Former l’esprit critique : ressources pour enseignant·e·s

Depuis juillet 2020, je participe à une rubrique consacrée à l’esprit critique dans la revue Sciences & Pseudosciences éditée par l’Association Française pour l’Information Scientifique (AFIS). J’y explore notamment les différentes facettes de la formation à l’esprit critique des enseignant·e·s ainsi que les questions en lien avec l’éducation à l’esprit critique. Vous trouverez ici l’ensemble des articles déjà publiés et mis en ligne par l’AFIS, ainsi qu’une présentation de ceux-ci, facilitant leur lecture et la compréhension générale de ce travail.

Pourquoi enseigner l’esprit critique ?

Dans ce premier article, je présente le cadre général de l’éducation à l’esprit critique, ses objectifs et enjeux, la définition de l’esprit critique et ses différentes dimensions. J’aborde également la question des formations à l’esprit critique pour les enseignant·e·s. En effet, si depuis 2015 celles-ci se développent fortement, certaines sont ancrées dans le travail du Cortecs et abordent spécifiquement la question de l’épistémologie, des démarches scientifiques, de la zététique et de l’autodéfense intellectuelle.

Former les enseignant·e·s à enseigner l’esprit critique

Dans ce deuxième article, je présente plus spécifiquement le contenu des formations à l’esprit critique pour les enseignant·e·s. En insistant d’abord sur le sens et les objectifs que l’on donne à ces formations, je reviens sur le juste équilibre à trouver entre un contenu ciblant des ressources pédagogiques à destination des enseignant·e·s et des activités permettant avant tout de former des individus. En effet, si l’on souhaite que soit transposée en classe cette éducation à l’esprit critique, il faut d’abord et avant tout que nos collègues s’approprient et trouvent un intérêt à aborder ces thématiques. Je présente également les différents « modules » que contient cette formation et décris rapidement un premier temps de « remue-méninges » pour travailler sur la délicate distinction entre science, croyances, connaissances et pseudosciences.

Croire et savoir

Cet article développe ce qui a été décrit à la fin du précédent : comment aborder la question de la distinction entre croyances et connaissances ? Comment, en tant qu’enseignant·e, s’y retrouver et être capable de poser clairement les choses face aux élèves ? J’y évoque quelques « astuces » et mises en œuvre pour travailler sur ce sujet : d’abord, en distinguant la capacité à remettre en question (ou pas) nos croyances et connaissances, puis en relevant les différences entre nos croyances (et connaissances individuelles) et les connaissances scientifiques. L’idée est de sortir d’une vision simpliste de la distinction entre croyances et connaissances, tout en donnant des moyens aux enseignants de répondre concrètement aux élèves sur ces questions.

La hiérarchie des niveaux de preuve

Pour continuer sur le lien entre épistémologie et esprit critique, cet article aborde la difficile tâche d’évaluer la fiabilité des preuves étayant une affirmation. En effet, parvenir à ajuster notre niveau de confiance face à une information passe par différents aspects, dont notamment notre capacité à savoir si les éléments fournis pour l’étayer sont suffisants. J’y présente d’abord ce qu’est une preuve puis j’y discute l’intérêt et les limites d’utiliser une échelle des niveaux de preuve, ainsi que les différentes manières d’aborder ces aspects au niveau pédagogique.

Bases théoriques et indications pratiques pour l’enseignement de l’esprit critique

Dans cet article, j’ai le plaisir d’interviewer Elena Pasquinelli, chercheuse, formatrice et membre du Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale, ayant en charge les travaux du groupe n°8 consacré à l’esprit critique. Elle revient notamment sur la publication et contenu du rapport produit par ce groupe en 2021 et fournissant pour la première fois un corpus théorique et pratique pour l’enseignement de l’esprit critique. Cet article permet ainsi d’avoir un bon résumé du contenu du rapport qui, si l’on devait le résumer en une phrase, précise l’importance d’identifier certains critères opérationnels et concrets, permettant aux enseignants de savoir comment orienter efficacement leur cours dans l’objectif d’y incorporer des éléments propres à l’éducation à l’esprit critique.

Le niveau d’étude peut-il aggraver les préjugés ?

Une question souvent posée en lien avec l’esprit critique et son enseignement concerne le rôle des connaissances. Celui-ci est indéniable : l’esprit critique ne s’exerce pas à vide. Mais ces connaissances ne suffisent pas pour évaluer l’information et reconnaître si l’on est en face d’un contenu biaisé ou frauduleux. Parfois, elles peuvent même entretenir nos préjugés erronés. Dans cet article, je reviens sur les travaux conduits par différents chercheurs étudiant le lien entre le niveau de connaissances générales (ou même le niveau d’études) et les capacités cognitives ainsi que le niveau de croyances non fondées. Par exemple, certaines recherches suggèrent que, sur des sujets médiatiquement controversés ou très contestés (réchauffement climatique, théories de l’évolution, recherche sur les cellules souches), le niveau d’études, même s’il s’agit d’études scientifiques, est corrélé à un renforcement des préjugés idéologiques. Il ne fait qu’aider à confirmer les opinions préexistantes des individus, même lorsqu’elles sont fausses…

Une partie de l'excellente équipe de la médiathèque d'Aubagne et des services jeunesse et prévention

Ateliers Esprit critique et autodéfense intellectuelle

Une partie de l'excellent équipe de la médiathèque d'Aubagne

Depuis 2019, le Cortecs travaille avec la médiathèque d’Aubagne et les services jeunesse et prévention de la Mairie d’Aubagne pour élaborer et construire des ateliers sur la thématique de l’esprit critique et de l’autodéfense intellectuelle à destination des élèves des collèges et lycées de l’académie d’Aix-Marseille. Après plusieurs journées de formations, les animateurs sont intervenus régulièrement auprès des classes sur différentes thématiques. Ce travail a permis de repenser, actualiser, mais aussi de créer des ateliers permettant d’aborder des « classiques » de la zététique : effet Barnum, principe de parcimonie, échelle des preuves ou coïncidences, autant de sujets que les élèves ont pu découvrir grâce à toute l’équipe qui partage aujourd’hui ses productions et ressources avec nous. Un grand merci et surtout bravo à eux pour tout cela !

Présentation du projet

Objectifs, compétences travaillées, organisation des séances : ce document présente le projet dans son ensemble.

Description des ateliers

Vous trouverez ci-dessous les différents ateliers proposés ainsi que tous les contenus utilisés et que toute l’équipe partage avec plaisir. Le dossier complet est ici. Merci à eux !

Jouer à débattre

Jouer à débattre (atelier créé par L’arbre des connaissances). Le thème choisi a été l’humain augmenté. Le but étant d’amener les élèves à argumenter et à prendre conscience de la complexité insoupçonnée des sujets de société.

Atelier philo

S’exercer à réfléchir, apprendre à discuter, écouter, raisonner et respecter l’autre avec cet atelier philo.

Fake news

Cet atelier correspond à l’atelier « Le vrai du faux » (créé par le CRIJ). L’objectif est d’appréhender la complexité à évaluer la fiabilité des informations et de se poser les bonnes questions pour y parvenir.

Test de personnalité : l’effet Barnum

Un « classique » de la zététique où l’on va reproduire l’expérience de Bertram Forer sur l’effet qui porte son nom (mais aussi celui d’effet Barnum) : un atelier mettant en scène un faux test de personnalité à évaluer par les élèves. Vous retrouverez dans ce dossier les fiches, vidéos et autres documents utilisées pour mener à bien cet atelier.

Principe de parcimonie et rasoir d’Occam

Comment travailler sur le principe de parcimonie avec les élèves ? Comment faire découvrir cet outil de tri des hypothèses et ses limites ? Le dossier avec tous les éléments se trouve ici !

Échelle des preuves et curseur de confiance

Un atelier repris de l’activité proposée dans l’excellent ouvrage publié par nos collègues de La main à la pâte, et qui permet de travailler avec les élèves sur la notion de preuves et de confiance. Tout le dossier est à retrouver ici.

Coïncidences…

Un atelier sur la notion de coïncidences : y a-t-il forcément un sens à donner à ces conjonctions d’événements intrigants et qui nous paraissent si étranges…? Le dossier complet ici !

Bilan

Voici quelques retours concernant les ateliers

Au niveau de l’enchainement des ateliers, commencer par Jouer à débattre permet de créer une bonne relation avec les élèves qui se retrouvent dans une situation de jeu qui les change de leur quotidien. L’atelier sur les fake news comme les suivants sont un peu plus scolaires, contenant plus d’explications (un peu plus descendant) : les élèves sont mis en activité, mais cela demande toujours une implication de leur part qui dépend bien entendu de beaucoup de paramètres.

On a pu remarquer que les ateliers Jouer à débattre, effet Barnum et rasoir d’Occam ont très bien fonctionné : le mélange entre travail de groupe, débat et effet de surprise motive toujours les élèves et retient leur attention.

Concernant l’atelier sur l’effet Barnum, il faut bien penser à faire attention aux contacts possibles entre élèves pour éviter qu’ils comprennent le truc.

L’atelier sur l’échelle des preuves est aussi à améliorer sur la manière de l’animer : nous proposons d’y ajouter davantage de moments d’interactions variées.

Loïc Massaïa, imperturbable mais toujours pertinent !

Un merci très spécial à Loïc Massaïa pour le soutien, l’expertise et l’aide apportée tout au long de ces ateliers, mais également pour le partage des documents !

Physique-chimie, esprit critique et EMI

Julien Machet est professeur de Physique-Chimie dans l’académie de Lyon, et exerce au collège Saint André de Corcy. Il est également membre du Groupe de ressources académique « Esprit critique ». Julien a déjà publié son travail sur le tri de l’information (voir ici) et il nous propose à présent de partager une séquence entière, à destination des élèves de 5ᵉ, et qui vise à comprendre comment la médiatisation de contenus scientifiques, notamment sur les notions de risque et de danger, peut servir l’enseignement de savoirs disciplinaires (ici, l’électricité et la chimie). Bravo et merci (encore) à lui pour ce travail précieux !

Présentation rapide

La séquence abordée ici mélange des objectifs de transmission de savoirs disciplinaires d’électricité et de chimie avec des objectifs propres à l’enseignement de l’esprit critique et de l’éducation aux médias et à l’information. Elle est enseignée en classe de 5e.

Déroulé des activités et descriptifs des objectifs (cliquer sur l’image pour voir tout le document)

Lever la confusion entre danger et risque est présenté ici comme un véritable objectif, en soi, de l’enseignement de l’esprit critique. En effet, de nombreux débats de société liés aux questions de santé sont perturbés par les confusions communes entre l’existence d’un danger avéré et l’évaluation d’un risque (fort ou faible) et par la non-priorisation de traitement des risques forts face aux risques faibles.

Positionnement dans une progression pédagogique

Ce chapitre s’intitule, pour les élèves de 5e concernés : « Les scientifiques parlent au grand public ; exemple des dangers et des risques en physique chimie », il est inclus dans un thème intitulé « Communiquer en science » et répond à un autre chapitre centré sur un exemple de langage « de spécialistes » lui-même intitulé « Les scientifiques parlent aux scientifiques ; exemple de la schématisation en électricité ».

Documents à télécharger

Julien met à disposition l’ensemble de ses documents utilisés pour cette séquence, en format modifiable et pdf.

  • Le document de présentation de toute la séquence :

Pour tout contact : julien.machet-at-ac-lyon.fr

Tri de l'information et enseignement de l'esprit critique : une carte pour s'y retrouver

Julien Machet est professeur de Sciences Physiques et Chimiques dans l’académie de Lyon. Travaillant en collaboration avec le CORTECS et notamment notre collègue Denis Caroti depuis plusieurs années, il forme également les enseignants sur la thématique « Analyse de l’information et esprit critique ». Par ailleurs, il développe dans ses cours un enseignement de l’esprit critique incorporé à ses contenus disciplinaires. Julien a ainsi créé une carte conceptuelle à destination des élèves (et des enseignants), permettant de visualiser rapidement les outils méthodologiques d’analyse de l’information. Il nous présente ici la genèse de cette carte, ses objectifs ainsi que son contenu et ses réflexions sur ce sujet. Bien entendu, cet outil mérite d’être encore amélioré et adapté, mais c’est une base utile, fruit d’essais et erreurs fertiles. Bravo et merci à lui pour ce travail précieux !

