articles. C’était le 15 mai 2013. Voici comment je m’y suis pris. Puisse ceci faciliter la tâche de toutes celles et ceux qui voudraient faire de même.


Je savais que j’allais avoir pendant une heure et demie une quinzaine d’habitué-es (qui s’avérèrent près d’une trentaine) majoritairement retraités. Un public retraité qui vient se former est généralement un public déjà pointu, et il faut bien intégrer le fait que nous n’avons pas affaire à des « perdreaux de l’année tombés de la dernière pluie ». Les exemples que j’ai choisis étaient donc assez pointus, volontairement. Pour un public jeune (pré-bac), je déconseille donc le matériel de presse employé ici, et enjoins à en choisir du plus facile.

Une heure et demie, avec le temps d’installation, est un temps court. Aussi ai-je opté pour l’efficacité.
J’avais la possibilité de projeter, aussi ai-je concocté un diaporama sous Libre office.
Voici la trame que j’ai employé.

Introduction

J’ai expliqué la notion de fabrique du consentement (E. S. Hermann et N. Chomsky 2008) et j’ai précisé que la manufacture de l’opinion commence dès le choix d’un titre, souvent percutant, court, de manière à être « apéritif », mais truffé de non-dits et d’implicite.

1ère partie : introduction des notions de base

J’ai exposé l’effet paillasson, puis l‘effet impact, en montrant pour chacun des exemples simples, puis plus complexes, et en parlant des risques inhérents à ces effets.
Pour l’effet paillasson : des tautologies, des définitions peu claires et l’encouragement au raisonnement « à la hache », par gros paquets stéréotypaux. Dans mon illustration sur la délinquance, j’ai repris un TP de G. Reviron (ici) ainsi que des articles de Laurent Mucchielli (entre autres ).
Plus de détails ici : effet paillasson.

Pour l’effet impact : l’appel à l’émotion plus qu’à la raison. J’ai entre autre repris ce remaniement de la langue suggéré dans un amendement de la loi Loppsi 2 transformant vidéosurveillance en vidéoprotection, moins « anxiogène ».
Plus de détails là : effet impact.
J’ai ensuite introduit la notion de Mots fouines (voir Baillargeon 2005), ainsi que l’exposé sur les mots à effet puits et la langue de bois de Franck Lepage, de la SCOP d’éducation populaire Le Pavé.
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=oNJo-E4MEk8]
Vinrent les carpaccios journalistiques ou arts de mettre en scénario préfabriqué l’information qui passe (appel à la peur, à l’espoir, et fabrication du scoop), avec quelques exemples appuyés.
J’ai terminé par la notion de plurium interrogationum, ou effet gigogne, art de cacher dans une question une prémisse non négociée.

2ème partie : discussion sur quelques titres de presse du jour

J’ai misé sur la fraîcheur de mes exemples et je ne voulais pas être suspecté d’avoir fait un biais de sélection des exemples les plus pertinents. Par conséquent, j’ai attendu le matin même, et ai choisi trois quotidiens célèbres, de subjectivité politique évidente pour deux d’entre eux : Libération, socio-démocrate assez mou, et le Figaro, gaulliste-conservateur libéral. Le troisième, Le Monde, est célèbre pour un certain opportunisme politique, et une ligne éditoriale fluctuante et assez peu lisible.
J’ai alors prélevé trois informations, et leurs traitements respectifs dans chaque journal. J’ai fait les copies d’écran que voici, classée dans l’ordre précité Libération, Figaro, Le Monde. 

  15 mai 2013 Récession – Libération, Figaro, Le Monde
CorteX_France_recession_Libe_15.5.2013
CorteX_France_recession_Figaro_15.5.2013
CorteX_France_recession_Monde_15.5.2013
 15 mai 2013 PSG / Trocadéro – Libération, Figaro, Le Monde
 CorteX_emeutes_PSG_Libe_15.05.2013
CorteX_emeutes_PSG_Figaro_15.5.2013
CorteX_emeutes_PSG_Monde_15.5.2013
15 mai 2013 Cours d’anglais à l’Université – Libération, Figaro, Le Monde.
CorteX_Anglais_libe_15.05.2013
CorteX_Anglais_Figaro_15.05.2013
CorteX_Anglais_Monde_15.05.2013

Je ne rentrerai pas dans le détail du commentaire de ces titres, puisque c’est le public qui l’a produit. On peut toutefois dire que la ligne politique est assez simple à décrypter pour qui connaît le contexte politique en cette fin de première année de mandat de président du PS François Hollande – les articles de Libération sont plus complaisants, ceux du Figaro plus vindicatifs, et ceux du Monde plus modérés.

Je ne peux qu’encourager l’enseignant à faire sa propre moisson de captures d’écran. Je hasarde toutefois un conseil : dans un TP comme celui-ci, il faut bien garder la barre et n’analyser que les titres et non le sujet de l’article en tant que tel. Peu importe notre avis sur la « récession » par exemple, il s’agit de voir la différence de traitement pour une même information. Le risque est grand chez un public politisé de voir un débat hors-sujet démarrer comme un feu de broussailles.
Voici mon diaporama complet.
N’hésitez pas à partager ici-même vos propres ressources.

Richard Monvoisin

Brève bibliographie :
E. S. Herman & N. Chomsky, La fabrication du consentement – De la propagande médiatique en démocratie, Agone (2008)
F. Aubenas & M. Benasayag, La fabrication de l’information, Les journalistes et l’idéologie de la communication, La découverte (1999)
N. Baillargeon, Petit cours d’autodéfense intellectuelle, Lux (2005)
R. Monvoisin, Pour une didactique de l’esprit critique, thèse, Univ. Grenoble (2007)
Crédit image N°1: Fotolia

Le Métronome de Lorànt Deutsch : un exemple de pseudo-histoire

Doctorant en histoire, j’ai réalisé une relecture critique et cette petite synthèse des polémiques autour du Métronome de Lorànt Deutsch lors d’un cours de présentation et d’initiation à la zététique (dans un stage doctoral, à Grenoble). Ce travail se veut aussi une invitation aux chercheurs et historiens, au-delà de ce cas précis, à une réflexion autour de ce que l’on pourrait qualifier « d’impostures intellectuelles » et de falsifications historiques, qui sont en passe de supplanter les recherches scientifiques grâce à leur puissance médiatique et à leurs réseaux de diffusion.

Par Guillaume Guidon, Centre de Recherche en Histoire et histoire de l’Art à l’Université Pierre-Mendès France (Grenoble)

Note du CorteX – Ce travail fait suite à l’appel lancé ici : Histoire – Peut-on critiquer le Métronome de Lorànt Deutsch ?


Contexte de l’histoire et de la polémique

Le Métronome, livre écrit par Lorànt Deutsch, est sorti en 2009. Plus de deux millions d’exemplaires ont été vendus jusqu’à présent. Il a, entre autres, obtenu le soutien de la Mairie de Paris, tandis qu’une adaptation télévisuelle a été faite et diffusée l’été dernier sur le mode de la série sur France 5 qui a coûté plus d’un million d’euros, financée avec de l’argent public. Chaque épisode a été suivi par près d’un million de personnes.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=CoOaKxutniE]

Jusque là, peu de médias ont été critiques, autant à l’égard du livre que de la série télévisée :

  • « Un pavé d’une science impressionnante » selon BibliObs ;CorteX_scene_metronome

  • « Un récit enlevé de l’histoire de France vue de Paris, entre vulgarisation et effluves d’une réelle érudition » selon Libération ;

  • « Cette série donne envie de chausser ses meilleures baskets pour parcourir la ville » selon Le Monde.

  • « Une prouesse technique et ultra pédagogique » selon Télérama.

Pourtant, une polémique éclate en 2012, suite à la diffusion des épisodes télés. Des historiens critiquent l’histoire de Paris telle qu’elle est présentée par Lorànt Deutsch (LD). L’affaire prend de l’ampleur quand le Front de Gauche demande à la mairie de Paris de retirer son soutien au livre de l’écrivain. La réponse de ce dernier ne tarde pas : il essaye de circonscrire la polémique en disant que les critiques ne sont que le fait d’une jalousie. Ce faisant, il détourne le sujet en évitant de répondre aux critiques sur le fond et la méthode de travail qu’il a employé.