Mise à jour (avril 2021)

Les cartes méthodologiques d’analyse de l’information ont été mises à jour et sont téléchargeables en format modifiable (voir dernière partie Enseigner l’esprit critique)

Objectifs

Deux grilles de lecture, sur deux plans différents : analyse de l’information et construction des connaissances & enseignement de l’esprit critique

  • Premièrement, cette carte présente différents axes de questionnement permettant de se positionner (ou non) face à une information, quelle qu’elle soit. De plus, elle permet de présenter en quoi la construction méthodologique et collective du savoir en sciences doit prendre en compte ces axes d’analyse de l’information, et les risques spécifiques qui y sont associés.
  • Deuxièmement, elle peut permettre à l’enseignant d’expliciter aux élèves en quoi les activités faites en classe permettent de se donner des outils de tri de l’information, de construction du savoir. Elle peut donc servir de base à la conception d’un enseignement de l’esprit critique à travers des enseignements disciplinaires classiques.

J’évoquerai donc ces différentes utilisations de la carte et j’en donnerai ensuite une version pour les élèves.
Précaution : j’utilise ici une définition large du mot information, je n’ai pas choisi de circonscrire ce mot à un fait vérifié qui intéresse un grand nombre de personnes comme cela est fait, par exemple, sur l’activité «  Qu’est-ce qu’une info ?  » publiée sur le site du CLEMI. Ainsi analyser une information signifie ici analyser une donnée, une affirmation qui nous parvient, quelle que soit sa forme.

Introduction

Cette carte conceptuelle (ou gros schéma…) à destination des enseignants intéressés par le tri de l’information et son enseignement est née d’un échange avec ma collègue Cécile Dussine (Sciences Physiques) qui a créé une activité d’introduction aux cours de sciences physiques en 6ème. Une version de cette activité devrait être publiée en 2019 dans l’ouvrage «  Développer l’Esprit critique : Outils et méthodes », aux éditions CANOPÉ, mais je vais en décrire les principales étapes sans entrer dans le détail.

  • Le professeur donne tout d’abord aux élèves deux résumés de deux textes issus de sites web existants. L’un porte une information vraie (validée par un consensus scientifique), l’autre une information erronée (sans que l’on sache si c’est intentionnellement ou non).
  • Les élèves sont ensuite amenés à se positionner face à ces affirmations. Le professeur met en lumière les désaccords au sein de la classe : certains élèves doutent du contenu de ces textes
  • Le professeur apporte ensuite une information dérangeante : un des deux textes donne une information erronée ! Plusieurs questions se posent alors :

Lequel est faux ? Comment faire pour le savoir ? Quelle(s) méthode(s) appliquer ?

  • S’ensuit la distribution des documents complets ainsi que leur étude selon différents axes. On demande alors aux élèves de se positionner à nouveau, de manière bien plus argumentée, cette analyse conduisant à un avis quasi-unanime sur le contenu des deux textes.

La carte suivante est donc née de cette dernière question (Quelle(s) méthodes appliquer ?) et de la volonté de clarifier et d’organiser les réponses possibles pour moi, pour les enseignants mais aussi pour les élèves.

CorteX_Carte_Analyse_information_Méthodologie_Enseignants
Carte méthodologique : analyse de l’information pour enseignants, par Julien Machet

Première utilisation : ANALYSER une information ou une affirmation : des axes de questionnement

Question préalable : a-t-on bien compris quelle était cette information ?

Pour cela un bon exercice est de voir si on arrive à résumer l’information en une phrase ou deux. Attention à ne pas se fier au titre (s’il y en a un) : il ne constitue pas forcément un résumé fiable.

Premier axe d’analyse : ÉTUDE DU CADRE

  • Une information nous arrive dans un cadre donné, qu’on le veuille ou non : elle n’arrive de facto pas seule. Elle ne peut être isolée de son contexte présent et de ce que l’on sait déjà. J’entends par cadre tout d’abord le cadre médiatique. On peut ainsi penser qu’une information aura un impact ou une réception différente si elle nous parvient en période électorale ou non, si elle suit ou en précède une autre, si elle est très médiatisée ou non. Je distingue ici le cadre médiatique de la source de l’information, qui mérite un travail approfondi en soi.
  • Lien avec nos connaissances initiales : une information vient s’imbriquer plus ou moins bien avec l’ensemble de nos connaissances actuelles. Il est donc intéressant de se demander si cette information remet en question des savoirs que l’on a déjà considéré comme acquis, et si elle remet en question des actes ou des choix que nous avons faits ? On pense évidemment à éviter le plus possible le biais de confirmation dont nous sommes toutes et tous victimes.
  • J’ai également placé sous cet axe de l’étude du cadre, un grand point un peu fourre-tout intégrant les liens personnels ou relationnels, sans se limiter aux relations affectives, et que l’on peut avoir avec la source de cette information, son auteur, avec le cadre en général ou encore avec la thématique, le sujet de l’information. En effet, avant même de savoir ce qui est dit, il faudrait avoir conscience de notre état émotionnel et affectif, et de ses effets sur le jugement que l’on porte sur l’information reçue. Ne sommes-nous pas déjà un peu d’accord ou pas avec le contenu de l’information avant même d’avoir lu son contenu, du simple fait du cadre médiatique ? Avoir en tête que notre avis va dépendre en partie de notre « proximité » idéologique avec le média qui transmet l’information est déjà un pas de côté nécessaire pour analyser celle-ci. À noter que ce lien au cadre n’est pas forcément un lien affectif et qu’il peut aussi être une confiance que l’on accorde à un cadre donné : si je choisis d’aller suivre un cours dans telle université réputée, il peut être efficace d’accorder au départ du crédit à ce qui va être dit.
  • Cas particulier d’une information reçue « à l’école » : l’étude du cadre scolaire et du cadre de la classe en particulier me semble un axe de travail inévitable. En effet, donner aux élèves un texte contenant une information fausse, ou simplement une information dont la fiabilité doit être étudiée est un acte qui bouscule le cadre « de ce qui se fait en classe » (au moins aux yeux des élèves). De plus, le professeur peut se sentir en difficulté, ou peut estimer prendre des risques, en incitant les élèves à adopter un regard critique sur l’information reçue. En effet il est possible, et souhaitable, que l’élève continue à avoir ce regard critique après l’activité … Notre cours passera-t-il l’examen de ce regard ? Et celui d’un autre collègue ? Avons-nous, en tant qu’enseignant·e, le temps et l’envie de tout justifier ? En sommes-nous capables ? Est-ce souhaitable ?
    Il convient donc à mes yeux d’utiliser simplement la grille d’analyse de la pensée critique pour améliorer et transformer nos cours (évidemment) mais aussi pour apprendre à justifier, à légitimer la confiance que les élèves peuvent avoir dans le contenu des enseignements (cf. conclusion de l’article). Si la parole donnée par l’enseignant·e n’est pas égale à celle de l’élève en ce qui concerne l’expression de faits scientifiques, c’est qu’elle se fait l’écho d’une démarche de construction des savoirs, démarche collective, exigeante et régulée.  La confiance que peut avoir l’élève est donc raisonnée et raisonnable. A ce titre, on est loin du registre de l’obéissance aveugle ou de la révélation.
    La démarche de construction de la connaissance est une démarche où seules la validité des preuves et la pertinence des arguments sont censées entrer en compte. Par conséquent, travailler et expliciter cette démarche en classe c’est aussi installer un cadre collectif où l’humilité, l’honnêteté, l’exigence et la bienveillance sont des valeurs qui guident les propos tenus et les relations humaines. Il faut donc jongler entre, d’une part le fait d’apprendre à être dans un cadre collectif, où chacun se doit d’être à l’écoute et respectueux de la parole de chacun (et cela ne se fait pas spontanément), et d’autre part le fait que l’enseignant·e « fasse autorité » dans la transmission du savoir.
    Au delà de l’équilibre que chacun doit trouver, au delà des évolutions nécessaires de notre système éducatif, il apparaît indispensable que l’élève puisse faire la différence entre un argument imposé via un biais d’autorité, et la parole d’un consensus d’expert·e·s dont on peut accepter raisonnablement qu’il fasse autorité. La limite est souvent subtile, mais les situations où les mécanismes de dominations et les positions d’autorités sont utilisées pour simplement clore la réflexion ou la discussion sont, elles, monnaies courantes.
    Il serait dommage que l’école soit un lieu où l’enfant prenne l’habitude de subir et d’arrêter de réfléchir… Travailler sur le cadre de la classe et la démocratie scolaire est certainement un point indispensable d’un réel enseignement de l’esprit critique. Vaste chantier !

Deuxième axe d’analyse : ÉTUDE DE L’ENJEU

Si cette information est vraie ou fausse, qu’est-ce que ça change pour moi, pour mes proches ou pour le monde en général ? Le principe journalistique de la loi de proximité, permet de relativiser, si cela était nécessaire, le fait que l’on juge spontanément et correctement l’enjeu d’une information. Si l’on ajoute à cela la complexité de notre monde et de son fonctionnement, il peut être très difficile de cerner l’enjeu (ou l’importance) de certaines informations. À noter tout de même que l’on peut émettre l’hypothèse suivante à peu de frais : plus on connait et on comprend notre monde, plus on est à même d’évaluer correctement l’enjeu d’une information.
Ainsi, de façon plus ou moins consciente, nous évaluons certainement l’enjeu (et donc l’intérêt) de l’information reçue : si celui-ci nous semble suffisamment faible, alors il est fort probable que nous n’en fassions pas une analyse poussée. Étant donné le nombre d’informations qui nous parvient chaque jour, il serait bien entendu utopique de s’interroger sur chacun d’entre elles, ce mode de fonctionnement (le tri par intérêt) est donc assez habituel. Pour autant, il est nécessaire d’en avoir conscience : nous laissons bien souvent de côté l’analyse d’informations que nous jugeons sans intérêt.
Par contre si l’enjeu est grand, si cette information nous parait importante, si l’affirmation n’est pas ordinaire alors nous devrions pousser plus loin notre analyse. Ceci fait écho à la maxime de Hume souvent résumée en zététique par « une affirmation extraordinaire nécessite des preuves plus qu’ordinaires ».
Dans notre vie quotidienne nous ne passons souvent pas le cap d’une analyse grossière et plus ou moins consciente du CADRE et de l’ENJEU. Il est probable que nous décidions à ce stade, la plupart du temps, de prendre en compte ou non une information. Or il faudrait, par souci « d’hygiène mentale », réaliser ces deux analyses plus finement et, si l’enjeu potentiel est important, décider alors de pousser l’analyse plus loin avant de se positionner ! Et dans ce cas, la suspension du jugement chère aux sceptiques ne devrait-elle pas être que provisoire ? C’est pourquoi même si je ne vois pas d’ordre chronologique évident selon lequel on devrait appliquer ces différents axes d’analyse, commencer par travailler à conscientiser ces deux là me semble un préalable tout à fait raisonnable et justifié.

Troisième axe d’analyse : Étude de LA SOURCE

Je ne m’étendrai pas sur le sujet, non pas qu’il ne soit pas important, mais il est très souvent traité quand on parle d’analyse de l’information. On peut facilement trouver des méthodes sur ce sujet. Par exemple le 3QPOC pour les sites internet. Il faut évidemment penser à vérifier si l’on peut recouper l’information, trouver d’autres sources (à évaluer également) qui disent la même chose.

Quatrième axe d’analyse : Étude de la FORME

On devrait dire étude des formes, car derrière chaque format de communication (texte écrit, discours oral, image, graphique et tableau, graphisme et mise en page, vidéos, etc.) se cachent des règles de langage, des registres, des styles, des codes culturels explicites ou implicites, des sous-entendus  et parfois des moyens de manipuler le futur récepteur de l’information ! L’étude de la FORME du support de l’information, des langages utilisés et de leur réception est évidemment une source infinie de créativité et d’analyse critique. Quelques exemples d’outils permettant de décrypter cela : effet puits, effet Impactimages mensongères, cadrage en photo, graphiques. On ne manquera pas d’ailleurs de noter que l’étude succincte de la forme de la carte donne quelques indices sur les talents graphico-informatiques de l’auteur de ses lignes. Ce qui n’arrêtera cependant pas le lecteur perspicace parcourant ces lignes…

Cinquième axe d’analyse : Étude du FOND, du propos, du sens

Je décompose ici l’étude du FOND en trois points :

  • L’étude du sens des mots utilisés, des concepts manipulés : sommes-nous d’accord sur leur définition ? Sur leur connotation ? Sont-ils utilisés de façon rigoureuse ? Les concepts manipulés sont-ils sortis abusivement de leur champ disciplinaire ?
  • L’étude des preuves, des références : à quoi se réfère l’affirmation ? Quelles sont les preuves explicites ou sous-jacentes qui viennent appuyer cette information ? Pour cela il est utile de se référer à l’échelle du niveau de preuve en science, illustrée avec talent ici.
  • L’étude des raisonnements, la logique : une fois les mots et les preuves posés, comment sont-elles ou sont-ils mis en rapport ? Comment les arguments sont-ils construits ? À noter que dans le Petit recueil de 25 moisissures argumentatives, on dénombre 5 erreurs classiques de logique « pure » (biais de généralisation, raisonnement panglossien, etc). De manière plus générale, la liste des biais cognitifs qui nous poussent à penser que quelque chose de faux est vraisemblable est très longue, voir par exemple ce codex fait en 2016 et résumant ceux-ci.