William Blanc, historien, accuse LD de livrer une vision « extrêmement royaliste de l’histoire » au point de donner « une vision très positive des rois et une vision par exemple extrêmement négative du peuple parisien ». Pour Alexis Corbière, du Front de Gauche :
« il y a un problème majeur, ce livre « contient de très nombreuses erreurs, affabulations et inventions historiques ». De plus, « il propose une vision orientée répondant à une lecture idéologique assumée, pétrie de convictions religieuses de l’auteur (…) qui ne se cache pas d’être hostile à la République, particulièrement à la Révolution française et se dit nostalgique de la monarchie ». »
La presse de droite comme Nouvelles de France s’empare aussi de la polémique en s’attaquant au personnage de William Blanc pour le discréditer. Dans une tribune libre datée du 16 juillet, Frédéric Laurent s’attaque à une campagne de presse faite « dans la plus pure tradition des tentatives de manipulation de l’opinion dont la gauche s’est fait une spécialité ». La présentation est assez caricaturale :
« Ce gros garçon était tout simplement l’un des leaders des mouvements d’extrême-gauche, qui ont fait du lieu leurs quartiers généraux dans le monde universitaire parisien. Violent (accusé notamment par une opposante de lui avoir cassé le bras au sein même de l’université) et quelque peu fanatisé (impossible de discuter avec lui), il était resté de longues années à Tolbiac, où l’on n’était censé – à l’époque – ne passer que les deux années de Deug. C’est à se demander où il trouvait son argent pour vivre. Pour tout dire, le garçon faisait penser à ces hommes de main payés par l’extrême-gauche pour maintenir son contrôle du système éducatif en fomentant des mouvements pseudo-révolutionnaires et étouffer toute opposition. »

… Une attaque qui ne dit encore pas grand chose des critiques de fond et de forme portées à l’encontre du Métronome.

Lorànt Deutsch a riposté, se défendant d’être « un idéologue » ou « un faussaire historique » et affirmant être un « amoureux de l’histoire ».

« J’ai dit que j’étais royaliste mais je ne suis pas un militant politique. Je suis un enfant de la République, j’aime mon pays » (…) « Je veux bien débattre de mon livre avec des historiens mais pas avec des militants politiques ». 

Pourtant, il s’y est toujours refusé jusqu’à présent, préférant débattre dans les médias avec des non-spécialistes.

 

Méthode Deutsch vs. Esprit critique

CorteX_lorant-deutschQuels sont les éléments qui ont amené à une telle polémique, alors que le livre donne l’image d’un flâneur sympathique, amoureux de Paris, qui veut nous faire découvrir sa ville au rythme des stations de métro ?

  • Un livre idéologique qui se heurte à la réalité et aux recherches scientifiques

En premier lieu, la « méthode Deutsch » repose sur des sources anciennes et connotées, prises sans aucun recul critique. Le tout pour aller dans un sens qui, au contraire de ce qu’il dit, est bien plus idéologique que les critiques qui lui sont faites. Car Lorànt Deutsch estime que l’histoire de France, c’est avant tout la monarchie et l’Église, et que l’on doit rendre hommage à cet héritage presqu’éternel, en opposition à une révolution violente et synonyme de chaos. Ce faisant, il rejette alors les nombreux travaux scientifiques déjà existants : il prétend faire une histoire personnelle, mais tout de même basée sur des sources écrites, et ne rien inventer. Lors d’une rencontre avec ses lecteurs à la FNAC à Paris le 21 avril, il déclare que « l’histoire de France est une matière subjective ». Une citation résume cette « méthode Deutsch » :

« L’idéologie ne doit pas être détruite au nom du fait scientifique […] si on peut tendre vers le fait scientifique, tant mieux, surtout si ça accrédite ma chapelle, et ce que je pense, mon éclairage de l’histoire » (Les Affranchis, France Inter, 18 avril 2012).

Tout est là : Lorànt Deutsch choisit certains travaux et sélectionne des faits qui vont dans son sens idéologique, ne les étudie pas avec recul critique, et va même jusqu’à tordre les faits. Mieux, sans que l’on sache si c’est volontaire ou non, le comédien parvient à interpréter de façon erronée les sources ou les travaux qu’il prétend avoir utilisés. En procédant ainsi, il opère des choix significatifs ; des faits essentiels de l’histoire de France sont ainsi passés sous silence, ou bien évoqués de façon plus qu’allusive. C’est le cas pour la Seconde Guerre mondiale par exemple, et notamment pour tout ce qui touche à la Collaboration. Seules quelques lignes y sont consacrées qui ne disent pas grand chose (p. 360). Ces choix significatifs peuvent s’expliquer de la bouche même de Lorànt Deutsch quand il déclare au Figaro en mars 2011  :