Ces axes d’analyse nous permettent de nous positionner de façon argumentée sur la vraisemblance de l’information reçue. Afin de mieux visualiser une échelle allant de l’information assurément fausse à l’information assurément vraie en passant par plusieurs niveaux de doute plus ou moins favorable à l’information, on peut utiliser une sorte de « curseur de vraisemblance » (l’original par Henri Broch ici) comme proposé sur la carte. L’important à mes yeux est de pouvoir se positionner de façon argumentée, et ce, en invoquant des résultats, plus ou moins poussés, des études précédentes sans forcément avoir étudié en détail tous les axes d’analyse !
Exemples de positionnement :

  • La source me semble fiable (auteur connu et respecté qui s’exprime sur son sujet) mais la forme est un peu bizarre (le graphique n’a pas d’axes clairs), et sur le fond il y a un mot qui me semble mal utilisé. Je trouve l’info plutôt fiable, au niveau 4/5.
  • L’enjeu est faible et j’ai plutôt confiance dans l’auteur (qui a écrit tel livre que je juge très bon): je vais considérer ça comme fiable : 3/5
  • Cette affirmation est en contradiction totale avec ce que je sais de la physique de base : information pas du tout fiable : 0/5.

En effet, au-delà de l’outil d’analyse individuelle, pouvoir se positionner de façon argumentée c’est pouvoir exposer sa pensée aux critiques (que l’on espère argumentées et bienveillantes) d’autres personnes, c’est donc pouvoir débattre de façon raisonnée et se laisser la possibilité de construire progressivement un avis plus construit, mieux argumenté et évitant ainsi d’autres erreurs de positionnement.
On peut également décider de suspendre son jugement, d’estimer que l’on n’a pas assez d’éléments pour se positionner, ou que les critères d’évaluation sont contradictoires. En cas de doute ou de suspension du jugement, si l’enjeu est important : il faudrait certainement entreprendre de se renseigner davantage sur le sujet.
On peut aussi dire qu’une information jugée fiable devient une nouvelle connaissance à condition d’avoir appliqué scrupuleusement tous les axes et les biais associés : la validation du savoir en science est une démarche collective, méthodique et exigeante. Apprendre à analyser une information c’est donc aussi se donner des outils méthodologique dont les principes sont les mêmes que ceux d’un chercheur.

Seconde utilisation : ENSEIGNER l’esprit critique. Expliciter les outils méthodologiques sous-jacents

Lors de l’activité menée en 6ème et évoquée en début de présentation, seuls trois axes d’analyse sont présentés aux élèves : la source, le sens des mots et les preuves. Les trois analyses convergent toutes dans le même sens mais c’est surtout l’étude du sens des mots qui nous permet de trancher, car le texte contenant de fausse informations utilise abusivement des concepts scientifiques de base.
Une fois la partie analyse de l’activité terminée, plusieurs points sont abordés en conclusion et apparaissent en général comme évidents pour élèves :

  • Se mettre d’accord sur le sens des mots est indispensable.
  • Il faut analyser la source d’une information.
  • Il va falloir déterminer quand une preuve est fiable ou non.

Et ce afin d’acquérir des savoir-faire, des techniques permettant de mieux trier l’information, de « ne pas se faire avoir ».
Ainsi, à chaque fois que de nouveaux mots de vocabulaire seront introduits, il sera pertinent de faire ressentir aux élèves (via la construction didactique de l’activité) l’aspect nécessaire de ces mots. Ceux qui ont plusieurs sens, ou dont le sens change en fonction du cadre (poids/masse par exemple) seront également présentés en lien avec cette activité introductive.
Pour le travail sur les sources, j’essaie de m’astreindre à deux règles en cours de sciences physiques :

  • Toujours citer la source, toujours évaluer sa fiabilité (même en se contentant souvent de : fiabilité du document selon le professeur : très bonne)
  • Donner parfois des documents aux sources douteuses et aux informations partiellement erronées.

Pour le travail sur les preuves, apprendre à évaluer une preuve et à construire des preuves via l’expérimentation est un travail continu en cours de sciences physiques.
En rajoutant l’étude de la FORME, des langages, j’obtiens une version de carte destinée à être collée dans les cahiers (l’utilité de ce document dans leur cahier est inconnue à ce jour) et surtout à être affichée en classe de manière à pouvoir s’y référer fréquemment en cours. Voici la version élève de cette carte :

Carte méthodologique : analyse de l’information pour les élèves par Julien Machet

J’ai choisi de ne pas détailler ici le CADRE et l’ENJEU mais de les laisser pour pouvoir m’y référer plus facilement, à l’oral, au besoin.

Une autre carte, destinée à rappeler les différentes postures à adopter face à l’information est, elle, affichée en classe

Carte méthodologique : analyse de l’information pour les élèves par Julien Machet (affiche)

Ces deux cartes sont à télécharger en version modifiable (ppt) ou pdf.

De la même manière, deux autres affiches sont présentes dans la classe : le curseur de vraisemblance (visible au centre de la carte) et l’échelle de la preuve en sciences.  Cette dernière affiche est très pratique pour aider à prendre l’habitude de distinguer une simple opinion d’une connaissance construite. De plus, par exemple, lors d’une démarche expérimentale si l’élève énonce une hypothèse ou une conclusion il peut dans les deux cas se positionner de façon argumentée sur le curseur de vraisemblance. L’expérimentation méthodique permet d’apporter (potentiellement) pour la conclusion une preuve plus solide que la simple opinion de départ.
Cette carte, comme la précédente, n’a pas la prétention de présenter une liste exhaustive. Il serait sûrement intéressant qu’elle soit déclinée à ce niveau de simplification (au minimum) dans toutes les matières.
Ce qui m’intéresse en produisant cette carte pour les élèves est d’essayer ainsi :

  1. de montrer que les savoirs, savoir-faire et savoir-être (en collectif) sont utiles voire absolument nécessaires pour trier correctement les informations ;
  2. de développer ainsi des attitudes, des savoir-faire et quelques savoirs propres à l’esprit critique ;
  3. de rendre explicite la méthodologie de la construction de connaissance en science dans l’enseignement des contenus habituels et surtout de justifier l’exigence d’honnêteté intrinsèque à cette méthodologie ;
  4. de tenter de faire toucher du doigt la montagne de travail rigoureux qui a été abattue avant nous et qui nous permet d’avoir toute cette connaissance à disposition. Et de les inciter à savoir également faire confiance de façon raisonnable et justifiée dans les connaissances enseignées.

Je développerai la manière d’intégrer ces différents axes d’analyses dans mes cours dans un prochain article.
Ces cartes et ces réflexions sont amenées à être modifiées et améliorées. N’hésitez pas à me contacter à ce sujet.

Julien Machet : julien_machet@hotmail.com

Conférence Esprit critique et sciences ( Lycée Fourcade – D.Caroti) : quelques extraits

Dans le cadre d’une conférence donnée en novembre 2019 au lycée Marie Madeleine Fourcade de Gardanne, notre collègue Denis Caroti avait été filmé… Mais l’enregistrement n’ayant pas les qualités attendues, nous lui avons demandé de publier certains extraits de celle-ci, en mode diaporama commenté, extraits que nous publions à présent. Cette conférence, organisée par Véronique Bianchi pour la « cafèt des sciences », était à destination des élèves et des enseignants et personnels présents. Merci à ces derniers pour leur accueil chaleureux en coulisse ainsi que pour toute l’attention des élèves pendant cette intervention.

Esprit critique ?

Cette première « pastille » présente ce que l’on peut entendre par esprit critique en lien avec l’enquête et l’analyse de l’information : qu’est-ce que l’esprit critique et pourquoi s’en inquiéter ?

Quelques références pour aller plus loin :

Évaluer les preuves

Dans cette vidéo, après avoir défini la notion de preuve, on présente l’échelle des preuves ainsi que les différents sens du mot science, l’importance de préciser les types de registres qui s’entremêlent dans un débat ainsi que les limites et forces de la science en tant que démarche d’enquête et ensemble de connaissances.

Quelques références pour aller plus loin :

Prendre conscience de la limite de nos sens

Dans la vidéo suivante, on aborde la question de la faillibilité de nos sens à travers quelques exemples d’illusions d’optique classiques : l’objectif n’est pas de faire douter systématiquement de nos sens mais plutôt de faire comprendre qu’ils ne sont pas infaillibles : si l’on souhaite gagner en fiabilité, il sera alors utile (et rationnel) d’avoir recours à des preuves plus solides que notre seule expérience personnelle.

Pour aller plus loin :

  • Doit-on encore présenter le délectable cours en ligne de notre collègue et Cortexien de la première heure Richard Monvoisin qui aborde de nombreux exemples sur la limite de nos sens ?

Comment évaluer un témoignage ?

Dans cette partie, il est question d’apprendre à placer son curseur de vraisemblance en fonction du contenu du témoignage que l’on reçoit : toutes choses égales par ailleurs, plus une affirmation sort de l’ordinaire et des connaissances que l’on a, plus on doit exiger des preuves solides soutenant celle-ci. C’est, entre autre, ce que le philosophe David Hume relevait déjà il y a trois siècles dans son Enquête sur l’entendement humain mais aussi Laplace quelques années plus tard en écrivant : « De ce qui précède, nous devons généralement conclure que plus un fait est extraordinaire, plus il a besoin d’être appuyé de fortes preuves ; car, ceux qui l’attestent pouvant ou tromper ou avoir été trompés, ces deux causes sont d’autant plus probables que la réalité du fait l’est moins en elle-même. » (Théorie analytique des probabilités, 2e édition, 1812, p.17)

L’effet cigogne (ou comment ne pas confondre corrélation et causalité)

Dans cette vidéo, on aborde la fameuse confusion corrélation-causalité, que notre collègue Henri Broch a nommé « Effet cigogne » il y a déjà plusieurs années : un lien statistique entre deux variables (corrélation) n’implique pas forcément un lien de causalité entre celles-ci… Attention, la conclusion sur l’établissement du lien causal n’est pas l’objet de cette vidéo : pour en savoir davantage, voir les références ci-dessous.

Pour aller plus loin :

Effet paillasson et impostures intellectuelles

Dans cette dernière vidéo, on présente ce qu’a nommé Henri Broch « l’effet paillasson » ainsi que les dérives qui y sont liées, notamment en termes d’impostures intellectuelles dans le champ du soin (avec le recours au verbiage pseudoscientifique).

Pour aller plus loin :

Activités Esprit critique et sciences au lycée et collège

Florian Stocker est professeur de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) dans l’académie de Grenoble. Il fait partie de ces collègues que nous avons eu la chance de rencontrer lors de nos formations pour enseignants et qui travaillent en toute discrétion (mais en toute efficacité) dans leurs classes pour développer l’esprit critique de leurs élèves à travers les cours de sciences. L’occasion pour nous de partager les activités qu’il a mises en place ces dernières années : des bases de la démarche scientifique en passant par la toxicologie ou la théorie de l’évolution, les cours de SVT sont l’occasion d’incruster des contenus critiques, la preuve s’il en fallait que « faire le programme » et éduquer à l’esprit critique est non seulement possible mais souhaitable. Merci et bravo à lui !

Voici les différentes activités proposées par Florian. Le titre, l’introduction et les objectifs présentent chacune d’entre elles. Des liens permettent de récupérer les différents documents utilisés.

Introduction à la démarche scientifique

Cette séance peut être réalisée en enseignement commun de 1ère ou de Terminale, sur un temps de 2h.

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Le programme insiste en effet sur la nécessité de former les élèves à la démarche scientifique et de son rôle fondamental dans la compréhension du monde.
Consacrer une séance entière pour parler sérieusement du concept de science peut être un plus.

Objectifs

Cette activité a pour buts :

  • d’apprendre à distinguer opinion, croyance, fait scientifique, science ;
  • de prendre conscience de l’existence de biais cognitifs ;
  • d’apprendre à hiérarchiser les preuves (expérience, étude, témoignage, etc…) ;
  • de comprendre que le travail du scientifique est de lutter contre (ou de valider) des idées préconçues et des préjugés à l’aide d’une démarche rigoureuse.

Documents à télécharger

Les dinosaures ont-ils existé ?

Cette activité peut être réalisée lors du cycle 3 au collège lors de l’étude des classifications des êtres vivants par groupes emboîtés, ou lors du cycle 4 lorsqu’on reparle d’évolution.

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Lorsqu’on enseigne des dans des milieux défavorisés, ces thématiques sont souvent très étrangères aux élèves qui présentent très spontanément une vision « fixiste », qu’elle soit guidée ou non par un milieu culturel spécifique. Très souvent, on se retrouve confronté à des élèves pour qui un dinosaure est plus une marque comme le seraient les Pokémon et autres franchises commerciales…
Comment se débrouiller quand un quart d’une classe vous affirme : « bien sûr que non, les dinosaures n’existent pas ! » ?

Objectifs

Cette activité a pour buts :

  • d’établir pour les élèves l’idée que notre point de vue peut évoluer sur un sujet en fonction des preuves apportées (curseur de vraisemblance…) ;
  • d’amener les élèves à comprendre qu’une posture d’esprit où on ne change jamais d’avis n’est pas rationnelle et peu efficace pour comprendre le monde qui nous entoure ;
  • de confronter les élèves à de vrais fossiles (et de faux éventuellement) ;
  • de déterminer quelles hypothèses sont nécessaires pour admettre l’existence de dinosaures.

Documents à télécharger

S’informer sur les méthodes de contraception naturelles et sur la pilule contraceptive

Cette activité peut être réalisée lors du cycle 4 au collège.
Elle peut s’inscrire dans les programmes de SVT à la fin de la partie sur le fonctionnement des organes reproducteurs ou après avoir étudié le rôle des hormones dans le contrôle du cycle menstruel.
Elle se divise en deux parties, qui occupent 2h entières :

  • Une première où les élèves travaillent en binômes sur à partir de sites internet
  • Une seconde où on met en commun les informations prélevées sur les sites, puis on établit une conclusion sur les critères de fiabilité de l’information et de présentation de la démarche scientifique
    Cette séance a été mise en place en salle informatique en collaboration avec la documentaliste de notre collège ; nous avons ainsi pu faire coanimation et mieux aider les élèves au travail, ainsi que nous répartir les phases magistrales en fonction de nos compétences respectives : correction et repérage des informations pertinentes sur les sites pour la documentaliste, et conclusion sur la démarche scientifique pour moi-même.
    Il existe deux versions de cette séance, une plutôt orientée pilule (plus simple d’accès) et un plutôt pilule vs méthodes naturelles (plus difficile d’accès).

Objectifs

Cette activité a pour buts :

  • d’apprendre à discerner les informations pertinentes de fond (arguments utilisés, sources…) et de forme (auteur, style, expression, volume…) qui permettent de juger du degré de confiance à accorder à un site internet ;
  • de s’informer des avantages et inconvénients de la pilule contraceptive et de discuter de l’importance ou non des risques liés à son utilisation, ainsi que de son efficacité ;
  • de s’informer sur l’efficacité discutable de méthodes contraceptives dites « naturelles » et de l’importance relative de leurs avantages et inconvénients ;
  • d’amener les élèves à découvrir comment sont produits des arguments à base d’études scientifiques et pourquoi la démarche scientifique reste plus fiable qu’une opinion ou une croyance.

Documents à télécharger

Les centrales nucléaires françaises de la vallée du Rhône sont-elles adaptées au risque sismique ?

Cette activité peut être réalisée lors du cycle 4 au collège.
Elle peut s’inscrire dans les programmes de SVT à la fin de la partie dédiée à la compréhension des notions de risque, d’aléa et de vulnérabilité.
J’indiquerai pour cette séance uniquement les éléments en « plus-value » par rapport à une séance classique, c’est-à-dire ce qui peut être ajouté à la fin de n’importe quelle activité sur ce thème pour compléter et remobiliser les notions abordées sur ce sujet. Entre 30 min et 1h sont nécessaires pour cette activité complémentaire.
On peut également envisager cette séance dans la partie « Choix énergétiques et impacts sur les sociétés » dans le programme d’enseignement scientifique de Terminale (plutôt en Physique-chimie), lorsqu’il est demandé de discuter des avantages et inconvénients de choix énergétiques comme le nucléaire.
Voici les liens vers les différents articles utilisés pour le cas où vous souhaiteriez les utiliser en entier :
https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/drome/seisme-du-11-novembre-centrale-nucleaire-du-tricastin-drome-presente-t-elle-danger-1755921.html
https://www.leparisien.fr/societe/seisme-dans-la-drome-la-centrale-nucleaire-de-cruas-arretee-pour-un-audit-11-11-2019-8191077.php
https://www.liberation.fr/checknews/2019/11/12/apres-le-seisme-en-ardeche-doit-on-s-inquieter-de-l-etat-des-centrales-nucleaires-de-cruas-et-tricas_1762771

Objectifs

Cette activité a pour buts :

  • d’étudier le traitement d’un séisme par différents médias, et de s’intéresser aux raccourcis qui peuvent être utilisés ;
  • de s’intéresser aux différents acteurs qui participent aux débats sur le nucléaire (associations, ONG, entreprises, organismes indépendants financés par l’état …) et leurs points de vue ;
  • de comprendre comment est construite une norme sismique, par qui… ;
  • de s’approprier mieux les échelles de magnitudes (puissance) de séismes, et souligner leur caractère logarithmique.

Documents à télécharger

Les pollutions médicamenteuses de l’eau – Introduction à la toxicologie

Cette activité prend place au cycle 4 au collège en SVT. Elle peut s’intégrer dans plusieurs parties du programme, avec notamment la gestion d’une ressource (l’eau), ou encore les interactions entre activité humaine et la préservation des écosystèmes.
Elle nécessite d’avoir préalablement abordé les notions du fonctionnement de la reproduction chez l’homme, et le rôle du contrôle hormonal dans la biologie reproductive. En physique-chimie, il est nécessaire de s’assurer que les élèves sont familiers avec les notions de concentration ; dans le cas contraire, il faut impérativement prévoir des exercices simples d’introduction à cette notion. Il est également nécessaire de s’entraîner à convertir les différentes unités, notamment celles peu utilisées (μg, ng…).
Il peut être intéressant de commencer la séance en distinguant pollution « chimique » et pollution biologique de l’eau, cette dernière causant bien plus de morts : c’est la cinquième cause de mortalité dans le monde (autour de 2 à 3 millions par diarrhées). Les pollutions toxiques ou cancérigènes sont bien moins nombreuses notamment car elles tuent au bout de nombreuses années et pas à coup sûr. Mais finalement, il s’agit d’une question de dose.

Objectifs

Cette activité a pour buts :

  • de comprendre les bases de la toxicologie, et notamment la notion de dose ; ainsi, un produit peut être présent mais si sa teneur est trop faible il peut ne pas causer de problèmes ;
  • de comprendre la notion de perturbateur endocrinien et le danger qu’ils représentent pour l’environnement voire l’homme par une action à très faible dose ;
  • d’alerter sur les risques encourus par les écosystèmes par la pollution, souvent oubliés par la préoccupation en termes de santé humaine ;
  • de comprendre la nécessité de surveiller la teneur en hormones de synthèse des cours d’eau et de l’eau potable ;
  • de comprendre que les stations d’épuration jouent souvent un rôle d’élimination des polluants chimiques ;
  • de discuter la qualité de l’eau dans les pays dits « développés » et les pays plus pauvres où la qualité de l’eau est bien plus discutable ;
  • de se rassurer quant à la consommation d’eau ou d’aliments pollués par chez nous : de nombreux articles alarmistes détectent des traces de produits dans l’eau ou les aliments, mais c’est la dose qui fait le poison ;
  • de présenter des données issues d’études scientifiques ; comprendre le principe d’une méta-analyse ;
  • de s’entraîner à manipuler les unités et les conversions.

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La théorie de l’évolution est-elle valide ?

Cette activité prend place en classe de 2nde générale et technologique.
Elle peut s’inscrire dans les programmes de SVT à la fin de la partie dédiée aux forces évolutives influençant la biodiversité : pour la mener correctement, il est donc nécessaire que les élèves aient déjà étudié les notions de mutation, de dérive génétique et de sélection naturelle.
Elle dure deux séances de 1h30.

Objectifs

Cette activité a pour buts :

  • de définir ce qu’est une théorie scientifique et de distinguer l’usage courant du mot théorie de l’application de ce terme au domaine scientifique ;
  • de comprendre les caractéristiques qui permettent d’estimer la solidité d’une théorie scientifique ; apprendre à distinguer ce qui peut ou non être remis en cause par de nouvelles découvertes et comment évolue une théorie scientifique ;
  • de consolider la compréhension de la théorie de l’évolution et revoir les forces évolutives ;
  • d’identifier qui cherche à rejeter cette théorie et comprendre que leur démarche n’est pas scientifique ;
  • de critiquer quelques arguments créationnistes.

Documents à télécharger

Esprit critique : outils et méthode pour le 2nd degré

Depuis le lancement du Cortecs en 2010, on rêvait de voir naître un livre consacré à l’esprit critique et s’adressant à tous les enseignants et personnels du collège et lycée, toutes disciplines confondues. Édité par Canopé et paru en mai 2019, on peut dire que c’est fait ! Codirigé par Gérald Attali (inspecteur d’histoire et géographie), Abdennour Bidar (Inspecteur Général de L’Éducation Nationale en philosophie, Denis Caroti (enseignant, formateur et chercheur doctorant), et Rodrigue Coutouly (personnel de direction et à l’époque Proviseur Vie Scolaire), cet ouvrage est le fruit d’un immense travail collectif, bâti entre autre par de nombreux enseignants ayant déjà contribué aux ressources du Cortecs : Vanessa August, Anne André, Marie-Hélène Hilaire, Marion Margerit, Julien Machet, Delphine Laugier, Aline Chirouze, Marie-Laurence Tinet, Guillemette Reviron et bien d’autres dont Pierre Leveau, Hélène Audard, Céline Persini et Stéphanie Bejian qui ont apporté tout leur savoir-faire pour le travail d’édition. Puisse cet ouvrage être un outil utile au service de toute personne, enseignant ou pas, désirant conduire des activités en lien avec l’éducation à l’esprit critique !

Résumé tiré de la page : http://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/jcms/c_10719993/fr/ouvrage-canope-esprit-critique-outils-et-methodes

Fruit d’un travail collectif mené depuis 2016 entre Canopé et le rectorat d’Aix-Marseille, le livre « Esprit critique : outils et méthodes » publié en mai 2019 dans la collection Agir est un concentré de séquences pédagogiques pour toutes les disciplines. Plus d’une vingtaine d’auteurs ont participé à l’élaboration du contenu, basé sur des expériences de terrain et mises en œuvre au collège et au lycée. L’introduction et la première partie reviennent sur des considérations plus générales, cadres didactique et philosophique ainsi que sur le lien avec les programmes de l’enseignement secondaire. Un chapitre est entièrement consacré aux projets d’établissements.

C’est du sommaire de cet
ouvrage, et par souci de cohérence et de continuité, que les catégories
de présente dans la partie Pédagogie ont été créées. Nous ne manquerons
pas de publier les dernières actualités en lien avec les productions du
site Canopé – Développer l’esprit critique.

Voici la description qu’en donne l’éditeur :

Comment développer
l’esprit critique des élèves et l’exercer avec eux dans le cadre des
programmes du second degré ? Cet ouvrage propose, à travers plus d’une
vingtaine de séquences, des outils et des méthodes éprouvés,
transférables à différents niveaux et contextes, autour de trois
compétences principales : 

  • questionner et mettre à l’épreuve, 
  • analyser et vérifier, 
  • argumenter et débattre. 

Son ambition est de
montrer que l’ensemble des attitudes et habitudes qui constituent
l’esprit critique peut être cultivé quelles que soient les disciplines,
parce qu’il les traverse toutes. Exposant les enjeux et préconisations
liés à cette question, il prend également en compte la dimension
collective de l’esprit critique au sein de l’établissement et de ses
projets citoyens. 


Destiné aux enseignants, ainsi qu’aux équipes éducatives et de
direction des collèges et lycées, il offre des réponses concrètes et des
démarches variées pour faire apparaître les enjeux cognitifs, éthiques,
culturels et civilisationnels de l’esprit critique, à l’échelle de la
classe comme de l’établissement. Cet ouvrage existe en version
numérique.

CorteX_Chiffres_de_la_delinquance_Diagrammes_Surrepresentation

Sciences politiques et Statistiques – Analyse de chiffres sur la délinquance

Dans les nombreux débats sur la délinquance 1 pleuvent chiffres et statistiques, la plupart du temps sans qu’aucune précaution ne soit prise pour replacer ces chiffres dans leur contexte ou pour expliquer ce qu’ils traduisent réellement.
Pourtant, ces chiffres, particulièrement difficiles à obtenir que ce soit pour des raisons techniques ou éthiques, ont un impact très fort sur les représentations que nous nous faisons de la situation. Il m’a donc semblé important de faire un bilan de ce qui était vérifié et ce qui ne l’était pas, pour lutter contre les idées reçues et leurs conséquences sociales.
 
Le matériau de base de cet article est le fameux débat entre B. Murat et E. Zemmour chez T. Ardisson.
Une des notions statistiques clés abordées ici est la notion de surreprésentation.