« Pour moi, l’histoire de notre pays s’est arrêtée en 1793, à la mort de Louis XVI. Cet événement a marqué la fin de notre civilisation, on a coupé la tête à nos racines et depuis on les cherche […]. C’est comme avec la religion, on essaie de faire triompher la laïcité, je ne sais pas ce que cela veut dire. Sans religion et sans foi, on se prive de quelque chose dont on va avoir besoin dans les années à venir. Il faut réintroduire la religion en France, il faut un concordat. »

Une histoire faite par les (grands) hommes

L’histoire, pour l’auteur, est avant tout l’histoire des rois et des saints, c’est eux qui sont le moteur de l’histoire. Ils sont constamment glorifiés, mis en valeur. En voici un exemple sur Philippe Auguste (p. 218) :

« Comme sa muraille, Philippe Auguste est fascinant ! Il a tout fait, tout imaginé, tout réinventé. Il a imposé l’autorité royale, agrandi le pays, renouvelé Paris. »

Quand on en sort, cela relève de l’anecdotique ; les femmes n’ont pas grand droit de cité : elles sont au mieux des reines et des princesses, au pire des intrigantes dévergondées…

L’exemple page 84 de Honoria, sœur de l’empereur d’occident Valentinien, est éclairant :

« La dame aux yeux de velours est bien malheureuse car son frère, personnage aussi austère qu’intransigeant, veille avec suspicion et méticulosité sur la virginité sororale. Làs, la gourgandine a pris un amant ! L’empereur, hors de lui, fait exécuter le gaillard, mais cela ne suffit pas car la drôlesse attend un bébé. »

… des roturières, ou des prostituées, plus intéressées par le « shopping » et ce dès l’antiquité.

Page 41 :

« Et les lutéciennes, qui n’ont pas changé, viennent « faire les magasins » pour se fournir en onguents délicats, en huile d’olive ou en fibules plus fines et plus brillantes que celles de la voisine ».

Comme le dit un article du mensuel CQFD paru en avril 2012 :

« Chez Lorànt Deutsch, l’histoire est marquée par les grands hommes. Pour les grandes femmes, on repassera ! Seule sainte Geneviève trouve grâce à ses yeux pendant que les autres, les Lutéciennes puis les Parisiennes, font du shopping. Une vision somme toute classique, développée tout au long des XIXe et XXe siècles, quand l’histoire était écrite pour célébrer les chefs de guerres, les rois, les saints… ».

Une histoire des vainqueurs 

L. Deutsch a fait un choix plus que problématique en centrant son livre uniquement sur l’histoire des rois. La légende de Saint-Denis occupe huit pages ; la manifestation du 6 février 1934, qui est quasiment la seule manifestation citée pour le XXe siècle, est vue comme une manifestation populaire alors que la réalité est beaucoup plus complexe (on se réferrera entre autres à Serge Bernstein, Le 6 février 1934, Gallimard (1975).

Mais la réalité, l’écrivain semble ne pas s’en soucier énormément, préférant nous offrir une vision caricaturale, à l’instar de celle véhiculée sur les femmes, du « peuple » parisien. Ce dernier serait « violent, sanglant » (4ème de couverture), et ne pense qu’à grogner et se soulever. À Lorànt de lui réserver un traitement tout deutschien. Alors qu’il consacre huit pages à saint Denis, treize à sainte Geneviève, quinze à Pépin le Bref, la Commune de Paris et ses vingt mille morts sont résumés en un seul petit paragraphe ! En quelques lignes, il n’est pas question d’expliquer pourquoi le peuple parisien s’est soulevé en 1871. Tout au plus l’acteur évoque-t-il une « fureur populaire » venue d’on ne sait où, et des soldats rompant les rangs parce que « fatigués, démoralisés, déboussolés » (p. 353). Mais il est vrai que le peuple a toujours été un peu bourrin : lorsque Geneviève, animée d’une « foi parfaite » (p. 86), lance un appel contre les Huns – « l’envahisseur asiatique » (p. 89) –, « les plus excités des Parisiens parlent […] de [la] jeter dans un puits, manière radicale de la faire taire » (p. 87).