Extrait de Salut les terriens, 6 Mars 2010.

Retranscription de la fin de la discussion :
B. Murat :
Quand on est contrôlé 17 fois dans la journée, ça modifie le caractère
E. Zemmour :
Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois par jour ? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. C’est comme ça, c’est un fait !
B. Murat :
Pas forcément, pas forcément.
E. Zemmour :
Ben, si.

A la suite de cette émission, E. Zemmour déclare dans Le Parisien du 08.03.2010 :

Ce n’est pas un dérapage, c’est une vérité. Je ne dis pas que tous les Noirs et les Arabes sont des délinquants ! Je dis juste qu’ils sont contrôlés plus souvent parce qu’il y a plus de délinquance parmi eux. Demandez à n’importe quel policier.

Avant-propos

Si le but premier de ce travail est d’analyser ces échanges d’un point de vue statistique, il me semble tout de même nécessaire de commencer par faire quelques remarques :

  • Autorité
    Quelle est la l’expertise de E. Zemmour et B. Murat sur le sujet ? Ont-ils une expertise scientifique c’est-à-dire dépassant le cadre de la simple opinion ? Ont-ils réalisé une étude sociologique sur la question ? Ont-ils réalisé un bilan des connaissances sur le sujet ? Si la réponse est non, il y a de fortes chances qu’ils n’expriment sur ce plateau qu’une opinion personnelle. Se poser cette question (et aller chercher la réponse) est essentiel pour déceler d’éventuels arguments d’autorité.
  • Source de l’information – Le témoignage
    Quelles sont les sources des deux protagonistes ?
    Pour B. Murat, on ne sait pas.
    Pour E. Zemmour, n’importe quel policier. Mais n’oublions pas ce proverbe critique (ou facette zététique) : un témoignage, mille témoignages, ne font pas une preuve. Le fait que mille personnes assurent avoir vu des soucoupes d’extra-terrestres n’est pas une preuve de leur existence.
  • Prédiction auto-réalisatrice
    Les propos d’E. Zemmour constituent une prédiction auto-réalisatrice. Considérons en effet qu’un délinquant est quelqu’un qui a été qualifié comme tel après avoir été arrêté par la police et acceptons momentanément les prémisses d’E. Zemmour :
    (a) La plupart des trafiquants sont Noirs et les Arabes
    (b) Le contrôle d’identité est efficace pour détecter des trafiquants.
    Si une majorité de policiers pensent que la phrase (a) est vraie, ils tendront à contrôler plus les Noirs et les Arabes. Et si la phrase (b) est vraie, ils tendront à trouver, de fait, plus de délinquants Noirs et Arabes. Ils conforteront ainsi les dires d’E. Zemmour.
  • Plurium interrogationum, essentialisation et effet cigogne
    Dans la dernière partie de ce travail, nous discutons du sens et de la validité statistique de la phrase Il y a plus de délinquance chez les Noirs et les Arabes, mais nous n’aborderons pas une autre prémisse qui, même si ce n’est pas l’intention de l’auteur, est très souvent entendue dans cette même phrase : Les Noirs et les Arabes sont plus délinquants (par essence) que les Autres.
    L’analyse de cette prémisse, ou plus exactement du raisonnement Il y a plus de Noirs et d’Arabes en prison ; on peut en déduire que les Noirs et les Arabes sont plus délinquants que les Autres fera l’objet d’un TP à part entière. C’est un bel exemple d’effet cigogne.
    En attendant, vous pouvez lire un article sur ce sujet dans le livre Déchiffrer le monde de Nico Hirtt, intitulé Méfiez-vous des grandes pointures ; il y est expliqué comment d’autres variables sont corrélées, tout autant que la variable « être Noir ou Arabe », à la fréquentation des prisons : pauvreté économique mais aussi niveau scolaire faible, avoir des parents analphabètes ou… avoir de grands pieds – nous laissons soin au lecteur de trouver une raison à cette dernière observation. Ce dernier exemple permet, il me semble, de mesurer à quel point une corrélation interprétée sans précaution comme une causalité peut se révéler être un non sens total.

Première partie : que représentent les chiffres de la délinquance ?

B. Murat comme E. Zemmour s’appuient sur des chiffres pour étayer leurs propos et placent ainsi le débat dans le domaine des statistiques. Ils ont tous les deux beaucoup d’assurance et s’expriment comme si les chiffres allaient de soi et étaient connus de tous.
Or, quand des chiffres sont avancés pour étayer un argumentaire sur la délinquance, il est parfois très difficile de comprendre de quoi l’on parle exactement, ce que l’on aurait voulu dénombrer et ce que l’on a vraiment compté.
D’ailleurs, les organismes qui produisent ces chiffres précisent et décrivent très minutieusement ce qu’ils ont dénombré exactement ; leurs chiffres sont à prendre pour ce qu’ils sont, et non pour ce qu’on voudrait qu’ils soient.

Voici quelques citations parmi d’autres issues de la description de la méthodologie utilisée par la Direction centrale de la police judiciaire pour réaliser le rapport intitulé Criminalité et délinquance constatées en France (2007).

Que choisit-on de compter pour décrire la criminalité et la délinquance en France ?

Page 12 : B – LA REPRÉSENTATIVITÉ DES STATISTIQUES
Que représentent les statistiques de la criminalité et de la délinquance constatées par les services de police et les unités de gendarmerie ? Autrement dit, quelles en sont les limites dans le champ des infractions ?

1 – LE CHAMP DES STATISTIQUES
Il ne comprend pas les infractions constatées par d’autres services spécialisés (Finances, Travail…), les contraventions, les délits liés à la circulation routière ou à la coordination des transports.
La statistique ne couvre donc pas tout le champ des infractions pénales. Elle est limitée aux crimes et délits tels que l’opinion publique les considère. Elle correspond bien à ce que l’on estime relever de la mission de police judiciaire (police et gendarmerie).

Tri sélectif de données : on peut constater un premier tri sélectif des données : ne sont comptés que les crimes et délits constatés. On sait cependant que dans certains cas, les victimes n’osent pas parler, comme par exemple les victimes de viols, les hommes et les femmes battus ou le harcèlement au travail…

Opinion publique pour légitimer un second tri sélectif : on peut également se demander qui est l’opinion publique et le on qui définissent si clairement ce qu’est ou non une infraction pénale. Et quelles sont les bases qui permettent à l’auteur du rapport d’affirmer que l’opinion publique ne considère pas comme infraction relevant du pénal des infractions au droit du travail, ou les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent, voire le financement du terrorisme 2, qui relèvent du service TRACFIN du ministère des finances. Un deuxième tri sélectif des données est opéré.


Plus précisément, comment sont créées les variables statistiques (ici, les désignations de tel ou tel délit) ?

Page 13 : 2 – LE RAPPORT DES STATISTIQUES À LA RÉALITÉ
Il n’y a pas de criminalité « en soi » mais des comportements désignés comme illicites par la collectivité. Tout naturellement, ces comportements sont alors dénombrés à partir des « désignations » que constituent les procédures judiciaires. Un comportement illicite non « désigné » aux autorités judiciaires n’est donc pas pris en compte.

«comportements désignés» : par qui ?
Comme illicites : donc en vertu d’une loi, qui peut changer ; par exemple, l’adultère n’est plus puni pénalement depuis 1975
– par la collectivité : qui est la collectivité ? Comment s’exprime-t-elle ?

Au regard des trois derniers points, le Tout naturellement semble pour le moins incongru ; d’autant plus quand, dans la phrase précédente, il est explicitement dit Il n’y a pas de criminalité « en soi ». Il semble donc, au contraire, que la désignation des délits relève d’un choix : il est décidé que l’on comptera un acte comme délit s’il peut être désigné par une des procédures judiciaires répertoriées au préalable, cette liste étant décidée par la collectivité. Et ce choix peut évoluer. Rien de naturel donc.

Comment interpréter la variation d’une variable ?

Page 13 : Par ailleurs, il faut noter que le nombre de faits constatés peut s’accroître ou diminuer selon l’importance des moyens mis en oeuvre pour combattre un phénomène (comme par exemple la toxicomanie) ou à la suite de variation dans le mode de sanction des infractions (par exemple, la dépénalisation en 1991 des chèques sans provision d’un faible montant)

Effet cigogne : ce qui se dit ci-dessus permet de prédire une floppée d’effets cigognes dans les médias, lors de repas dominicaux ou sur les terrasses de cafés : la variation d’un chiffre ne reflète pas nécessairement la variation du nombres de délits effectifs mais peut refléter une hausse des moyens mis en oeuvre pour le combattre. C’est un biais très sérieux. Par exemple, plus il y a d’agents sur le terrain pour mesurer la vitesse des automobilistes, plus il y a d’excès de vitesse constatés. Il n’est absolument pas possible d’en conclure qu’il y a de plus en plus de chauffards.
Vous repèrerez quasiment tous les jours des effets cigognes à ce sujet dans vos médias préférés.


Comment sont produites les données ?

Page 13 : 3 – LA QUALIFICATION DES FAITS
[…] Chaque fait à comptabiliser est affecté à tel ou tel index de la nomenclature de base en fonction des incriminations visées dans la procédure. Naturellement, il ne s’agit que d’une qualification provisoire attribuée par les agents et officiers de police judiciaire en fonction des crimes et délits que les faits commis ou tentés figurant dans les procédures sont présumés constituer. Seules les décisions de justice établiront la qualification définitive, quelques mois et parfois plus d’une année après la commission des faits. Or, il ne saurait être question d’attendre les jugements pour apprécier l’état de la criminalité, de la délinquance et de ses évolutions.

Effet paillasson : Une fois les variables créées, il est dit explicitement que, par manque de temps, il n’est pas possible d’attendre une désignation définitive des faits, ce qui rajoute un biais. Comment, en effet, s’assurer que la qualification des faits par un agent de police est celle qui sera retenue par la suite ? D’autant plus que l’agent n’est pas un observateur neutre, la qualification des faits pouvant influencer sa propre évaluation par ses supérieurs ; il est alors envisageable que cela puisse modifier, même de manière involontaire, son évaluation de la situation. Par ailleurs, rien n’assure que la personne poursuivie pour ce crime ou ce délit sera jugée coupable.


Conclusion

Tris sélectifs et invocation de l’opinion publique voire pour définir ce qui constitue un acte de délinquance, non indépendance des variables « nombre de délinquants » et « nombre d’agents luttant contre la délinquance », relevé des données biaisé : ces chiffres sont à utiliser avec de nombreuses précautions.


2ème partie : quelles statistiques sur le contrôle d’identité

Propos de B. Murat :

« Quand on est contrôlé 17 fois par jour »

ou

  • Quelles sources disponibles ? Quelle méthodologie ? Quels résultats ?
  • Quelles conséquences d’une mauvaise utilisation des chiffres ?

D’où vient le chiffre 17 ?

Comme B. Murat ne cite pas ses sources, on peut émettre différentes hypothèses : il connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un (Ami d’un ami) et l’information mériterait d’être vérifiée ; ou il utilise une exagération pour mettre en relief son propos (effet impact d’une hyperbole) ; ou il a lu une étude sur le sujet ; ou il propage une idée commune mais non vérifiée. Je n’ai trouvé trace d’aucune étude énonçant ces chiffres, mais il existe une étude sur le sujet, menée en 2009 par deux membres du CESDIP – laboratoire de recherche du CNRS mais également service d’études du ministère de la Justice – F. Jobard et R. Lévy , intitulée Police et minorité visible : les contrôles d’identité à Paris.
Je n’en ai pas trouvé d’autres. Il est d’ailleurs dit p. 9 du rapport : Cette étude, qui présente des données uniques sur plus de 500 contrôles de police, est la seule menée à ce jour, propre à détecter le contrôle à faciès en France.

Quelle méthodologie et quelles notions pour établir des satistiques sur les contrôle au faciès ?

F. Jobard explique la méthodologie employée :

{avi}CorteX_Delinquance1_Jobard_Methodologie_controle_identite{/avi}

Les notions de surreprésentation et d’odds-ratio :
Que signifie la phrase « Telle catégorie est plus contrôlée que telle autre » ? Comment le mesurer ?
Quand on parle de surreprésentation, il faut faire attention à ne pas détacher des données importantes ; par exemple, si 10 Noirs et 5 Blancs ont été contrôlés, on ne peut pas affirmer pour autant que les Noirs sont 2 fois plus contrôlés que les Blancs. En effet, si les contrôles se font dans un lieu où se trouvent deux fois plus de Noirs que de Blancs, la population Noire contrôlée n’est pas surrepésentée dans la population contrôlée.

CorteX_Chiffres_de_la_delinquance_Diagrammes_Surrepresentation

Dans la première population imaginée, nous avons :
– 1 000 Noirs ou Arabes (bleu)
– 500 Blancs (orange)
– 10 trafiquants Noirs ou Arabes (bleu)
– 2 trafiquants Blancs (orange)

Les Noirs et les Arabes sont surreprésentés.

Dans la deuxième population imaginée, nous avons :
– 1 000 Noirs ou Arabes (bleu)
– 500 Blancs (orange)
– 10 trafiquants Noirs ou Arabes (bleu)
– 5 trafiquants Blancs (orange)

Les Noirs et les Arabes ne sont pas surreprésentés.

Il faut donc impérativement connaître la composition de la population globale du lieu d’observation avant de conclure à la surreprésentation et utiliser un outil statistique qui en rende compte, par exemple le odds-ratio dont vous pourrez trouver une définition sur wikipedia.

F. Jobard et R. Lévy nous expliquent comment l’interpréter :

L’odds-ratio compare entre elles les probabilités respectives de contrôle des différents groupes Les odds-ratios présentés dans ce rapport ont tous comparé les groupes relevant des minorités visibles à la population blanche, de sorte que l’odds-ratio se lit de la manière suivante : « Si vous êtes Noir (ou Arabe, etc.), vous avez proportionnellement x fois plus de probabilités d’être contrôlé par la police que si vous étiez Blanc ». L’odds-ratio est reconnu comme la meilleure représentation statistique de la probabilité affectant différents groupes d’une même population compte tenu de la composition de cette population.
L’absence de contrôle au faciès correspond à un odds-ratio de 1,0 : les non-Blancs n’ont pas plus de probabilité d’être contrôlés que les Blancs. Les odds-ratios allant de 1,0 à 1,5 sont considérés comme bénins, ceux allant de 1,5 à 2,0 comme le signe d’un traitement différencié probable. Les ratios supérieurs à 2,0 indiquent qu’il existe un ciblage des minorités par les contrôles de police.

Quels sont les résultats de l’étude ?

  1. Sur l’ensemble des 5 lieux d’observation, les Noirs (resp. les Arabes) ont entre 3,3 et 11,5 fois (resp. entre 1,8 et 14,8) plus de chances d’être contrôlés que les blancs. Le contrôle « au faciès » est donc avéré.
  2. Cependant, d’autres variables sont importantes, en particulier la tenue vestimentaire. Comme il l’est précisé dans le résumé de l’étude p. 10.
    Il ressort de notre étude que l’apparence vestimentaire des jeunes est aussi prédictive du contrôle d’identité que l’apparence raciale. L’étude montre une forte relation entre le fait d’être contrôlé par la police, l’origine apparente de la personne contrôlée et le style de vêtements portés : deux tiers des individus habillés « jeunes » relèvent de minorités visibles. Aussi, il est probable que les policiers considèrent le fait d’appartenir à une minorité visible et de porter des vêtements typiquement jeunes comme étroitement liés à une propension à commettre des infractions ou des crimes, appelant ainsi un contrôle d’identité.
    Il est important de noter que plusieurs corrélations – entre « être Noir ou Arabe », « être habillé jeune » et « être contrôlé »- sont établies. La relation de causalité « être Noir ou Arabe » implique « être contrôlé » mérite donc d’être discutée. En effet, si nous exagérons les faits et que nous supposons que tous les Noirs et Arabes et seuls les Noirs et les Arabes s’habillent jeunes, on ne saurait pas si le critère du contrôle est « être Noir ou Arabe » ou « être habillé jeune ».
    En réalité, la force prédictive de ces deux variables est à peu près équivalente.[…]En tout état de cause, même si l’apparence vestimentaire était la variable-clé de la décision policière, cela aurait un impact énorme sur les minorités visibles, dans la mesure où leurs membres sont plus susceptibles que les Blancs d’arborer une tenue « jeune ». En effet, deux tiers des personnes en tenue « jeune » appartiennent également à une minorité non-Blanche. Si l’on considère les trois groupes principaux, seulement 5,7% des Blancs de la population de référence portent une tenue « jeune », contre 19% des Noirs et 12,8% des Arabes. En d’autres termes, on peut dire de la variable « tenue jeune » qu’elle est une variable racialisée : lorsque la police cible ce type de tenues, il en résulte une surreprésentation des minorités visibles, en particulier des Noirs, parmi les contrôlés.
  3. Sur la fréquence des contrôles (attention, ces chiffres sont basés sur la déclaration des personnes contrôlées et n’ont pas été établis de manière rigoureuse).
    À la question de savoir si c’était la première fois qu’elles étaient contrôlées, une grande majorité de personnes interrogées (82%) a répondu par la négative. 38% ont indiqué être contrôlées souvent, 25% ont indiqué avoir été contrôlées de deux à quatre fois par mois, et 16% ont indiqué être contrôlées plus de cinq fois par mois. Il faut remarquer que l’éventail du nombre de contrôles dans cette dernière catégorie était étendu, les personnes indiquant avoir été contrôlées entre cinq et neuf fois le mois précédent, jusqu’à un total de 20 fois.

Quelles conséquences des approximations contenues dans les propos de B. Murat ?

Il est probable que B. Murat ait gonflé ce chiffre pour appuyer son discours, et qu’il ne pensait pas vraiment que le fait de contrôler les mêmes personnes 17 fois par jour est une pratique courante dans les banlieues.

Cependant, n’oublions pas que B. Murat pour répond à l’argument : « Il y a de la délinquance dans les banlieues ». On peut alors penser qu’il sous-entend qu’une des causes de cette délinquance est la répétition des contrôles. Si cela semble plausible pour, par exemple, ce qui concerne le délit d’outrage à agents – plus on est contrôlé, plus le nombre d’occasions « d’outrager » un agent de police est élevé – je ne connais pas d’étude qui démontrerait cette relation de cause-conséquence dans le cadre général. Ceci est probablement un effet cigogne.

En revanche, ce que tend à montrer la partie qualitative du rapport de F. Jobard et R. Lévy, c’est que le contrôle d’identité est perçu comme une agression par les personnes qui en sont les cibles, même si la plupart du temps et selon l’avis même des personnes contrôlées, le contrôle est mené sans agressivité de la part des agents.

Malgré le caractère généralement neutre ou positif des jugements sur le comportement de la police, ces contrôles ont suscité des sentiments très négatifs. Quelques personnes ont simplement déclaré que la police ne faisait que son travail et que le contrôle ne les avait pas dérangées. Mais près de la moitié des personnes interrogées ont indiqué être agacées ou en colère du fait du contrôle.[…] Le préjudice que les pratiques de contrôle de police causent à la relation que la police entretient avec les personnes objet de contrôle est manifeste.

Cette pratique est ressentie comme violente et humiliante par ceux qui la vivent donc la question de son efficacité mérite d’être posée. Je précise ma pensée : si le but de la politique est de minimiser la souffrance globale de la population et si le contrôle est vécu comme violent, il me semble tout de même nécessaire de s’assurer du fait que cette pratique est indispensable pour lutter contre une autre violence, celle dite « de la délinquance ». Savoir si cette condition est suffisante pour légitimer le contrôle d’identité est encore une autre question.


Partie 3 : quelles statistiques ethniques de la délinquance ?

Propos d’E. Zemmour :

« La plupart des trafiquants sont noirs et arabes. »

Quelles variables aléatoires ? Quelles sources ? Quelles conclusions ?

Trame du raisonnement :
a. La plupart des trafiquants sont noirs et arabes
+ b. Le contrôle d’identité permet d’attraper les trafiquants
=> c. En contrôlant plus les noirs et les arabes, on attrapera plus de trafiquants,

Pour tester la validité de la prémisse a, notons que la phrase La plupart des trafiquants sont Noirs et Arabes est une affirmation statistique, mal énoncée certes, mais relevant de la statistique tout de même. E Zemmour sous-entend donc que ces satistiques existent et que quelqu’un a dénombré tous les trafiquants (T), puis les trafiquants Arabes (Ta) ou Noirs (Tn) et a calculé le rapport (Ta+Tn)/T et a trouvé ainsi une probabilité supérieure à 0,5.

Quelles variables statistiques dans la prémisse (a) ?

Le « nombre de trafiquants » est une mauvaise variable statistique. On ne sait même pas de quel trafic on parle : de voitures, de drogue, de subprimes, d’armes, de sous-marins, de cigarettes, d’organes, de diamants, d’oeuvres d’art… ?
On peut supposer qu’E. Zemmour pense au trafic de drogue. Soit. Mais de quelle drogue ?
Comment peut-on compter les trafiquants ? Ceux qu’on a attrapés ? Ceux qui détenaient beaucoup de drogue ? Un peu ? Sont-ils représentatifs de la population des trafiquants ? Considère-t-on qu’on est trafiquant dès lors qu’on a « trafiqué » une fois ?
Une variable statistique pertinente – dans le sens : que l’on peut dénombrer convenablement – serait, par exemple, le « nombre de personnes condamnées pour détention de cannabis ». Une phrase qui aurait un sens statistique serait : « Il y a plus de Noirs et d’Arabes parmi les personnes condamnées au moins une fois dans les 5 dernières années pour une infraction sur les drogues ». Cette phrase a un sens; elle peut être vraie ou fausse.

« Etre Noir » ou « être Arabe » ou « être Blanc » sont également de mauvaises variables statistiques. Quand commence-t-on ou arrête-t-on d’être Noir, Arabe ou Blanc ? Quand un des parents l’est ? Ou bien les deux ? Ou une grand-mère suffirait ? Pour « trancher » la question, certains pensent même à utiliser la consonance du nom de famille, comme cela a déjà été fait dans un article du Point :

Le Point a pu consulter ces notes, dans lesquelles il apparaît que plus de la moitié, voire 60 ou 70%, des suspects répertoriés ont des noms à consonance étrangère. Cet élément est délicat à manipuler. En aucun cas l’on ne saurait déduire avec certitude une origine d’un patronyme. Il ne s’agit pas non plus de tirer des conclusions absurdes sur un caractère « culturel » de la criminalité. Mais écarter ces constatations d’un revers de manche est une grave erreur qui occulte l’échec de l’intégration.

On remarquera que la gravité de la conclusion, occulter l’échec de l’intégration, méritait pourtant qu’on s’assure de la qualité des prémisses du raisonnement.

Quelles sources pour les statistiques ethniques ou raciales dans la prémisse (a) ?

Si le fait d’établir des statistiques ethniques est en général illégal, certaines dérogations sont accordées par la CNIL. Par exemple, elle peut autoriser sous certaines conditions la collecte d’informations sur le pays d’origine des individus ou de leurs parents (on pourra aller consulter les 10 recommandations de la CNIL ). Comme le rapporte un article du Monde du 05/02/2010 :

De fait, si la loi Informatique et liberté de 1978 énonce une interdiction de principe sur le traitement statistique des données sensibles, elle permet d’y déroger, sous contrôle de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) et à condition de respecter certains critères (consentement individuel, anonymat, intérêt général…).

Notons toutefois qu’il n’existe pas de statistiques sur des « variables » du type Blancs, Arabes et Noirs, à une exception près, exception de taille : à mon grand étonnement je l’avoue, il existe un fichier confidentiel, nommé Fichier Canonge, qui classe les « délinquants » par « type » physique. Voici ce qu’en dit l’Express du 07/02/2006 :

A quoi ressemblent les délinquants de tous les jours? Pour le savoir, il suffit de se plonger dans un fichier méconnu, baptisé «Canonge», qui comporte l’état civil, la photo et la description physique très détaillée des personnes «signalisées» lors de leur placement en garde à vue. Grâce à cette base de données présentée à la victime, celle-ci peut espérer identifier son agresseur. Or ce logiciel, réactualisé en 2003, retient aujourd’hui 12 «types» ethniques: blanc-caucasien, méditerranéen, gitan, moyen-oriental, nord-africain-maghrébin, asiatique-eurasien, amérindien, indien, métis-mulâtre, noir, polynésien, mélanésien.

Cet outil est à manier avec prudence. D’abord, parce que, même si le Canonge est légal, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) interdit d’exploiter ses renseignements à d’autres fins que celle de la recherche d’un auteur présumé. Ensuite, parce qu’il ne dit rien de la nationalité et de l’origine de l’individu – qui peut être français depuis plusieurs générations malgré un physique méditerranéen, par exemple. Enfin, parce que les mentions sont portées par l’officier de police, avec la part de subjectivité que cela suppose.

Remarque : les mêmes précautions sont à prendre qu’avec les chiffres du rapport Criminalité et délinquance constatées en France (tris sélectifs de données, prédicion auto-réalisatrice, subjectivité des observateurs…)

Quelle population de référence pour établir la surreprésentation dans la prémisse (a) ?