Une sainte horreur des révolutionnaires

Enfin, avec Lorànt Deutsch, il ne fait pas bon être révolutionnaire et défier l’ordre, la monarchie ou la royauté. Car avant même que la Révolution de 1789 ne soit évoquée par l’écrivain, les acteurs en prennent pour leur grade. L’écrivain parle, dans un premier temps, de « fureur révolutionnaire » (p. 98) ; des « déprédations révolutionnaires »(p. 118), de la « fureur populaire » et des « nouveaux persécuteurs » qui « saccagèrent » une abbaye bénédictine. Et lorsqu’il évoque le roi Dagobert, au sujet de sa mauvaise réputation et de sa fameuse « culotte à l’envers », la faute en revient à « la brutalité révolutionnaire ». Il précise :

« La Révolution, qui se moque bien de la vérité historique, a produit cette rengaine pour railler les rois et les saints. » (p. 128)

Pour l’auteur, la colère ne peut être qu’irrationnelle, des causes politiques ou économiques par exemple ne lui semblent pas particulièrement légitimes. On en voit un exemple page 327 à propos de la Révolution française :

« Cette population miséreuse, qui appartient au paysage quotidien du faubourg tout en venant de l’extérieur, se montre toujours prompte à exprimer sa colère ! C’est elle qui, pour une épidémie de trop, une mauvaise récolte ou une taxe additionnelle, entraîne les artisans sur la route dangereuse de la protestation et de la rébellion ».

Mourir de faim ne semble donc pas une raison légitime, et la rébellion ne serait qu’une « route dangereuse »… Mais c’est vrai, pour Deutsch, c’est le début de la fin pour la monarchie et le 14 juillet 1789 nous est donc présenté comme un « jour de guerre civile, d’affrontements et de violences » (p. 335). Matthieu Lépine, professeur d’histoire, résume bien la situation quand il parle en ces termes de l’adaptation télévisuelle dans un article consacré à la série :

« Cette émission, présentée comme un outil d’éducation populaire n’est en réalité qu’une arme de propagande, faisant à la fois l’éloge de la monarchie, la glorification de la chrétienté et le réquisitoire de la Révolution française. ».

Les sources, la méthodologie, les erreurs historiques

Il y a en outre une question de méthode qui est aux antipodes de ce qu’il faut enseigner aux étudiants, quel que soit le niveau de scolarité. Citer ses sources, disposer d’un appareil de notes et d’une bibliographie qui permettent de discuter des thèses qui sont avancées et des interprétations qui sont faites, sont une des bases d’un travail sérieux. Les coquilles sont une chose, avancer des faits sans « étayer », en est une autre :

« Lorànt Deutsch affirme mais ne livre aucune vision critique. Par exemple, sa théorie comme quoi Jeanne d’Arc serait la demi-sœur du roi Charles VII […]. Avancer des hypothèses, c’est le b.a.-ba de tout livre d’histoire. Mais on ne peut pas se contenter de lancer un pavé dans la mare en quelques mots, sans rien justifier, et passer ensuite au paragraphe suivant. » (histoire-pour-tous.fr, J. Perrin)

Le système narratif pose également de gros problèmes. Il se fait en effet systématiquement au présent, ce qui permet de mettre sur un même plan histoire et légendes (les exemples sont évidemment multiples mais on peut entre autres relever ceux de Saint Denis, (p. 52) [1] et de Saint Martin (p. 77) [2], et l’exemple vidéo de Biscornet et de la porte de la cathédrale Notre-Dame). Ces affirmations sont très souvent accompagnées d’un « effectivement », qui par sa force rhétorique est censé mettre fin à tout débat (p. 203). Il y a toutefois quelque-chose d’assez vicieux dans le fait que, épisodiquement, Deutsch précise pour certaines histoires farfelues qu’il cite, qu’il s’agit d’une légende (l’évêque Marcel qui affronte un dragon page 82 : « il assène deux bons coups de crosse sur la tête de cette bête, qui devient alors pour la légende pieuse un authentique dragon »). Pour le reste, il se contente de répondre aux critiques que « C’eût été faire peu de cas du bon sens et de l’intelligence du lecteur » [3] s’il avait mis ses affirmations au conditionnel. Au-delà des cas légendaires et mythologiques présentés de façon douteuse, il y a aussi des reconstitutions de scènes « banales » qui sont largement discutables, surtout en l’absence de sources (p. 69 [4]).