Quand E. Zemmour prétend que la plupart des trafiquants sont Noirs ou Arabes, il énonce un résultat de surreprésentation : les Noirs ou les Arabes sont surreprésentés dans la population des trafiquants. Mais cela ne vous a pas échappé : cette notion n’a de sens que si l’on connaît la population de référence. Il est probable qu’E. Zemmour considère la population résidant en France, mais cela n’a pas vraiment de sens, puisque toutes ces personnes ne vivent pas forcément dans des conditions externes égales. Pour savoir si les Noirs ou les Arabes sont surreprésentés, il me semblerait préférable de considérer la population « susceptible d’être délinquante » (si tant est qu’on puisse donner un sens rigoureux à cette expression), c’est-à-dire celle qui vit dans les mêmes conditions que les « délinquants ».

Quelle probabilité conditionnelle dans l’implication (a)+(b) => c ?

Les prémisses (a) et (b) n’entraînent pas (c). Nous avons là un bel exemple de sophisme Non sequitur, dû à une erreur d’inversion de probabilité conditionnelle.
On retrouve le même sophisme dans les phrases suivantes, où il est plus facile à repérer

La plupart des pédophiles sont Blancs donc il faut plus contrôler les Blancs.
OU
La plupart des inculpés français dans l’affaire des frégates de Taïwan sont Blancs donc il faut plus contrôler les Blancs.
OU
Tous les incestes sont commis par un membre de la famille donc il faut contrôler tous les membres de sa famille

En fait, E. Zemmour s’emmèle les probabilités conditionnelles.

Ce n’est pas parce que la proportion de Noirs et d’Arabes est importante dans la population des trafiquants – dans ce cas on considère P(N U A/T) – que la proportion de trafiquants est importante dans la population Noire et Arabe – ici on regarde P(T/N U A). Vous en serez encore plus convaincu si vous prenez les autres versions du sophisme.

Exemple :
Imaginons une population composée de 1 000 personnes, dont :
– 400 Noirs ou Arabes
– 600 Blancs
– 7 trafiquants : 5 Noirs ou Arabes et 2 Blancs
Dans cet exemple,
P(NUA / T) = Nombre de Trafiquants Noirs ou Arabes / Nombre de Trafiquants ≈ 71,4%
P(T / NUA) = Nombre de Trafiquants Noirs ou Arabes / Nombre de Noirs ou Arabes ≈ 1,2%
Les ordres de grandeur sont radicalement différents.

Notons qu’E. Zemmour revient sur ce point dans le Parisien et le rectifie. Cependant, quand il dit « Je dis juste qu’ils sont contrôlés plus souvent parce qu’il y a plus de délinquance parmi eux« , le parce que légitime la pratique du contrôle et sous-entend qu’on a des chances d’attraper des trafiquants de cette manière et donc que la probabilité P(T/A U N) est élevée ; sa prémisse de départ est, rappelons-le, que P(A U N/T) est élevée.

Quelles conséquences des approximations contenues dans les propos d’E. Zemmour ?

Ces propos sont très essentialistes même, encore une fois, si ce n’était pas l’intention de l’auteur. La phrase « La plupart des trafiquants sont Noirs ou Arabes » est très souvent entendue comme « Ils sont délinquants parce qu’ils sont Noirs ou Arabes » (effet cigogne), ce qui n’a aucun fondement scientifique et qui exacerbe le racisme.


Mais au fait, quelle est la probabilité d’attraper un trafiquant lors d’une journée de contrôles d’identité ?

Cette partie est conçue pour pousser votre public à se méfier des statistiques, y compris quand c’est vous qui les présentez. Je vous propose pour cela de faire de mauvaises statistiques sans en avoir l’air. Si un membre du public réagit, vous avez gagné la partie. S’il n’y a pas de réactions spontanées, cela vous donnera l’occasion de pointer du doigt
1. la nécessité d’être vigilant en permanence : même averti, on n’est pas à l’abri d’une entourloupe, volontaire ou non,
2. qu’il ne faut pas croire sur parole la personne qui essaie de vous transmettre des outils critiques.

Attention : Mauvaises statistiques ! Les chiffres obtenus dans ce qui suit ne représentent absolument rien.
– Dans l’article de l’Express sur le fichier Canonge, il est dit que sur 103 000 trafiquants fichés, il y a 29% de Nord-Africains et 19% de Noirs.
En tout, cela fait 49 440 trafiquants Noirs ou Arabes.

– On peut évaluer à environ 2 988 745 personnes Noires ou Arabes en France.

– La probabilité de tomber sur un délinquant en contrôlant un Noir ou un Arabe au hasard est donc à peu près de 49 440 / 2 988 745 ≈ 1,7%.

– F. Jobard et R. Lévy rapportent p. 62 que le nombre moyen de contrôles observés par heure est de 1,25. Ce qui fait 8,75 contrôles pour 7 heures travaillées. Disons 9 contrôles par jour.

– En remarquant que la variable aléatoire « nombre de trafiquants attrapés dans la journée » suit une loi binomiale, on obtient la conclusion suivante :
la probabilité d’attraper au moins un trafiquant dans la journée en contrôlant les Noirs et les Arabes est d’environ 14,2%. Sur 100 journées de contrôles d’identité, une équipe qui pratique les contrôles d’identité revient sans trafiquant 85 fois.

Vous venez de créer une occasion pour votre public d’analyser vos propos de manière critique :
Vous êtes-vous posé la question de savoir d’où sortait le chiffre du nombre de Noirs et Arabes en France ? Ce n’est en fait qu’une estimation, très mauvaise, faite avec les moyens du bord et très critiquable.
Je suis allée sur le site de l’INSEE où figurent des données – cliquer sur Données complémentaires, sur cette page et consulter le graphique 2 – sur le nombre de personnes entre 15 et 50 ans dont au moins un des parents est immigré de Turquie, d’Afrique Subsaharienne, du Maroc, de Tunisie ou d’Algérie : il y en a 1 282 000.
Par ailleurs, sur le site de l’INED, on peut télécharger le document Immigrés selon le sexe, l’âge et le pays de naissance 2007. Dans l’onglet France détail, on peut lire qu’il y a en France en 2007, 1 706 745 immigrés issus du continent Africain et qui ont entre 18 ans et 59 ans.

Ensuite, j’ai appliqué une grande dose de racisme ordinaire : ceux qui viennent (ou dont un parent vient) d’Europe sont blancs, ceux qui viennent du Maghreb sont Arabes et ceux qui viennent d’Afrique Noire sont Noirs. Les Antillais qui sont Français sont comptés comme Blancs, les Français dont les deux parents sont Français sont comptés comme Blancs etc…

Remarquez que, sur wikipedia (version du 19/01/2011), on peut lire

En 2010, la France accueille 6,7 millions d’immigrés (nés étrangers hors du territoire) soit 11% de la population. Elle se classe au sixième rang mondial, derrière les Etats-Unis (42,8 millions), la Russie (12,3), l’Allemagne (9,1), l’Arabie Saoudite (7,3), le Canada (7,2) mais elle devance en revanche le Royaume-uni (6,5) et l’Espagne (6,4). Les enfants d’immigrés, descendants directs d’un ou de deux immigrés, représentaient, en 2008, 6,5 millions de personnes, soit 11 % de la population également. Trois millions d’entre eux avaient leurs deux parents immigrés. Les immigrés sont principalement originaires de l’Union européenne (34 %), du Maghreb (30 %), d’Asie (14 %, dont le tiers de la Turquie) et d’Afrique subsaharienne (11 %).

En reprenant les calculs avec ces chiffres – à savoir 41% de 6,7 millions + 6,5 millions-, on obtient une probabilité d’attraper au moins un trafiquant en une journée de 8% environ. Encore faudrait-il savoir à quoi correspondent ces données exactement ? Les sources de l’article de wikipedia sont :

Les immigrés constituent 11% de la population française [archive], TF1, Alexandra Guillet, le 24 novembre 2010, source : Ined

Etre né en France d’un parent immigré [archive], Insee Première, N° 1287, mars 2010, Catherine Borel et Bertrand Lhommeau, Insee

Bref, le calcul est biaisé et il m’est impossible d’évaluer la marge d’erreur commise. Ce chiffre n’a aucune légitimité et ne pourra être brandi d’aucune manière sur un quelconque plateau télé ou lors d’un quelconque dîner de famille.
Mais il permet d’énoncer une conclusion : les chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes. Il est important de savoir comment ils ont été élaboré.

Atelier Esprit critique au collège : repérer les arguments fallacieux

Céline Montet est professeure documentaliste au collège Achille Mauzan, à Gap (Hautes-Alpes). Investie depuis plusieurs années dans l’enseignement de l’esprit critique auprès de ses élèves, elle partage avec nous une séance destinée aux élèves de 4ème de son établissement : comment repérer et identifier quelques arguments fallacieux et autres sophismes. En partant de ce qui existait à destination d’adultes et étudiants (voir ici), elle a conçu cette séance en l’adaptant au niveau des élèves. Bravo pour ce travail orignal et qui, nous l’espérons, sera partagé et repris par d’autres collègues et pour d’autres niveaux !

Objectifs de la séance

Cette séquence s’inscrit dans un projet plus global de développement de l’esprit critique, dans lequel les élèves de 4ème vont aborder les notions de hoax, théories du complot, apprendre à utiliser  des outils destinés à vérifier la source d’une image, travailler autour de cas concrets de manipulation par les chiffres et les graphiques, réfléchir autour de l’impact de l’utilisation de termes « chimique » et « naturel » ainsi que de leur validité scientifique, et assister à une intervention de Denis Caroti.

Compétences mises en jeu

Compétences du socle

Domaine 1.1 : Langue française à l’oral et à l’écrit

  • S’exprimer à l’oral
  • Comprendre des énoncés oraux
  • Lire et comprendre l’écrit
  • Écrire
  • Exploiter les ressources de la langue

Domaine 2 : Les méthodes et outils pour apprendre

  • Coopérer et réaliser des projets

Domaine 3 : la formation de la personne et du citoyen

  • Maîtriser l’expression de sa sensibilité et de ses opinions, respecter celles des autres
  • Exercer son esprit critique, faire preuve de réflexion et de discernement

Domaine 5 : les représentations du monde et l’activité humaine

  • Analyser et comprendre les organisations humaines et les représentations du monde
  • Raisonner, imaginer, élaborer, produire

Compétences liées à l'éducation aux médias et à l'information (matrice Traam de l'académie de Toulouse)

Être auteur : consulter, s’approprier, publier

  • Savoir travailler en groupe en vue de produire un document collaboratif et collectif
  • Distinguer l’information du divertissement et de la publicité
  • Savoir relier le traitement de l’information à son contexte de publication

Argumenter : analyser, développer un point de vue

  • Être capable de repérer l’intention d’une publication
  • Être capable d’identifier des formes de raisonnement invalides

Compétences liées à l'éducation morale et civique

Être auteur : consulter, s’approprier, publier

  • Exprimer son opinion et respecter l’opinion des autres
  • Être capable de coopérer

Culture du jugement :

  • Développer les aptitudes au discernement et à la réflexion critique
  • Confronter ses jugements à ceux d’autrui dans une discussion ou un débat argumenté et réglé
  • S’informer de manière rigoureuse

Culture de l’engagement :

  • Savoir s’intégrer dans une démarche collaborative et enrichir son travail ou sa réflexion grâce à cette démarche

Présentation de la séquence

L’objectif principal de cette séquence est pour les élèves d’être capable d’identifier 10 arguments fallacieux donnés pour pouvoir ensuite les repérer dans les discours ou les publicités, mais aussi pour  éviter d’en formuler soi-même. Nous allons tenter d’atteindre ces objectifs en mettant en place un dispositif pédagogique d’apprentissage collaboratif, appelé « Atelier Jigsaw ». Il s’agit de découper le contenu à s’approprier en plusieurs parties. Dans le cas précis, le contenu est divisé en 5 : deux arguments fallacieux par fiche, soit 10 arguments à connaître en fin de séquence.

Introduction de la séquence

Dans un premier temps, il s’agira de définir l’expression « Esprit critique », puis d’expliquer aux élèves ce qu’est un argument et quel est son objectif (raisonnement qui a pour but d’appuyer une idée ou au contraire de la réfuter). Pour cela, l’affirmation suivante est notée au tableau : boire du lait de vache est dangereux pour la santé. Je demande aux élèves de se positionner par rapport à cette idée et pourquoi ils adoptent cette position. « Comment vous y prenez-vous pour justifier ou réfuter cette idée ? ». Cela permet de faire ressortir la notion d’argument et donc de la définir. Cependant, il arrive que l’on se retrouve confronté à des arguments invalides. Cette utilisation peut être involontaire ou volontaire : dans ce dernier cas, l’objectif est alors de tromper son auditoire. L’objet de cette séance sera donc de découvrir 10 arguments invalides dits fallacieux : dans ces 10 cas, la forme de raisonnement utilisée ne suffit pas à justifier l’opinion défendue.

Atelier Jigsaw : une méthode pédagogique en 3 étapes (Aronson, 1971)

Méthode d’apprentissage coopératif inventée par Elliot Aronson, psychologue social dont l’objectif premier était de réduire les tensions et préjugés entre différents groupes ethniques.

Première étape : découverte silencieuse du contenu de la fiche

Les élèves sont rassemblés par îlots/groupes Jigsaw (voir ci-dessous), chaque élève autour d’une même table possédant une partie du cours (une couleur différente par fiche).

Deuxième étape : discussion entre experts

Les élèves sont réunis par groupe d’expertise : ils sont amenés à discuter, échanger, prendre des notes, inventer de nouveaux exemples, dans l’objectif de maîtriser le contenu de leur fiche. Il est précisé aux élèves qu’à l’issue de cette étape, ils devront être experts de leur fiche et être capable d’expliquer son contenu à ceux qui n’ont pas eu cette fiche entre les mains.

Troisième étape : partage des connaissances

On reforme les groupes Jigsaw de départ, l’objectif étant maintenant pour chacun de ces groupes de maîtriser collectivement le contenu de chacune des fiches : à charge pour chaque expert de former le reste du groupe.

Réalisation d’une tâche collective

Chaque groupe Jigsaw va ensuite réaliser une tâche collective.

Groupe 1 : défendre un projet de loi en avançant le plus d’arguments fallacieux possibles. Exemples : il faut interdire les enfants dans les supermarchés / Seules les personnes âgées de moins de 50 ans ont le droit d’acquérir un caniche . La restitution du travail se fait sur la fiche ci-dessous (carte mentale au format A3)

Groupe 2 : imaginer des slogans pour un produit en utilisant le plus d’arguments fallacieux possibles. Exemples : slogans pour la lessive « Céclin’ » / la boisson énergétique « Géla’pêche » (variante légume : « Géla’patate »).La restitution du travail se fait sur la fiche ci-dessous (carte mentale au format A3)

Groupe 3 : justifier une idée/opinion à l’aide d’arguments fallacieux. Exemples : les personnes dont le prénom commence par la lettre C sont plus intelligentes que les autres / Manger des glaces contribue au réchauffement climatique / Écouter de la musique classique provoque des pertes de mémoire. La restitution du travail se fait sur la fiche ci-dessous (carte mentale au format A3)

Groupe 4 : Identifier le type d’argument fallacieux utilisé dans chacun des exemples distribués (un seul type d’argument par document). La restitution du travail se fait sur des affiches, en rassemblant les exemples selon les types d’arguments relevés.

Groupe 5 : Repérer et identifier les arguments fallacieux utilisés pour chacun des exemples distribués (plusieurs types d’arguments par document). Les élèves doivent surligner ou souligner les arguments repérés et les nommer en marge.

Évaluation

Les connaissances des élèves ont été évaluées à l’aide d’un questionnaire à compléter individuellement à l’issue de ce travail, en vue de vérifier si les connaissances avaient été acquises et donc si la méthode utilisée s’était révélée efficace.

Remarques – bilan

De manière générale :

J’aurais plutôt dû constituer des groupes pairs, car à 5, un élève se trouve géographiquement un peu en retrait (et ainsi sélectionner 8 arguments au lieu de 10).

Avant la constitution des groupes d’experts :

Demander à un élève de reformuler la consigne avant de constituer les groupes experts, pour être sûr qu’elle soit comprise et éviter de perdre du temps à devoir la reformuler au sein de chaque groupe.

Leur demander de sortir un brouillon pour qu’ils aient de quoi prendre des notes.

Cours Esprit critique et mathématiques au lycée : échantillonnage et zététique

Louis Paternault est enseignant de mathématiques au lycée Ella Fitzgerald de Saint Romain en Gal (69). Il nous présente une nouvelle séquence (voir la première ici) effectuée avec ses élèves de seconde concernant la notion d’échantillonnage et pour laquelle il utilise une expérience fictive d’un sourcier cherchant à prouver son « pouvoir ». Il aborde également les notions de charge de la preuve et d’échelle des preuves. L’article rédigé par Louis est déjà publié et mis en forme sur son blog, nous le reproduisons ici avec son autorisation. Merci et bravo encore à lui !

Téléchargements

Voici les fichiers utilisés pour cette séance :

Objectifs

Mathématiques

Cette séance introduit la partie du programme de seconde générale (jusqu’en 2018-2019) qui concerne l’échantillonnage, par exemple : « Exploiter et faire une analyse critique d’un résultat d’échantillonnage. »

En revanche, si l’échantillonnage est toujours dans le nouveau programme, la notion d’intervalle de fluctuation semble avoir disparu, donc cette séance devra être adaptée à partir de l’année scolaire 2019-2020.

Zététique

Cette séance vise à montrer comment
l’échantillonnage permet de porter un regard critique sur la société qui
nous entoure, et en particulier sur les pseudo-sciences. Elle introduit
les maximes « Des affirmations extraordinaires réclament des preuves plus qu’ordinaires » et « La charge de la preuve est à celui ou celle qui affirme. »

  • Cet objectif s’inscrit également dans le cadre du programme officiel
    (jusqu’à la réforme du bac 2021), en participant à « donner à chaque
    élève la culture mathématique indispensable pour sa vie de citoyen ».
  • Cet activité permet également de poursuivre le développement de la
    compétence du socle commun : « L’appréhension rationnelle des choses
    développe les attitudes suivantes : […] l’esprit critique : distinction
    entre le prouvé, le probable ou l’incertain, la prédiction et la
    prévision, situation d’un résultat ou d’une information dans son
    contexte […]. »

Contexte

Mathématiques

Cette séance a eu lieu fin décembre, à la fin du chapitre sur les statistiques. Les élèves avaient donc vu (avec moi la semaine précédente, ou au collège) des notions de statistiques descriptives (moyenne, médiane, quartiles, représentations graphiques). L’échantillonnage, en revanche, était nouveau pour eux.

Ils n’avaient quasiment pas utilisé de calculatrice scientifique.

Zététique

Je n’avais jamais abordé ce type de sujet, et ils n’avaient (à ma connaissance) jamais fait ou entendu parler de zététique.

Déroulement

Cette activité s’est déroulée en une heure et demi (sur deux séances). Le diaporama est utilisé comme support de la majeure partie de la séance.

La première heure a été faite en demi-groupes, et la seconde en
classe entière. Il doit être tout à fait possible de faire l’ensemble en
classe entière.

Père Noël et Charge de la preuve

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La première diapositive du diaporama contient l’affirmation
« Le Père Noël existe ». Je demande aux élèves de me prouver le
contraire. Extraits de dialogues :

Élève : Ça n’est pas possible de visiter toutes les maisons du monde en une nuit. Il faudrait qu’il dépasse la vitesse de la lumière / son traîneau aurait un poids démesuré / vu la vitesse nécessaire, à cause de la friction de l’air, son traîneau prendrait feu / il ne peut pas livrer des cadeaux dans les maisons sans cheminées…
Prof : Le Père Noël est magique : il n’est donc pas soumis aux lois de la physique.
Élève : Mais la magie n’existe pas !
Prof : Prouvez le moi.

Élève : Ce sont les parents qui apportent les cadeaux.
Prof : Chez vous, peut-être, mais le Père Noël apporte leurs cadeaux aux autres enfants.

Élève : Si le Père Noël existait, il apporterait des cadeaux à tout le monde, or les enfants pauvres n’ont pas de cadeaux.
Prof : Le Père Noël n’aime pas les pauvres.

Élève : Mais la magie n’existe pas. Vous avez déjà vu une licorne ?
Prof : Vous avez déjà vu un rhinocéros ?

Tous les élèves n’ont pas participé à cet échange, mais un bon nombre a essayé d’apporter des preuves. J’ai senti la frustration des élèves, de qui je balayais toutes les tentatives de preuves, ce qui montre leur implication dans l’exercice.

 Un élève a finalement remarqué qu’il était nécessaire que je prouve que le Père Noël existe, réflexion que j’ai reprise, et qui m’a permis d’expliquer la maxime « La charge de la preuve est à celui ou celle qui affirme », que j’ai ensuite illustrée avec d’autres exemples (« la nuit dernière, j’ai été enlevé puis relâché par des extra-terrestres ; prouvez-moi que c’est faux » ; « Emmanuel Macron est un lézard à la solde des martiens ; prouvez-moi que c’est faux »). Je n’ai pas mentionné (et les élèves non plus) que le même raisonnement s’applique exactement de la même manière si l’on remplace le Père Noël par Dieu.

Échelle des preuves

Si c’est bien à celui qui affirme de prouver ses propos, nous n’allons pas exiger de nos interlocuteurs qu’ils prouvent chacune de leur affirmation. L’échelle de la preuve1 arrive alors à point nommé.

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Cette échelle n’est pas vraiment utile pour amener la notion de
fluctuation d’échantillonnage, mais elle sert à la formation citoyenne :
elle explicite la citation d’Henri Poincaré : « Douter de tout ou tout
croire sont deux solutions également commodes, qui nous dispensent de
réfléchir. »

Sourcier

J’ai ensuite expliqué que nous utilisons la preuve en mathématiques pour démontrer plein de choses, mais jusqu’à maintenant, dans leurs cours de mathématiques, ils ne s’en sont servi, dans la grande majorité, que pour des énoncés mathématiques. Le but de la séance est d’introduire un outil permettant de prouver des énoncés « de la vraie vie ».

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J’ai ensuite introduit le cas d’étude suivant : « Une personne affirme être sourcier, c’est-à-dire avoir le pouvoir de détecter des sources d’eau. Comment faire pour confirmer ou infirmer son prétendu don ? ». Peu à peu, l’idée de mettre le sourcier à l’épreuve a émergé, qui devrait être faite en aveugle (je n’ai pas abordé la notion de double aveugle), et enfin, nous avons convenu qu’il fallait répéter cette épreuve, pour limiter l’intervention du hasard (une version plus développée de cette démarche est décrite dans Esprit critique, es-tu là ? par le collectif CorteX).

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Nous n’avons pas réalisé l’expérience dans la classe, mais j’ai présenté les résultats (calculés pour être à la limite de l’intervalle de fluctuation à 95 %, tel qu’étudié en seconde) : sur les 50 essais, notre sourcier a eu 30 bonnes réponses. Comment interpréter ce résultat ?

Après d’autres réflexions, nous avons convenu que la question était : une telle réussite peut-elle être attribuée au hasard, ou est-elle la preuve d’un don ? Il nous fallait donc simuler plusieurs expériences, pour voir s’il nous arrivait d’atteindre 30 réussites sur 50 essais.

Simulation

À ce moment-là, j’ai distribué cette fiche (source) aux élèves, qui constituera leur cours pour cette partie du chapitre. Il rappelle le problème (l’expérience du sourcier), et les guide pour la résolution, avant d’introduire la notion d’intervalle de fluctuation.

Chaque table d’élève a utilisé sa calculatrice pour simuler une série de 50 essais, avec une probabilité de réussite de 50 %, et compilé les résultats au tableau. Manque de chance, dans un des deux groupes, nous avons dû conclure, à mon grand regret, qu’autant de succès avaient vraiment peu de chances d’être attribués au hasard, et que le « sourcier » avait sans doute des dons (voir la partie Problèmes).

Intervalle de fluctuation

La dernière phase de l’activité a pris la forme d’un cours magistral plus classique. Après avoir expliqué l’intérêt d’un tel outil (notamment par rapport aux simulations), j’ai présenté l’intervalle de fluctuation [p−1/√n ; p+1/√n] et son utilisation. Après l’avoir appliqué à notre sourcier, nous avons enfin conclu qu’il n’avait pas donné la preuve de ses pouvoirs.

La suite de la fiche présente en exemple le problème suivant : la
proportion de femmes à l’Assemblée nationale, inférieure à la moyenne,
est-elle le symptôme d’une sous-représentation des femmes à l’Assemblée
nationale ?

Problèmes

  • Lorsque les élèves devaient me prouver que le Père Noël n’existe pas, je réfutais moi-même leurs arguments. Il pourrait être intéressant de leur laisser le temps de les réfuter eux-mêmes.
  • La simulation a été faite en demi-groupe. Cela pose problème, car l’échantillon n’a alors que 17 individus, ce qui est peu. La conséquence est qu’il est tout à fait possible, avec un échantillon aussi petit, de « prouver » que le sourcier a un don, ce qui est bien dommage…
  • Les calculatrices TI que j’utilisais dans mon ancien lycée génèrent toutes la même séquence aléatoire. Avec ce modèle, il faut donc initialiser le générateur aléatoire correctement, pour ne pas avoir trente fois la même simulation. Je n’ai pas rencontré ce problème avec les calculatrices Casio.