Quand il est interviewé, L. Deutsch ne fait que s’enfoncer : par exemple au Journal Télévisé de 20h sur TF1, en septembre 2011, il raconte que Charlemagne a régné autour de l’an mil. Raté, c’était plus de 200 ans plus tôt. Des erreurs, il en fait des tonnes, que ce soit sur des plateaux télévisuels ou dans son livre. Il affirme par exemple que l’art gothique est l’œuvre des Goths : encore raté, le terme gothique dans le domaine de l’art a été inventé au XVIè siècle par Giorgio Vasari. Rien à voir avec ce peuple de langue germanique actif entre le IIIe et le VIIIe siècle.

Il y a d’un côté des erreurs historiques non négligeables qu’il ne faut pas sous-estimer, mais il y a surtout un parti pris politique assez nauséabond qu’il convient de souligner. Citons notamment les exemples du Louvre ou de la Commune, pour lesquels il a une fois de plus recours à des sources datées et relativement discutables. Son récit de la fondation du Louvre en est une bonne illustration ; sa « théorie » est contredite par de nombreux travaux scientifiques sur le sujet, de même que par les fouilles archéologiques (voir Geneviève Bresc-Bautier, Mémoires du Louvre, Paris, Gallimard, « Découvertes », 1998). Lorànt Deutsch nous dit que le Louvre a été construit par le père de Clovis ; en réalité c’est l’œuvre de Philippe Auguste, sept siècles plus tard. En d’autres termes, il n’a pas mené une démarche de chercheur; ce qui semble pourtant essentiel lorsque l’on écrit des ouvrages historiques. Autre exemple lors de son interview sur RMC par Eric Brunet le 10 juillet : les Communards qui auraient tiré sur la colonne de Juillet depuis Montmartre (« Métronome », p. 336). Là, l »écrivain affirme avoir utilisé Eugène Hennebert, « qui reprend des témoignages directs de la Commune« . Le choix de cette source est intéressant, le Hennebert en question, contemporain des faits, en était un acteur en tant qu’officier supérieur de l’armée de Versailles ! Mieux, M. Deutsch dit s’être appuyé sur lui pour évoquer la fameuse canonnade. Or, Hennebert parle bien d’une canonnade sur la Bastille, mais depuis le Panthéon, pas Montmartre et surtout, des tirs venus de canons versaillais, et pas communards (Guerre des Communeux, p. 258) !

Un non-historien peut tout à fait écrire un livre d’histoire, mais à condition qu’il se soumette aux principes de base du travail historique, ce que Deutsch n’a pas fait avec « Métronome ». Il ne respecte pas la démarche de l’historien. En effet, il n’y a aucun travail sur les sources, et celles-ci sont complètement absentes de son ouvrage. Ce n’est pas un travail de chercheur mais un point de vue empreint d’a priori sur l’histoire de France et de Paris. La vulgarisation n’équivaut pas à la falsification. La recherche consiste à faire tomber ses propres préjugés sur le sujet en question. Deutsch fait exactement l’inverse: il part de ses opinions pour aller aux faits (ce qui ressemble beaucoup au raisonnement panglossien – cf. ici Effet Pangloss, ou les dangers du raisonnement à rebours).

L’ouvrage a été présenté comme de la vulgarisation historique, mais il n’en est rien puisqu’il n’offre pas au grand public l’accès aux plus récentes recherches scientifiques. Au contraire, il réactualise CorteX_metronome_Bloc_identitaireune histoire partisane et réactionnaire, fantasmée et mythifiée. Plutôt que de mettre en avant les polémiques entre historiens autour de certains faits problématiques, ce qui, de son avis, « serait d’un ennui mortel », il préfère raconter la version qui lui plaît le plus. Mais le problème s’amplifie puisque le comédien « a même été invité dans des écoles parisiennes (par exemple au lycée Turgot) où il a proposé des conférences basées sur ses travaux » et le maire PS Bertrand Delanoë l’a décoré de la médaille Vermeille de la Ville. Son livre devient donc un outil pédagogique, et Deutsch en vient à prendre la place des professeurs.

Il convient toutefois de relever dans cette histoire le rôle joué par la puissance médiatique et les nombreux canaux dont dispose le monsieur pour la diffusion de son livre. Le même genre de bouquin écrit par un illustre inconnu n’aurait jamais dépassé les 2000 ventes. Au contraire, il joue sur son image d’acteur jeune et comique, grand public. Le succès du livre s’explique donc par une construction médiatique.

Conclusion

À travers la publication du Métronome, ses promoteurs ont reproduit la coupure savant/populaire. Aux savants (dont eux), la culture d’élite, l’accès au savoir critique, et aux masses, et bien le rebut, la pensée light, l’histoire « bling-bling » dont parle Nicolas Offenstadt qui permet tout, sauf de réfléchir. Lorànt Deutsch n’est pas un phénomène isolé. Aujourd’hui, les livres d’histoire les plus vendus ne sont pas des livres d’histoire. Max Gallo et ses « romans-histoire », Alain Minc et sa pitoyable histoire de France (un proche de Nicolas Sarkozy qui comme comme Jacques Attali, incarne la figure française de l’analyste-essayiste à tendance polémico-prophétique qui croit penser son époque quand il ne fait que travestir des lieux communs) voient leurs œuvres tirées à des milliers d’exemplaires non pas parce qu’ils produisent de la qualité, mais parce qu’ils ont accès aux médias, et surtout parce qu’ils ne dérangent pas, car leurs écrits cadrent parfaitement avec les préjugés contemporains.

Et dire qu’il paraît que Lorànt Deutsch nous prépare une histoire de France…

Guillaume Guidon

 

Notes

 

[1] « On dresse une croix sur laquelle on noue Denis, et on lui tranche la tête. Mais le corps sans vie est transfiguré par l’apparition du Sauveur, et le corps s’anime, et le corps se libère de ses liens, et le corps se met en marche… Denis prend sa tête entre ses mains, va la laver à une fontaine et redescend la colline de son martyre. Il marche deux lieues et demie et, enfin, confia sa tête à une bonne romaine nommée Catulla. Là, il s’écroule. Respectueuse, Catulla enterre le pieux évêque à l’endroit même où il s’est effondré. Et sur cette sépulture un blé d’un blond unique pousse bientôt, comme un dernier miracle. »

[2] « L’évêque marche le long de la voie romaine du nord, et les fidèles se pressent pour embrasser sa robe. Mais le prélat ne voit pas la foule, il fixe de son regard un misérable lépreux adossé contre les remparts non loin de la porte nord de la ville, le visage défiguré, les bras lacérés et les jambes flageolantes… Il s’approche du malheureux, chacun retient son souffle. Martin se penche sur le malade et dépose sur sa joue scrofuleuse un baiser fraternel, puis il porte ses mains sur la tête du pauvre homme et le bénit… Le lendemain matin, le lépreux entre à l’église, et chacun peut voir le miracle accompli : ce visage hier encore ravagé est à présent lisse et doux. On le sait maintenant, Martin peut provoquer des guérisons. »

[3] L. Deutsch, « Polémique sur « Métronome » : fausses erreurs et vraies affabulations sur mon livre », 20 juillet 2007. Nouvel Observateur.

[4] Promenade de l’empereur Julien dans les rues de Paris : « Il aime Paris quand il se balade comme un simple légionnaire à travers ses ruelles de boue, quand les échoppes largement ouvertes laissent déborder leurs grappes de jambons, de boudins, de têtes de porcs […]. Il aime Paris quand il hèle joyeusement le marchand : – Patron, as-tu du vin relevé au poivre ? – J’en ai. – Alors donne et remplis ma gourde ! ».

 

Bibliographie utilisée pour construire ce travail

« Polémique « Métronome » : réponse aux contre-vérités de Lorànt Deutsch », Leplus.nouvelobs.com, article de Christophe Naudin, enseignant en histoire, 17 juillet 2012

«Lorànt Deutsch a une vision biaisée de l’histoire», In bibliobs.nouvelobs.com, 10 juillet 2012

« La gauche parisienne demande à la Ville l’arrêt de la promotion du « Métronome » », In tempsreel.nouvelobs.com, 5 juillet 2012

« Polémique autour du « Métronome » de Lorànt Deutsch », In LeMonde blog, 10 juillet 2012
« Polémique Métronome : Lorant Deutsch réplique », Arrêt sur images, 24 juillet 2012

« Qui est donc William Blanc, l’ « historien » critique du Métronome ? », In Nouvelles de France, 16 juillet 2012, tribune libre de Frédéric Laurent

CorteX_historiens_gardeEt pour aller plus loin, un livre à lire : William Blanc, Aurore Chéry, Christophe Naudin, Les historiens de garde – De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national, Inculte Essai, 2013, ainsi qu’une entrevue avec William Blanc (voir AudioteX).